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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit médical"
le 05 Octobre 2017
1.1. Faute médicale
Les faits. Le CHU de Nice a proposé à un malade de bénéficier d'une technique opératoire nouvelle censée permettre une récupération plus rapide mais qui n'avait jusqu'à lors été appliquée qu'à un nombre très limité de patients. A la suite de l'opération il a conservé des séquelles et a saisi les juridictions administratives d'une demande indemnitaire, qui a été satisfaite. Pour la cour administrative d'appel de Marseille en effet, les médecins avaient commis une faute en ne l'informant pas des risques liés à la méthode utilisée et qui n'étaient pas suffisamment connus, et en ne lui présentant que les avantages de cette technique ; la cour avait mis à la charge de l'établissement la réparation d'une perte de chance d'éviter le dommage, imputable à ce défaut d'information, qu'elle a évalué à 50 %.
C'est ce que confirme le rejet du pourvoi. Pour le Conseil d'Etat, en effet, "lorsqu'il est envisagé de recourir à une technique d'investigation, de traitement ou de prévention dont les risques ne peuvent être suffisamment évalués à la date de la consultation, notamment parce que cette technique est récente et n'a été mise en oeuvre qu'à l'égard d'un nombre limité de patients, l'information du patient doit porter à la fois sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles déjà identifiés de cette technique et sur le fait que l'absence d'un recul suffisant ne permet pas d'exclure l'existence d'autres risques".
Une solution pleinement justifiée. La solution est parfaitement justifiée, tant au regard des textes que de la finalité de l'obligation d'information du patient (2).
L'article L. 1111-2 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9646KXK) dispose que l'information due au patient "porte sur [...] les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus". Ces risques sont ceux qui sont conformes aux données acquises de la science ; un professionnel ne saurait être condamné pour n'avoir pas communiqué des risques qui n'ont été avérés qu'ultérieurement (3). Mais lorsqu'on se situe dans un contexte d'incertitudes scientifiques, la prise en considération du principe de précaution a conduit à enrichir le contenu de l'obligation d'information en imposant au professionnel d'informer le patient sur l'incertitude existant et sur le fait qu'il n'est pas en mesure de lui garantir la sécurité, ou l'innocuité, de l'acte ou du produit (4). C'est cette idée qui se trouve ici mise en oeuvre.
La solution est également logique dans la mesure où l'objet même de l'obligation d'information est de permettre au patient de prendre une décision éclairée, au regard des informations détenues par le médecin. Seul le patient est habilité à se déterminer au regard du bilan bénéfices/risques, et il ne peut le faire que s'il est informé de l'ensemble des risques inhérents à l'acte ou à la technique proposée ; or, l'absence de certitudes sur les risques constitue bien un...risque que le patient est en droit de connaître pour se décider en connaissance de cause.
1.2. Infections nosocomiales
Les faits. A la suite d'une transplantation rénale, un patient avait développé une infection soignée par traitement antifongique, avant d'être réopéré en urgence à deux reprises et que le greffon ne soit retiré. Il avait obtenu en appel une condamnation de l'ONIAM à lui verser une provision en raison du caractère nosocomial de l'infection. L'ONIAM contestait cette condamnation et tentait de faire valoir le caractère subsidiaire de l'indemnisation due à la victime, opposant à la fois une faute de l'établissement dans la préparation du liquide de rinçage du greffon et la responsabilité de l'établissement en raison du défaut du greffon, ce que ne retient pas le Conseil d'Etat qui confirme la condamnation intervenue en appel.
Une solution logique. L'article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1859IEL) subordonne l'indemnisation par l'ONIAM au seul constat du caractère nosocomial de l'infection, sans autre condition (outre la gravité de l'atteinte), et singulièrement sans que puisse être opposée à la victime une éventuelle faute commise par l'établissement. Certes, dans cette hypothèse la jurisprudence autorise la victime à choisir entre la responsabilité pour faute de l'établissement, fondée sur l'article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH), et l'indemnisation par l'ONIAM dans le cadre de l'article L. 1142-1-1 de ce même code (6). Mais en aucun cas la faute de l'établissement ne saurait présenter de caractère exonératoire pour l'ONIAM, cette exonération ne pouvant résulter que d'une "circonstance extérieure à l'activité hospitalière" (7).
