La lettre juridique n°449 du 21 juillet 2011 : Public général

[Doctrine administrative] La difficile conciliation des intérêts des usagers et de l'Etat dans la consultation anticipée des archives publiques

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 29 juin 2011, n° 335072, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5680HUW)

Lecture: 16 min

N7154BSR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Doctrine administrative] La difficile conciliation des intérêts des usagers et de l'Etat dans la consultation anticipée des archives publiques. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4752127-doctrineadministrativeladifficileconciliationdesinteretsdesusagersetdeletatdanslaconsu
Copier

par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 21 Juillet 2011

L'article 15 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1362A9C) énonce que "la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration". Il existe, en ce sens, un régime général de communication des documents administratifs qui résulte du chapitre Ier du titre Ier de la loi du 17 juillet 1978 (1), mais aussi de nombreux régimes spéciaux régissant l'accès à certains documents détenus par les autorités administratives. Nombre d'entre eux, qui préexistaient à la loi de 1978 ou sont de création plus récente, sont organisés selon des modalités proches du régime général et font intervenir la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) ; d'autres, en revanche, obéissent à des règles de forme et de fond très différentes et s'appliquent de manière autonome. C'est le cas du régime des archives publiques. Tout document administratif est en principe, aussi, une archive publique. Cette dernière est, en effet, définie par les dispositions combinées des articles L. 211-1 (N° Lexbase : L0242IBL) et L. 211-4 (N° Lexbase : L1436IEW) du Code du patrimoine comme un document, quelle que soit sa date, son lieu de conservation, sa forme ou son support, produit ou reçu par une autorité administrative dans le cadre de sa mission de service public. Les archives publiques forment, d'ailleurs, un ensemble plus vaste que les documents administratifs dans la mesure où elles englobent les documents qui sont exclus du champ d'application de la loi du 17 juillet 1978 par le dernier alinéa de son article 1er ou par la jurisprudence, notamment les documents juridictionnels et judiciaires, qui sont mentionnés à l'article L. 213-2 du même code (N° Lexbase : L1437IEX). Comme peut le relever Alexandre Lallet, "il y a là une certaine incongruité : comme on l'a vu, la jurisprudence dénie à ces documents un caractère administratif au motif qu'ils sont détenus par une autorité relevant du pouvoir judiciaire dans le cadre de sa mission juridictionnelle ; logiquement, il devrait en aller de même des archives" (2). C'est dans ce cadre que se situent les faits de l'espèce puisque sont justement en cause des documents juridictionnels ou judiciaires. La requérante a sollicité du service des archives départementales de la Haute-Garonne l'autorisation de consulter à titre dérogatoire le dossier complet d'accusation de son père qui avait abouti à un arrêt rendu par la chambre civique de Toulouse le 6 juillet 1946. Elle soutient que, bien que son père, déclaré coupable le 6 juillet 1946 du crime d'indignité nationale par la chambre civique de la cour de justice de Toulouse, ait été innocenté par une décision du 23 juillet 1946 prise par la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Toulouse, elle continue de faire l'objet, dans le village où vivaient ses parents et où elle possède une maison, de propos diffamatoires en liaison avec cette condamnation annulée, ce qui l'a conduite à demander à pouvoir accéder, par dérogation au délai de cent ans prévu en la matière, au dossier d'accusation au vu duquel a été prononcée cette condamnation.

L'article L. 213-1 du Code du patrimoine (N° Lexbase : L0296IBL) pose un principe de communicabilité de plein droit des archives publiques, sous réserve des dispositions de l'article L. 213-2, qui fixent des délais à l'expiration desquels les archives deviennent librement communicables. L'article L. 213-3 du Code du patrimoine ouvre la possibilité d'anticiper la communication des documents énumérés à l'article L. 213-2, "dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger". Dans le cadre de ce régime d'accès aux archives "par dérogation", l'autorisation est accordée ou refusée, dans un délai de deux mois à compter de l'enregistrement de la demande, par l'administration des archives, après accord de l'autorité dont émanent les documents (3).

