La lettre juridique n°702 du 15 juin 2017 : Notaires

[Jurisprudence] La dématérialisation des échanges avec les services chargés de la publicité foncière : une nouvelle obligation pour les notaires

Réf. : Décret n° 2017-770 du 4 mai 2017, portant obligation pour les notaires d'effectuer par voie électronique leurs dépôts de documents auprès des services chargés de la publicité foncière (N° Lexbase : L1906LEC)

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par Vivien Streiff, Notaire Associé

le 15 Juin 2017

Le décret n° 2017-770 du 4 mai 2017, portant obligation pour les notaires d'effectuer par voie électronique leurs dépôts de documents auprès des services chargés de la publicité foncière (N° Lexbase : L1906LEC), paru au journal officiel du 6 mai 2017, vise à imposer aux notaires d'effectuer leurs dépôts de documents auprès des services chargés de la publicité foncière uniquement par voie électronique. Est ainsi inséré un nouvel article 73-1 au décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955 (N° Lexbase : L1795DNS) dont l'analyse ne devrait pas véritablement émouvoir la profession qui s'est par ailleurs engagée depuis de nombreuses années dans un processus de dématérialisation des échanges avec ces services via l'application télé@ctes (I). La liste des actes concernés par ce décret figurera dans un arrêté du ministre chargé du Budget dont la publication n'en demeure pas moins attendue avec impatience. Il conviendra, en effet, que les notaires vérifient que ces actes seront au nombre de ceux qu'ils peuvent d'ores et déjà publier ou inscrire par voie dématérialisée et, si tel n'est finalement pas le cas, qu'ils veillent à ce que les éventuelles adaptations techniques soient effectuées avant l'entrée en vigueur de cette nouvelle obligation, à peine de se voir, en principe, opposer le refus de leurs dépôts (II). I - La normalisation des acquis

A - Les origines de la dématérialisation

Cette nouvelle obligation n'est en réalité que l'aboutissement d'un processus que les notaires ont engagé au milieu des années 2000 lorsque fut lancé Télé@ctes en partenariat avec les pouvoirs publics. Le développement de ce projet s'est traduit par la signature de plusieurs conventions entre la Direction générale des finances publiques (DGFIP) et le Conseil supérieur du notariat (CSN) dont l'objet était d'organiser la montée en puissance progressive du dispositif et de faire converger tous les acteurs de la publicité foncière vers l'objectif commun de la dématérialisation totale des échanges. Du reste, ces échanges débordent à ce jour largement les dépôts (d'actes, de bordereaux, d'attestations) effectués par les notaires auprès des services chargés de la publicité foncière pour s'étendre, dans le sens inverse, à la télétransmission des mentions de publication, des réponses aux demandes de renseignements initiales ou complémentaires, ainsi que des copies d'actes.

Cette évolution a nécessité la coopération de plusieurs acteurs ainsi que l'identification et la mise en oeuvre d'un certain nombre de prérequis. Alors que les pouvoirs publics avaient entamé depuis quelques années la modernisation du traitement des informations, effectué par les bureaux des hypothèques via le Fichier informatisé des données juridiques immobilières (FIDJI), les notaires ont, de leur côté, mis en place un réseau destiné à gérer en toute sécurité l'ensemble des flux de données numériques. C'est ainsi que fut lancée la plate-forme "Planète" dont le fonctionnement est aujourd'hui assuré via le Réseau électronique notarial (REAL) auquel les notaires ont accès au moyen d'une clé nécessaire à l'authentification de leur signature électronique. Ce procédé obéit à des normes de sécurité qui placent sans aucun doute le notariat à la pointe des professions du droit, et ce, bien au-delà de nos frontières. Les sociétés de services et d'ingénierie en informatique (SSII) ont, quant à elles, été amenées à faire évoluer les logiciels de rédaction d'actes et de comptabilité utilisés par les notaires pour se conformer aux normes contenues dans un cahier des charges établi par la profession, étant entendu que seuls les logiciels répondant à ces standards ont obtenu le sésame indispensable : le label télé@ctes. Les progrès accumulés au cours des phases successives de développement de l'outil ont abouti à la version V4 actuellement utilisée dans les offices. Il n'y a donc rien d'étonnant à voir la forte implication de l'ensemble des acteurs associés à ce projet aboutir à sa consolidation par voie réglementaire. Le succès de ce partenariat préfigure d'ailleurs d'autres avancées telles que la possibilité pour les notaires d'accéder directement aux données du fichier immobilier (1), à l'image de ce qu'offre d'ores et déjà l'outil informatique utilisé dans les bureaux fonciers d'Alsace-Moselle (2).

Nul ne sait cependant à ce jour si l'arrêté qui sera publié en application du décret du 4 mai 2017 se contentera de consolider la liste des actes issus de la version V4 ou s'il ira au-delà. On peut penser que, comme par le passé, le maintien de la labélisation des logiciels sera subordonné à la réalisation par les SSII des adaptations qui seront rendues nécessaires pour permettre aux notaires de se conformer à cette obligation.