L'ONIAM tentait également de faire valoir ici le caractère subsidiaire de son obligation au regard de la responsabilité de plein droit de l'établissement en raison d'un défaut du greffon. Cet argument ne pouvait pas non plus être admis dans la mesure où le caractère subsidiaire de l'obligation indemnitaire de l'ONIAM ne vaut que dans le cadre de sa compétence générale visée à l'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique, et non dans les hypothèses particulières où le législateur l'a désigné comme devant indemniser la victime.
L'affaire. Dans cette affaire la patiente avait été hospitalisée pour traiter des coliques néphrétiques, et avait présenté, lors de son hospitalisation une névrite vestibulaire à l'oreille gauche d'origine virale. Le tribunal administratif avait écarté la qualification d'infection nosocomiale en raison de l'origine endogène du virus en cause, oubliant sans doute que le Conseil d'Etat a écarté cette distinction dès lors qu'il a fait application des dispositions du Code de la santé publique (8). Sans doute consciente de l'erreur commise par le juge de première instance, la cour administrative d'appel avait également écarté la responsabilité de l'hôpital en raison de l'infection mais pour un autre motif tiré du fait que "la survenance de l'infection d'origine virale [...] n'est pas, ne fût-ce que partiellement ou indirectement, en rapport avec les soins qui ont pu être prodigués lors de la prise en charge de la patiente au sein de l'établissement hospitalier", et que "par suite, cette infection virale ne présente pas un caractère nosocomial" (9).
C'est ce qui vaut à l'arrêt d'être cassé. Le Conseil d'Etat rappelle ici que l'infection révélée lors de la période d'hospitalisation est réputée présenter un caractère nosocomial, à moins que l'établissement ne rapporte la preuve que cette infection était "n'était ni présente, ni en incubation au début de cette prise en charge". Pour avoir exigé que l'infection soit en lien avec les soins, l'arrêt est logiquement censuré pour erreur de droit.
1. 3. Produits de santé
1.3.1. Cadre général
En premier lieu, et du point de vue des patients, la possibilité d'agir directement contre le laboratoire offre une action garantissant une indemnisation effective, tout comme les règles du Code de la santé publique lui garantissent une autre possibilité d'indemnisation.
En deuxième lieu, on sait que l'indemnisation par l'ONIAM, dans le cadre de sa compétence générale, au titre des affections iatrogènes, suppose que la responsabilité d'un producteur ne soit pas caractérisée ; la responsabilité des producteurs de produits de santé détermine donc en creux l'étendue des obligations indemnitaires de l'ONIAM lorsqu'il intervient de manière subsidiaire.
En troisième et dernier lieu, le régime de la responsabilité des établissements qui utilisent des produits de santé dans le cadre des dispositions du code de la santé publique est toujours des plus flous ; même si on sait désormais que la question échappe à l'emprise de la Directive du 25 juillet 1985 (11), on ne peut dire après précision quelles règles doivent s'appliquer. Il nous semble toutefois que la formule du I, alinéa 1er, de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique, aux termes duquel "hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute", doit s'entendre comme énonçant un cas de responsabilité sans faute des établissements et professionnel pour les dommages causés par les produits de santé, cas dont le régime peut être précisé par le juge sans qu'il soit tenu par les termes de la Directive (12).
A suivre...
1.3.2. Jurisprudence européenne
Conformité à la Directive de la preuve du défaut et de l'imputabilité du dommage - Vaccins anti hépatite B (CJUE, 21 juin 2017, aff. C-621/15 N° Lexbase : A1281WKN ; cf. les Ouvrages "Droit médical" N° Lexbase : E0410ERM et "Responsabilité civile" N° Lexbase : E3532EUD).
1.3.3. Jurisprudence nationale
2. Indemnisation par l'ONIAM
3. Recours
(1) RDSS, 2017, p. 764, note D. Cristol ; AJDA, 2017, p. 1025, obs. Pastor.
