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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
le 04 Janvier 2011
Les programmes de fidélisation des clients ont entraîné d'importantes réflexions chez les spécialistes du marketing pour lesquels "un bon programme de fidélité doit fidéliser une majorité de clients satisfaits et rattraper une minorité de clients insatisfaits" (cf. J. Lendrevie, A. de Baynast, C. Emprin, Publicitor, Dunod, 2008, p. 483). Parmi ces "insatisfaits", figure également l'administration fiscale britannique, mais pour des raisons bien différentes des clients de l'entreprise, car la problématique soumise à la CJUE est de qualifier la contrepartie des paiements par le gestionnaire du programme de fidélisation aux fournisseurs qui livrent les cadeaux de fidélité aux clients et par le commerçant au gestionnaire du programme de fidélisation livrant de tels cadeaux.
Deux programmes de fidélisation ont fait l'objet de l'arrêt du 7 octobre 2010 rendu par la CJUE saisie après renvoi préjudiciel quant à l'interprétation de la 6ème Directive-TVA. Dans le cadre de l'affaire n° 55/09 (1), des sociétés liées qui fabriquent des chaudières ont mis en place un programme de fidélisation auprès des installateurs de chaudières afin de les inciter à acheter leurs produits. Le litige ne concerne, ici, que des cadeaux remis sous la forme de biens. Concernant l'affaire n° 53/09 (2), il s'agit de la gestion d'un programme de fidélisation des clients.
A titre liminaire, la Cour rappelle l'importance de la "réalité économique", qu'elle qualifie de fondamentale, dans le cadre de l'appréciation du fonctionnement de la TVA et que le lecteur pourra comparer (opposer ?) aux effets du contrat conclu entre les parties (cf. Y. Sérandour, Le contrat, outil d'interprétation de la sixième Directive TVA, in Mélanges dédiés à Bernard Bouloc Les droits et le Droit, Dalloz, 2007, p. 1059).
La Cour va vérifier, conformément à sa jurisprudence, si l'opération était bien effectuée à titre onéreux (CJCE, 1er avril 1982, aff. C-89/81 N° Lexbase : A6251AU3), sauf livraison à soi-même, et s'il existe un lien direct entre le bien livré ou le service rendu et la contre-valeur reçue (CJCE, 8 mars 1988, aff. C-102/86 N° Lexbase : A7336AH8). La CJUE fera remarquer qu'il faut distinguer deux opérations distinctes que l'on retrouve dans les deux affaires examinées par la Cour : vente d'un bien ou d'un service et remise de points puis transmission de biens en échange de ces points. Il y a un parallèle avec la jurisprudence "Kuwait Petroleum" relative à un programme de fidélisation pour l'achat d'essence pour lequel il ne pouvait être soutenu que le prix à la pompe tenait compte, au moins pour partie, de la valeur du bien ou du service : le prix de l'essence achetée ne dépendait pas de l'acquisition, ou non, des points par le conducteur du véhicule (CJCE, 27 avril 1999, aff. C-48/97 N° Lexbase : A0462AWZ).
Les solutions offertes par la Cour dans ces deux affaires sont de prendre en considération, lorsqu'une opération est constituée par un faisceau d'éléments et d'actes, toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l'opération examinée afin de déterminer l'existence d'une seule prestation constitutive d'une livraison de biens ou de prestation de services ou de plusieurs prestations distinctes (CJCE, 29 mars 2007, aff. C-111 /05 N° Lexbase : A7809DUR) (3).
Pour la CJUE, des paiements effectués par le gestionnaire du programme en cause aux fournisseurs qui livrent des cadeaux de fidélité aux clients doivent être considérés, dans l'affaire C-53/09, comme la contrepartie, versée par un tiers, d'une livraison de biens à ces clients ou, le cas échéant, d'une prestation de services fournie à ceux-ci. La Cour laisse, cependant, au juge de renvoi de vérifier si ces paiements englobent également la contrepartie d'une prestation de services correspondant à une prestation distincte. S'agissant de l'affaire C-55/09, relative aux paiements effectués par le sponsor au gestionnaire du programme qui livre des cadeaux de fidélité aux clients, ils doivent être considérés comme étant, en partie, la contrepartie, versée par un tiers, d'une livraison de biens à ces clients et, en partie, la contrepartie d'une prestation de services effectuée par le gestionnaire de ce programme au profit de ce sponsor.
