La lettre juridique n°420 du 9 décembre 2010 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Rappels sur l'obligation de célérité de l'employeur en cas de licenciement pour faute grave et l'obligation pesant sur le salarié en cas de litige sur les heures de travail

Réf. : Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7544GLY)

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N8246BQH

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[Jurisprudence] Rappels sur l'obligation de célérité de l'employeur en cas de licenciement pour faute grave et l'obligation pesant sur le salarié en cas de litige sur les heures de travail. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3235784-jurisprudencerappelssurlobligationdeceleritedelemployeurencasdelicenciementpourfautegr
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 04 Janvier 2011

Appelé à figurer dans son rapport annuel, l'arrêt, rendu le 24 novembre 2010, par la Cour de cassation, apparaît pourtant de facture relativement classique quant aux principes de solution qu'il renferme. En effet, la Chambre sociale rappelle, tout d'abord, que la faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués, dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire. Elle souligne, ensuite, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments. Au regard du caractère relativement classique désormais de ces règles, l'intérêt de l'arrêt réside dans les précisions apportées par la Cour de cassation quant à la façon dont elles doivent être comprises et mises en oeuvre par les juges du fond.
Résumé

La faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués, dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre, en fournissant ses propres éléments.

Observations

I - L'obligation de célérité pesant sur l'employeur en matière de licenciement pour faute grave

Définition de la faute grave

Si le législateur fait produire des effets à la faute grave, en précisant qu'elle est privative du délai-congé (C. trav., art. L. 1234-1 N° Lexbase : L1300H9Z) et de l'indemnité de licenciement (C. trav., art. L. 1234-9 N° Lexbase : L8135IAK), il n'a pas défini cette dernière. Cette tâche est donc revenue à la jurisprudence.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a défini la faute grave du salarié comme "un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis" (1). En 2007, elle a modifié cette définition en retenant plus simplement que "la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise" (2). Elle n'est, depuis, jamais revenue sur cette position que l'on retrouve affirmée dans l'arrêt sous examen.

Quelle que soit la définition en cause, l'idée est au fond la même : la faute grave rend indispensable, sans attendre, le départ du salarié. De cela, la Cour de cassation a tiré des conséquences importantes et rigoureuses.

La faute grave, rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, il serait pour le moins contradictoire d'admettre que, tout en se prévalant d'une telle faute, l'employeur conserve le salarié dans l'entreprise, puisqu'il n'est pas nécessaire. Il en résulte que l'employeur qui fait exécuter le préavis se prive du droit d'invoquer la faute grave du salarié (3). En revanche, le paiement volontaire par l'employeur d'indemnités auxquelles le salarié n'aurait pas pu prétendre en raison de cette faute, ne le prive pas du droit d'invoquer la faute grave (4). Ces solutions se concilient sans difficultés. La règle fondamentale réside dans l'idée que la faute grave impose d'éloigner le plus rapidement possible le salarié de l'entreprise ; ce qui ne s'oppose pas à ce que, cela ayant été fait, l'employeur verse certaines sommes au salarié.

Cette règle peut s'avérer délicate à articuler avec le nécessaire respect de la procédure de licenciement. La Cour de cassation a cependant décidé à cet égard que le maintien du salarié dans l'entreprise, pendant le temps nécessaire à l'accomplissement de la procédure de licenciement, n'interdit pas à l'employeur d'invoquer la faute grave (5). Cela étant, et l'arrêt commenté le confirme, l'employeur ne saurait tarder à mettre en oeuvre la procédure de licenciement.

L'affaire

En l'espèce, une salariée, occupant les fonctions de veilleuse de nuit dans une maison de retraite, avait été licenciée pour faute grave le 12 août 2005. Pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, l'arrêt attaqué avait retenu, après avoir constaté que le grief selon lequel la salariée avait administré à des pensionnaires des médicaments sans prescription médicale, que l'employeur avait été informé des faits reprochés à la salariée entre le 16 juin et le 7 juillet 2005, soit à l'intérieur du délai de prescription de deux mois précédant le début de la procédure disciplinaire.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 (N° Lexbase : L1307H9B) du Code du travail. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, "la faute grave étant celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits allégués dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire". Elle en déduit "qu'en se déterminant ainsi, sans vérifier, comme elle y était invitée, si la procédure de rupture avait été mise en oeuvre dans un délai restreint, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

