Réf. : Cass. soc., 20 janvier 2010, n° 08-42.207, Mme Valérie Marcenac c/ Association La Croix glorieuse, FP-P+B+R (N° Lexbase : A4687EQN)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé L'existence d'une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs. L'engagement religieux d'une personne n'est susceptible d'exclure l'existence d'un contrat de travail que pour les activités qu'elle accomplit pour le compte et au bénéfice d'une congrégation ou d'une association cultuelle légalement établie. |
I - L'activité, critère de qualification du contrat de travail
Le contrat de travail peut être défini comme "la convention par laquelle une personne physique s'engage à mettre son activité à la disposition d'une autre personne, physique ou morale, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération" (1). On ne s'étendra pas sur les enjeux de la qualification de contrat de travail qui a pour effet de soumettre la relation nouée entre l'employeur et le salarié aux dispositions du Code du travail. Elle fait également du travailleur un ressortissant du régime général de Sécurité sociale, même si elle ne constitue pas une condition nécessaire de cet assujettissement à ce régime.
A cet égard, la qualification de contrat de travail ne saurait être abandonnée à la volonté des parties et elle est, au contraire, indisponible. Plus précisément, et ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans l'arrêt sous examen, "l'existence d'une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs". On aura reconnu ici le motif de principe retenu par la Chambre sociale dans le fameux arrêt "Labbane" (2). En d'autres termes, dès lors qu'une personne exerce une activité pour le compte d'autrui, il importe a priori de vérifier si les critères d'un contrat de travail sont ou non réunies.
Ainsi que le laissent clairement entendre tant la définition précitée du contrat de travail, que le motif de principe retenu dans l'arrêt rapporté, il ne saurait par hypothèse y avoir de contrat de travail sans activité. C'est au demeurant là le premier critère du contrat de travail, habituellement identifié par la doctrine sous le terme de "travail" (3), de "prestation de travail" (4) ou, encore, d'"activité professionnelle" (5). Ce critère ne saurait, à l'évidence, suffire puisqu'il faut encore que cette "activité" soit exercée pour le compte et sous la subordination d'autrui.
Bien plus, ces deux critères sont indissolublement liés puisque c'est la subordination qui permet d'affirmer que l'activité déployée est un "travail" et non une activité ludique. En d'autres termes, et ainsi que l'a, à notre sens, révélé l'arrêt rendu dans l'affaire de "l'Ile de la tentation", on ne saurait s'attacher à la seule activité sans avoir égard aux circonstances dans lesquelles elle est exercée et plus précisément à l'existence d'une subordination (6).
Au regard des précisions qui viennent d'être faites, il est tentant d'affirmer que, dès lors qu'une activité (i.e. un "travail") est exercée dans un lien de subordination, il y a nécessairement contrat de travail, nonobstant la qualification que les parties ont donné à la relation qui les unit. Certaines décisions rendues par la Cour de cassation démontrent, cependant, qu'il n'en est rien. Ainsi, et pour nous en tenir à la question qui nous intéresse ici, la Chambre sociale a décidé, dans un arrêt en date du 9 mai 2001, "qu'en intégrant la communauté Emmaüs en qualité de compagnon, M. [X] s'est soumis aux règles de vie communautaire qui définissent un cadre d'accueil comprenant la participation à un travail destiné à l'insertion sociale des compagnons et qui est exclusive de tout lien de subordination" (7).
Il est important de relever que, dans cette espèce, la Cour de cassation n'avait pas remis en cause les éléments de fait relevés par les juges du fond, qui caractérisaient la subordination. Partant, on pouvait en déduire que la Chambre sociale ne faisait que soumettre ces faits à un autre lien que sont les règles de la communauté de vie, excluant ainsi le travail communautaire du droit commun (8). Or, dans la mesure où le travail communautaire est inhérent à tout engagement religieux (9), on pouvait penser qu'un tel engagement excluait nécessairement le contrat de travail. Cette thèse rejoignait la solution retenue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 8 janvier 1993 (10).
A la lecture de l'arrêt d'Assemblée plénière précité, on pouvait légitimement considérer que, dès lors que le travail n'est qu'une dimension de l'intégration dans une communauté religieuse, la qualification de contrat de travail devait être exclue. De ce point de vue, l'arrêt précité sur les "Compagnons d'Emmaüs" ne constituait pas véritablement une confirmation de cette solution. Tout d'abord, il ne s'agit pas d'une communauté religieuse, bien qu'elle poursuive un but spirituel ancré dans la doctrine sociale de l'Eglise (11). Ensuite, la solution retenue dans cette décision peut s'expliquer par le fait qu'en l'occurrence le travail fourni ne constitue qu'un simple moyen au service de l'insertion (12).
Cela étant précisé, des arrêts rendus postérieurement à celui de l'Assemblée plénière allaient jeter le trouble, la Cour de cassation n'hésitant pas à retenir la qualification de contrat de travail (13) ou l'application du Code du travail (14), alors même qu'étaient en cause, dans ces arrêts, des personnes exerçant une activité dans des communautés, sinon religieuses, du moins fonctionnant selon un mode de vie religieux.
Au terme de cet ensemble jurisprudentiel, il apparaissait nettement que le travail en communauté ne pouvait être nécessairement exclu de la qualification de contrat de travail. Cherchant à expliquer cette différence de traitement, certains auteurs se demandent si elle "n'est pas liée à une inégale légitimité de la religion catholique et de celle d'une organisation parfois suspectée d'être une secte" (15), tandis qu'un autre s'interroge sur le fait de savoir s'il ne s'agit pas, peut-être, "du signe que, même dans un système juridique apparemment très unitaire comme le droit français, certains systèmes normatifs concurrents, comme ceux des grandes religions, arrivent encore à s'imposer contre le système juridique étatique" (16). L'arrêt présentement commenté vient, à notre sens, confirmer que ces différents auteurs avaient en quelque sorte "vu juste".