On gardera, toutefois, à l'esprit que les schémas adoptés par les acteurs de ces techniques promotionnelles sont susceptibles de varier sensiblement de sorte que les arrêts de la CJUE rendent difficile toute extrapolation à des cas concrets qui diffèrent des circonstances de fait de ces deux affaires (4) (cf. J. M. Moreno et A. Rodrigues, Le régime de TVA des techniques promotionnelles - Etat des lieux et perspectives, Dr. fisc., 2009, ét. 434).
Aux termes de l'article 261 C du CGI (N° Lexbase : L5553ICN), certaines opérations, y compris la négociation, ne sont pas imposées à la TVA, lorsqu'elles portent sur les comptes bancaires, les virements, les créances, les chèques et les autres effets de commerce. Toutes les opérations portant sur les créances telles que la négociation, garantie, gestion, sont exonérées, quelle que soit la nature des créances (commerciale ou civile, à long ou court terme) à la seule exception des opérations de recouvrement. La question est donc de savoir ce qu'est une opération de recouvrement car cette notion n'est pas définie par la sixième Directive alors en vigueur mais, selon la jurisprudence communautaire, le recouvrement inclut les opérations financières visant à obtenir le paiement d'une dette d'argent (CJCE, 26 juin 2003, aff. C-305/01 N° Lexbase : A0199C9A).
La question juridique portée à la connaissance de la Cour a trait à l'assujettissement à la TVA de commissions perçues par une entreprise britannique, Denplan, qui fait partie du groupe Axa, en contrepartie de la fourniture de prestations de services à ses clients, lesquelles auraient dû, selon la société Axa, être exonérées de la TVA. Ces prestations de services visent à améliorer la gestion des cabinets dentaires et, dans ce cadre, Denplan propose à ses clients dentistes un service de "collecte de paiements" dus par les patients.
Pour resituer les enjeux d'une problématique qui peut nous paraître exotique en France compte tenu des différents choix de société qui gouvernent les systèmes de santé français et anglais, Denplan est présente chez 6 500 dentistes au Royaume-Uni et 1 800 000 patients anglais en assurant un certain nombre de services dont des prêts sans intérêts pour les patients, des plans de soins tels que "Denplan Essentials" permettant au dentiste de fixer une redevance mensuelle pour son patient afin de couvrir un certain nombre d'examens dentaires, les visites d'hygiène dentaire et les radiographies dentaires ; Denplan laissant, toutefois, au praticien la possibilité de fixer lui-même la fréquence des examens dentaires et des visites d'hygiène dentaires de ses patients...
Pour considérer in fine que ces prestations ne peuvent être exonérées de la TVA (6), quand bien même ces services de recouvrement seraient effectués à l'échéance des dettes, la Cour va s'attacher, tout comme dans l'arrêt "Loyalty Management ou Levob Verzekeringen BV" (CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-41/04 N° Lexbase : A0986DL4 (7)) à déterminer si les opérations effectuées par Denplan pour ses clients revêtent plusieurs prestations distinctes et indépendantes ou s'il faut considérer qu'il s'agit d'une prestation complexe composée de plusieurs éléments. Au cas particulier, la CJUE va considérer qu'il s'agissait bien d'une seule et même prestation dont le but est de transférer la somme due par le patient dans le compte du dentiste. La Cour retient l'objet économique des actes caractérisant ces opérations et l'utilité du transfert de la somme sous déduction de la rémunération du prestataire de services. L'unicité des opérations étant caractérisée, le second temps du raisonnement de la Cour de justice de l'Union européenne est alors de considérer que les exonérations -toujours d'interprétation stricte sous réserve qu'elles ne soient pas privées de leur effet utile (CJUE, 30 septembre 2010, aff. C-581/08 N° Lexbase : A6586GA8 (8)) et définies selon leur nature et non en fonction du prestataire ou du destinataire du service (9)- sont autonomes au sens où elles visent à éviter des divergences entre les Etats membres quant à l'application du régime de la TVA. Ce souci d'harmonisation est constant dans les arrêts de la Cour et a été récemment exprimé dans l'arrêt "Future Health Technologies Ltd", relatif à la question de l'exonération de TVA concernant les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales et, plus précisément, quant à la collecte, l'analyse et le traitement de sang de cordon ombilical dans le but de conserver les cellules souches pour un éventuel futur usage thérapeutique (CJUE, 10 juin 2010, aff. C-86/09 N° Lexbase : A6449EYI). L'événement le plus extraordinaire de la vie d'un homme, et ses éventuelles conséquences thérapeutiques, ne sont pas incompatibles avec la TVA (10) !
