Réf. : Cass. com., 24 janvier 2018, n° 16-20.589 et n° 16-22.128, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0781XBK)
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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Nice Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201), Avocat au barreau de Nice
le 15 Février 2018
Lorsque l'acquiescement est intervenu, le mandataire de justice compétent ne saurait discuter à nouveau le droit de propriété de l'intéressé, ayant renoncé définitivement à combattre les prétentions de celui-ci, dans le cadre de l'action en justice entamée (1). Si la demande en revendication a été introduite au titre d'un contrat qui n'est plus ou ne peut être un contrat en cours, l'acquiescement va autoriser le propriétaire du meuble revendiqué à reprendre le bien. Tel est le cas en présence d'une vente avec clause de réserve de propriété, contrat qui cesse d'être en cours au jour de l'ouverture de la procédure collective dès lors que le bien a été livré au débiteur acheteur avant l'ouverture de la procédure collective.
En l'absence d'acquiescement, il appartient au revendiquant de présenter au juge-commissaire une requête en revendication dans le délai du mois qui court à compter de l'expiration du délai du mois imparti à l'organe compétent pour se prononcer sur la demande en acquiescement.
Une difficulté particulière se présente lorsque l'organe compétent pour acquiescer à la demande en revendication reconnaît le principe de l'opposabilité du droit de propriété, par exemple celui reposant sur une clause de réserve de propriété, mais conteste sa portée. En raison du désaccord constaté entre l'administrateur judiciaire et le vendeur réservataire, la Cour de cassation a pu approuver une cour d'appel d'avoir estimé qu'il n'y avait pas eu acquiescement à la demande en revendication, de sorte que le vendeur était astreint à présenter une requête en revendication au juge-commissaire (2). Au final, Ce n'est donc qu'en cas d'acquiescement sans réserve que le propriétaire est dispensé de saisine du juge-commissaire (3).
En l'espèce, une difficulté liée à un acquiescement partiel s'était présentée. Le revendiquant avait alors estimé devoir saisir le juge-commissaire, analysant avec une juste projection de ce qui allait être par la suite la position de la Cour de cassation, l'acquiescement partiel en une absence d'acquiescement.
Devant le juge-commissaire, une société d'affacturage prétendant exercer des droits sur les biens revendiqués par le vendeur était intervenue volontairement à l'instance en contestant ce qu'elle avait qualifié d'acquiescement de la part de l'administrateur judiciaire.
La question première qui se posait était de déterminer si le juge-commissaire pouvait accueillir l'intervention volontaire de la société d'affacturage. Cette dernière se fondait sur les dispositions de l'article L. 621-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3502ICP), qui énonce que le juge-commissaire est chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence ; qu'il statue par ordonnance sur les demandes, contestations et revendications relevant de sa compétence ainsi que sur les réclamations formées contre les actes de l'administrateur, du mandataire judiciaire et du commissaire à l'exécution du plan. La société d'affacturage considérait qu'elle attaquait une décision de l'administrateur judiciaire ayant acquiescé à la demande en revendication et qu'elle avait qualité pour agir devant le juge-commissaire qui doit statuer sur cette réclamation.
La Cour de cassation, confirmant la décision de la cour d'appel, va rejeter la prétention. Elle énonce que l'action en revendication, qui tend à la seule reconnaissance du droit de propriété du revendiquant aux fins d'opposabilité de ce droit à la procédure collective, est strictement réglementée par l'article L. 624-17 du Code de commerce. La cour d'appel a donc pu à bon droit déduire qu'à défaut d'acquiescement à la demande par l'administrateur en cas de contestation de l'acquiescement donné par ce dernier, le juge-commissaire ne peut être saisi que par le revendiquant, le débiteur le mandataire de justice, à l'exclusion de toute autre personne. La Cour de cassation ajoute que peu importe que l'intervention d'une tierce personne prenne la forme d'une intervention volontaire ou d'une réclamation contre l'acte d'acquiescement, l'article L. 621-9 du Code de commerce ne pouvant, dans ce cas, recevoir application.
