Réf. : Cass. com., 4 juillet 2018, n° 17-15.038, F-P+B (N° Lexbase : A5521XXR)
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N5136BXI
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par Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université Côte d'Azur, Co-directrice du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre du CERDP (EA 1201), Avocate au barreau de Nice
le 25 Juillet 2018
Contrats en cours / Résiliation de plein droit / Constat de la la résiliation par le juge-commissaire
L’article L 622-13, III du Code de commerce (N° Lexbase : L3352IC7) énonce les deux hypothèses dans lesquelles le contrat en cours est résilié de plein droit.
Le premier cas, visé au 1° de cette disposition, est celui dans lequel la mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant à l’administrateur est restée plus d’un mois [1] sans réponse.
Le deuxième cas est posé au 2° du III du même article qui prévoit que le contrat en cours est résilié de plein droit, à défaut de paiement dans les conditions définies au II [2] et d’accord du cocontractant pour poursuivre les relations contractuelles.
Par un arrêt, abondamment commenté, rendu le 20 septembre 2017 [3], la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que «la résiliation de plein droit du contrat doit, à la demande de tout intéressé, et peu important l’existence d’une clause résolutoire, être constatée par le juge-commissaire qui en fixe la date».
Ainsi, de façon très «originale» -puisque la résiliation intervient de plein droit-, celle-ci doit obligatoirement être constatée par le juge qui fixera sa date.
Le périmètre de cette exigence de constatation de la survenance de la résiliation de plein droit a été discuté en doctrine [4]. Il nous semble devoir être restreint au cas de résiliation de plein droit dont il était question dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 20 septembre 2017, c’est-à-dire le cas prévu au 2° du III de l’article L. 622-13 du Code de commerce. Il s’agit de celui dans lequel le contrat a, dans un premier temps, été poursuivi puis la prestation promise au cocontractant du débiteur n’a pas été fournie dans les conditions définies au II -c’est-à-dire à l’échéance convenue, si la procédure est une procédure de sauvegarde, ou au comptant (C. com., art. L. 631-14 N° Lexbase : L7317IZZ), si la procédure est de redressement judiciaire-. Il ne nous semble pas que la solution selon laquelle la résiliation de plein droit doit obligatoirement être constatée par le juge-commissaire doive être étendue au cas de résiliation de plein droit du 1° du III de l’article L 622-13 [5].
En effet, dans le cadre du 2° du III de l’article L. 622-13, il peut exister un doute quant à l’effectivité de la résiliation de plein droit du contrat initialement poursuivi, justifiant un constat par le juge. Par exemple, le cocontractant pourrait soutenir que la résiliation n’est pas intervenue car il aurait tacitement donné son accord pour poursuivre les relations contractuelles nonobstant le défaut de paiement dans les conditions visées au II, ou encore, l’administrateur, face au cocontractant se prévalant d’une résiliation de plein droit, pourrait soutenir que celle-ci ne serait pas intervenue dans la mesure où le cocontractant aurait eu un comportement traduisant un accord tacite pour poursuivre leurs relations contractuelles.
Il n’y a, semble-t-il, pas place à constat obligatoire en matière de résiliation de plein droit prévue par le 1° du III, c’est-à-dire lorsque la mise en demeure d’avoir à prendre parti adressée par le cocontractant est restée plus d’un mois sans réponse. La résiliation intervient alors de plein droit, sans nécessité de constat par le juge-commissaire, un mois après la mise en demeure restée sans réponse, ou à la date de la réception par le cocontractant du refus de l’administrateur de poursuivre le contrat, si celle-ci intervient dans les délais du mois. Telle était la solution qui avait été posée par un arrêt du 18 mars 2003 [6], dans ce qui est devenu, depuis la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), le cas visé à l’article L. 622-13, III, 1°. Cette solution ne nous apparait pas devoir être remise en cause par l’arrêt du 20 septembre 2017 statuant sur le cas de résiliation de plein droit du 2° du III de l’article L. 622-13.
Dans le prolongement de l’arrêt du 20 septembre 2017, un arrêt du 4 mai 2018 est venu apporter une précision intéressante.