Par décision du 5 octobre 2006, la directrice des archives de France a refusé d'autoriser cette consultation à titre dérogatoire. Pour motiver sa décision, elle a expressément repris les motifs de l'avis négatif du procureur général près la cour d'appel de Toulouse, fondé sur les risques d'atteinte aux secrets protégés par la loi et, en particulier, au secret de la vie privée. Dans la procédure de dérogation, un système de double autorisation a été mis en place dans le but d'éviter l'arbitraire des décisions : la sous-direction de l'accès aux archives et de la coordination du réseau devant faire contrepoids face à l'autorité versante ou en charge de la conservation des archives. En l'espèce, la requérante a dû faire face à un premier refus du Procureur général près la cour d'appel de Toulouse, qui était l'autorité qui avait effectué le versement du dossier, puis à un second refus de la directrice des archives de France pris, notamment, en raison du sens négatif du premier refus. Après avoir saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, qui a rendu un avis favorable à la communication de ces documents, la requérante a renouvelé sa demande. Néanmoins, le Procureur général près la cour d'appel de Toulouse a maintenu son opposition à la consultation demandée et la directrice des archives de France a renouvelé son refus.

Si le refus de l'accord de l'autorité qui a effectué le versement ou qui assure la conservation des archives, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation de consultation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens relatifs à sa régularité et son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge. Les premiers juges ont confirmé la décision de refus de la directrice des archives en tenant compte de l'ensemble des intérêts en présence, c'est-à-dire des risques d'atteinte aux secrets protégés par la loi, d'une part, et des intérêts légitimes du demandeur, d'autre part. Les juges d'appel ont notamment estimé, malgré la légitimité de la demande, que la communication de ces documents présentait des risques excessifs d'atteinte aux secrets protégés par la loi, en particulier au secret de la vie privée (4). Pour le Conseil d'Etat, la consultation anticipée d'archives publiques ne peut être autorisée que si la satisfaction de l'intérêt légitime de celui qui en fait la demande ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. C'est à bon droit que les juges d'appel ont estimé, malgré la légitimité de la demande, que la communication de ces documents présentait des risques excessifs d'atteinte aux secrets protégés par la loi, en particulier au secret de la vie privée (5).

L'accès aux archives est un droit pour tous les citoyens mais certaines de ces archives ne sont pas librement communicables pour divers motifs. Depuis le XIXème siècle, la mise en place du système des dérogations, par lequel les usagers peuvent exceptionnellement demander la consultation de certaines archives, rééquilibre, ainsi, les intérêts en présence en les conciliant. Mais, si, de prime abord, le système des dérogations garantit l'intérêt de l'usager en matière d'archives (I), il n'est peut-être pas assez rigoureux pour respecter effectivement cet intérêt (II).

I - Un système de dérogation qui doit garantir l'intérêt de l'usager en matière d'archives

L'accès aux archives est un droit pour tous les citoyens. Néanmoins, pour divers motifs, certaines de ces archives ne sont pas librement communicables. Un système de dérogations a été mis en place depuis longtemps pour pallier à cette absence de communication dans ces cas précis et permettre, ainsi, aux usagers de consulter les archives exceptionnellement. L'objectif actuel affiché par le législateur français repose sur une plus grande ouverture des archives publiques (A), mais si cet objectif est clairement mis en avant et permet une ouverture plus large des possibilités de dérogations, il n'en reste pas moins que le législateur n'a pas mis en place des critères stricts permettant un examen équitable des demandes (B).

