La lettre juridique n°721 du 30 novembre 2017 : Impôts locaux

[Jurisprudence] Premiers grains de sable dans le rouage de la réforme des valeurs locatives

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 18 octobre 2017, n° 412233 (N° Lexbase : A0307WWB), n° 412234 (N° Lexbase : A0308WWC) et n° 412235 (N° Lexbase : A0309WWD), mentionnés aux tables du recueil Lebon

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par Marie-Cécile Clémence, Avocate au barreau de Clermont-Ferrand, spécialisée en droit fiscal et fondatrice du cabinet M2C Avocat

le 30 Novembre 2017

Alors que les premiers avis de taxes foncières intégrant la réforme des valeurs locatives viennent tout juste d'être mis en recouvrement entre les mains des propriétaires de locaux professionnels et commerciaux, les nouveaux paramètres d'évaluation des bases foncières font déjà l'objet de contentieux devant les juridictions administratives. Selon les données transmises fin 2016 par l'administration fiscale, 588 recours pour excès de pouvoir visant à contester la légalité des nouveaux paramètres d'évaluation ont été déposés devant les juridictions administratives : 538 ont fait l'objet d'un jugement de rejet et 13 jugements/arrêts sont en demande d'avis devant le Conseil d'Etat.
A la demande de la cour administrative d'appel de Nancy, le Conseil d'Etat vient de se prononcer, dans trois avis rendus le 18 octobre 2017, sur une série de questions portant sur la détermination des différents critères d'évaluation des bases nouvellement calculées (CE 8° et 3° ch.-r., 18 octobre 2017, n° 412233, n° 412234 et n° 412235, mentionnés aux tables du recueil Lebon). La réforme des valeurs locatives... En bref

La réforme des valeurs locatives cadastrales des locaux professionnels et commerciaux, retenues pour la détermination des bases de taxe foncière et de la cotisation foncière des entreprises (CFE), a été initiée par l'article 34 de la loi de finances rectificative pour 2010 (N° Lexbase : L6232IGW). Repoussée à plusieurs reprises, cette réforme a finalement été intégrée, en 2017, dans les avis de taxe foncière et de CFE (en 2018 pour la CVAE).

L'objectif poursuivi par le Gouvernement tendait, d'une part, à remplacer les valeurs locatives arrêtées au 1er Janvier 1970 par des valeurs locatives reflétant la réalité du marché locatif actuel et, d'autre part, à simplifier les règles de calcul afin qu'elles soient plus facilement compréhensibles et plus justes pour les contribuables.

Les nouvelles bases d'imposition sont désormais assises sur une valeur locative révisée qui est égale au produit de la surface pondérée du local et du tarif correspondant à la catégorie de ce local (bureaux, magasins, dépôts, hôtels...) au sein du secteur géographique d'évaluation, le cas échéant majoré ou minoré d'un coefficient de localisation (à la hausse ou à la baisse pour tenir compte de la situation particulière d'une parcelle).

Chaque local est ainsi rattaché à une des 38 catégories de locaux déterminées en fonction de la nature de l'activité principale qui y est exercée (bureaux, magasins, dépôts, hôtels...) et à un secteur d'évaluation représentant un marché locatif homogène au sein de chaque département.

Les tarifs au mètre carré ont été déterminés pour chaque secteur d'évaluation et pour chaque catégorie de locaux au sein d'un département.

Processus de détermination des paramètres d'évaluation des locaux professionnels et commerciaux... Que dit la loi ? (1)

La loi encadre de manière très précise les compétences des différentes instances intervenant dans le cadre de cette révision et le processus de détermination des paramètres d'évaluation des valeurs locatives révisées par celles-ci.

Ainsi, les commissions départementales des valeurs locatives des locaux professionnels (CDVLLP) doivent se prononcer sur l'avant-projet (communiqué par l'administration fiscale) relatif à la délimitation des secteurs d'évaluation, aux grilles tarifaires par catégorie de locaux et aux coefficients de localisation, et ce dans un délai de deux mois. Passé ce délai, l'administration fiscale transmet le projet arrêté par la CDVLLP, pour consultation et avis, aux commissions locales (les commissions communales des impôts directs (CCID) et commissions intercommunales des impôts directs (CIID)) qui disposaient d'un délai de trente jours pour transmettre, à leur tour, leur avis à la CDVLLP. En cas de désaccord entre la CDVLLP et l'une des commissions locales, l'administration fiscale doit saisir la commission départementale des impôts directs locaux (CDIDL), dans un délai de trente jours pour statuer.

Les décisions prises par les CDVLLP ou par les CDIDL ont été notifiées et publiées au recueil des actes administratifs (RAA) de chaque département courant 2016 (2).

