La lettre juridique n°420 du 9 décembre 2010 : Avocats

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Arnauld Bernard, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau du Val-de-Marne

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N8217BQE

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[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Arnauld Bernard, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau du Val-de-Marne. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3235031-questionsalepointdevuedunbatonnieraujourdhuibarnauldbernardbatonnierdelordredesavoca
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par Yann Le Foll, Journaliste juridique

le 04 Janvier 2011

Régulièrement, les éditions juridiques Lexbase se plaisent à donner la parole au Bâtonnier d'un des 181 barreaux qui constituent le maillage ordinal de la profession d'avocat, afin qu'il ou elle évoque, avec nos lecteurs, son point de vue sur l'avenir des professions juridiques et, plus particulièrement, celui sur la profession qui l'anime au quotidien, et ses ambitions pour le barreau dont il ou elle a la charge. Aujourd'hui, rencontre avec... Arnauld Bernard, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau du Val-de-Marne. Lexbase : Pouvez-vous nous présenter le barreau du Val-de-Marne ? Quelles en sont les spécificités ?

Arnauld Bernard : Le barreau du Val-de-Marne est un barreau de création relativement récente puisqu'il date de 1975. Il est le troisième des barreaux périphériques avec Nanterre et Bobigny. En effet, c'est la loi de 1971 (1) qui a instauré la multipostulation en région parisienne et qui a permis aux avocats de Paris d'exercer dans les Hauts-de-Seine, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, avec une réciprocité pour les avocats de ces départements d'exercer la postulation au tribunal de grande instance de Paris. Le tribunal de grande instance de Créteil a fonctionné au départ avec une soixantaine d'avocats installés dans le département, qui étaient aussi avocats au barreau de Paris. Ce tribunal ayant eu sa pleine compétence en 1978, le barreau à commencer à réellement s'étoffer à compter de cette date pour atteindre aujourd'hui un total de 490 avocats inscrits au tableau, avec une proportion de 60 % de femmes et de 40 % d'hommes et un âge moyen de 46 ans. C'est au départ un barreau généraliste mais pour répondre aux besoins de la clientèle, les confrères se sont petit à petit spécialisés en droit de la famille, en droit commercial, en droit des sociétés, et en droit fiscal. Toutefois, ce caractère généraliste demeure car le département est relativement éclaté et comporte une grosse population de particuliers, de très petites entreprises, d'artisans et de commerçants. Il faut donc que l'avocat installé dans le Val-de-Marne puisse répondre à cette demande.

Lexbase : Quelles sont les priorités de votre mandat ?

Arnauld Bernard : Je n'avais pas mené une campagne avec des thèmes bien précis, car je pense que des barreaux qui sont relativement jeunes comme le nôtre ont besoin de perpétuer ce que mes prédécesseurs ont fait. Je suis donc là pour consolider les positions acquises et essayer de faire preuve de cohésion pour montrer un barreau solidaire, unitaire, et aussi puissant que possible. En effet, il ne faut pas éluder le fait que notre proximité avec Paris et la puissance de son barreau, qui compte 22 000 avocats, nous fait un peu d'ombre. Il est donc difficile de se faire une place entre les grands barreaux de province comme Marseille, Nantes ou Lille et nos confrères parisiens, même si nous appartenons à la "conférence des 100" depuis sa création et que nous sommes très heureux d'y faire compter notre voix.

Lexbase : Quel est le stade d'avancement du barreau du Val-de-Marne dans la mise en place du RPVA ?

Arnauld Bernard : Très honnêtement, nous sommes un peu à la traîne dans ce domaine, mais notre campagne de communication commence à porter ses fruits car nous sommes passés de 10 à 20 % d'adhérents au RPVA, avec une demande qui ne cesse d'aller en s'accroissant. Il existe peu de structures d'exercice collectif dans notre département, seulement une trentaine réparties entre SELARL, SCP et associations, ce qui explique cette situation. Or, les cabinets individualistes fonctionnent encore avec un esprit plus artisanal, ce qui explique que l'adhésion au RPVA n'ait pas été massive dès l'origine. En outre, jusqu'au 1er janvier 2010, le coût de 55 euros était assez prohibitif pour le service rendu, la situation s'étant nettement améliorée depuis qu'il a été ramené à 32 euros. Si l'on y ajoute les menaces de sécession entreprises par certains barreaux tout au long de l'année 2010, il est facilement explicable que certains confrères aient été quelque peu échaudés et aient préféré rester dans une situation d'attente.

De nôtre côté, nous avons facilité l'adhésion au RPVA en installant dans la bibliothèque de l'Ordre un boîtier Navista qui permet à chaque utilisateur du RPVA, pourvu qu'il soit attributaire de sa clé, de se connecter sans être obligé d'avoir à son cabinet une installation idoine complète et de pouvoir ainsi, soit envoyer les messages de procédure aux juridictions, soit éditer ses décisions ou ses bulletins de procédure.

Lexbase : Quelle est votre position concernant les décisions préfigurant la fin de la garde à vue "à la française" et la réponse apportée par la Chancellerie ?