A - Un objectif contemporain d'ouverture des archives publiques

Le régime des archives fut fixé par deux grands textes de l'époque révolutionnaire, le décret du 7 septembre 1790 et la loi du 7 messidor an II (25 juin 1794) concernant l'organisation des archives établies auprès de la représentation nationale. D'une part, cette loi établit la centralisation des archives de la Nation puisque les archives constituent un dépôt central pour toute la République. D'autre part, elle affirme le principe de leur publicité en opposition avec la pratique antérieure du secret d'Etat en proclamant le libre accès aux pièces contenues dans les dépôts, sans frais, conditions ni restrictions (6). Cette reconnaissance du droit d'accès des citoyens aux documents administratifs s'inscrivait alors dans le cadre d'une politique de transparence, condition nécessaire à la démocratie.

Aux deux textes révolutionnaires, est venue s'ajouter une réglementation dispersée et partielle venant restreindre la communication des pièces d'archives et l'assujettir à des conditions. C'est la loi du 3 janvier 1979 (7), dorénavant reprise aux articles L. 221-1 (N° Lexbase : L6883DYL) et suivants du Code du patrimoine, qui est venue remettre de l'ordre dans cet ensemble disparate de dispositions. Hormis le regroupement des dispositions relatives aux archives, elle modernise et complète leur régime tout en répondant à certaines lacunes. A ce titre, elle définit la notion même d'archives et distingue les archives publiques et privées. La loi de 1979 manifeste, ainsi, un souci d'assurer une plus grande transparence (8) tout en s'inscrivant dans un mouvement plus général (9).

Pour autant, la loi de 1979 n'a pas aplani les difficultés rencontrées pour l'accès aux archives. Par la suite et en raison, notamment, d'un conflit entre une culture du secret ancrée au sein de l'administration française et les revendications de transparence des chercheurs comme de l'opinion publique à propos d'évènements politiques (10), décrets et circulaires se sont encore multipliés. C'est la loi du 15 juillet 2008 (11), qui, dans un contexte européen marqué par la volonté d'assurer la transparence du fonctionnement des instances communautaires, élargit la notion d'archives publiques, renforce leur conservation et favorise leur consultation. Si la loi de 1979 avait été perçue comme une loi d'ouverture en réduisant les délais de communication des archives, l'intérêt pour une histoire de plus en plus récente et l'ouverture de certaines archives à l'étranger, explique pourquoi la loi de 2008 va encore plus loin dans cette logique en envisageant une nouvelle réduction de ces délais et en facilitant l'accès aux archives par l'ouverture plus large des possibilités de dérogations.

B - Un manque de critères stricts garantissant l'examen de la demande

L'objectif d'ouverture affiché par la loi de 2008 se traduit par l'inversion du principe posé en 1979 : au délai de droit commun jusqu'alors fixé à trente ans est substituée la communicabilité immédiate des archives publiques dès lors qu'elles ne mettent pas en cause des secrets protégés par la loi. Il y a là un retour à la règle fixé par la loi du 7 messidor an II. Ce principe, qui a le mérite d'être simple et clair, consacre symboliquement ce dont se veut porteur le nouveau texte, à savoir la consécration d'une ouverture des archives, et avec elle, l'approfondissement d'une relation transparente entre le pouvoir et les citoyens.

C'est dans cette logique d'ouverture que devait s'inscrire l'arrêt commenté et la décision prise par le Conseil d'Etat. Cela n'a pas été le cas mais lorsqu'on y regarde de plus près, le principe d'ouverture voulu par le législateur apparaît, néanmoins, limité. Tout d'abord, le principe de la communicabilité immédiate connaît de nombreuses exceptions. Comme peut le souligner Pascale Gonod, "celles-ci sont posées en des termes tels qu'ils peuvent faire craindre la réintroduction de certaines archives immédiatement communicables dans la catégorie des exceptions, et par suite, rendre quelque peu illusoire l'inversion majeure des perspectives à laquelle il est procédé" (12). En outre, si les mécanismes de dérogations permettent de lever nombre des obstacles mis à l'exploitation de certains fonds, il n'en est rien par principe si l'on observe de plus près la manière dont sont levées les restrictions concernant ces dérogations.

