Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 11 juillet 2011, n° 314746, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0238HWQ)
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 21 Juillet 2011
Plus précisément, en l'espèce, un contribuable avait été assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu portant sur les années 1986 à 1990. Par arrêt du 16 novembre 2001, la cour administrative d'appel de Paris avait confirmé le rejet par le tribunal administratif de Paris de sa demande tendant à la décharge de ces impositions ; et, à la suite de cet arrêt, le trésorier principal de Colombes lui avait notifié, le 25 juin 2001, un document intitulé "commandement de renouvellement" qui, sans avoir le caractère d'un acte de poursuite, avait pour objet de lui rappeler le montant des impositions dues ; puis, par lettre du 26 novembre 2001, lui avait demandé de procéder à la régularisation de sa situation dans les meilleurs délais et rappelé la somme globale dont il était redevable hors intérêts moratoires. Le 19 décembre 2001, le comptable avait accepté, pour une durée d'un an, la proposition du contribuable de procéder à un règlement par virement bancaire d'une somme mensuelle dans le cadre d'un plan d'apurement de cette dette ; et, différents échéanciers avaient ultérieurement été signés en 2002, 2003 et 2004 entre le comptable et le contribuable, qui avait ainsi versé dans ce cadre la somme globale de 71 340 euros. Le trésorier principal de Colombes avait délivré, le 23 août 2005, deux avis à tiers détenteur pour avoir paiement des sommes restant dues ; mais, par décision du 21 octobre 2005, le trésorier-payeur général des Hauts-de-Seine avait fait droit à l'opposition formée par le contribuable contre ces actes de poursuites au motif que l'action en recouvrement de ces impositions était prescrite, dès lors qu'aucun acte interruptif de prescription n'était intervenu entre la date de mise en recouvrement des impositions le 30 août 1990 et le 14 septembre 2000, compte tenu du délai de suspension de leur exigibilité inhérent à la réclamation contentieuse assortie du sursis légal de paiement. Toutefois, le trésorier-payeur général avait refusé de faire droit à la demande du contribuable tendant à la restitution de la somme que ce dernier avait d'ores et déjà versée ; et, le contribuable se pourvoyait en cassation contre l'arrêt du 22 janvier 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 3ème ch., 22 janvier 2008, n° 06VE02446, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1876D7M) avait rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 5 octobre 2006 du tribunal administratif de Versailles et à la restitution de ces sommes.
La sentence des Hauts juges est sans appel -tant sur le plan juridictionnel que sur le plan juridique- : la cour administrative d'appel de Versailles a souverainement apprécié, sans que cette appréciation soit arguée de dénaturation, que le requérant ne pouvait être regardé comme ayant procédé à l'apurement de sa dette fiscale sous la contrainte et en jugeant qu'il avait, par suite, tacitement renoncé, au sens de l'article 2221 du Code civil, à la prescription de l'action en recouvrement du Trésor, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.
C'est, à notre connaissance, la première fois que le Conseil d'Etat statue sur le sujet ; pour autant, la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 1er juin 2010, n° 09-14.353, FS-P+B N° Lexbase : A2176EYA) avait déjà fondé la non restitution d'une créance sur le Trésor, malgré l'invocation tardive de la prescription de recouvrement, non sur l'article 2221 du Code civil, mais sur l'article 1235 du même code (N° Lexbase : L1348ABK), aux termes duquel : "Tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition. La répétition n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées". Dans cette affaire, les juges suprêmes décidaient que les héritiers ayant versé à l'administration fiscale des acomptes à valoir sur les droits de succession à régler, alors qu'avait expiré le délai de prescription du droit de reprise de l'administration, ne pouvaient exercer l'action en répétition de l'indu. Pour les Hauts juges, la prescription ne pouvait ouvrir aux héritiers une action en répétition des acomptes par eux spontanément versés, peu important qu'à la date du paiement ils aient ignoré que le bénéfice de la prescription leur était acquis. La cour d'appel de Paris avait violé les dispositions précitées en retenant, pour ordonner la restitution des acomptes versés, qu'en versant deux acomptes en 2003 et 2004, les héritiers n'avaient pas manifesté une volonté non équivoque de renoncer à la prescription, exprimée en connaissance de cause, et que ce versement ne pouvait pas être, de ce fait, considéré comme une renonciation tacite à la prescription décennale du droit de reprise de l'administration (CA Paris, 1ère ch., sect. B, 6 février 2009, n° 07/13664 N° Lexbase : A3257EDY). Le fondement légal et le contexte des arrêts du 1er juin 2010 et 11 juillet 2011 ne sont assurément pas les mêmes. La Cour de cassation considère le paiement des droits de succession comme une "obligation naturelle" (sic) ; alors que le Haut conseil portera l'affaire sur le terrain de la renonciation à la prescription de l'action en recouvrement du Trésor, quelle que soit la créance en cause. Mais force est de constater que le résultat est le même. Tout repose donc sur l'appréciation, par les juges du fonds, de la renonciation expresse ou tacite à la prescription de recouvrement et du paiement sans contrainte de l'impôt dû par le contribuable.