Aux termes de la jurisprudence bien connue "des pommes et des poires", afin de qualifier une opération imposable à la TVA, il faut notamment relever l'existence d'un lien direct entre le bien livré, ou le service rendu, et la contre-valeur reçue (CJCE, 8 mars 1988, aff. C-102/86 N° Lexbase : A7336AH8).
Au cas particulier, à la suite d'une vérification de comptabilité d'une société civile immobilière portant sur une période de 2005 à 2008, l'administration fiscale a remis en cause la déductibilité de la TVA à raison des commissions facturées par un tiers lors de la cession de cet immeuble qui était placé hors du champ d'application de la TVA.
La TVA immobilière, réformée depuis le 11 mars 2010 (loi n° 2010-237, 9 mars 2010, de finances rectificative pour 2010, art. 16 N° Lexbase : L6232IGW), comporte des particularismes : sont ainsi soumises à la TVA les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles (CGI, art. 257, dans la rédaction applicable aux faits de l'espèce, N° Lexbase : L5182HLI). Toutefois, les opérations qui portent sur des immeubles ou parties d'immeubles qui sont achevés depuis plus de cinq ans ou qui, dans les cinq ans de cet achèvement, ont déjà fait l'objet d'une cession à titre onéreux à une personne n'intervenant pas en qualité de marchand de biens ne relèvent plus de la TVA.
En s'appuyant également sur les dispositions de l'article 271 du CGI (N° Lexbase : L5374HLM) (11) et en relevant que ces commissions liées à la vente de l'immeuble relevaient des frais généraux de la société cédante, les premiers juges, qui vont décharger la société requérante des cotisations de TVA, vont constater, d'une part, que les loyers de cet immeuble étaient soumis à la TVA et, d'autre part, que les commissions versées pour cette vente l'ont été dans le but de cesser l'activité de location. Le tribunal administratif de Montreuil en déduit alors qu'il existait bien un lien direct et immédiat avec l'activité exercée par la société redevable.
En attendant la confirmation par le juge d'appel, on comparera ce jugement avec les récentes décisions relatives aux cessions d'actifs -il s'agissait de titres ou de valeurs mobilières de placement- rendues nécessaires en vue de maintenir l'activité et pour lesquelles la question du lien direct s'est également posée tant devant la CJUE (CJCE, 29 octobre 2009, aff. C-29/08 N° Lexbase : A5614EMU) que devant le juge interne (CE 3° et 8° s-s-r., 10 juin 2010, n° 292389 N° Lexbase : A9189EYY ; CAA Versailles, 8 juillet 2010, deux arrêts, n° 08VE00970 N° Lexbase : A6435GMB et n° 08VE00985 N° Lexbase : A6436GMC).
(1) "Il ressort également de la décision de renvoi que les cadeaux de fidélité sont facturés par @1 à Baxi au prix de vente au détail majoré des frais d'expédition applicables au lieu de la commande où la propriété est transférée et l'échange des points effectué. Ainsi, déduction faite de la marge de @1 consistant en la différence entre le prix de vente au détail des cadeaux de fidélité et le prix d'acquisition auquel @1 se procure ces cadeaux, le paiement par Baxi à @1 constitue la contrepartie de la livraison desdits cadeaux".
(2) "Il ressort de la décision de renvoi dans l'affaire C-53/09 que l'échange de points par les clients auprès des fournisseurs donne lieu au versement d'un paiement par LMUK à ces derniers. Ce paiement se calcule en additionnant les commissions, qui représentent un montant fixe pour chaque point échangé contre une partie, ou la totalité, du prix du cadeau de fidélité. Dans ce contexte, il convient, ainsi que le soutient le gouvernement du Royaume-Uni, de constater que ce paiement correspond à la contrepartie de la livraison des cadeaux de fidélité".