Le Conseil d'Etat s'est prononcé sur plusieurs points relatifs à l'adoption des décisions des différentes commissions.

Sur le non-respect des délais dont disposent les différentes instances pour se prononcer sur les projets de délimitations sectoriel et de fixation la grille tarifaire : selon le Conseil d'Etat (3), la méconnaissance des délais prescrits par la loi a pour effet d'empêcher les différentes commissions de remplir leur rôle, de sorte qu'une telle irrégularité entache d'illégalité la délibération de l'instance à laquelle ces projets sont transmis prématurément.

A contrario, le dépassement du délai imparti aux commissions pour se prononcer n'entache pas la procédure d'irrégularité.

Sur la valeur des avis rendus par les différentes commissions : le Conseil d'Etat s'est prononcé en faveur du pouvoir de décision de la CDIDL sur l'ensemble des éléments qui lui sont soumis de sorte que la CDIDL "peut non seulement arbitrer entre solutions concurrentes mais aussi apporter au projet de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels les modifications qui lui semblent nécessaires, y compris sur les points ne faisant pas l'objet de désaccords entre ces commissions".

Selon l'avis du Conseil d'Etat, la CDIDL n'est pas liée par les modifications proposées par l'une ou l'autre des commissions et elle peut modifier, de sa propre initiative, le projet de délimitation de secteurs d'évaluation présentant un marché locatif homogène, que l'administration fiscale lui a soumis.

Sur le degré contrôle du juge en cas de modifications opérées par la CDIDL (4) : le Conseil d'Etat s'est prononcé en faveur d'un contrôle normal par le juge administratif, y compris en cas de contestation des modifications opérées par la commission départementale des impôts directs locaux, lorsque la décision qui détermine les paramètres départementaux d'évaluation fait l'objet d'un recours en excès de pouvoir.

Le contrôle par le juge de la légalité tant interne qu'externe des décisions prises par les commissions se justifie par le fait que ces décisions déterminent l'assiette des impositions locales des contribuables et que l'administration fiscale se doit d'évaluer les bases d'impositions de manière précise.

Modalité de détermination des paramètres d'évaluation des locaux professionnels et commerciaux... Comment sont-ils définis ?

Le Conseil d'Etat a été saisi de plusieurs questions relatives à la délimitation des secteurs d'évaluation, aux modalités de fixation de la grille tarifaire.

Sur la délimitation des secteurs d'évaluation (5) : la loi de finances rectificative pour 2010 a institué le critère de "marché locatif homogène" afin de définir les secteurs de localisation à partir duquel le local devra être évalué.

La loi prévoit qu'"il est constitué, dans chaque département, un ou plusieurs secteurs d'évaluation qui regroupent les communes ou sections cadastrales de communes qui, dans le département, présentent un marché locatif homogène". Pour autant, la loi ne prévoit pas de méthodologie pour la détermination des différents secteurs d'évaluation.

L'administration fiscale a déterminé, à partir des loyers déclarés par les propriétaires sur les déclarations 6660 REV-K en 2013 et sur la base de la catégorie de locaux la plus représentée (le plus pertinent) au sein du département, des secteurs géographiques dans lesquelles les loyers sont réputés être de niveau homogène. L'administration fiscale s'est basée sur les loyers relevés pour la seule catégorie de locaux la plus représentée au sein du département, à l'exclusion de toutes les autres, pour définir les différents secteurs d'évaluation au sein d'une commune ou d'un département.

Le Conseil d'Etat (6) valide cette méthode en retenant que rien n'exclut "l'application d'une méthode consistant à établir une sectorisation en se fondant sur les loyers relevés pour la seule catégorie de locaux la plus représentée, dès lors que les loyers constatés pour cette catégorie sont suffisamment représentatifs, tant au regard de leur valeur moyenne que de leur distribution, du marché locatif de l'ensemble des locaux professionnels du département". La représentativité de cette catégorie de locaux, qui permet de l'ériger en catégorie de référence pour la constitution des secteurs d'évaluation, doit néanmoins s'apprécier au cas par cas, afin de s'assurer que cette catégorie représente bien au sein du département une part significative des locaux à évaluer.

Sur la fixation de la grille tarifaire : Il est prévu que les tarifs sont déterminés sur la base des loyers constatés dans chaque secteur d'évaluation par catégorie de locaux. La loi de finances rectificative pour 2010 prévoit que "les tarifs par mètre carré sont déterminés sur la base des loyers moyens constatés dans chaque secteur d'évaluation par catégorie de propriétés à la date de référence mentionnée au I pour l'entrée en vigueur de la révision et au second alinéa du X pour les années suivantes, de sorte que les tarifs par mètre carré sont déterminés, pour chaque catégorie de locaux, à partir de la moyenne des loyers collectés par catégorie et par secteur".