On portera l'attention, dès lors, sur cet arrêt rendu par la cour administrative de Bordeaux, le 3 juillet 2008 (CAA Bordeaux, 4ème ch., 3 juillet 2008, n° 06BX01175, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2279EAN), aux termes duquel une action en remboursement d'impôts ou taxes implique qu'il ait été préalablement établi que le contribuable n'en était pas redevable, sans que celui-ci puisse utilement se prévaloir de l'action en répétition de l'indu prévue par l'article 1235 du Code civil ; et, s'il est vrai que la prescription de l'action dont disposait le Trésor en vue du recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt auxquelles le contribuable a été assujetti était acquise en raison de l'absence de tout acte interruptif, cette prescription n'a pas éteint la dette fiscale de la société, dont elle est restée redevable. Au surplus, les juges bordelais estiment que le contribuable doit être regardé comme ayant tacitement renoncé, au sens de l'article 2221 du Code civil, à la prescription de l'action en recouvrement du Trésor, dès lors qu'il a effectué les versements dont il demande la restitution après y avoir été invité par la trésorerie et avoir proposé un échéancier, alors qu'il résulte des termes mêmes de son courrier qu'il avait connaissance de ce que l'action en vue du recouvrement des impositions en cause était prescrite. Dans ces conditions, son action en restitution ne pouvait, en tout état de cause, qu'être rejetée. Nous ignorons si cet arrêt a été frappé ou non d'un pourvoi, mais la solution, à la lumière de la décision du 11 juillet 2011, semble acquise : les juges du fond ayant caractérisé une renonciation tacite à la prescription de l'action en recouvrement de la créance fiscale.
A l'inverse, le juge fiscal, dans un arrêt rendu le 16 octobre 2009 (CAA Paris, 7ème ch., 16 octobre 2009, n° 07PA04765, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6718EN7), n'a pas caractérisé de renonciation expresse ni tacite à la prescription de l'action en recouvrement, alors que le ministre soutenait que le contribuable, ayant effectué des règlements spontanés auprès du service, puis sollicité et obtenu, dans le cadre d'une transaction devenue caduque, la remise gracieuse des impositions dont le recouvrement était poursuivi, avait de ce fait tacitement renoncé à se prévaloir de la prescription, selon les dispositions de l'article 2221 du Code civil. Pour les juges parisiens, pour vraisemblables que soient ces allégations, l'absence de toute précision sur les conditions dans lesquelles ces règlements et transaction sont intervenus ne permet pas de les regarder comme des faits d'où il résulterait que le contribuable avait tacitement renoncé à invoquer la prescription. Contrairement à ce qu'il y paraît, les faits relatés dans cet arrêt et ceux de l'arrêt du 11 juillet 2011 ne sont sensiblement pas les mêmes, auquel cas l'arrêt rendu le 16 octobre 2009 encourrait certainement la censure. Dans cette dernière espèce, le contribuable avait contesté utilement les actes de poursuite de l'administration (des avis à tiers détenteur) par une réclamation, dont il n'est pas allégué qu'elle n'aurait pas été reçue par le trésorier-payeur général dans les délais requis ; en outre, le nouveau moyen soulevé devant le tribunal administratif, tiré de ce que l'action en recouvrement était prescrite, ne dépendant de l'appréciation d'aucune circonstance de fait qu'il lui eût appartenu d'exposer dans sa demande au trésorier-payeur général, le contribuable était recevable à l'invoquer postérieurement à l'expiration du délai de deux mois suivant le premier acte de poursuites lui permettant de se prévaloir de la prescription. Dans le même sens, le juge toulousain conclut que, si le contribuable a effectué un versement de 1 500 euros, qui figure comme acomptes sur le commandement payer contesté, ce dernier ne peut être regardé comme ayant tacitement renoncé à la prescription au sens de l'article 2221 du Code civil, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il avait connaissance que la prescription lui était déjà acquise à cette date (TA Toulouse, 23 juin 2009, n° 0600330 N° Lexbase : A3069EXX).
