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N1566BNC
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Fallait-il que les juges de cassation lisent l'étude de Saint Augustin sur le travail des moines et, plus particulièrement, son exégèse de l'épître de Saint Paul Apôtre, d'abord aux Thessaloniens -"Celui qui ne veut pas travailler, ne doit pas manger"- puis aux Corinthiens -"Chacun d'après son travail recevra son salaire. Car nous sommes les collaborateurs de Dieu : vous êtes le champ que Dieu cultive ; vous êtes l'édifice que Dieu bâtit"-, pour que l'on en vienne à considérer qu'un fidèle, c'est-à-dire une personne témoignant sa foi à travers ses actes, puisse être assimilé à un salarié, c'est-à-dire dans une relation contractuelle par essence productive et pécuniaire. On savait qu'il était courant de lire l'épître de Saint Paul Apôtre sur l'île de la Cité, mais pas du côté du Quai de l'Horloge !
C'est que l'exemple vient d'en Haut : il fallait que les travaux de préparation à la béatification de Carol Wojtyla, alias Jean-Paul II, révèlent qu'il avait émis le souhait de "démissionner" de son sacerdoce papal pour que l'on se souvienne que la chose est possible et s'était déjà produite à deux reprises ! Même un Pape peut partir en retraite : d'abord Célestin V poussé vers la sortie par son successeur Boniface VIII, puis Grégoire XII, sur les hautes instances du Concile de Constance, afin de mettre un terme au schisme avignonnais -bien que l'on aurait pu parler, dans ces deux cas, de révocation ad nutum sur proposition du conseil d'administration de la Sainte Eglise-.
Alors, il ne faudrait pas s'étonner qu'à force d'assimiler les règles de Saint Basile et de Saint Benoît à des règlements intérieurs, l'on n'envisage pas le travail des moniales comme relevant du droit social.
D'aucuns railleront ces propos, pour autant que la "salariée" -bien que pour être tout à fait précis, il appartiendra à la cour d'appel de renvoi de le caractériser ainsi- était entrée dans une communauté religieuse constituée sous forme d'association privée de fidèles, loi 1901 ; et qu'il est commun que les associations, même à but non lucratif, aient des salariés pour assurer leur fonctionnement et non uniquement des bénévoles.
D'abord, il apparaît étrange d'amalgamer les salariés d'une association comme Médecins sans frontières ou Reporters sans frontières à des fidèles intégrant une communauté religieuse et travaillant pour ne pas vivre aux dépends des autres -comme le prodigue, toujours Saint Paul Apôtre-. Car, lorsque les salariés de Médecins sans frontières dorment dans des geôles au rythme des châtiments corporels, c'est rarement par témoignage de leur foi en l'humanisme indéniable ; et lorsque l'on brûle les écrits des journalistes dans des pays aux accents théocratiques, on assiste rarement à un autodafé -acte de foi en portugais-, mais à une censure !
Ensuite, on pourra relever que la caractérisation d'un travail salarial au sein d'une communauté religieuse participe de la lutte contre l'exploitation, voire l'esclavagisme et la spoliation, des victimes des sectes. On soulèvera seulement qu'en l'espèce il s'agissait de la communauté de La Croix glorieuse, association privée de fidèles constituée suivant des statuts approuvés par un évêque de l'Eglise catholique. Par conséquent, si d'aucuns raillent l'Eglise comme une secte qui aura mieux réussi que les autres, on admettra que l'Eglise catholique et ses ramifications bien ordonnées ne figurent pas sur la liste parlementaire des communautés religieuses dangereuses pour l'ordre social. On notera que les délits d'escroquerie et d'abus de faiblesse suffisent à gallicaniser les sectes les plus "troublantes".
Enfin, on s'étonnera moins que l'arrêt circonscrive cette requalification de l'engagement monial en relation contractuelle du travail aux associations cultuelles non établies légalement. Car, comme pour le mariage, originellement religieux, et contrairement à de nombreux pays démocratiques, la France soumet la validation ubi et orbi des communautés religieuses à l'appréciation ecclésiastique et à la sienne. Ceux qui conçoivent la laïcité comme une obligation d'abstention de l'Etat dans la sphère spirituelle privée en seront à nouveau pour leur frais. En la matière, l'Etat, et son sceptre de Justice, ne se veulent pas platoniques mais platoniciens ! Entendons nous bien, en soumettant l'engagement monial à la réalité du droit du travail, c'est la conception de la foi enseignée par Platon dans la République qui est mise à l'honneur. Le mythe de la ligne rattache la foi aux objets, à la connaissance du réel duquel on peut comprendre et émettre des idées.
Réalité platonicienne de droit social qui conduira bientôt à la condamnation d'associations religieuses pour travail dissimulé, en attendant la banqueroute pour peu qu'un moine ne se défroque après 30 ans de voeux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance : indemnités salariales obligent. Et, arrêtons d'appeler tel prêtre, mon Père, tel diacre, mon Frère, où le principe de réalisme fiscal et son cortège de droits de mutation pourrait bien, ici aussi, sévir...
On savait, déjà, que les candidats aux jeux de téléréalité, non moins que surfer, festoyer et "draguer" à longueur de journée, travaillaient laborieusement ; désormais, on saura, qu'à la lumière de l'orthodoxie du juge de cassation, l'on peut partir en retraite sans perdre son statut de salarié...
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