Réf. : Cass. soc., 29 juin 2011, 2 arrêts, n° 10-18.647, F-P+B (N° Lexbase : A6485HUQ) et n° 10-60.394, F-P+B (N° Lexbase : A6484HUP)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 21 Juillet 2011
Résumé
Cass. soc., 29 juin 2011, n° 10-18.647 Dans la mesure où il n'existe aucune incompatibilité entre un mandat de membre élu au comité d'entreprise et un mandat de délégué du personnel, un salarié, quoique élu au comité d'entreprise, doit aussi être proclamé élu en qualité de délégué du personnel suppléant au vu des résultats électoraux qui ne sont pas contestés et ne peut pas se désister au profit d'un autre salarié auquel les résultats du scrutin n'ont pas conféré la qualité d'élu, peu important que ce désistement soit intervenu avant ou après la proclamation des résultats. Cass. soc., 29 juin 2011, n° 10-60.394 Dès lors qu'un syndicat dispose de candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles dans l'entreprise, le délégué syndical doit nécessairement être choisi parmi ceux-ci, peut important que ces élus aient manifesté leur souhait de ne pas assumer un tel mandat et choisi de confier ce mandat à un salarié ne remplissant pas les conditions précitées. |
Observations
I - L'impossible désistement d'un salarié élu au profit d'un salarié n'ayant pas cette qualité
En application de l'article L. 2314-26 du Code du travail ([LXB=2647H9W]), si les salariés élus délégués du personnel conservent leur mandat en cas de changement de catégorie professionnelle, leurs fonctions prennent fin par le décès, la démission, la rupture du contrat de travail ou la perte des conditions requises pour l'éligibilité. Dans ces hypothèses de cessation anticipée du mandat (1), le Code du travail organise le remplacement du délégué titulaire.
Il résulte, en effet, de l'article L. 2314-30 dudit code (N° Lexbase : L2657H9B) que le délégué du personnel est remplacé par un suppléant élu sur une liste présentée par la même organisation syndicale que celle du titulaire. La priorité est donnée au suppléant élu de la même catégorie. S'il n'existe pas de suppléant élu sur une liste présentée par l'organisation syndicale qui a présenté le titulaire, le remplacement est assuré par un candidat non élu présenté par la même organisation. Dans ce cas, le candidat retenu est celui qui vient sur la liste immédiatement après le dernier élu titulaire ou, à défaut, le dernier élu suppléant. A défaut, le remplacement est assuré par le suppléant élu n'appartenant pas à l'organisation du titulaire à remplacer, mais appartenant à la même catégorie et ayant obtenu le plus grand nombre de voix (2).
Ainsi que l'on s'en rend compte, le législateur a organisé avec soin le remplacement du délégué du personnel titulaire qui démissionne de son mandat (3). En revanche, la loi n'a pas envisagé la situation dans laquelle un salarié, élu en qualité de délégué du personnel, se désiste au profit du candidat qui le suit dans la liste présentée aux élections. Telle était la situation en cause dans l'arrêt rendu sous le pourvoi n° 10-18.647.
En l'espèce, au second tour de l'élection des délégués du personnel de la société M., collège journalistes, qui s'était tenu le 11 mars 2010, le syndicat CFDT Média avait présenté des candidats en qualité de titulaires et en qualité de suppléants et obtenu un siège de titulaire et un siège de suppléant, M. H. figurant à la fois en tête de la liste des candidats titulaires et de la liste des candidats suppléants. A la suite de l'élection de M. H. en qualité de titulaire, M. S., venant immédiatement après lui sur la liste des suppléants avait, au motif qu'il avait aussi été élu au comité d'entreprise, prétendu se désister au profit de M. F. placé derrière lui sur la liste des suppléants. La société M. et des salariés avaient saisi le tribunal d'instance en rectification du procès-verbal de ces élections afin que M. S. apparaisse comme élu et que M. F. apparaisse comme non élu.
Le tribunal d'instance ayant fait droit à cette demande, le syndicat CFDT Média, MM. H., S. et F. ont formé un pourvoi en cassation. Si celui-ci est rejeté par la Cour de cassation, elle substitue un motif de pur droit à ceux critiqués par le moyen.