La co-décision dont relève la levée des restrictions (autorité dont émanent les documents concernés et administration des archives) repose donc sur des appréciations que l'on peut qualifier de discrétionnaires. La condition posée par la loi pour apprécier la pertinence de la délivrance d'une dérogation individuelle, à savoir "dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger" est rédigée en des termes qui ne peuvent éviter les solutions pour le moins disparates (13). Par ailleurs, si le système de double autorisation est censé éviter l'arbitraire des décisions, l'on peut douter du fait que la sous-direction des archives soit un véritable contrepoids à l'autorité versante. D'autant plus que, et l'apport de l'arrêt d'espèce est, à cet égard, significatif, le Conseil d'Etat rappelle que, considérés comme des actes administratifs non décisoires, les avis formulés lors de l'adoption d'une décision ne peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, même s'ils sont imposés par des textes. Il en va ainsi de l'avis formulé, en l'espèce, par le procureur de la République à l'occasion de la demande présentée au service des archives départementales visant à accéder à des documents d'archives publiques, plus précisément, des documents relatifs aux affaires portées devant les juridictions.

L'avis obligatoire conforme formulé par le procureur de la République ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir même si, en revanche, il est possible d'invoquer, à l'appui d'un recours contre la décision finale, des moyens relatifs à la régularité et au bien-fondé de l'avis. Ceci conduit alors la Haute juridiction à vérifier que le refus d'autoriser par exception l'accès à des archives publiques a bien été motivé au regard de l'intérêt légitime du demandeur, ainsi que des intérêts que la loi a entendu protéger. Il peut y avoir là matière à discussion dans la mesure où, le Conseil d'Etat en l'espèce, a reconnu comme suffisamment motivée la décision de la directrice des archives de France qui s'est contentée de reprendre les motifs de l'avis négatif du procureur général près la cour d'appel de Toulouse.

II - Un système de dérogation insuffisamment rigoureux pour assurer le respect effectif de l'usager

Le système de dérogation mis en place par le législateur français dans la communication des archives peut s'analyser comme rééquilibrant les intérêts en présence en les conciliant, mais cet équilibre apparaît en définitif quelque peu précaire. Il y a encore une forme d'opacité qui est maintenu autour des archives publiques (A), et la culture du secret a bien du mal à être remise en cause malgré la mise en place du principe de transparence administrative (B).

A - Le maintien d'une forme d'opacité autour des archives

En définitive, le rapport établi par la loi entre, d'un côté, les exigences de la recherche contemporaine et, de l'autre, l'impératif de protection tant de la vie privée que de l'action publique n'atteint pas l'objectif affiché d'équilibre. Les soupçons d'arbitraire qui ne manquent pas de ressortir des critères d'octroi des dérogations favorisent une promotion du culte du secret alors qu'il conviendrait plutôt de lutter contre ce dernier. Les dérogations maintiennent une forme d'opacité autour des archives et instaurent une sorte d'inégalité entre les usagers.

C'est à l'administration qu'il appartient, en dernier lieu, de juger, au cas par cas, si la consultation de certains documents est compatible avec la protection des intérêts de l'Etat ou le respect de la vie privée. La loi de 2008 limite l'accès aux informations qui mettent en cause la vie privée, réaffirmant, ainsi, un principe antérieur. Elle omet, il est vrai, d'en fournir une définition, mais la jurisprudence en a tracé, de fil en aiguille, un contour assez précis : sont considérés comme touchant à la vie privée, pour résumer, ce qui concerne les opinions politiques et religieuses, la vie sentimentale et familiale, la santé, le patrimoine, le secret du domicile et le droit à l'image. L'archiviste, ou le fonctionnaire chargé de communiquer des documents ne dispose pas d'une grande marge d'interprétation. La présence d'une information mettant en cause l'un de ces éléments reporte d'office la communicabilité d'un document de cinquante ans, ou plus lorsqu'il s'agit de la santé. Alors certes, dans le cadre de ce régime d'accès aux archives "par dérogation", l'autorisation est accordée ou refusée, dans un délai de deux mois à compter de l'enregistrement de la demande, par l'administration des archives après accord de l'autorité dont émanent les documents. Mais cette circonstance, si elle peut être propre à faciliter l'organisation du travail des chercheurs, ne pèse en aucune manière sur le fond des conditions d'octroi.

