Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 25 octobre 2017, n° 392578, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4470WXT)
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N1591BX9
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par Romain Victor, Rapporteur public au Conseil d'Etat
le 07 Décembre 2017
2 - M. X, qui demeure à Etaples-sur-Mer (Pas-de-Calais), était le propriétaire du Saint Jean Priez Pour Nous, un chalutier d'une longueur de 21 mètres dont il se servait dans le cadre de son activité de marin pêcheur. Le 3 mars 2012 à 5 heures 20, l'officier de quart de la capitainerie de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) a constaté que le navire, qui avait accosté sans autorisation au lieudit "La Criée" du port de Boulogne-sur-Mer pour y recevoir une livraison de glace, alors que cet emplacement est réservé à la débarque de la pêche, avait refusé d'obtempérer à l'ordre de libération du poste en vue de permettre à un autre chalutier de débarquer sa pêche.
L'officier de port a dressé un procès-verbal de contravention de grande voirie, notifié quelques jours plus tard à M. X, lui imputant la violation des dispositions combinées des articles L. 5334-5 (N° Lexbase : L6980INT) et L. 5337-5 (N° Lexbase : L6945INK) du Code des transports qui prévoient que, dans les limites administratives d'un port maritime, tout capitaine d'un navire est tenu d'obtempérer aux ordres donnés par les officiers de port concernant le mouvement de son navire et que tout refus d'obtempérer est passible d'une amende dont le montant, fonction de la longueur hors tout du navire, s'établit à 8 000 euros pour un navire dont la longueur, à l'instar du Saint Jean Priez Pour Nous, est comprise entre 20 et 100 mètres.
Le 13 juillet 2012, le préfet du Pas-de-Calais a saisi le tribunal administratif de Lille d'une requête tendant à la condamnation de M. X au paiement de cette amende. Par jugement du 19 septembre 2013, le magistrat désigné de ce tribunal a fait droit à sa requête. M. X se pourvoit régulièrement en cassation contre l'arrêt du 11 juin 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'il a formé contre ce jugement (CAA Douai, 1ère ch., 11 juin 2015, n° 14DA00251 N° Lexbase : A5729NQA).
3 - L'annulation de l'arrêt attaqué est inévitable. L'article R. 711-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L7291KHI), applicable en première instance et en appel, impose que toute partie soit avertie du jour où l'affaire sera appelée à l'audience, cet avis pouvant être donné par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou dans la forme administrative. L'article R. 711-2-1 du même code (N° Lexbase : L8940LDH) ajoute que les parties ou leur mandataire inscrits dans Télérecours peuvent être convoqués à l'audience par le moyen de cette application informatique.
Ces dispositions sont bien applicables au jugement des contraventions de grande voirie par la cour administrative d'appel. L'article L. 2132-20 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L4587IQX) renvoie en effet, en ce qui concerne la procédure de jugement de ces contraventions, aux dispositions spéciales qui figurent au chapitre IV du titre VII du livre VII du Code de justice administrative. Ce chapitre comporte certes un article L. 774-4 (N° Lexbase : L3248ALU) qui énonce que l'avis d'audience est délivré par lettre recommandée ou dans la forme administrative sans prévoir de notification par Télérecours. Mais ces dispositions doivent être regardées, par analogie avec ce qu'a décidé votre arrêt "Voies navigables de France" du 5 octobre 2007 (CE n° 290761 N° Lexbase : A6687DYC, Tables, p. 844, concl. N. Escaut), comme n'étant relatives qu'aux jugements rendus par le tribunal administratif de sorte qu'en l'absence de disposition spéciale, il convient de considérer que la procédure suivie devant la cour est régie par les dispositions de droit commun applicables au jugement, notamment celles de l'article R. 711-2-1 relatives à l'envoi de l'avis d'audience via Télérecours.
La convocation des parties à l'audience constitue bien sûr une exigence substantielle. Le jugement qui intervient alors qu'une des parties n'a pas été avisée du jour de l'audience est irrégulier (CE, 7 mars 1986, n° 63343, 63856 N° Lexbase : A7667AMW, Tables, p. 668 ; CE, 14 avril 1999, n° 147865 N° Lexbase : A4339AXY), à moins que le requérant qui se plaint de n'avoir pas été convoqué ou son avocat a été présent à l'audience (CE Sect., 23 février 1968, n° 65466 N° Lexbase : A5753B8L, Recueil, p. 136). Enfin si l'arrêt ou le jugement mentionne que les parties ont été convoquées à l'audience, mais qu'une partie conteste que tel ait été le cas, c'est à un examen concret que vous vous livrez : votre décision "SCI Parc de Vallauris" retient ainsi que la décision juridictionnelle attaquée doit être regardée comme rendue à la suite d'une procédure irrégulière s'il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge du fond que la partie intéressée a été régulièrement convoquée, ni qu'elle a été présente ou représentée à l'audience (CE, 16 janvier 2006, n° 266267 N° Lexbase : A4194DMB, Tables, p. 877-1025, concl. L. Vallée).