(2) Dans le même sens, CAA Marseille, 3ème ch., 2 décembre 2004, n° 00MA01367 (N° Lexbase : A2191DEU), AJDA, 2005, p. 399.
(3) Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 96-19.927 (N° Lexbase : A7539AHP), Resp. civ. et assur., 1998, comm. 393, 1re esp. ; Cass. civ. 1, 12 octobre 2016, n° 15-16.894, FS-P+B (N° Lexbase : A9664R73) ; CE 4° et 5° ch.-r., 19 octobre 2016, n° 391538 (N° Lexbase : A7802R9T, cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E9757EQG).
(4) Affaire du "Bactrim Forte" : Cass. civ. 1, 6 octobre 2011, n° 10-21.709, F-D (N° Lexbase : A6138HYY, cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0410ERM) : l'AMM ne mentionnait que de "simples "manifestations cutanées", tandis que seule l'annexe I, réservée aux professionnels, faisait état de "quelques cas de nécrolyse épidermique imprévisibles et parfois mortels (syndrome de Lyell)"" ; condamnation du laboratoire Servier en raison du défaut de sécurité du Mediator : TGI Nanterre, 2ème, 22 octobre 2015, deux jugements, n° 12/07723 (N° Lexbase : A8246NWC) et n° 13/06176 (N° Lexbase : A8245NWB) : le TGI s'est fondé sur l'absence de toute indication dans la notice des précautions à prendre face à la multiplication des cas avérés de valvulopathie.
(5) Sur le bénéfice cumulatif du préjudice d'impréparation et de la réparation au titre de l'aléa thérapeutique, voir Cass. civ. 1, 25 janvier 2017, n° 15-27.898, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A8411S9E), et nos obs. in Panorama de droit des accidents médicaux (novembre 2016 - mars 2017), Lexbase hebdo, éd. priv., 2017, n° 693 (N° Lexbase : N7352BW9).
(6) Cass. civ. 1, 28 septembre 2016, n° 15-16.117, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2310R4C) et nos obs. in Panorama de droit des accidents médicaux (juillet 2016 - novembre 2016), Lexbase hebdo, éd. priv., 2016, n° 678 (N° Lexbase : N5398BWT).
(7) CE 4° et 5° s-s-r., 17 février 2012, n° 342366, Mentionné aux tables du Recueil Lebon (N° Lexbase : A8545ICH ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0439EXK). Voir également CE 5° s-s., 29 décembre 2014, n° 367312, inédit (N° Lexbase : A8317M8K). La Cour de cassation a retenu la même analyse : Cass. civ. 1, 14 avril 2016, n° 14-23.909, FS-P+B (N° Lexbase : A6889RIY).
(8) CE 4° et 5° s-s-r., 10 octobre 2011, n° 328500 (N° Lexbase : A7422HYK ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0439EXK).
(9) CAA Douai, 2ème ch., 22 septembre 2015, n° 14DA01299 (N° Lexbase : A1121NQL).
(10) CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-495/10 (N° Lexbase : A6909H8E ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E5266E78) et CE 4° et 5° s-s-r., 12 mars 2012, n° 327449 (N° Lexbase : A9481IEU) et nos obs., in Panorama de responsabilité civile médicale (15 juin - 30 octobre 2010), Lexbase Hebdo, éd. priv., 2010, n° 415 (N° Lexbase : N4537BQ4) ; D., 2011, p. 213, note J.-S. Borghetti ; JCP éd. G, n° 20, 21 mai 2012, 623, note P. Tiffine ; AJDA, 2012, p. 1665, note Hafida Belrhali-Bernard ; RDSS, 2012, p. 716, note J. Peigné ; LPA, 2011, n° 69, p. 7, note M.-C. Rouault.
(11) CJUE, 21 décembre 2011, aff. C-495/10, préc..
(12) En ce sens L. Bloch, Pour une autre présentation de la responsabilité du fait des produits de santé, Resp. civ. et assur., 2009, étude 16.
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