La lettre juridique n°696 du 27 avril 2017 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Sur les conséquences du défaut de déclaration des résultats d'une filiale membre d'un groupe fiscal intégré - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 31 mars 2017, n° 393253, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0464UTD)

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par Marie-Astrid de Barmon, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 28 Avril 2017

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le 31 mars 2017, a décidé que l'absence de déclaration de son résultat, bénéficiaire ou déficitaire, par une société membre d'un groupe fiscal intégré ne saurait, à elle seule, faire obstacle à sa prise en compte dans la détermination du résultat d'ensemble par la société mère du groupe (CE 9° et 10° ch.-r., 31 mars 2017, n° 393253, mentionné aux tables du recueil Lebon). Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public sur cet arrêt, Marie-Astrid de Barmon, Maître des requêtes au Conseil d'Etat. L'administration peut-elle refuser de prendre en compte dans le résultat d'ensemble d'un groupe fiscalement intégré le déficit d'une société intégrée qu'elle n'a pas contrôlée ? C'est la question posée par l'affaire qui vient d'être appelée.

L'on sait que le régime de l'intégration fiscale, régi par les articles 223 A (N° Lexbase : L1889KG3) et suivants du CGI, permet à une société mère de se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur le résultat d'ensemble du groupe intégré, calculé en faisant la somme algébrique des résultats individuels de la société mère et de chacune de ses filiales entrant dans le périmètre d'intégration. Ce régime a pour intérêt d'imputer immédiatement les résultats déficitaires de certains membres du groupe sur les bénéfices d'autres sociétés intégrées, en s'abstrayant des règles moins souples de report des déficits d'une société non intégrée sur ses propres bénéfices passés ou futurs.

L'on sait également que l'intégration fiscale ne dispense pas les sociétés membres du groupe de satisfaire leurs propres obligations déclaratives. Chacune des sociétés intégrées doit souscrire sa déclaration de résultats individuels, en plus de la déclaration du résultat d'ensemble du groupe déposée par la société intégrante (CE 3° et 8° s-s-r., 7 février 2007, n° 279588, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9638DT7, RJF, 2007, n° 407).

Une société intégrée a tout intérêt à déclarer son résultat déficitaire pour minorer l'imposition globale du groupe et, par ricochet, sa part de cette charge fiscale que lui attribue en principe la convention d'intégration. C'est pourquoi le pourvoi de la société requérante, placée à la tête d'un groupe fiscalement intégré comprenant une filiale qui n'a pas déclaré son déficit annuel, vous confronte à une configuration assez inhabituelle.

L'administration fiscale a effectué un contrôle sur pièces de la société requérante au titre de l'exercice clos le 30 juin 2006. A cette occasion, elle s'est intéressée non seulement au résultat propre de cette société mère, mais aussi au résultat d'ensemble du groupe. Elle a remarqué que la filiale, dont le déficit au 30 juin 2006 était venu minorer ce résultat d'ensemble, n'avait pas déposé de déclaration de résultats individuels pour cet exercice. Le 15 février 2007, l'administration a adressé à cette société intégrée une première mise en demeure de déposer sa déclaration dans un délai de trente jours, sans toutefois la soumettre à un contrôle en matière d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice litigieux, la vérification de comptabilité dont elle avait par ailleurs fait l'objet se limitant pour cet impôt aux exercices clos de 2003 à 2005. Avant même que n'expire le délai supplémentaire de déclaration imparti à la filiale pour produire sa déclaration au titre de l'exercice 2006, l'administration a notifié le 9 mars 2007 à sa société mère une rectification du résultat d'ensemble du groupe en le rehaussant du montant du déficit de la filiale, qu'elle a ainsi refusé de prendre en compte.

La société requérante a porté le litige devant le tribunal administratif de La Réunion, qui ne lui a pas donné gain de cause sur ce chef de redressement. Elle a contesté son jugement dans cette mesure, mais la cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé la position des premiers juges par un arrêt du 7 juillet 2015 contre lequel la société se pourvoit en cassation (CAA Bordeaux, 7 juillet 2015, n° 14BX00067 N° Lexbase : A1142UTH).

Dans l'arrêt attaqué, la cour a jugé qu'à défaut pour la filiale d'avoir souscrit une déclaration de résultats au titre de l'exercice 2006 malgré la mise en demeure qui lui a été adressée, la société ne pouvait intégrer dans les résultats d'ensemble du groupe le déficit accusé par sa filiale sans méconnaître les règles découlant des dispositions des articles 223 A et 223 B (N° Lexbase : L3878KWK) du CGI. Elle en a déduit que l'administration avait à bon droit refusé la prise en compte de ce déficit non déclaré pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe, sans avoir à procéder au préalable à un contrôle de la filiale.