Précisons encore que le décret s'appliquera aux documents signés à compter du 1er janvier 2018. Il faut ici comprendre que cette obligation ne vise pas les actes qui, régularisés avant le 1er janvier 2018, seront déposés après cette date.

B - Les bienfaits de la dématérialisation

La pratique de la dématérialisation présente de nombreux avantages tant pour les services chargés de la publicité foncière que pour les notaires. Alors qu'elle permet aux premiers de réduire la saisie de données, d'en éviter la dispersion et d'en faciliter la mise à jour, elle incite les seconds à mettre en place un véritable contrôle de la qualité formelle des actes. D'un bout à l'autre de la chaîne, les gains en temps et en sécurité sont donc considérables.

Sur le plan technique, il s'agit pour le notaire de publier un acte dématérialisé à partir d'un support téléactable, que ce support soit constitué d'un acte papier ou d'un acte authentique électronique. Cette dématérialisation étant réalisée sur la base de fiches que les rédacteurs renseignent au préalable, il se peut que, par erreur, les éléments dématérialisés diffèrent de la partie littérale de l'acte. Cette éventualité oblige d'un côté le rédacteur à remonter dans les fiches clients et immeubles les modifications qui sont susceptibles d'intervenir jusqu'au moment de la réception et, de l'autre, les formalistes à exercer un contrôle de conformité absolue des éléments dématérialisés dans l'ordre suivant : date et rédacteur de l'acte, état-civil des parties à l'acte, désignation des immeubles, effets relatifs, propriété-jouissance, prix et modalités de paiement, déclaration fiscale, et liquidation des droits. L'objectif est de limiter les causes de rejet, outre les coûts qui en résultent, en s'assurant de la parfaite concordance entre les éléments transmis au service chargé de la publicité foncière et ceux qui sont d'ores et déjà contenus dans le fichier immobilier (3).

II - La sanction de la norme

A - Le principe du refus de dépôt

La nouveauté vient de ce que, faute pour le notaire de se conformer à cette obligation, celui-ci se verra opposer le refus de son dépôt. L'introduction par voie réglementaire de ce nouveau cas de refus a été rendu nécessaire en application du principe de légalité des causes de refus édicté à l'article 257 de l'annexe III au Code général des impôts  (N° Lexbase : L2861KIS). On mesure ici le degré de détermination des pouvoirs publics à franchir cette nouvelle étape si l'on en juge par la place qu'occupe le refus dans l'arsenal des sanctions mises à disposition des services chargés de la publicité foncière. A l'instar du rejet, le refus vise à assurer la parfaite régularité formelle des actes qui sont destinés à être publiés. Mais alors que le rejet vise à sanctionner les inexactitudes ou discordances entre le titre déjà publié et celui qui est soumis à la formalité, le refus intervient lorsque le contrôle, effectué par le service, révèle une erreur grossière. Parmi ces lacunes : l'absence de mention de la certification d'identité des parties à l'acte, l'absence de désignation des immeubles, l'omission de la commune, le défaut de remise du document d'arpentage, l'absence des mentions relatives à l'imposition des plus-values immobilières, le défaut d'authenticité, etc.. Ainsi, le fait de déposer un acte sous la forme papier sera traité, du point de vue de la sanction applicable, de la même manière qu'un acte qui n'aura pas été dressé en la forme authentique (4). Le rejet et le refus se distinguent encore par leurs effets. Alors que le rejet consiste pour le service chargé de la publicité foncière à annoter le fichier immobilier de la mention "formalité en attente" et à accorder un délai d'un mois au notaire pour procéder au dépôt d'une attestation ou d'un acte rectificatif qui a pour avantage de prendre rang à la date du premier dépôt, le refus implique un nouveau dépôt qui ne prendra rang qu'à sa date (5). Autrement dit, le registre des dépôts étant arrêté chaque jour, il est impossible d'effectuer une annotation rétroactive d'un dépôt primitif refusé. Les formalistes savent combien les effets attachés à ce principe peuvent être fâcheux tant sur le plan fiscal que civil.

Sur le plan fiscal, le refus équivaut à une absence de dépôt. Il en résulte que la provision versée est restituée. Le notaire doit dans ce cas effectuer un second dépôt dans le mois de la notification du refus (6) à peine de déclencher l'application combinée d'un intérêt de retard et d'une majoration de 10 % liquidée sur le montant de l'imposition exigible.

Sur le plan civil, toute inscription ou publication (7) qui surviendrait entre-temps primerait celle requise consécutivement à un refus en attente de régularisation.