Ces exigences ne sauraient avoir moins de force dans le contentieux répressif des contraventions de grande voirie. Si, en l'espèce, l'arrêt mentionne que "[l]es parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience", M. X, qui n'était ni présent ni représenté à l'audience, soutient que tel n'a pas été le cas. De fait, il ressort des pièces du dossier que son conseil a été averti le 27 avril 2015, au moyen d'un avis délivré via l'application Télérecours, que l'affaire serait appelée à l'audience du 28 mai 2015. Par un second avis du 21 mai 2015, également adressé via Télérecours, les parties ont été informées que l'affaire était reportée à une date ultérieure et qu'un nouvel avis d'audience leur serait délivré. Cependant l'audience s'est tenue à la date initialement fixée en l'absence de M. X et de son conseil et sans qu'ils aient reçu de nouvel avis, ce dont il se déduit aisément que l'arrêt est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière.
Nous vous invitons à régler le litige au fond après cassation en considération de l'intérêt qui s'attache à ce que vous preniez parti sur le moyen, invoqué par M. X à l'appui de sa requête d'appel, tiré de ce que le montant de l'amende aurait dû être modulé pour assurer la proportionnalité de la sanction avec la gravité de l'infraction qui lui a été reprochée et pour tenir compte de sa situation personnelle, notamment financière.
4 - Vous écarterez d'abord sans difficulté les trois moyens de la requête relatifs au principe de la condamnation.
4.1 - Contrairement à ce que soutient le requérant, le procès-verbal de contravention comporte bien l'indication du nom, du prénom et de la qualité de son auteur conformément aux dispositions alors en vigueur de l'article 4 de la loi "DCRA" (loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations N° Lexbase : L0420AIE), applicables dans le contentieux de la grande voirie (CE, 29 octobre 2012, n° 341357 N° Lexbase : A1165IW3, Tables, p. 748) et la circonstance qu'un autre officier de la capitainerie aurait été présent au moment où l'infraction a été constatée, n'entache pas cet acte d'irrégularité dès lors que les mentions légalement requises ne concernent que l'auteur de la décision administrative.
4.2 - Le moyen tiré de ce que le procès-verbal ne ferait pas état des circonstances exactes de la commission de l'infraction manque en fait.
4.3 - Enfin c'est en vain que M. X soutient qu'il n'est pas établi qu'il aurait été interdit d'accoster à l'endroit où il a amarré son chalutier car l'infraction qui lui est reprochée n'est pas un stationnement irrégulier de son navire mais un refus d'obtempérer.
5 - M. X soutient pour le reste qu'en refusant de moduler le montant fixé par le texte instituant la contravention de grande voirie, le juge méconnaîtrait le principe d'individualisation des peines qui découle du principe de nécessité des peines affirmé par l'article 8 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1372A9P) (et qui impose que toute sanction ayant le caractère d'une punition tienne "compte des circonstances propres à chaque espèce" (Cons. const., décision n° 2013-329 QPC du 28 juin 2013 N° Lexbase : A7734KHW, cons. n° 3).
Cette exigence, qui trouve à s'appliquer y compris dans le silence de la loi (Cons. const., décision n° 2007-553 DC du 3 mars 2007 N° Lexbase : A4243DUP, cons. n° 28), est particulièrement forte en droit pénal. L'article 132-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9834I3M) énonce ainsi que "toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée" et que, "dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine [...] le quantum [...] des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale [...]". C'est cette même conception que le requérant souhaiterait transposer à l'amende sanctionnant une contravention de grande voirie, laquelle ne devrait selon lui constituer qu'un simple plafond, un maximum en dessous duquel le juge serait libre de descendre pour individualiser la sanction.
5.1 - Les contraventions de grande voirie ne sont pas "compte tenu de leur objet et des règles de procédure et de compétence qui leur sont applicables, des contraventions de police", pour reprendre une formule que l'on trouve sous votre plume (CE, 22 juin 1987, n° 50787 N° Lexbase : A3769APB, Tables, p.727) et sous celle du Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 87-151 L du 23 septembre 1987 N° Lexbase : A8165ACE, cons. n° 4). Elles ne sont pas davantage des sanctions "administratives" dès lors qu'elles sont prononcées par le juge et non par l'autorité administrative.