En l’espèce, dans le cadre d’une procédure de sauvegarde sans désignation d’un administrateur judiciaire, le débiteur, avec avis conforme du mandataire judiciaire, a fait connaître sa volonté de poursuivre un contrat de location d’un bien d’équipement, les échéances ayant été réglées jusqu’au 21 novembre 2013. Un plan a été arrêté le 3 avril 2014 puis, le 22 avril, le cocontractant du débiteur, après avoir adressé un commandement de payer visant la clause résolutoire, a assigné le débiteur en paiement des loyers impayés et de l’indemnité de résiliation. Arguant des dispositions de l’article L. 622-13, III, 2°, le débiteur lui a alors opposé la résiliation de plein droit du contrat à la date à laquelle les échéances ont commencé à ne plus être réglées, et l’absence de déclaration de la créance indemnité de résiliation dans le délai du mois de la résiliation posé par l’article R. 622-21, alinéa 2 (N° Lexbase : L3452ICT).
Les premiers juges avaient cependant fixé la date de la résiliation au 26 avril 2014, date de la réception par le débiteur de la lettre recommandée avec avis de réception que lui avait adressé son cocontractant pour lui notifier la mise en jeu de la clause de résiliation de plein droit. Le débiteur soutenait pour sa part que la saisine du juge-commissaire n’était pas nécessaire pour constater la résiliation, laquelle était intervenue, selon le débiteur, de plein droit à la date de la première échéance impayée, en application des dispositions de l’article L. 622-13, III, 2°.
Le pourvoi fondé sur cette prétention est cependant rejeté par la Chambre commerciale qui énonce qu’il «résulte de l’article L 622-13 III 2° du Code de commerce […] et de l’article R. 622-13 […] que, lorsque ne sont pas payées à leur échéance, au cours de la période d’observation, des sommes dues en vertu d’un contrat dont la continuation a été décidée, et à défaut d’accord du cocontractant pour poursuivre les relations contractuelles, la résiliation de plein droit de ce contrat doit, à la demande de tout intéressé, être constatée par le juge-commissaire qui, après avoir vérifié que l’absence de paiement est justifiée par la constatation que l’administrateur ne dispose plus des fonds nécessaires pour remplir les obligations nées du contrat, en fixe la date».
L’arrêt rapporté, tout en rappelant que la résiliation de plein droit prévue par l’article L. 622-13, III, 2° doit impérativement être constatée par le juge-commissaire qui en fixe la date, apporte une autre précision essentielle : la résiliation de plein droit visée au 2° du III de l’article L 622-13 ne peut intervenir que si l’absence de paiement dans les prévisions du II de l’article 622-13 est justifiée par le fait que l’administrateur -ou le débiteur- ne dispose plus des fonds nécessaires pour remplir les obligations nées du contrat. Ainsi, si le défaut de paiement ne résulte pas d’une absence de fonds disponibles mais d’un autre motif, par exemple une pure convenance personnelle du débiteur qui ne trouve plus intérêt à continuer le contrat initialement poursuivi, aucune résiliation de plein droit ne peut intervenir et ne peut donc être constatée par le juge-commissaire. La seule solution est alors, pour l’administrateur ou le débiteur qui ne souhaite plus poursuivre le contrat, de solliciter du juge-commissaire le prononcé de la résiliation (et non le constat d’une résiliation survenue de plein droit) en application du IV de l’article L. 622-13. Dans cette hypothèse, la résiliation sera prononcée si, d’une part, elle est nécessaire à la sauvegarde du débiteur et si, d’autre part, elle ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.
L’article L. 622-13, II, alinéa 2 in fine prévoit que s’il s’agit d’un contrat à exécution ou paiement échelonné dans le temps, l’administrateur y met fin s’il lui apparaît qu’il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant. Il semble que lorsque l’administrateur met fin au contrat en application de cette disposition, la précision apportée par l’arrêt du 4 juillet 2018 conduise à imposer le constat par le juge-commissaire de la résiliation dont il fixera la date, après vérification que l’absence de paiement est effectivement justifiée par la constatation qu’il ne dispose plus des fonds nécessaires pour remplir les obligations nées du contrat. La date de résiliation retenue par le juge devra être celle à laquelle le cocontractant est informé de la décision de l’administrateur ou du débiteur de mettre fin au contrat.
En résumé, en cas d’option, dans un premier temps, pour la continuation du contrat, les hypothèses susceptibles de se présenter, dans un second temps, sont les suivantes.