Enfin, si l'on tort le cou définitivement à la théorie de l'autonomie du droit fiscal, comme Maurice Cozian s'en amusait dans Les Grands principes de la fiscalité des entreprises, écrivant, un brin provocateur comme à son habitude, que : "Le jour où les juristes auront la curiosité de mieux suivre la fiscalité et où les fiscalistes auront la même curiosité, à l'égard du droit, on s'apercevra que le droit fiscal est moins particulariste, moins autonome, moins réaliste qu'on le prétend", il est intéressant de suivre, quelque peu, la jurisprudence judiciaire, quant à l'appréciation de cette fameuse renonciation tacite à la prescription -étant entendu qu'une renonciation expresse n'emporterait pas débat-.
On apprendrait, d'abord, que la renonciation tacite à un droit ne peut se déduire que de faits positifs non équivoques qui impliquent obligatoirement la volonté de renoncer (Cass. civ. 3, 25 mai 1982 N° Lexbase : A5225C8Z et cass. civ. 1, 15 novembre 1983, n° 82-12.626, publié au Bulletin N° Lexbase : A9976AGL).
Plus précisément, la lettre par laquelle la compagnie d'assurance précise que la régularisation de sa situation par l'assuré permet à celui-ci de bénéficier désormais du maintien de la garantie pour l'ensemble de ses responsabilités professionnelles relatives aux missions afférentes aux chantiers qu'il a déclarés à la compagnie, constitue une renonciation claire et non équivoque à la déchéance encourue par l'assuré (Cass. civ. 3, 30 janvier 1991, n° 89-13.859, F-D N° Lexbase : A2603C7K).
On relèverait, ensuite, que la renonciation tacite résulte d'un fait qui suppose l'abandon du droit acquis et que le simple rappel de l'existence légale d'un recours judiciaire à l'adresse du destinataire de la décision de la commission départementale pour l'indemnisation des dégâts causés par les sangliers et les grands gibiers ne peuvent constituer une renonciation dépourvue d'équivoque à la prescription (Cass. civ. 2, 19 janvier 1994, n° 92-15.298, F-D N° Lexbase : A7755CW7).
En outre, le fait de participer à une mesure d'instruction ordonnée en référé n'implique pas, à lui seul, la volonté de renoncer à une forclusion, invoquée ensuite dès le début de la procédure devant les juges du fond (Cass. civ. 3, 17 janvier 1996, n° 93-19.407, F-D (N° Lexbase : A9431ABW et Cass. civ. 2, 9 décembre 2010, n° 10-12.233, F-D N° Lexbase : A9245GMD).
On retiendrait, enfin, que la renonciation tacite à la prescription résulte d'actes accomplis en connaissance de cause et manifestant la volonté non équivoque de renoncer (Cass. com., 4 juillet 2000, n° 97-11.571, F-D N° Lexbase : A5451CMT). En l'espèce, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que le fait que l'avocat indique à son client que l'adversaire accepte le jugement, n'emporte pas renonciation par cet adversaire à opposer au client tous les moyens tirés de la prescription.
Par ailleurs, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation et sans avoir à mettre en évidence une proposition chiffrée émanant du transporteur, que la cour d'appel a retenu qu'une société de transports a reconnu sa responsabilité dans un courrier adressé en réponse à une réclamation, et rédigé en ces termes "ce litige a été remis à notre assurance et nous vous rembourserons le montant des dégâts dès que nous aurons été remboursés par notre assurance" et que cette reconnaissance, intervenue après l'expiration du délai de prescription, entraîne renonciation à se prévaloir de celle-ci (Cass. com., 7 juillet 2009, n° 08-13.499, F-D N° Lexbase : A7280EIH).
Toutes ces décisions ne sont pas, stricto sensu, applicables à la matière fiscale, bien que le juge fiscal doit apprécier la caractère tacite de la renonciation à l'égard d'éléments non équivoques, mais force est de constater qu'un certain nombre de leçons sont à tirer, si l'on ne veut défier tout civisme fiscal, avec "habilité". D'abord, on retiendra que le fait de correspondre avec son créancier ou son débiteur au sujet de la créance en cause n'emporte pas, de facto renonciation à une quelconque prescription et que la renonciation ne peut se déduire que d'un ensemble de faits et/ou d'écrits non équivoques. Ensuite, la contestation du paiement de l'impôt, préalable à l'invocation de la prescription de l'action en recouvrement de cet impôt, n'emporte pas, non plus, de renonciation tacite. Face au "particularisme du droit fiscal", un bon fiscaliste se devra d'avoir les réflexes privatistes ad hoc.
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