Elles constituent néanmoins des sanctions ayant le caractère d'une punition et se rattachant à la "matière pénale" au sens de la Convention européenne, ce qui explique qu'il leur soit fait application d'un grand nombre de règles et principes du droit pénal et de la procédure pénale :
- principes de nécessité des peines (CE Avis, 23 avril 1997, n° 183689 N° Lexbase : A9653ADU, Recueil p. 153, concl. G. Bachelier) et d'interprétation stricte du texte d'incrimination (CE, 27 mars 2000, n° 195019 N° Lexbase : A3861AUK, Recueil p. 136) ;
- rétroactivité in mitius (CE, 23 juillet 1976, n° 99520 N° Lexbase : A6196B8Y, Recueil p. 361) ;
- principe de l'autorité absolue de chose jugée attachée aux décisions du juge administratif statuant sur la poursuite de contraventions de grande voirie (CE, 27 juillet 1988, n° 68672 N° Lexbase : A7757APY, Recueil p. 301) ;
- inclusion dans le périmètre des lois d'amnistie (CE, 3 février 1982, n° 25031 N° Lexbase : A8766AKU, Recueil p. 47 ; CE, 8 avril 1987, n° 28531 N° Lexbase : A3288APH, Recueil p. 128 ; CE, 30 décembre 1996, n° 148174 N° Lexbase : A2194APX, Recueil p. 521) ;
- prescription de l'action publique selon les règles de l'article 9 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0382LDI) applicables aux contraventions de police (CE, 2 novembre 1966, n° 65445 N° Lexbase : A1868B7C, Recueil p. 576, la prescription ne jouant pas en revanche en ce qui concerne l'action domaniale : CE, 22 décembre 1965, n° 64841 N° Lexbase : A5570B8S, Recueil p. 703).
L'invocation du principe d'individualisation des peines est donc opérante dans le contentieux des contraventions de grande voirie.
5.2 - Vous pourriez bien sûr être tentés de transposer à la matière des contraventions de grande voirie le raisonnement que vous tenez en matière de sanctions fiscales et qui vous conduit à refuser de moduler les majorations et amendes infligées par l'administration.
Par votre avis de Section "Houdmond" (CE, 5 avril 1996, n° 176611 N° Lexbase : A8780ANI, Recueil, p. 116, RJF, 1996 n° 607, concl. J. Arrighi de Casanova, BDCF 3/96, p. 63), confirmé à de nombreuses reprises depuis lors (CE Avis, 8 juillet 1998, n° 195664 N° Lexbase : A9122AHC, RJF 1998, n° 970, concl. J. Arrighi de Casanova ; CE, 8 mars 2002, n° 224304 N° Lexbase : A2610AYC, RJF 2002, n° 671), vous vous êtes en effet appuyés sur le fait que la loi fiscale proportionne elle-même les pénalités selon les agissements commis par le contribuable en prévoyant l'application de différents taux de majoration selon la qualification du manquement, ce dont vous avez déduit que le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur la qualification retenue par l'administration, doit appliquer le taux de majoration prévu par la loi sans pouvoir le moduler pour tenir compte de la gravité de la faute commise par le contribuable.
Cette position est aussi celle du Conseil constitutionnel lorsqu'il a été amené à se prononcer sur diverses pénalités fiscales : majoration de 40 % pour non dépôt de déclaration après mise en demeure (Cons. const., décision n° 2010-105/106 QPC du 17 mars 2011 N° Lexbase : A8914HC7, cons. n° 7, RJF 2011, n° 731), majoration de 40 % en cas de mauvaise foi du contribuable (Cons. const., décision n° 2010-103 QPC du 17 mars 2011 N° Lexbase : A8912HC3, RJF 2011, n° 731) ou majoration de 40 % pour non déclaration de comptes bancaires à l'étranger (Cons. const., décision n° 2011-220 QPC du 10 février 2012 N° Lexbase : A3099ICR, cons. n° 5). Cette position, que la Cour européenne des droits de l'Homme n'a pas remise en cause dans son principe (CEDH, 5ème section, 7 juin 2012, Req. 4837/06 N° Lexbase : A6665IN8, RJF 2012, n° 888, chron. E. Bokdam-Tognetti, p. 699), va assez loin puisque le juge constitutionnel identifie une possibilité d'adapter les pénalités à la gravité des agissements du redevable dans le seul fait que le juge de l'impôt puisse, à l'issue du plein contrôle qu'il exerce sur les faits invoqués, maintenir une amende fiscale ou la décharger en se servant ainsi d'un clavier à deux touches. Voyez ses récentes décisions n° 2016-618 QPC du 16 mars 2017 (N° Lexbase : A3169T8U) (cons. n° 11) et n° 2017-636 QPC du 9 juin 2017 (N° Lexbase : A7250WGM) (cons. n° 9).