La société requérante voit dans cette dernière affirmation une erreur de droit : elle soutient qu'une telle rectification liée au résultat d'une de ses filiales ne pouvait au contraire qu'être consécutive à une procédure de contrôle menée à l'égard de la société intégrée concernée.

Le ministre s'en défend en arguant que ce n'est pas l'existence ou le montant du déficit de la filiale qui a été remis en cause, mais uniquement sa prise en compte dans la détermination du résultat du groupe. Il fait valoir que ses services se sont contentés de contrôler la déclaration du résultat d'ensemble du groupe souscrite par la société requérante et qu'ils pouvaient, dans ce cadre, constater l'absence de justification du déficit de la filiale, faute de souscription par cette dernière de sa déclaration de résultats dans les délais légaux, et refuser pour ce motif la remontée du déficit litigieux pour la détermination du résultat d'ensemble du groupe. Selon le ministre, un déficit non déclaré au niveau de la société intégrée est un déficit non intégré au niveau du groupe, et un contrôle sur pièces de la société tête de groupe suffit à corriger les conséquences de cette anomalie sur l'imposition d'ensemble du groupe.

Nous n'adhérons pas à cette thèse du ministre transcrite dans l'arrêt attaqué.

En premier lieu, parce qu'en déplaçant indûment le centre de gravité procédural des sociétés intégrées vers la société intégrante, à rebours de votre jurisprudence, elle confère à l'intégration fiscale une portée qu'elle n'a pas.

Les redressements apportés aux résultats déclarés par les sociétés intégrées ne constituent certes que les éléments d'une procédure unique aboutissant à la correction du résultat d'ensemble du groupe déclaré par la société mère et à la mise en recouvrement à son nom des rehaussements d'impôt en découlant (CE 3° et 8° s-s-r., 7 février 2007, n° 279588, publié au recueil Lebon, déjà citée ; aussi CE 9° et 10° s-s-r., 2 juin 2010, n° 309114, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2026EYP, RJF, 2010, n° 784, et CE 9° et 10° s-s-r., 13 décembre 2013, n° 338133, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3703KRL, RJF, 2014, n° 231).

Toutefois, ces mêmes décisions précisent que les sociétés membres du groupe restent soumises à l'obligation de déclarer leurs propres résultats et que c'est avec chacune des sociétés qui composent le groupe que l'administration fiscale doit mener les procédures de contrôle, puis de redressement. Ce n'est que dans un second temps que l'administration tire les conséquences des rectifications de chaque société intégrée sur le résultat d'ensemble du groupe, en les notifiant à la société tête de groupe. Cette articulation habituelle des procédures reflète le fait que les sociétés intégrées demeurent des personnes fiscales à part entière.

Les règles de détermination du résultat imposable du groupe intégré obéissent à la même logique. Le premier alinéa de l'article 223 B du CGI oblige ainsi à examiner d'abord la situation de la filiale en déterminant son résultat imposable au regard du droit commun, c'est-à-dire comme si elle n'appartenait pas à un groupe fiscalement intégré, sous la seule réserve des dérogations expressément autorisées par les dispositions propres à ce régime d'exception (CE 3° et 8° s-s-r., 10 mars 2006, n° 263183, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4850DNX, RJF, 6/06, n° 678 ; CE 3° et 8° s-s-r., 28 avril 2006, n° 277572, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1988DPC, RJF, 7/06, n° 836). Vous avez confirmé ce principe dans votre décision du 10 novembre 2010, pour en déduire que les retraitements apportés aux résultats bruts d'ensemble d'un groupe intégré doivent, sauf texte contraire, être effectués après l'établissement des résultats individuels des sociétés membres du groupe. Une cour commet ainsi une erreur de droit en acceptant que la neutralisation d'une subvention intra-groupe s'effectue directement par une absence d'inscription symétrique dans les résultats individuels des sociétés en cause alors qu'elle devait d'abord être déclarée dans leurs comptes respectifs avant d'être neutralisée au stade de la détermination du résultat d'ensemble du groupe (CE 3° et 8° s-s-r., 10 novembre 2010, n° 309148, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8894GGI, RJF, 2/11, n° 153, concl. E. Cortot-Boucher, BDCF, 2011, n° 18).

C'est encore le même raisonnement qui vous a conduit à juger que la notification régulière à une société intégrée des rehaussements de son bénéfice imposable interrompt la prescription à l'égard de la société mère en tant que redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur le résultat d'ensemble du groupe (décision CE 9° et 10° s-s-r., 13 décembre 2013, n° 338133, précitée).