En l'espèce, les loyers dont l'administration disposait étaient insuffisants en nombre ou ne pouvaient être retenus, de sorte qu'un loyer moyen constaté significatif ne pouvait être établi.

Le Conseil d'Etat (7) admet l'application d'une méthode subsidiaire (légalement prévue) par comparaison avec les tarifs fixés pour les autres catégories de locaux du même sous-groupe et du même secteur d'évaluation. Le Conseil d'Etat précise que si l'application de cette première méthode subsidiaire est elle-même rendue impossible, les tarifs doivent alors être déterminés par comparaison avec ceux qui sont appliqués pour des propriétés de la même catégorie ou, à défaut, du même sous-groupe dans des secteurs d'évaluation présentant des niveaux de loyers similaires, dans le département ou dans un autre département.

Recours pour excès de pouvoir à l'encontre d'une décision de la CDIDL... Qui a intérêt pour agir ?

La valeur locative sert de base tant pour la détermination de la taxe foncière qui incombe au propriétaire de l'immeuble que pour la détermination de la CFE dont l'exploitant du local est redevable.

Le Conseil d'Etat retient une conception large de l'intérêt pour agir en considérant que le recours pour excès de pouvoir est ouvert non seulement au propriétaire du bien, mais également à tout personne se prévalant d'un autre intérêt donnant qualité pour agir, tel que notamment l'exploitant du local.

Selon l'avis n° 412234 rendu par le Conseil d'Etat, toute personne, qu'elle soit propriétaire ou locataire de ces locaux, qui justifie qu'elle est ou sera redevable légal dans le département d'un impôt direct local au titre de locaux professionnels ou commerciaux visés par la réforme, peut former un recours en excès de pouvoir dirigé contre la décision de la commission.

Le Conseil d'Etat poursuit en considérant que les locataires qui ne supportent la charge d'un impôt direct local à raison de ces locaux qu'en vertu d'une clause contractuelle et ne sont pas redevables à titre personnel d'un impôt direct local sur ces locaux ont également qualité pour agir.

Le Conseil d'Etat s'est prononcé sur la portée de la contestation du redevable et notamment sur le fait de savoir s'il peut contester la décision dans son ensemble ou sur les seuls éléments qui le concernent directement. La Haute juridiction a tranché sur la divisibilité de la décision en considérant qu'un requérant n'a intérêt à demander l'annulation de cette décision qu'en tant qu'elle porte sur la délimitation du secteur auquel est rattaché le local au titre duquel il est redevable d'un impôt direct local, sur le tarif applicable à la catégorie dont relève ce local et, le cas échéant, sur le coefficient de localisation qui s'applique à sa situation.

Mise en place un dispositif de mise à jour permanente des valeurs locatives

Afin d'éviter à l'avenir de nouveaux écarts entre les valeurs locatives et la réalité du marché, un dispositif de mise à jour permanente est prévu à partir des montants des loyers collectés auprès des locataires de locaux professionnels.

Il s'appliquera (peut-être) pour la première fois en 2018, puisque le Gouvernement a proposé dans le projet de loi de finances rectificative pour 2017 de différer au 1er janvier 2019 cette mise à jour permanente des tarifs. Les valeurs locatives des locaux professionnels et commerciaux seraient alors revalorisées comme les autres locaux en application de l'article 1518 bis du CGI (N° Lexbase : L3111LC9).

Par ailleurs, il semble que le législateur anticipe d'ores et déjà un abondant contentieux s'agissant de la détermination des paramètres d'évaluation puisque le projet de loi de finances pour 2017 prévoit une sécurisation des nouveaux paramètres d'évaluation (et par voie de conséquence les recettes des collectivités territoriales) en permettant aux commissions départementales des valeurs locatives des locaux professionnels (CDVLLP) en cas d'annulation, par le juge administratif, de fixer de nouveaux paramètres conformes et applicables au 1er janvier de l'année d'imposition.


(1) Loi de finances rectificative pour 2010, art. 34, non codifiée à ce jour. A noter, que le projet de loi de finances rectificative pour 2017 prévoit de transposer l'article 34 de la LDFR pour 2010 dans le CGI.
(2) En application du décret n° 2015-751 du 24 juin 2015 modifié par le décret n° 2016-673 du 25 mai 2016, relatif aux modalités de publication et de notification des décisions prises en vue de la détermination des paramètres d'évaluation des valeurs locatives des locaux professionnels (N° Lexbase : L2859K8E).
(3) Avis n° 412235.
(4) Avis n° 412235.
(5) Avis n° 412233.
(6) Avis n° 412233.
(7) Avis n° 412233.

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