5.3 - Cinq raisons nous incitent toutefois à vous proposer de s'éloigner du paradigme fiscal et de consacrer la faculté, pour le juge administratif, de moduler l'amende prononcée en répression d'une contravention de grande voirie dans la limite du plafond fixé par le texte législatif ou réglementaire qui l'institue.
1°) La première est tirée de ce que le juge administratif module déjà l'amende prononcée en répression d'une contravention de grande voirie dans l'hypothèse, loin d'être rare, dans laquelle le texte instituant la contravention fixe l'amende encourue à l'intérieur d'une fourchette. Cette méthode, qui prévalait sous l'empire de l'ancien Code pénal et a été abandonnée en 1994 au profit de la fixation d'un plafond, perdure pour de nombreuses contraventions de grande voirie. A titre d'exemple, l'article L. 2132-6 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L4575IQI) punit d'une amende de 150 à 12 000 euros celui qui aura construit, sur un cours d'eau domanial, un ouvrage susceptible de nuire à l'écoulement des eaux ou à la navigation ; vous pouvez voir, pour une amende fixée à 1 000 euros, la décision "M. Doumenc et autres" du 10 mars 2017 (CE n° 391177 N° Lexbase : A4835T3H, inédit) (1). Vous jugez en effet dans ce cas qu'il appartient au juge de fixer le montant de l'amende dans la limite des taux fixés par le texte d'incrimination, en tenant compte des "circonstances de l'affaire" (CE, 9 février 1979, n° 10626 N° Lexbase : A2035AKL, Recueil p. 58 ; CE, 30 novembre 1979, n° 13157 N° Lexbase : A2476AKW, Tables, p. 737, s'agissant de contraventions prévues par l'ancien article R. 43 du code des PTT passibles d'une amende de 160 francs à 600 francs).
2°) Il résulte des termes mêmes du premier alinéa de l'article L. 2132-26 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L4590IQ3) que, dans le silence du texte instituant la contravention, donc à défaut de disposition édictant des amendes d'un montant plus élevé, "l'amende prononcée pour les contraventions de grande voirie ne peut excéder le montant prévu par le 5° de l'article 131-13 du Code pénal (N° Lexbase : L0781G8G)", fixé à 1500 euros. Cette "disposition balai" est, vous le voyez, rédigée en termes de plafond, ce que soulignent les deux alinéas suivants qui énoncent successivement que, dans les textes qui prévoient des peines d'amendes d'un montant inférieur, ne fixent pas le montant de ces peines ou ne prévoient carrément aucune amende, "le montant maximum des amendes encourues est celui prévu" pour les contraventions de cinquième classe. En faisant référence à un "maximum", le législateur doit être regardé comme ayant entendu que le juge puisse fixer le montant de l'amende à un niveau inférieur. Et c'est le droit commun. Or il nous semble difficile de justifier, à l'intérieur de la catégorie unique des contraventions de grande voirie, que le juge, tantôt tienne compte des circonstances de l'affaire, tantôt n'y prête aucune attention.
3°) Si les contraventions de grande voirie sont assez fréquemment dépeintes comme des fautes "objectives" en ce sens qu'elles n'impliquent pas d'établir l'existence d'une intention de la part du contrevenant (CE, 3 janvier 1968, n° 69425 N° Lexbase : A1980B7H, Tables, p. 1150), ce constat ne peut justifier à lui seul l'interdiction qui serait faite au juge administratif de moduler l'amende dès lors que le juge pénal module les amendes pénales punissant des contraventions de police, qui constituent elles aussi des "infractions matérielles" pour lesquelles seule la force majeure est exonératoire (v. le dernier alinéa de l'article 121-3 du Code pénal N° Lexbase : L2053AMY).
4°) La modulation est opportune car elle permet au juge, une fois l'infraction établie, d'apprécier au cas par cas la gravité du comportement punissable, eu égard aux circonstances de sa commission et à ses conséquences. Tout manquement à un même texte ne se vaut pas et il n'est pas question ici de majorations proportionnelles comme en matière fiscale.