B - L'exception

Le décret introduit une exception particulièrement bienvenue à l'application de cette sanction : en effet, le refus ne sera pas opposé "en cas d'indisponibilité du service de télétransmission ne permettant pas de respecter le délai prévu au III de l'article 647 du Code général des impôts (N° Lexbase : L1603IZE)" (8). Rappelons à cet égard que selon l'article 647 III du Code général des impôts (9), les notaires disposent d'un délai d'un mois à compter de la date de l'acte pour requérir la formalité fusionnée (10). Cette exception vise à pondérer la rigueur de la dépendance à l'outil informatique et à se prémunir contre une éventuelle panne ou opération de maintenance. On remarquera cependant que le texte ne vise que le cas d'indisponibilité du service de télétransmission, ce qui paraît à première vue exclure l'hypothèse d'une panne interne à l'office notarial. On ne saurait donc que trop conseiller aux notaires d'inciter leurs formalistes à ne pas attendre le dernier jour.

A l'analyse, on verra moins, dans cette nouvelle mission, l'irruption d'une énième norme à destination de l'une des professions les plus réglementées, que le témoin de la qualité du partenariat qui ne s'est jamais démenti entre les instances de la profession et les pouvoirs publics. Il convient de surcroît d'admettre que cette dématérialisation va dans le sens d'une histoire dont la plupart des chapitres ne sont pas encore écrits. On peut prédire sans se tromper que tous les actes notariés donnant lieu à inscription ou publicité obligatoire voire facultative entreront à terme dans le champ des échanges électroniques et, en faisant preuve davantage d'imagination, qu'en signant un acte authentique électronique le notaire pourra bientôt, s'il le souhaite, déclencher son dépôt ainsi que, le cas échéant, l'ensemble des opérations comptables liées à la transaction (virement du prix, des sommes dues à la banque ou au syndic de copropriété,...).

Mais il y a d'autres de marges de progrès : on pense à l'automatisation de certaines formalités (purge des droits de préemption, suivi du financement, échanges avec les syndics...) dont l'exécution pourrait faire l'objet d'une programmation par le notaire, en sa qualité de tiers de confiance, en amont ou en aval de la régularisation de l'acte. Quelques rares esprits chagrins verront dans cette inéluctable évolution une regrettable accélération de la robotisation de la profession. Nous y verrons, au contraire, l'occasion d'encourager tous les notaires à confier à l'outil informatique l'exécution, sous leur contrôle, de tâches sans réelle valeur ajoutée qui les empêchent de se consacrer exclusivement au développement de leurs domaines d'expertise ainsi qu'au contrôle au fond des actes qu'ils sont chargés d'authentifier. C'est d'ailleurs sur cette relation équilibrée entre les notaires, auxquels la loi attribue une mission de contrôle au fond, et les services de l'Etat, chargés de vérifier la régularité formelle des actes, que prospère l'incontestable fiabilité de notre système de publicité foncière. Cette évolution prouve enfin, s'il en était besoin, que le numérique peut parfaitement servir notre système juridique sans le bousculer. Une expérience à méditer....


(1) Ainsi que le rapportait un article en ligne à l'occasion du lancement du 112ème Congrès des notaires "le directeur des Finances publiques, Bruno Parent, avait également fait le déplacement, une première au congrès des notaires, pour annoncer à ces derniers la signature d'une convention-cadre avec le Conseil supérieur du notariat visant à leur octroyer un accès direct au fichier immobilier". Cet accès direct permettrait d'alléger de manière significative la masse de travail des services chargés de la publicité foncière.
(2) Décret n° 2009-1193 du 7 octobre 2009, art. 7 (N° Lexbase : L1795DNS).
(3) Ce principe de conformité absolue se conjugue à l'obligation faite aux notaires de requérir la publication des actes qu'ils reçoivent, et ce, indépendamment de la volonté des parties (décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, art. 32) pour assurer l'indispensable fiabilité du fichier immobilier.
(4) Décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, portant réforme de la publicité foncière, art. 4 (N° Lexbase : L9182AZ4) ; décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955, art. 68, § 2 (N° Lexbase : L1795DNS).
(5) Ce refus est notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou remise contre récépissé au déposant, dans le délai maximum de 15 jours à compter de la remise des documents : décret du 14 octobre 1955, art. 74 § 1.
(6) CGI, art. 1728-3.
(7) Il faut cependant rappeler que le nouvel article 1198, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L0906KZL) subordonne l'application du principe prior tempore potior jure à la bonne foi de celui qui se prévaut de l'antériorité de la publication de son titre.
(8) Décret n° 2017-770, 4 mai 2017, art. 3.
(9) Modifié par l'article 17 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 (N° Lexbase : L7404IYU). Le texte prévoit une exception : en cas d'adjudication, ce délai est porté à deux mois.
(10) Pour l'exécution de la publicité foncière dans la ou les autres conservations des hypothèques compétentes, les parties disposent du délai supplémentaire global d'un mois prévu à l'article 33 du décret du 4 janvier 1955 du CGI : BOI-ENR-DG-40-20-40 (N° Lexbase : X5026ALQ), 12 septembre 2012, n° 40.

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