Ainsi que l'affirme la Cour de cassation, dans la mesure où il n'existe "aucune incompatibilité entre un mandat de membre élu au comité d'entreprise et un mandat de délégué du personnel, M. S., quoique élu au comité d'entreprise, devait aussi être proclamé élu en qualité de délégué du personnel suppléant au vu des résultats électoraux qui n'étaient pas contestés et ne pouvait pas se désister au profit de M. F. auquel les résultats du scrutin ne conféraient pas la qualité d'élu, peu important que ce désistement soit intervenu avant ou après la proclamation des résultats ; que par ce motif de pur droit substitué à ceux critiqués par le moyen, et après avis donné aux parties, le tribunal qui n'était pas saisi d'une demande relative à la régularité du scrutin a statué à bon droit".
Il faut admettre que le litige dont était saisie la Cour de cassation et, avant elle, les juges du fond, n'était guère aisé à trancher faute pour la loi d'envisager la situation en cause dans l'affaire. Les textes évoqués précédemment ne pouvaient être en effet sollicités. Outre qu'ils ne visent que les délégués du personnel titulaires, ils intéressent la cessation anticipée du mandat, ce qui suppose, par hypothèse, d'avoir été proclamé élu.
Soucieuse de donner un fondement à sa décision, la Cour de cassation se réfère aux dispositions de l'article L. 2314-19 du Code du travail (N° Lexbase : L2627H98), aux termes duquel "il n'y a pas d'incompatibilité entre les fonctions de délégué du personnel et celles de membre du comité d'entreprise". La loi prévoyant elle-même la compatibilité de ces mandats, il faut admettre qu'un salarié élu au comité d'entreprise doit être proclamé élu en qualité de délégué du personnel suppléant au vu des résultats électoraux, à tout le moins si ces derniers ne font pas l'objet d'une contestation.
En outre, on approuvera la Cour de cassation lorsqu'elle affirme que le salarié élu ne peut se désister au profit d'un salarié auquel les résultats du scrutin n'ont pas conféré une telle qualité. Admettre le contraire reviendrait à introduire une forme de déloyauté (4) dans le déroulement du scrutin et à remettre en cause, a posteriori, les choix opérés par les électeurs. A cet égard, il n'y a donc pas lieu de tenir compte du fait que le désistement intervienne avant ou après la proclamation des résultats. Dans l'un et l'autre cas, en effet, on se situe après l'expression de leur choix par les salariés. Il faut d'ailleurs rappeler ici que le terme de "désistement" se définit comme le retrait de candidature à une élection (5).
On aura donc compris que le "désistement" ne peut intervenir postérieurement aux élections. En revanche, le salarié élu peut, notamment s'il souhaite ne pas cumuler plusieurs mandats, démissionner de l'un d'entre eux. Mais il ne lui appartient pas alors de se choisir un successeur et seules doivent être appliquées les dispositions de la loi organisant le remplacement, telles qu'elles ont été décrites précédemment. Investis d'un mandat dans l'intérêt de la collectivité des salariés qu'ils représentent, les représentants du personnel n'en ont pas la libre disposition. On retrouve la même logique dans l'arrêt rendu sous le pourvoi n° 10-60.394, dans lequel étaient en cause les conditions de désignation d'un délégué syndical.
II - Audience électorale et désignation d'un délégué syndical
La loi du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), a ajouté de nouvelles conditions pour la désignation des délégués syndicaux. Désormais, outre les traditionnelles conditions d'âge, de travail dans l'entreprise, d'ancienneté et de capacité électorale fixées par l'article L. 2143-1 (N° Lexbase : L2177H9I), le délégué syndical doit être désigné parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d'entreprise ou à la délégation unique du personnel ou des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants (C. trav., art. L. 2143-3 N° Lexbase : L3719IBD).
La réforme ainsi opérée a des conséquences non négligeables. Outre qu'elle oblige le salarié qui entend être désigné délégué syndical à présenter sa candidature aux élections et à obtenir un certain pourcentage des suffrages (6), elle conduit à une remise en cause du mandat à chaque échéance électorale. En d'autres termes, alors que jusqu'à la loi de 2008 le mandat de délégué syndical était en principe à durée indéterminée, il est désormais nécessairement à durée déterminée. L'obligation ainsi faite aux syndicats représentatifs de choisir le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix vise à donner une certaine légitimité à celui-ci. Alors même qu'elle entretient une certaine confusion entre l'élection et la désignation, elle a été jugée valide tant par la Cour de cassation (7) que par le Conseil constitutionnel (8).