La reconnaissance d'un pouvoir de modulation au juge nous paraît d'autant plus opportune que la décision sur l'action publique peut se doubler d'une décision sur l'action domaniale dont les conséquences, même s'il ne s'agit que d'une justice restaurative, peuvent être très lourdes pour le contrevenant, par exemple lorsqu'il est enjoint à l'intéressé d'acquitter une somme d'argent correspondant aux frais de remise en état du domaine. Faire varier le montant de l'amende peut introduire un peu de souplesse dans cette "procédure mixte intégrée", étant observé que le juge sera en tout état de cause tenu de moduler l'amende en cas de cumul avec une sanction pénale infligée à raison des mêmes faits pour éviter de dépasser le montant de la plus élevée des amendes encourues, ainsi que le prévoit l'article L. 2132-28 du Code général de la propriété des personnes publiques (N° Lexbase : L4592IQ7).
5°) Dernier argument enfin, il nous semble que vous pourrez tenir compte de ce que, à la différence des sanctions fiscales, lesquelles sont infligées par l'administration sous le contrôle du juge, c'est, en matière de contraventions de grande voirie, le juge lui-même qui prononce les condamnations, ce qui écarte certaines réticences qui ont pu être exprimées face à l'éventualité d'un pouvoir de modulation des sanctions fiscales reconnu à l'administration.
5.4 - Nous vous invitons donc à reconnaître au juge le pouvoir de prononcer l'amende en répression d'une contravention de grande voirie dans la limite du maximum prévu, étant en tout état de cause observé que ce pouvoir ne peut aboutir, d'une part, au prononcé d'une amende égale à zéro car votre jurisprudence est en ce sens que, lorsque les faits matériels constituant la contravention sont établis, le contrevenant ne peut être complètement dispensé de peine ni, d'autre part, à une amende inférieure au plancher défini par le législateur, lorsqu'il a fixé plusieurs niveaux d'amendes. Au cas d'espèce, l'article L. 5337-5 du Code des transports définit trois niveaux d'amendes pour trois catégories de navires : 500 euros d'amende pour les navires d'une longueur jusqu'à 20 mètres, 8 000 euros pour les navires d'une longueur supérieure à 20 mètres et inférieure ou égale à 100 mètres et 20 000 euros au-delà. M. X, qui entre dans la catégorie intermédiaire, ne pourrait se voir infliger une amende inférieure à 500 euros.
5.5 - Si vous nous avez suivi, il nous semble que vous pourrez tenir compte de ce que M. X, qui a commis la contravention qui lui est reprochée alors qu'il était venu prendre une livraison de glace pour les besoins de son activité professionnelle, a constamment indiqué, sans être contredit sur ce point, avoir amarré son navire au poste dédié à la débarque de la pêche, en l'absence d'autre poste disponible, le temps strictement nécessaire à cette livraison. L'article L. 5337-5 du Code des transports fixant la peine d'amende en fonction de la longueur du navire, il nous semble qu'outre la brièveté du comportement d'insubordination reproché, vous pourrez tenir compte de ce que le Saint Jean Priez Pour Nous, qui mesure 21 mètres, est le plus petit de sa catégorie -celle des navires dont la longueur est supérieure à 20 mètres et inférieure ou égale à 100 mètres- alors que l'amende susceptible d'être appliquée à un navire de la catégorie immédiatement inférieure n'est que de 500 euros. Nous vous proposons, dans ces conditions, de lui infliger une amende de 1 000 euros.
Par ces motifs nous concluons à l'annulation de l'arrêt attaqué, à ce que M. X soit condamné à payer une amende de 1 000 euros, à ce que le jugement du tribunal administratif de Lille du 19 septembre 2013 soit réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision, au rejet du surplus de la requête d'appel et des conclusions présentées par M. X au titre des frais non compris dans les dépens.
(1) Pour un autre exemple dans le Code général de la propriété des personnes publiques : voir son article L. 2132-9 (N° Lexbase : L4578IQM) fixant une peine d'amende comprise entre 150 et 12 000 euros et pour une application (CE, 15 juin 2016, n° 384380 N° Lexbase : A1107RT8). V. également l'art. L. 4273-1 du Code des transports (N° Lexbase : L7456INH) instituant une contravention de grande voirie en matière de navigation intérieure passible d'une amende de 150 à 12 000 euros (pour une application : TA Châlons-en-Champagne, 17 janvier 2013, n° 1001753).
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