La lettre juridique n°451 du 1 septembre 2011 : Éditorial

"Laïcité positive" : le Conseil d'Etat donne le "la" et crée l'émoi

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"Laïcité positive" : le Conseil d'Etat donne le "la" et crée l'émoi. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4773464-laicitepositiveleconseildetatdonnelelaetcreelemoi
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Sur les traces du premier Consul auquel il demeure sans cesse -ironiquement- comparé, le 20 novembre 2007, le tout nouveau "premier et unique chanoine d'honneur" de l'Archibasilique Saint-Jean-de-Latran, et néanmoins nouveau Président de la République française, affirmait que "la République a intérêt à ce qu'il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses", ou encore que "la laïcité n'a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes" ; enfin "dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur". Et, il introduisait, ce faisant, une nouveau concept sur l'échiquier politique -certains parlent d'habilité rhétorique- : la "laïcité positive". En ces lieux, Bonaparte avait, en juin 1800, fait plus concis et tout aussi percutant, affirmant sans ambages qu'"une société sans religion est un vaisseau sans boussole".

Première salve, premier tollé : du Grand Orient de France à l'Observatoire chrétien de la laïcité, en passant par la Ligue de l'enseignement, et plusieurs collectifs d'intellectuels et philosophes, tous fustigent le discours et le syntagme, les considérant comme "une remise en cause violente et globale" de la laïcité, une "offensive [de] la plus grande brutalité". Pour eux, cette expression -la "laïcité positive"- vide le concept de laïcité de son sens, la définition de la laïcité étant forcément négative et minimaliste. La laïcité, c'est dire qu'il n'est pas nécessaire de croire en quoi que ce soit pour fonder le lien politique. Et, de craindre le danger du communautarisme ; l'expression "laïcité positive" n'étant pas sans rappeler celle de "discrimination positive".

"Le sage tourne sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler" nous livre Salomon, dans le Livre des proverbes. Mais, c'est sans compter sur la ténacité de notre proto-chanoine de la cathédrale Notre-Dame d'Embrun. Devant le Conseil consultatif de Riyad, le 14 janvier 2008, il prêchait littéralement : "Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le coeur de chaque homme. Dieu qui n'asservit pas l'homme mais qui le libère. Dieu qui est le rempart contre l'orgueil démesuré et la folie des hommes. Dieu qui par-delà toutes les différences ne cesse de délivrer à tous les hommes un message d'humilité et d'amour, un message de paix et de fraternité, un message de tolérance et de respect" ; ou encore, un brin plus Président que proto-chanoine : "en tant que chef d'un Etat qui repose sur le principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, je n'ai pas à exprimer ma préférence pour une croyance plutôt que pour une autre. [...] J'ai le devoir de faire en sorte que chacun, qu'il soit juif, catholique, protestant, musulman, athée, franc-maçon ou rationaliste, se sente heureux de vivre en France, se sente libre, se sente respecté dans ses convictions, dans ses valeurs, dans ses origines". Seconde salve, même accueil que la première.

Enfin, n'y tenant plus, persuadé de son déterminisme kantien, le chanoine honoraire de la cathédrale de Saint-Jean-de-Maurienne précisait sa pensée, s'il l'eût fallu, le 12 septembre 2008, sur le perron de son Palais, recevant le Pape : "La laïcité positive, la laïcité ouverte, c'est une invitation au dialogue, à la tolérance et au respect. C'est une chance, un souffle, une dimension supplémentaire donnée au débat public". Et de poursuivre : "Nous ne mettons personne devant l'autre, mais nous assumons nos racines chrétiennes" ; "ça ne nous empêche pas de tout faire pour que nos compatriotes musulmans puissent vivre leur religion à égalité avec toutes les autres". Troisième salve, même succès... auprès des instances religieuses de tout bord.

Pourtant, avec ce troisième discours, si la vivacité avec laquelle le chanoine honoraire de Saint-Hilaire de Poitiers bouscule la loi de 1905 et la tradition laïque française, plutôt accommodée à la neutralité statique, est la même, la teneur semble modifier la définition du concept de "laïcité positive" au gré de l'impopularité soulevée précédemment. Si les discours de Latran et de Riyad faisaient appel à la transcendance divine et à la morale religieuse comme ciment entre les hommes, le discours de Paris, bien que reprenant la même pensée, s'attache, non plus aux croyances en tant que telles, ni à l'exercice du culte, mais plus volontiers aux conditions de cet exercice et à la mémoire culturelle aux accents historiques cultuels. La "laïcité positive", ce n'était plus affirmer qu'il n'est pas obligatoire de croire en la transcendance, bien que cela soit tout de même mieux pour l'Humanité et la société politique. Mais, si la laïcité oblige la neutralité de l'Etat à l'égard des religions, aux interdictions permettant d'assurer cette neutralité et l'équilibre -"laïcité négative"-, est pendante une action politique chargée d'assurer les conditions de la liberté de toutes les consciences au regard de l'Histoire française et de l'équité nécessaire entre les différentes religions -"laïcité positive"-.