Le législateur a toutefois quelque peu atténué la rigueur de l'obligation en cause. En effet, en application de l'alinéa 2 de l'article L. 2143-3 du Code du travail, "s'il ne reste, dans l'entreprise ou l'établissement, plus aucun candidat aux élections professionnelles qui remplit les conditions mentionnées au premier alinéa, une organisation syndicale représentative peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise ou de l'établissement". Cette disposition doit cependant être strictement entendue, ainsi que le démontre l'arrêt rendu sous le pourvoi n° 10-60.394.
En l'espèce, par lettre du 14 avril 2010, le Syndicat national de l'urbanisme de l'habitat et des administrateurs de biens (SNUHAB CFE-CGC) avait désigné M. K. en qualité de délégué syndical CGC au sein de l'OPAC de Meaux. Pour débouter le syndicat CFDT Interco de Seine-et-Marne de sa demande tendant à l'annulation de la désignation de M. K., qui n'avait pas été candidat lors des dernières élections de la délégation unique du personnel organisées le 25 mars 2010, le jugement attaqué a retenu que les élus du SNUHAB CFE-CGC avaient adressé au directeur général de l'OPAC de Meaux, le 26 mars 2010, une lettre faisant état de leur souhait de ne pas exercer le mandat de délégué syndical et avaient unanimement décidé de confier ce mandat à M. K..
Ce jugement est censuré par la Cour de cassation au visa de l'article L. 2143-3 du Code du travail. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "ce texte fait obligation au syndicat représentatif qui désigne un délégué syndical de le choisir parmi les candidats aux élections professionnelles qui ont recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou des délégués du personnel, et que ce n'est que si le syndicat ne dispose plus dans l'entreprise ou l'établissement d'aucun candidat remplissant cette condition qu'il peut désigner un délégué syndical parmi les autres candidats ou, à défaut, parmi ses adhérents au sein de l'entreprise". La Cour de cassation conclut en conséquence qu'en statuant comme il l'a fait, "alors qu'il résultait de cette constatation que le SNUHAB CFE-CGC disposait de candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections de la délégation unique du personnel de sorte que le délégué syndical devait être choisi parmi ceux-ci, le tribunal a violé le texte susvisé".
La solution retenue doit être pleinement approuvée. Elle est, en premier lieu, conforme aux exigences légales. Tant que le syndicat dispose d'un candidat ayant obtenu au moins 10 % des suffrages aux élections, il ne peut désigner, en qualité de délégué syndical, un salarié qui ne remplit pas ces conditions. L'article L. 2143-3 ne dit pas autre chose en disposant qu'un tel salarié ne peut être investi d'un tel mandat que "s'il ne reste plus" de salariés remplissant les conditions requises. En second lieu, la décision rapportée lève une incertitude qui avait pu naître antérieurement, spécialement à la suite de l'arrêt précité du 14 avril 2010, dans lequel la Cour de cassation avait jugé que "l'obligation faite aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité, le délégué syndical parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix ne heurte aucune prérogative inhérente à la liberté syndicale [...]". Le terme "priorité" pouvait, en effet, accréditer l'idée que le syndicat n'était pas strictement obligé de choisir le délégué syndical parmi les candidats aux élections ayant obtenu au moins 10 % des voix. A notre sens, il y avait là une interprétation contra legem de l'article L. 2143-3 qui, au contraire, impose une telle obligation. Il nous semble que l'arrêt sous examen écarte définitivement cette interprétation.
En résumé, tant que le syndicat dispose dans l'entreprise ou l'établissement de candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix aux élections professionnelles, il n'a d'autre choix que de désigner un délégué syndical parmi ceux-ci (9). Ainsi qu'il ressort de l'arrêt, cette règle doit s'appliquer alors même que les candidats ont fait savoir qu'il n'entendait pas être délégué syndical et ont décidé de confier à l'unanimité le mandat à un autre salarié. Il n'est pas nécessaire de s'appesantir sur l'illicéité d'une telle pratique. Outre que le délégué syndical est désigné par le syndicat personne morale, évidemment représenté par une personne physique, elle conduit à écarter les exigences légales et à donner au fond à quelques salariés la libre disposition de mandats de représentants du personnel ; ce qui ne peut, là non plus, être toléré.