Comme peut encore le relever Pascale Gonod, il y a immanquablement des "risques d'un abus d'exercice d'un pouvoir au haut degré de discrétionnalité face auquel le juge dispose de peu d'instruments pour exercer un contrôle efficace" (14). En effet, et comme en témoigne l'arrêt d'espèce, si les juges ont pu reconnaître la légitimité de la demande, leur contrôle se limite, dans la logique du contentieux administratif, à un contrôle restreint de la décision discrétionnaire soumise, contrôle restreint se limitant à l'erreur manifeste d'appréciation et moins poussé qu'un contrôle de proportionnalité des intérêts en présence. Le contrôle du juge de cassation, de même, se limite au contrôle de la dénaturation des faits, le Conseil d'Etat soulignant, en l'espèce, l'appréciation souveraine des juges d'appel insusceptible d'être discutée devant le juge de cassation.

Il apparaît, dans la pratique, que les scientifiques semblent voir leurs demandes accueillies plus aisément que celles des professionnels ou des simples citoyens, en dehors de tout motif juridique. Les ressortissants usagers ne peuvent accéder à de nombreux documents en raison de la sécurité d'Etat, nonobstant le droit européen qui préconise un égal accès pour tous (15). Cela est justifié par des intérêts supérieurs protégés par le secret mais c'est aussi un moyen pour les administrations centrales de conserver un regard sur la vérité officielle. Sur ce point, le conseil de l'Europe envisage un principe inversé en incitant les Etats à rendre public un maximum d'informations. Cela pourrait "[...] favoriser une participation citoyenne éclairée' aux débats d'intérêt général" (16). L'intention européenne est louable mais peu réalisable dans l'immédiat car le principe de transparence administrative peine à s'imposer, même si la culture du secret est remise en cause (17).

B - Un principe de transparence administrative qui peine à s'imposer

Au moment où les démocraties occidentales tentent de se prémunir du terrorisme en renforçant les dispositions sécuritaires et les pouvoirs de la police, et en diminuant l'espace de liberté des citoyens, il est particulièrement important d'insister sur la nécessaire transparence de l'action des pouvoirs publics. Cette transparence, qui permet à des citoyens actifs, à des associations, des syndicats, des partis politiques de bénéficier des mêmes informations que celles utilisées par les pouvoirs publics pour fonder leurs multiples décisions, est un contre-pouvoir nécessaire pour assurer le bon fonctionnement d'une démocratie.

La transparence, c'est la possibilité pour chaque citoyen d'avoir accès aux documents administratifs, pour devenir, dans les sujets qui le concernent, un citoyen "informé" et de participer à des actions et débats constructifs. Le libre accès à l'information réside aussi dans la possibilité donnée à une personne d'accéder aux informations nominatives qui la concernent détenues par les administrations dans des dossiers manuels ou informatisés. Cet accès doit, notamment, permettre à la personne de faire corriger les informations erronées. Bien entendu, il s'agit d'un domaine où la libre diffusion de l'information constitue un danger pour le citoyen, et où l'accès doit être réservé aux seuls intéressés et aux utilisateurs déclarés du dossier, mais la réponse aux attentes des citoyens est une des nécessités administratives à laquelle doit répondre l'Etat. Les réformes successives destinées à rapprocher l'administration des administrés ont renforcé cette tendance visant à instituer une véritable démocratie administrative en France.