Il faut dire que du rapport "Baroin", en mai 2003, prônant la création d'un Code de la laïcité qui regrouperait les textes existants, au rapport "Rossinot", en décembre 2005, sur la laïcité dans les services publics, en passant par le rapport "Stasi", de décembre 2003, légitimant les "accommodements raisonnables", pour l'octroi de permis pour l'édification de nouveaux lieux de culte, l'aménagement des menus de la restauration collective, le respect des exigences liées aux principales fêtes religieuses, les rites mortuaires, ou l'enseignement du fait religieux, on ne peut pas dire que, sauf à se cristalliser sur la question du "foulard islamique" à l'école, les pouvoirs publics surent appréhender la laïcité dans la France du XXIème siècle et faire évoluer de manière efficace, et dans le consensus, la loi de 1905.

A vrai dire, c'est le rapport "Machelon", en septembre 2006, qui fait les propositions les plus pragmatiques, visant à adapter le droit des cultes. Ces propositions portent sur la question immobilière et la construction de lieux de culte, le statut juridique des associations cultuelles, les carrés confessionnels dans les cimetières. Sont également examinés la protection sociale des ministres du culte et les régimes particuliers d'Alsace-Moselle et de la Guyane. Loin des imprécations fondamentalistes et conscient que la France ne peut plus s'accommoder d'une laïcité à la neutralité toute dogmatique, le rapport, intitulé Les Relations des cultes avec les pouvoirs publics, tient ses promesses. Mais, il n'en demeure pas moins dépourvu de traduction législative, faute, encore une fois, de consensus pour déroger aux canons de la loi de séparation.

Alors, c'est en traversant la Seine que le chanoine honoraire de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, trouve le réconfort, en cette maussade journée du 11 juillet 2011. Son "appel du 12 septembre" a été entendu par ses fidèles conseillers d'Etat. Et, leurs salves ne seront pas moins bruyantes. Ce n'est pas moins de cinq arrêts, rendus en formation d'Assemblée, qui définissent ce qu'est, aux yeux des précieux conseillers, la "laïcité positive" chère au Président consulaire. Accusé d'avoir trop promu une "laïcité négative", dans ces colonnes mêmes, lorsque, par quatre décisions en date du 5 décembre 2007, il faisait application des dispositions de l'article L. 141-5-1 du Code de l'éducation issues de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, et prohibant le port de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, le Haut conseil souhaite, désormais, montrer le visage d'une laïcité, non plus d'interdiction, mais de liberté (cf., avec une certaine prophétie, D. Kessler, commentant la portée de l'avis du 27 novembre 1989 dans ses conclusions sous l'arrêt "Kherouaa").

Ainsi, une commune peut attribuer une subvention en vue de la réalisation d'un ascenseur facilitant l'accès des personnes à mobilité réduite à une basilique (n° 308817) ; elle peut aménager un équipement permettant l'exercice de l'abattage rituel si un intérêt public local le justifie (n° 309161) ; elle peut permettre l'utilisation d'un local qui lui appartient pour l'exercice d'un culte dans le respect des principes de neutralité et d'égalité (n° 313518). Par ailleurs, une collectivité territoriale peut participer au financement d'un orgue dans une église (n° 308544). Enfin, la loi de 1905 n'est pas applicable à un litige concernant la conclusion, par une collectivité territoriale, d'un bail emphytéotique administratif en vue de la construction d'une mosquée (n° 320796).

Ces cinq décisions, mentionnées au recueil Lebon, feront chaud au coeur de notre chanoine honoraire de Saint-Martin de Tours. Et, "l'insoumis du cap Nègre", à l'image de l'hôte de la maison de Longwood, pourra commencer à forger sa légende... avant de trancher, à la lumière de cette récente jurisprudence, la question, moins médiatique, mais plus philosophique, de la "théorie des genres" qui, contre l'avis des légats du Vatican, fait son entrée dans les livres scolaires, cette année... La neutralité laïque, ce n'est assurément pas de rester statique, mais de rassembler autour de la laïcité, que cela soit avec le glaive de l'interdiction ou la balance des libertés.

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