La lettre juridique n°449 du 21 juillet 2011 : Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] Assujettissement aux cotisations sociales des dividendes des associés de SEL : rejet par le Conseil d'Etat du recours contre le décret n° 2009-423 du 16 avril 2009

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 27 mai 2011, n° 328905, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5818HSB)

Lecture: 6 min

N7102BST

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Assujettissement aux cotisations sociales des dividendes des associés de SEL : rejet par le Conseil d'Etat du recours contre le décret n° 2009-423 du 16 avril 2009. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4752135-jurisprudence-assujettissement-aux-cotisations-sociales-des-dividendes-des-associes-de-sel-rejet-par
Copier

par Xavier Berjot, avocat associé Ocean Avocats

le 21 Juillet 2011

Dans un arrêt du 27 mai 2011, le Conseil d'Etat a rejeté le recours formé notamment par le Conseil national des barreaux (CNB) et l'Ordre des avocats de Paris, à l'encontre du décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 (N° Lexbase : L0987IEB), relatif à la détermination du capital social et des sommes versées en compte courant d'associés des sociétés d'exercice libéral pour l'application de l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3040IEC). Cette décision, publiée au recueil Lebon, présente un intérêt majeur pour la Profession dans la mesure où les sociétés d'exercice libéral (SEL) rencontrent un succès croissant parmi les avocats, et constituent désormais le mode d'exercice en commun majoritaire (1). I - Rappel de la législation applicable

L'article 22 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (N° Lexbase : L2678IC8), modifiant l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale, prévoit qu'une fraction des dividendes et des revenus des comptes courants perçus par l'associé majoritaire et ceux qui cotisent au régime des travailleurs non-salariés, son conjoint, son partenaire auquel il est lié par un PACS et leurs enfants mineurs non émancipés, est prise en compte dans l'assiette des cotisations et contributions sociales.

Le texte s'applique aux sociétés d'exercice libéral visées à l'article 1er de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 (N° Lexbase : L3046AIN) : sociétés à responsabilité limitée (SELARL), sociétés anonymes (SELAFA), sociétés par actions simplifiées (SELAS) et sociétés en commandite par actions (SELCA).

Selon l'article 22 de la loi du 17 décembre 2008 précitée, la fraction soumise à cotisations et contributions sociales correspond au montant des dividendes et des revenus des comptes courants qui excède 10 % du capital social et des primes d'émission et des sommes versées en compte courant en toute propriété ou en usufruit.

La loi a ainsi entendu faire obstacle à une pratique pouvant consister à faire échapper aux cotisations les revenus du travail (URSSAF, RAM et CNBF), en distribuant ces revenus sous forme de dividendes aux prélèvements sociaux très nettement inférieurs.

Le décret du 16 avril 2009 a eu pour objet de déterminer la nature des apports retenus pour la détermination du capital social et les modalités de prise en compte des sommes versées en compte courant (2).

Ce nouveau dispositif d'assujettissement des dividendes aux cotisations sociales a été explicité dans une circulaire n° DSS/5D/2010/315 du 18 août 2010 (N° Lexbase : L9694IMY).

Précisons enfin que les dispositions de l'article 22 de la loi du 17 décembre 2008 s'appliquent aux revenus distribués ou payés à compter du 1er janvier 2009, la date à retenir étant celle de mise à disposition des revenus et non celle de la décision de distribution ou de paiement.

Antérieurement à cette législation, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation s'opposaient sur le point de savoir si les dividendes des SEL devaient être requalifiés en revenu d´activité assujetti aux cotisations sociales.

Pour la juridiction administrative (CE 1° et 6° s-s-r., 14 novembre 2007, n° 293642 N° Lexbase : A5808DZ7), les dividendes versés aux associés des sociétés d'exercice libéral ne pouvaient être regardés comme des revenus professionnels.

La Cour de cassation (Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 06-21.741, FS-P+B+R N° Lexbase : A5228D87) considérait au contraire que les bénéfices distribués de la SEL constituaient le produit d'une activité professionnelle et devaient entrer dans l'assiette des cotisations sociales.

La loi du 17 décembre 2008 a levé ces incertitudes en retenant la solution de la Cour de cassation.

II - Echec de la tentative de remise en cause du dispositif

C'est ce dispositif d'assujettissement aux cotisations sociales des dividendes des SEL que le CNB et l'Ordre des avocats de Paris ont tenté de remettre en cause, aux côtés d'autres acteurs concernés, comme l'Association nationale des sociétés d'exercice libéral (ANSEL) ou le syndicat des biologistes.