Indicateur du degré de démocratie atteint par une société, la législation française sur les archives conforte la réputation déjà bien établie du goût du secret de l'administration française. La loi de 2008 peut constituer, en certains points, une régression par rapport à la loi précédente de 1979. Elle est anachronique, contraire aux recommandations du Conseil de l'Europe qui prônent "l'égal traitement de l'ensemble des utilisateurs" (18). Elle aggrave les conditions d'écriture de l'histoire contemporaine, accentuant, de surcroît, le décalage avec les règles en vigueur dans les autres pays dans un contexte européen qui marque la volonté d'assurer la transparence du fonctionnement des instances communautaires. Il ne faudrait pas, au final, que d'un droit instauré par la Révolution, l'accès aux archives redevienne, en définitive, un privilège, comme sous l'Ancien Régime.


(1) Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal (N° Lexbase : L6533AG3), JO, 18 juillet 1978, p. 2851.
(2) Documents administratifs (Accès et réutilisation), RDCA n° 223, mars 2011.
(3) Seule la consultation des documents est alors autorisée, non leur envoi postal.
(4) CAA Bordeaux, 5ème ch., 19 octobre 2009, n° 08BX00083, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1931EQL).
(5) Le pourvoi est donc rejeté, le Conseil d'Etat se référant implicitement à l'argumentation des juges d'appel à savoir, qu'il faut tenir compte : "d'une part, de la nature des informations contenues dans un tel dossier et de l'exploitation qui est susceptible d'en être faite dans le cadre de conflits opposant plusieurs personnes dans un même village, d'autre part, de ce que l'arrêt de la chambre civique de la cour de justice de Toulouse du 6 juillet 1946 qui a condamné [M. X], père de la requérante, pour indignité nationale, a été cassé et annulé sans renvoi par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Toulouse du 23 juillet 1946 qui contient une motivation détaillée quant aux raisons pour lesquelles [M. X] n'avait commis aucun fait tombant sous le coup de la loi pénale, la décision par laquelle a été opposé à la requérante un refus de communication de ce dossier d'accusation n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation".
(6) La loi disposant, notamment, que "tout citoyen pourra demander dans tous les dépôts aux jours et heures qui seront fixés, communication des pièces qu'ils renferment : elle leur sera donnée sans frais et sans déplacement, et avec les précautions convenables de surveillance".
(7) Loi n° 79-18 du 3 janvier 1979, sur les archives (N° Lexbase : L6501AGU), JO, 5 janvier 1979, p. 43.
(8) En réduisant, notamment, le délai de droit commun de communication des archives de cinquante à trente ans, ou encore en instaurant un nouveau régime de protection des archives privées.
(9) Loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public (N° Lexbase : L8803AG7), JO, 12 juillet 1979, p. 1711 ; loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, précitée, ou encore la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS), JO, 7 janvier 1978, p. 227.
(10) Dont le régime de l'Etat français de Vichy ou la guerre d'Algérie sont les plus topiques.
(11) Loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008, relative aux archives (N° Lexbase : L9302H8Z), JO, 16 juillet 2008, p. 11322.
(12) P. Gonod, La réforme des archives : une occasion manquée, AJDA, 2008, p. 1597 et s..
(13) En ce sens, P. Gonod, article précité, p. 1597 et s..
(14) P. Gonod, article précité, p. 1597 et s..
(15) Conseil de l'Europe, Comité des ministres, Recommandation R (2000) 13 sur la politique européenne en matière de communication des archives, 13 juillet 2000, § 5.
(16) Conseil de l'Europe, Comité des ministres, Recommandation Rec (2002) 2 sur l'accès aux documents administratifs, 21 février 2002, XI, informations rendues publiques à l'initiative des autorités publiques, § 58.
(17) Voir, en ce sens, A. Dezallai, Les archives du pouvoir exécutif français : illustrations d'exceptions à de grands principes du droit public, RDP, 2011, n° 1, p. 155 et s..
(18) Conseil de l'Europe, Comité des ministres, Recommandation R (2000) 13, précitée.

newsid:427154