La solution retenue par la Cour de cassation ne constitue pas, loin s'en faut, une surprise. Affirmée, dans une formule en tous points identiques, dans un arrêt rendu le 6 octobre 2010 (6), on en trouve également trace dans des arrêts plus anciens (7). On peut, à la suite, s'interroger sur les raisons qui ont conduit la Cour de cassation à reprendre cette solution dans un délai aussi bref, qui plus est en donnant une très large publicité à sa décision. Peut-être cela s'explique-t-il par la résistance des juges du fond dont l'arrêt commenté porte témoignage.

Cette position peut, à dire vrai, se concevoir au regard des dispositions de l'article L. 1332-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1079H9T) dont on sait qu'il affirme "qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance [...]". Partant, il semble possible, à l'instar de juges du fond dans l'affaire en cause, de considérer que l'employeur est en droit de mettre en oeuvre la rupture du contrat de travail pour faute grave à n'importe quel moment à l'intérieur de cette période de deux mois.

Une telle position s'avère, cependant, en contradiction avec la définition de la faute grave telle qu'elle a été rappelée ci-dessus. Comment admettre, en effet, que l'employeur se prévale d'une faute qui rende impossible le maintien du salarié dans l'entreprise tout en tolérant qu'il puisse maintenir ce dernier dans l'entreprise pratiquement deux mois ? Il serait par ailleurs pour le moins curieux que la prescription établie par l'article L. 1332-4 du Code du travail, conférant en quelque sorte un "droit à l'oubli" au salarié, se retourne contre lui.

Il faut donc préférer la solution retenue par la Cour de cassation, qui impose à l'employeur d'agir sans attendre. On ajoutera que celle-ci se veut conciliante à deux égards. Tout d'abord, si la mise en oeuvre de la rupture du contrat de travail doit intervenir dans un délai restreint, celui-ci commence à courir à compter du moment où l'employeur a eu connaissance des faits allégués et non de leur commission. Ensuite, la Chambre sociale admet qu'il puisse être fait exception à l'exigence précitée lorsque l'employeur doit mener des vérifications relativement à l'existence et à la véracité des faits reprochés au salarié. Remarquons que, dans cette hypothèse, le délai de prescription de l'article L. 1332-4 du Code du travail trouve tout son sens (8).

Au final, la solution retenue par la Cour de cassation apparaît tout à fait équilibrée et préserve tant les intérêts des salariés que ceux de l'entreprise.

II - Obligation du salarié en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies

Exigences légales et prétoriennes

Selon l'article L. 3171-4, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L0783H9U), "en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié". Le deuxième alinéa de ce même texte dispose quant à lui qu'"au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles".

Introduit au sein du Code du travail en 1992 (loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992 N° Lexbase : L0944AIS), cet article a considérablement amélioré la situation du salarié. Antérieurement, en effet, la preuve des heures de travail effectuées était soumise au régime de l'article 1315 du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG). En d'autres termes, la charge de la preuve pesait sur le demandeur et donc sur le salarié. Il n'est guère besoin de s'étendre sur les difficultés que pouvait présenter une telle preuve pour un salarié. Pour autant, il convient de ne pas se méprendre sur le sens de cette disposition qui n'a nullement renversé la charge de la preuve, afin de faire peser celle-ci sur l'employeur. Ainsi que l'affirme, en effet, avec constance la Cour de cassation, "la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties" (9). Elle en déduit que le juge ne peut rejeter la demande d'un salarié, qui prétend avoir effectué des heures niées par son employeur, au seul motif d'insuffisance des preuves qu'il propose.

Cela étant, et ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, "en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre en fournissant ses propres éléments" (10).

Mise en oeuvre

En l'espèce, pour rejeter la demande de la salariée en paiement d'heures complémentaires, l'arrêt attaqué avait retenu que celle-ci ne produisait pas d'éléments de nature à étayer sa demande dès lors qu'elle avait versé aux débats un décompte établi au crayon, calculé mois par mois, sans autre explication ni indication complémentaire.