- Soit l’administrateur ou le débiteur n’a plus à disposition les fonds nécessaires pour remplir les obligations nées du contrat mais ne prend pas la décision de mettre fin au contrat. En application du 2° du III de l’article L. 622-13, du fait du défaut de paiement de la prestation promise au cocontractant dans les conditions du II, la résiliation interviendra de plein droit et devra, être constatée par le juge-commissaire qui en fixera la date [7]. La date de résiliation fixée par le juge dépendra des circonstances. Ce sera la première de ces deux dates : celle à laquelle l’administrateur indiquera finalement au cocontractant qu’il n’a plus les fonds pour maintenir la relation contractuelle ou celle à laquelle le cocontractant se prévaudra de la clause résolutoire intégrée au contrat.
- Soit l’administrateur ou le débiteur n’a plus à disposition les fonds nécessaires pour remplir les obligations nées du contrat et met immédiatement fin au contrat en application de l’article L. 622-13, II, in fine. La résiliation interviendra à la date à laquelle le cocontractant est informé de la décision de mettre fin au contrat. Cette résiliation devra être constatée par le juge-commissaire afin que celui-ci procède à la vérification que l’absence de paiement est justifiée par le fait que le débiteur ne dispose plus des fonds nécessaires pour remplir les obligations nées du contrat. Cette vérification est essentielle pour que le débiteur, qui souhaiterait mettre fin au contrat par pure convenance personnelle, ne soit pas tenté de prétexter une absence de fonds que le cocontractant ne peut pas vérifier.
- Soit l’administrateur ou le débiteur ne souhaite plus poursuivre le contrat pour un motif autre que le défaut de fonds disponibles. Dans cette hypothèse, en application du V de l’article L. 622-13, la résiliation n’interviendra pas de plein droit. Elle sera prononcée par le juge-commissaire à la demande de l’administrateur judiciaire ou, à défaut, du débiteur (qui joint à sa requête l’avis conforme du mandataire judiciaire s’il l’a obtenu, cf. C. com., art. R. 627-1, al. 5 N° Lexbase : L9345IC4). Son prononcé ne pourra intervenir que si deux conditions sont réunies : la résiliation est nécessaire à la sauvegarde du débiteur et elle ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant. La déclaration de l’indemnité de résiliation devra intervenir dans le mois de la notification de la décision prononçant la résiliation (C. com., art. R. 622-21, al. 2).
[1] Avant l’expiration de ce délai, le juge-commissaire peut accorder à l’administrateur une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour se prononcer (C. com., art. L. 622-13, III, 1°).
[2] C’est-à-dire à l’échéance convenue, si la procédure est une procédure de sauvegarde, ou au comptant (C. com., art. L. 631-14 N° Lexbase : L7317IZZ), si la procédure est de redressement judiciaire.
[3] Cass. com., 20 septembre 2017,n° 16-14.065, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7586WSR) ; D., 2017, Actu. 1831, note A. Lienhard ; Gaz. pal., 16 janvier 2018, n° 2, 63, note F. Kendérian ; Bull. Joly Entrep. en diff., janvier/février 2018, 30, note S. Benilsi ; JCP éd. E, 2017, chron. 1688, n° 11, note Ph. Pétel ; JCP éd. E, 2018, 1000, note B. Brignon ; RTDCiv., 2017, 854, n° 5, note Barbier ; P.-M. Le Corre, in Chron., Lexbase , éd. aff., 2017, n° 527 (N° Lexbase : L7317IZZ).
[4] V. les commentaires de Cass. com., 20 septembre 2017, n° 16-14.065, préc..
[5] En ce sens égal., P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 10ème éd, à paraître, n° 431.551.
[6] Cass. com., 18 mars 2003, n° 00-12.693, FS-P (N° Lexbase : A5489A7G) : «Mais attendu que l’administrateur ayant été mis en demeure de se prononcer sur la poursuite d’un contrat en cours, son refus exprès de poursuivre le contrat entraîne la résiliation de plein droit de celui-ci, à la date de la réception par le cocontractant de ce refus, si celle-ci intervient dans le délai d’un mois prévu à l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985 devenu l’article L. 621-28 du Code de commerce ; qu’il n’y a pas lieu de faire nécessairement constater cette résiliation par le juge-commissaire ; que le délai supplémentaire, prévu à l’article 66 du décret du 27 décembre 1985, pour déclarer la créance résultant de la résiliation court à compter de la réception de la réponse de l’administrateur».
[7] Cass. com., 20 septembre 2017, n° 16-14.065, préc. et Cass. com., 4 juillet 2018, n° 17-15.038.
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