Mais la solution retenue révèle aussi la rigueur de l'obligation posée par le Code du travail. A supposer que cette lecture de la décision soit la bonne, il semble bien que le fait que les candidats ayant obtenu 10 % des voix ne souhaite pas assumer le mandat de délégué syndical ne permet pas au syndicat de donner ce dernier à un autre salarié. A dire vrai, cette assertion paraît découler des termes mêmes de l'article L. 2143-3 du Code du travail (10).
(1) Auxquelles il faut ajouter la révocation du délégué du personnel en cours de mandat, sur proposition de l'organisation syndicale qui l'a présenté, approuvée au scrutin secret par la majorité du collège électoral auquel il appartient (C. trav., art. L. 2314-29 N° Lexbase : L2656H9A).
(2) Le suppléant devient alors titulaire jusqu'au retour de celui qu'il remplace ou jusqu'au renouvellement de l'institution.
(3) Démission qui peut intervenir très rapidement après les élections. Pour une illustration, v. Cass. soc., 26 avril 2000, n° 99-60.019, publié (N° Lexbase : A6320AG8).
(4) On peut se demander si une sorte de principe de loyauté ne pourrait être érigé au titre des principes généraux du droit électoral, que la Cour de cassation n'hésite pas à mobiliser lorsqu'elle est confrontée, en matière d'élections professionnelles, aux lacunes de la loi. V. à cet égard et en dernier lieu, Cass. soc., 15 juin 2011, n° 10-60.392, FS-P+B (N° Lexbase : A7347HTB) et v. nos obs. Contestation de la désignation du représentant des salariés dans les procédures collectives, Lexbase Hebdo n° 446 du 30 juin 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N5900BSC).
(5) Dict. Petit Robert, v. "Désistement".
(6) Avec le "risque" d'être élu alors qu'il ne le souhaite pas. Mais, il lui est évidemment loisible de démissionner de son mandat, ainsi qu'il a été vu précédemment.
(7) Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60.426, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9981EU9).
(8) Cons. constit. 12 novembre 2010, n° 2010-63/64/65 QPC (N° Lexbase : A4181GGX). Lire les obs. de Ch. Radé, Le Conseil constitutionnel valide la réforme de la démocratie sociale, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6879BQT).
(9) A titre d'exemple, le syndicat qui n'aurait à sa disposition qu'un seul candidat remplissant les conditions requises, tout en ayant la faculté de désigner deux délégués syndicaux, pourrait donner le second mandat à un salarié n'ayant pas obtenu 10 % des voix ou, à défaut, parmi ses adhérents. C'est ici l'occasion de souligner que le texte institue une autre hiérarchie : d'abord un candidat, ensuite un salarié non candidat. Il faut, en outre, remarquer que ce dernier doit, au préalable, avoir adhéré au syndicat...
(10) Dispositions dont on peut, en outre, légitimement penser qu'elles sont d'ordre public absolu.
Décisions
Cass. soc., 29 juin 2011, n° 10-18.647, F-P+B (N° Lexbase : A6485HUQ) Rejet, TI Courbevoie (contentieux des élections professionnelles), 20 mai 2010 Textes concernés : C. trav., art. L. 2314-19 (N° Lexbase : L2627H98) et L. 2314-30 (N° Lexbase : L2657H9B) Mots-clés : délégué du personnel, élection, désistement au profit d'un candidat non élu, impossibilité Liens Base : (N° Lexbase : E1886ETZ) - Cass. soc., 29 juin 2011, n° 10-60.394, F-P+B (N° Lexbase : A6484HUP) Cassation, TI Meaux (contentieux des élections professionnelles), 22 septembre 2010 Texte visé : C. trav., art. L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) Mots-clés : délégué syndical, désignation, conditions, audience électorale Liens Base : (N° Lexbase : E1853ETS) |
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