Ainsi que l'on s'en rend compte, le litige portait, en l'occurrence, sur le caractère "suffisamment précis" des éléments apportés par le salarié. Or, à la différence des juges du fond, la Cour de cassation considère que ce critère était rempli. Censurant leur décision au visa de l'article L. 3171-4 du Code du travail, elle affirme qu'"en statuant ainsi, alors que la salariée avait produit un décompte des heures qu'elle prétendait avoir réalisées auquel l'employeur pouvait répondre, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Cette solution démontre que les obligations qui pèsent sur le salarié, à l'orée d'un procès relatif aux heures de travail effectuées, sont légères. Nul besoin pour ce dernier d'apporter le témoignage de collègues ou de clients, par exemple, à l'appui de sa requête. Il lui suffit de verser aux débats un simple décompte des heures qu'il prétend exécuter.


(1) Cass. soc., 26 février 1991, n° 88-44.908 (N° Lexbase : A9347AAG) ; Bull. civ. V, n° 97.
(2) Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 06-43.867 (N° Lexbase : A5947DYW) ; Bull. civ. V, n° 146 : RDT, 2007, p. 650, avec nos obs.
(3) La jurisprudence est ici constante. V. Cass. soc., 12 juillet 2005, n° 03-41.536 (N° Lexbase : A9228DIM).
(4) Qu'il s'agisse de l'indemnité compensatrice de préavis (Cass. soc., 2 février 2005, n° 02-45.748 N° Lexbase : A3499DGP ; Bull. civ. V, n° 42) ou des salaires correspondant à la mise à pied conservatoire prononcée (Cass. soc., 27 septembre 2007, préc.).
(5) Cass. soc., 19 juillet 1988. Cela étant, et bien que la Cour de cassation ait jugé qu'aucun texte n'impose à l'employeur de prendre une mesure conservatoire avant d'ouvrir une procédure de licenciement pour faute grave (Cass. soc., 4 novembre 1992, n° 91-41.189 N° Lexbase : A3805AA8 ; Bull. civ. V, n° 530), il nous semble plus prudent de décider d'une mise à pied conservatoire dans l'attente du licenciement, quitte à ce que l'employeur verse au salarié la rémunération correspondante dans l'hypothèse où il ne retiendrait pas la faute grave.
(6) Cass. soc., 6 octobre 2010, n° 09-41.294, FS-P+B (N° Lexbase : A3748GBG).
(7) Cass. soc., 22 octobre 1991, n° 90-40.077 (N° Lexbase : A7661CYE) ; Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 04-42.234, F-D (N° Lexbase : A6751DT9).
(8) Cela ne saurait toutefois laisser à penser que l'employeur a tout son temps pour vérifier les faits allégués. Nonobstant ce délai de deux mois, il se doit d'agir rapidement. Il est, là encore, à conseiller à l'employeur de mettre à pied le salarié à titre conservatoire pendant la durée de "l'enquête". Mais, à notre sens, les conséquences de cette mise à pied devront être effacées (i.e. la rémunération correspondante devra être versée) si, en fin de compte, licenciement pour faute grave est écarté.
(9) V., par exemple, Cass. soc., 3 juillet 1996, n° 93-41.645 (N° Lexbase : A9574AAT) ; Cass. soc., 7 février 2001, n° 98-45.570 (N° Lexbase : A3652ARP).
(10) Cette solution de principe a été pour la première fois affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 25 février 2004 (Cass. soc., 25 février 2004, n° 01-45.441, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3356DBW et voir nos obs., La preuve des heures supplémentaires : les rôles respectifs de l'employeur et du salarié, Lexbase Hebdo n° 111 du 10 mars 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0829ABC ; Dr. soc. 2004, p. 665, obs. Ch. Radé).

Décision

Cass. soc., 24 novembre 2010, n° 09-40.928, FP-P+B+R (N° Lexbase : A7544GLY)

Cassation partielle, cour d'appel de Toulouse (CA Toulouse, ch. soc., 16 janvier 2009)

Textes visés : C. trav., art. L. 1234-1 (N° Lexbase : L1300H9Z), L. 1234-5 (N° Lexbase : L1307H9B) et L. 3171-4 (N° Lexbase : L0783H9U)

Mots-clefs : faute grave, licenciement, mise en oeuvre de la rupture, délai restreint, heures de travail accomplies, litige, obligation pour le salarié d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis, nature de ces éléments.

Liens base : (N° Lexbase : E9190ES8)

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