Plus proche de notre cas de figure, conformément aux dispositions du IV de l'article 1733 du CGI (N° Lexbase : L1855ABC), c'est au niveau de chaque filiale redressée membre de l'intégration fiscale qu'il y a lieu de rechercher si l'insuffisance des résultats déclarés par chacune d'elle excède la tolérance légale d'un vingtième de sa base d'imposition rectifiée au-delà de laquelle sont infligés des intérêts de retard, et ce bien qu'ils soient acquittés ensuite par la société mère (décision CE 9° et 10° s-s-r., 2 juin 2010, n° 309114, précitée).

On le voit, les dispositions des articles 223 A et B du CGI ont pour seul objet d'aménager les modalités de recouvrement de l'impôt pesant sur une addition de bases imposables définies et contrôlées, sauf dérogation expresse, à l'échelle de chaque société intégrée. Elles n'ont nullement pour effet d'ériger la société mère du groupe intégré en interlocuteur unique de l'administration fiscale et encore moins de dissoudre dans le groupe intégré la personnalité fiscale de ses membres. La déclaration de la société intégrée est sans doute une pièce justificative essentielle au contrôle de la rectitude de la déclaration d'ensemble du groupe, mais son absence est un manquement de cette seule société à ses obligations déclaratives. Par conséquent, il nous semble que l'administration ne peut refuser de prendre en compte le déficit d'une société intégrée pour déterminer l'assiette imposable du groupe, au motif qu'elle n'a pas déclaré ce déficit, sans engager un contrôle, fut-ce un simple examen sur pièces, à l'endroit de cette filiale, lui adresser une mise en demeure de produire sa déclaration et attendre le terme du délai légal de trente jours pour constater le défaut de déclaration avant d'en tirer des conséquences sur le résultat de la filiale concernée puis sur celui du groupe dans son ensemble.

En second lieu, la position du ministre et de la cour revient à ériger le respect des obligations déclaratives des sociétés intégrées en condition légale de prise en compte de leur résultat individuel dans le résultat d'ensemble du groupe. Le ministre vous demande de juger que le résultat d'ensemble mentionné à l'article 223 B du CGI ne peut être que la somme algébrique des résultats spontanément déclarés par chacune des sociétés du groupe. Cette condition ne figure cependant pas dans la loi. Et vous avez engagé la jurisprudence en sens contraire, en jugeant que la méconnaissance par une filiale intégrée de ses obligations déclaratives ne remet pas en cause son appartenance au groupe fiscalement intégré (CE 3° et 8° s-s-r., 10 avril 2015, n° 371765, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5031NGG, RJF, 7/15, n° 570). Or, refuser d'intégrer le déficit de la société coupable de cette infraction au résultat du groupe revient en pratique à l'exclure du périmètre de l'intégration fiscale. La thèse du ministre, difficilement compatible avec ce précédent, ajouterait ainsi de facto une sanction à celles prévues par les textes en cas de défaut de déclaration : ce qu'une société s'abstenant de souscrire sa déclaration encourt, c'est la taxation d'office de ses résultats après mise en demeure, impliquant la privation des règles protectrices de la procédure de redressement contradictoire (LPF, art. L. 66 N° Lexbase : L8954IQP et L. 68 N° Lexbase : L7397I8H) et l'inversion à son détriment de la charge de la preuve (LPF, art. L. 193 N° Lexbase : L8356AE9), ainsi que les pénalités pour défaut de déclaration prévues à l'article 1728 du CGI (N° Lexbase : L9544IY7), mais pas l'exclusion de son déficit du résultat d'ensemble du groupe.

Nous vous invitons donc à juger que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que l'administration avait pu légalement refuser la prise en compte du déficit de la filiale dans le résultat d'ensemble du groupe sans rectifier au préalable le résultat de cette société et à annuler son arrêt pour ce motif.

Vous pourrez mettre un terme au litige en réglant l'affaire au fond, dès lors qu'il découle du motif de cassation qu'en s'affranchissant de la première étape de la rectification devant porter sur le résultat de la filiale, l'administration a entaché la procédure d'imposition d'une irrégularité entraînant la décharge de l'imposition contestée. L'irrégularité est même double : comme le soutient la société requérante par un moyen nouveau en cassation mais qui devient opérant dans le cadre du règlement au fond du litige, le vérificateur ne pouvait lui adresser la proposition de rectification avant l'expiration du délai de trente jours suivant la notification de la mise en demeure imparti au contribuable pour régulariser sa situation par l'article L. 68 du LPF.

Vous réformerez le jugement du tribunal en tant qu'il a rejeté la demande de décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge du fait du refus de l'administration de prendre en compte dans le résultat d'ensemble du groupe le déficit accusé par sa filiale au titre de l'exercice 2006 et accorderez à la requérante la décharge sollicitée, ainsi qu'une somme globale de 5 000 euros en réponse aux conclusions présentées en appel et en cassation sur le fondement de l'article L. 761-1 du CJA (N° Lexbase : L3227AL4).

Tel est le sens de nos conclusions dans cette affaire.

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