Lors de son assemblée générale d'Aix-en-Provence du 6 juin 2009, le CNB décidait ainsi de former un recours devant le Conseil d'Etat contre le décret du 16 avril 2009, au motif notamment que "le dispositif pénalise l'ensemble des associés de SEL alors que les avocats ont été incités à se tourner vers ces nouvelles formes d'exercice plus propices au développement des cabinets".

L'ANSEL est intervenue au soutien du recours exercé par le CNB et, dans un mémoire du 12 avril 2010, a demandé au Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité des dispositions précitées à la Constitution.

Le CNB s'est associé à la demande de l'ANSEL.

Dans un arrêt du 14 juin 2010 (CE 1° et 6° s-s-r., 14 juin 2010, n° 328937 N° Lexbase : A2624EZ9), le Conseil d'Etat a décidé de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel, estimant que le moyen tiré de ce que l'article L. 131-6 du Code de Sécurité sociale, qui assujettit aux cotisations de Sécurité sociale une fraction des revenus distribués et produits de compte courant versés par les seules sociétés d'exercice libéral, porte atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques, et partant soulève une question présentant un caractère sérieux.

L'enjeu était de taille puisque, si le Conseil constitutionnel déclare qu'une disposition législative contestée est contraire à la Constitution, cette disposition "est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision" (3).

Devant le Conseil constitutionnel, les requérants ont soutenu que l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale violerait les articles 6 ([LXB=L1370A9LM]) et 13 (N° Lexbase : L1360A9A) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen en introduisant :

- une rupture d'égalité dans le traitement fiscal des associés des SEL par rapport à celui des associés ayant choisi une autre forme d'exercice ;

- une discrimination entre les associés ayant le statut de travailleur indépendant (associé non dirigeant de la SEL) et ceux soumis au régime des salariés (associé dirigeant), qui pourraient percevoir des dividendes qui seraient assujettis ou non aux cotisations de Sécurité sociale selon leur statut.

Dans une décision du 6 août 2010 (Cons. const., décision n° 2010-24 QPC, du 6 août 2010 N° Lexbase : A9232E73), le Conseil constitutionnel a rejeté l'argumentation des requérants et déclaré conforme à la Constitution l'alinéa 3 de l'article  L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale.

L'affaire devait donc revenir vers le Conseil d'Etat, qui a ainsi rendu son arrêt du 27 mai 2011 rejetant les requêtes formées contre le décret n° 2009-423 du 16 avril 2009.

Après la décision du Conseil constitutionnel, la solution retenue par le Conseil d'Etat ne faisait pas grand doute, même si les requérants avaient déployé nombre d'arguments juridiques pertinents.

Pour l'essentiel, ils reprenaient devant le Conseil d'Etat les critiques de rupture d'égalité et de discrimination déjà invoquées devant le Conseil constitutionnel, mais examinées cette fois à l'aune du droit européen et communautaire.

Le Conseil d'Etat n'a pas suivi les requérants et le décret n° 2009-423 du 16 avril 2009 est toujours en vigueur.

A n'en pas douter, l'arrêt du Conseil d'Etat va conduire le professionnel exerçant sous forme de SEL à s'interroger sur la pertinence de ce mode d'exercice. Si le versement de dividendes n'est pas le seul critère de choix de la SEL, il en constitue néanmoins une composante importante. Dès lors, requalifier les dividendes en revenu d'activité fait perdre à la SEL une partie de son attrait.


(1) En 2010, les 6 066 groupements d'exercice en France comptaient 36,3 % de SCP (contre 60 % en 2000), 41,8 % de SELARL (contre 25 % en 2000), et 10,2 % d'associations (contre 17 % neuf ans auparavant) (source : CNB).
(2) Article 1er du décret (extraits) :
"1° Les apports retenus pour la détermination du capital social sont les apports en numéraire intégralement libérés et les apports en nature à l'exclusion de ceux constitués par des biens incorporels qui n'ont fait l'objet ni d'une transaction préalable en numéraire ni d'une évaluation par un commissaire aux apports ;
2° Les sommes versées en compte courant correspondent au solde moyen annuel du compte courant d'associé. Ce solde moyen annuel est égal à la somme des soldes moyens du compte courant de chaque mois divisée par le nombre de mois compris dans l'exercice ;
3° Le montant du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant d'associé est apprécié au dernier jour de l'exercice précédant la distribution des revenus mentionnés aux articles 108 (N° Lexbase : L2059HLT) à 115 du Code général des impôts et le versement des revenus visés au 4° de l'article 124 du même code".
(3) Constitution, art. 62 (N° Lexbase : L0891AHH).

newsid:427102