II - L'engagement religieux, cause d'exclusion de l'existence d'un contrat de travail
En l'espèce, Mme M. était entrée en septembre 1996, à Perpignan, dans une communauté de La Croix glorieuse, association privée de fidèles constituée suivant des statuts approuvés par l'évêque de Perpignan. Une association avait été créée sous le nom d'association de La Croix glorieuse afin de constituer l'entité civile et juridique de la Communauté. En septembre 1997, rejoignant le siège social à Toulouse, Mme M. prenait l'habit religieux, recevant le nom de soeur Marie Carmen. Un an plus tard, elle demandait à s'engager pour trois années en tant que moniale au sein de la communauté, puis, le 30 mai 2001, à s'engager définitivement en tant que moniale apostolique. Le 15 septembre suivant, elle déclarait "faire pour toujours, entre les mains du berger de la communauté", les voeux de pauvreté, chasteté et obéissance dans la condition de moniale de la communauté de La Croix glorieuse, s'engageant à observer fidèlement ses statuts. Ces trois engagements constituant des voeux privés au regard du droit canon, ils ont été contresignés par l'évêque de Perpignan. Finalement, le 18 novembre 2002, Mme M. a quitté la communauté et a saisi la juridiction prud'homale afin qu'il soit jugé qu'elle était dans une relation de travail salariée avec l'association La Croix glorieuse.
Pour dire que Mme M. n'était pas liée par un contrat de travail avec cette association, l'arrêt attaqué a retenu que les engagements explicites de Mme M. dans la condition de moniale établissaient de façon non équivoque que celle-ci s'était intégrée au sein de la communauté ayant pour l'Eglise catholique, le statut d'une association privée de fidèles, et de l'association de la loi de 1901 La Croix glorieuse, non pas pour y percevoir une rémunération au titre d'un contrat de travail, mais pour y vivre sa foi dans le cadre d'un engagement de nature religieuse. Elle s'était, dès lors, soumise aux règles de la vie communautaire et avait exécuté à ce titre les tâches définies par les responsables de la communauté. Les conditions dans lesquelles ces tâches ont été accomplies étaient exclusives de l'existence de tout contrat de travail.
Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa de l'article L. 1221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0767H9B). Selon la Chambre sociale, "l'existence d'une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ; [...] l'engagement religieux d'une personne n'est susceptible d'exclure l'existence d'un contrat de travail que pour les activités qu'elle accomplit pour le compte et au bénéfice d'une congrégation ou d'une association cultuelle légalement établie". Par voie de conséquence, "en statuant comme elle l'a fait, alors qu'il résultait de ses constatations que l'association La Croix glorieuse n'était ni une association cultuelle, ni une congrégation légalement établie, et qu'il lui appartenait de rechercher si les critères d'un contrat de travail étaient réunis, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
Ainsi que le laisse entendre la solution retenue, l'engagement religieux d'une personne peut exclure l'existence d'un contrat de travail, alors même que celle-ci fournit un travail pour le compte d'autrui, en l'occurrence une communauté, et qu'elle reçoit, pour ce faire, des directives. Toutefois, cette exclusion n'est admise par la Cour de cassation qu'à de strictes conditions.
Désormais, le juge saisi d'une demande en requalification par une personne ayant oeuvré au sein d'une communauté "religieuse", sans contrat de travail, doit se poser une première question : le groupement pour le compte duquel l'activité a été accomplie est-il une congrégation ou une association cultuelle ? Dès lors que la réponse est négative, le juge se doit de rechercher si les critères du contrat de travail étaient réunis. C'est au demeurant la position qu'avait adoptée la Cour de cassation dans un arrêt du 29 octobre 2008, dans lequel elle avait approuvé les juges du fond pour avoir jugé qu'un couple était lié par un contrat de travail avec une communauté religieuse organisée en association de la loi de 1901, nonobstant leur "engagement spirituel" (17).
En revanche, si l'activité a été accomplie pour le compte et au bénéfice d'une congrégation ou d'une association cultuelle légalement établie, il ne peut y avoir de contrat de travail, cette activité aurait-elle été accomplie sous la subordination d'autrui. On ne saurait, pour autant, considérer qu'un religieux, au sens canonique du terme, ne peut jamais être lié par un contrat de travail. En effet, dès lors que ce dernier exerce une activité pour le compte et au bénéfice d'une autre personne que sa congrégation ou l'association cultuelle à laquelle il appartient, on retombe dans le droit commun et il convient alors de vérifier si les critères du contrat de travail sont réunis. A cet égard, la solution retenue dans le présent arrêt rejoint celle qui avait été retenue par l'Assemblée plénière dans la décision précitée du 8 janvier 1993. En l'espèce, en effet, si la religieuse en cause avait exercé son activité d'infirmière et d'assistante sociale dans différents centres médicaux, c'était exclusivement "pour le compte et au bénéfice de sa congrégation".
Décision Cass. soc., 20 janvier 2010, n° 08-42.207, Mme Valérie Marcenac c/ Association La Croix glorieuse, FP-P+B+R (N° Lexbase : A4687EQN) Cassation de CA Toulouse, 4ème ch., sect. 2, 19 octobre 2007, n° 06/04470, Association La Croix glorieuse c/ Mlle Valérie Marcenac (N° Lexbase : A5536ECZ) Texte visé : C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B) Mots-clefs : contrat de travail ; qualification ; engagement religieux ; congrégation ; association cultuelle Lien base : (N° Lexbase : E7627ESB) |
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