Arnauld Bernard : La réponse de la Chancellerie, via son projet de loi tendant à limiter et à encadrer les gardes à vue, est une non-réponse. Elle s'est contentée de reprendre les considérants de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 (2) pour essayer de faire une espèce de projet de loi qui tiendrait compte des aspects les plus négatifs soulevés par les Sages et d'y ajouter le principe de l'audition libre, qui n'est rien d'autre qu'un remake de garde à vue. C'est un texte qui s'est contenté de saupoudrer l'idée de la présence de l'avocat pour essayer de nous faire plaisir. C'est donc une réponse purement circonstancielle à un problème de fond beaucoup plus large. De son côté, la Cour de cassation, usant de la conventionalité dans ses arrêts du 19 octobre dernier (3), sonne effectivement le glas de la garde à vue "à la française". Toutefois, nous sommes encore dans l'attente d'un texte un peu plus novateur. Le barreau que je dirige est situé dans un département où 70 % de la population est éligible à l'aide juridictionnelle. Comment donc assurer l'effectivité de la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue si rien n'est organisé concernant le financement de cette présence ? Or, les pouvoirs publics affirment que rien n'est prévu concernant l'augmentation globale de l'enveloppe de l'aide juridictionnelle qui est actuellement de 300 millions d'euros, soit le coût quotidien d'une journée de grève comme celle que nous avons connue tout au long du mois d'octobre. En outre, les exceptions à la présence de l'avocat pour les affaires de terrorisme et de crime en bande organisée sont, également, inacceptables. Le justiciable doit avoir connaissance de ses droits, quelque soit les faits qui lui sont reprochés.

Lexbase : Que pensez-vous de la diffusion par la Chancellerie via une circulaire du 12 avril 2010 d'une "table de référence permettant la fixation de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants sous forme de pension alimentaire" ?

Arnauld Bernard : Notre barreau s'inquiète toujours de l'introduction de tables de références, alors que l'office du juge est de rendre une décision par rapport à ce qui lui est soumis par les parties, et non pas de se référer à une table arithmétique, laquelle ne tient même pas compte des revenus du créancier. La loi a prévu un cadre juridique bien précis à partir duquel le juge doit former sa conviction, à l'opposé de ce projet qui apparaît comme une dépersonnalisation complète des besoins des familles. Nous n'acceptons pas que l'introduction d'un barème puisse suppléer l'office du juge qui doit prendre en considération les besoins réels des enfants, la situation du parent créancier et celle du parent débiteur. Même si cette introduction n'est prévue qu'à titre indicatif, l'expérience nous montre malheureusement que ce qui est proposé à titre provisoire devient rapidement la règle.

Lexbase : Pouvez-vous nous donner votre avis concernant le projet de soumettre les ordres d'avocat au paiement d'une indemnité d'occupation des locaux mis à leur disposition dans les palais de justice ?

Arnauld Bernard : Vous êtes ici dans le bureau de ce que la Chancellerie qualifierait de "bureau de tiers occupant". Je rappelle quand même que nous participons plus que largement au service public de la justice, et que de tous temps les avocats ont été présents dans les palais de justice pour apporter leur aide aux justiciables. Rejoignant, ainsi, la position de la Conférence des Bâtonniers, nous nous opposons à l'idée même de paiement d'une telle indemnité car nous n'occupons pas ces locaux mais nous participons à un service rendu. Pas plus que pour la comptabilisation des fluides (eau, électricité, chauffage), il n'est donc question que nous participions aux activités de gardiennage, de sécurité, ou d'entretien des parties communes.

Lexbase : Quels sont les prochains grands rendez-vous du barreau ?

Arnauld Bernard : L'actualité judiciaire et les réformes en cours nous ont beaucoup mobilisés. J'avais dit l'année dernière à l'occasion de mon discours de rentrée que je souhaitais organiser deux grands temps : l'un sur la question prioritaire de constitutionnalité, ce qui a été fait (1), l'autre sur l'interprofessionnalité, qui devrait se tenir au premier semestre 2011. Si l'on parle de l'interprofessionnalité au plan capitalistique, j'aimerais qu'elle soit aussi évoquée au plan institutionnel. Toutefois, je souhaite auparavant voir une volonté de débattre chez nos partenaires notaires ou experts-comptables, et que ceux-ci adhérent à l'idée de jeter les bases d'une grande profession du droit qui avait été évoquée dans le rapport "Darrois". La profession d'avocat a investi de nouveaux domaines d'activités avec l'avocat mandataire en transaction immobilière, l'avocat judiciaire ou l'acte d'avocat, qui doit encore être définitivement formalisé dans les textes. Quand les frontières seront bien établies, nous verrons peut être un peu plus facilement les conditions d'ouverture de notre profession à d'autres activités.


(1) Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ).
(2) Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 (N° Lexbase : A4551E7P).
(3) Cass. crim., 19 octobre 2010, trois arrêts, n° 10-82.306, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0916GCW), n° 10-82.902, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0917GCX) et n° 10-85.051, FP-P+B+I+R (N° Lexbase : A0918GCY), et lire les obs. de Romain Ollard, Le régime juridique de la garde à vue est déclaré contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme... mais n'en doit pas moins être appliqué, Lexbase Hebdo du 9 novembre 2010 - éditions professions (N° Lexbase : N5636BQS).
(4) Lire nos obs., La question prioritaire de constitutionnalité, une révolution juridique en marche : éléments de procédure et premiers renvois, Lexbase Hebdo du 26 mai 2010 - édition publique (N° Lexbase : N2093BP9).

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