La Cour de cassation, pour parvenir à sa solution, implicitement, mais nécessairement, a dû reconduire la solution précédemment posée dans l'arrêt précité du 3 mai 2016, selon laquelle l'acquiescement partiel de l'administrateur judiciaire ne vaut pas acquiescement à la demande en revendication, ce qui oblige, par conséquent, le revendiquant à saisir le juge-commissaire par requête. Or, selon le texte de l'article L. 624-17, lui seul est habilité à le faire, à défaut d'acquiescement. La solution n'aurait, au demeurant, pas été différente, en cas de contestation de l'acquiescement. En ce cas, seul le débiteur aurait pu saisir le juge-commissaire pour contester l'acquiescement intervenu.
Une deuxième difficulté se présentait en l'espèce, qui portait sur l'obligation de restitution incombant au liquidateur, après conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire, des sommes par lui perçues après l'ouverture de la procédure collective par le sous-acquéreur du fait de la revente des biens revendiqués.
On sait d'abord que si le bien vendu sous clause de réserve de propriété est revendu à un tiers acquéreur, le vendeur d'origine ne peut revendiquer son bien entre les mains du tiers, du fait de la règle posée par l'article 2276 du Code civil (N° Lexbase : L7197IAS), selon laquelle "en fait de meubles, possession vaut titre". Il existe en effet une présomption de bonne foi, qui résiste en cas de procédure collective, venant protéger le tiers acquéreur d'un meuble corporel, selon laquelle il est réputé tenir son droit d'un propriétaire.
Et c'est pourquoi le doit des entreprises en difficulté transforme l'action en revendication du bien en une action en revendication du prix, dès lors que, au jour de l'ouverture de la procédure collective, le prix de revente du bien n'a pas été payé à l'acheteur intermédiaire, celui qui sera le débiteur sous procédure collective.
Le droit de propriété du vendeur sous clause de réserve de propriété, qui n'a pas été payé au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective de son acheteur, se reporte, par un mécanisme de subrogation réelle, sur la créance du prix de revente détenue par le débiteur sur le sous-acquéreur.
Si le sous-acquéreur paie après le jugement d'ouverture, l'administrateur judiciaire ou le liquidateur doit remettre au revendiquant subrogé le montant qui lui a été versé après le jugement d'ouverture par le sous-acquéreur. Mais cet organe ne doit remettre au revendiquant que le montant qu'il a reçu du sous-acquéreur, et c'est pourquoi le juge-commissaire et à sa suite la cour d'appel, appelé à statuer sur la demande en revendication, ne peut condamner l'administrateur judiciaire ou le liquidateur à resituer la totalité des sommes dues, sans rechercher si cet organe dispose des sommes revendiquées pour les avoir reçues après l'ouverture de la procédure collective, soit de la part du sous-acquéreur, soit de la part de l'affactureur subrogé dans les doits du débiteur.
L'apport de l'arrêt commenté tient précisément à cette obligation éditée par la Cour de cassation, qui repose sur le juge-commissaire et à sa suite sur la cour d'appel, du montant des sommes effectivement perçues par l'organe de la procédure collective.
(1) CA Nancy, 2ème ch. com., 21 juin 2000.
(2) Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-24.586, F-P+B (N° Lexbase : A3352RNH) ; Gaz. Pal., 18 octobre 2016, n° 36, p. 63, note crit. E. Le Corre Broly ; Act. proc. coll., 2016/10, comm. 135, note Petit ; JCP éd. E, 2016, chron. 1465, n° 9, note Ph. Pétel ; Bull. Joly Entrep. en diff., 2016, 324, note L. Le Mesle ; LPA,17 octobre 2016, n° 207, p. 10, note crit. M. Laroche ; RTDCom., 2017, 190, n° 8, note A. Martin-Serf.
(3) L. Le Mesle préc., note sous Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-24.586, préc..
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