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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 26 Octobre 2017
Ne mâchant pas leurs mots les Bâtonniers de Bordeaux, Jacques Horrenberger, et de Libourne, Raphaël Monroux, ont, d'abord, rappelé que facilité d'accès au droit et facilité d'accès au juge, ce n'était pas la même chose ! Le numérique permet de réduire la fracture informationnelle, mais en aucun cas ne saurait répondre au besoin d'un maillage territorial, seule garantie d'un accès au juge et d'un véritable second degré de juridiction. C'est la Constitution, et non le numérique, qui pourra garantir le droit à un avocat. C'est pourquoi, sans être contradictoire, les deux thèmes de cette Convention avaient toute leur place.
Ensuite, si tout le monde s'accorde sur l'importance du numérique dans le présent et l'avenir de la profession d'avocat, il s'agira de définir la place de ses chatbots et autres robots juridiques : aucune, simples subalternes, véritables collaborateurs ? C'est la révolution que doivent mener les avocats au sein de leurs organisations pour maîtriser le virage numérique, au-delà de la seule digitalisation des procédures par l'intermédiaire du RPVA, par exemple.
Et, tout l'enjeu, pour que l'avocat conserve sa belle âme, sera de combiner l'avocat augmenté avec son humanité, la confiance et son expertise. "La fonction de l'avocat est pénible, laborieuse, et suppose, dans celui qui l'exerce, un riche fonds et de grandes ressources" écrivait La Bruyère, dans ses caractères. Finalement, le numérique doit annihiler la pénibilité et faciliter le labeur, mais en aucun cas attenter à la richesse et aux ressources des avocats.
La Bruyère ajoutait, comme en écho à nos préoccupations du moment, que l'avocat "n'est pas seulement chargé, comme le prédicateur, d'un certain nombre d'oraisons composées avec loisir, récitées de mémoire, avec autorité, sans contradicteurs, et qui, avec de médiocres changements, lui font honneur plus d'une fois ; il prononce de graves plaidoyers devant des juges qui peuvent lui imposer silence, et conte des adversaires qui l'interrompent ; il doit être prêt sur la réplique ; il parle en un même jour, dans divers tribunaux, de différentes affaires. Sa maison n'est pas pour lui un lieu de repos et de retraite, ni un asile contre les plaideurs ; elle est ouverte à tous ceux qui viennent l'accabler de leurs questions et de leurs doutes. Il ne se met pas au lit, on ne l'essuie point, on ne lui prépare point des rafraîchissements ; il ne se fait point dans sa chambre un concours de monde de tous les états et de tous les sexes, pour le féliciter sur l'agrément et sur la politesse de son langage, lui remettre l'esprit sur un endroit où il a couru risque de demeurer court, ou sur un scrupule qu'il a sur le chevet d'avoir plaidé moins vivement".
En clair, si l'on comprend bien que la mal-nommée prédictivité, sur la base d'algorithmes juridiques, décèlera les causes immédiates du droit, la Justice, elle, sera toujours assise sur la contextualisation, ces causes externes dont l'avocat est capable de déceler la pertinence pour adopter une stratégie efficace. Le droit, la justice ne se résument pas à des mots-clés inventoriés, mais recèlent une part de ressenti, d'intelligence toute humaine puisse-t-elle être. Pepper, le collaborateur d'Alain Bensoussan, pourra bien livrer toute sa connaissance des cas, interrogeable avec un langage naturel, il lui manquera l'audace, qui seule a fait se dresser l'hominidé dans la savane pour devenir l'Homme. L'évolution, pourra confirmer le paléontologue Pascal Picq, s'est plus façonnée avec l'audace, qu'avec l'intelligence, humaine et demain artificielle.
Observer, comprendre, classer : l'avenir, ce n'est pas la prédictivité, c'est simplement une capacité inédite d'analyser les données. Voici les mots de la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Nicole Belloubet ; voilà la grande ambition de Lexbase pour demain.
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