(3) "Ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour, lorsqu'une opération est constituée par un faisceau d'éléments et d'actes, il y a lieu de prendre en considération toutes les circonstances dans lesquelles se déroule l'opération en question, aux fins de déterminer, d'une part, si l'on se trouve en présence de deux ou de plusieurs prestations distinctes ou d'une prestation unique et, d'autre part, si, en ce dernier cas, cette prestation unique doit être qualifiée de livraison de biens ou de prestation de services (voir, en ce sens, arrêts du 2 mai 1996, Faaborg-Gelting Linien, C-231 /94, Rec. p. I-2395, points 12 à 14 N° Lexbase : A9401AUQ ; du 25 février 1999, CPP, C-349 /96, Rec. p. I-973, point 28 N° Lexbase : A7318AHI, ainsi que du 27 octobre 2005, Levob Verzekeringen et OV Bank, C-41/04, Rec. p. I-9433, point 19 N° Lexbase : A0986DL4). 22. - Compte tenu de la double circonstance que, d'une part, il découle de l'article 2, point 1, de la sixième Directive que chaque opération doit normalement être considérée comme distincte et indépendante et que, d'autre part, l'opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA, il importe de rechercher, d'abord, les éléments caractéristiques de l'opération en cause pour déterminer si l'assujetti livre à son client plusieurs prestations principales distinctes ou une prestation unique (voir, en ce sens, arrêts précités CPP, point 29, et Levob Verzekeringen et OV Bank, point 20)".
(4) "Il convient de répondre aux questions posées que, dans le cadre d'un programme de fidélisation des clients tel que celui en cause dans les affaires au principal [nous soulignons]".
(5) Henri Dutilleux, Tout un monde lointain, concerto pour violoncelle, (1970).
(6) "Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l'article 13, B, sous d), point 3, de la sixième Directive doit être interprété en ce sens que ne relève pas de l'exonération de la TVA prévue à cette disposition une prestation de services qui consiste, en substance, à demander à la banque d'une tierce personne le transfert via le système de 'débit direct' d'une somme due par cette personne au client du prestataire de services sur le compte de ce dernier, à envoyer au client un relevé des sommes reçues, à prendre contact avec la tierce partie dont le prestataire de services n'a pas reçu le paiement et, enfin, à donner l'ordre à la banque du prestataire de services de transférer les paiements reçus, diminués de la rémunération de celui-ci, sur le compte bancaire du client".
(7) "A cet égard, la Cour a jugé que l'on est en présence d'une prestation unique notamment dans l'occurrence où un ou plusieurs éléments doivent être considérés comme constituant la prestation principale alors que, à l'inverse, un ou des éléments doivent être regardés comme une ou des prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale (arrêts CPP, précité, point 30, et du 15 mai 2001, Primback, C-34/99, Rec. p. I-3833, point 45 N° Lexbase : A3959ATS)".
(8) "Les termes figurant à la seconde phrase de l'article 5, paragraphe 6, de la sixième Directive sont d'interprétation stricte, de telle sorte qu'il ne soit pas porté atteinte aux objectifs de la première phrase dudit article 5, paragraphe 6, tout en veillant à ce que l'exception relative aux échantillons et aux cadeaux de faible valeur ne soit pas privée de son effet utile (voir, par analogie, arrêts du 18 novembre 2004, Temco Europe, C-284/03, Rec. p. I-11237, point 17 N° Lexbase : A9123DDA, et du 14 juin 2007, Horizon College, C-434/05, Rec. p. I-4793, point 16 N° Lexbase : A8188DW8)".
(9) La Cour précise alors : "L'exonération n'est donc pas subordonnée à la condition que les opérations soient effectuées par un certain type d'établissement ou de personne morale, dès lors que les opérations en cause relèvent du domaine des opérations financières" ; v. également : CJCE, 26 juin 2003, aff. C-305/01, § 64 (N° Lexbase : A0199C9A).
(10) "Il y a lieu de répondre à la deuxième question que la notion d'opérations 'étroitement liées' à l''hospitalisation et [aux] soins médicaux', au sens de l'article 132, paragraphe 1, sous b), de la Directive 2006/112, doit être interprétée en ce sens qu'elle ne couvre pas des activités telles que celles en cause au principal, consistant dans l'envoi d'un matériel de collecte de sang de cordon ombilical des nouveau-nés ainsi que dans l'analyse et le traitement de ce sang et, le cas échéant, dans la conservation des cellules souches contenues dans ce sang en vue d'un possible futur usage thérapeutique auquel ces activités ne sont qu'éventuellement liées et qui n'est ni effectif ni en cours ou encore planifié".
(11) "1. La TVA qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la TVA applicable à cette opération".
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