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N5817BME
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le 07 Octobre 2010
La multiplication de formes nouvelles de contrats d'assurance vie et leur proximité -du moins apparente- avec des formules plus anciennes, rend leur analyse juridique parfois délicate. Déjà en octobre, les hésitations quant à la qualification de certaines conventions -ressemblant à d'autres accords de volonté ne relevant pas du droit privé-, constituaient, déjà, le coeur du problème de droit soulevé par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 octobre 2009. Celui-ci a fait l'objet d'un commentaire (1). Toutefois, c'est encore un autre aspect de ce type de difficultés qu'illustre cet arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, rendu le 6 octobre 2009.
Une société a obtenu deux prêts : l'un d'une association, l'ASTP, l'autre d'un pool bancaire, l'UFCA. En garantie de ces derniers, l'entreprise a souscrit, auprès de l'UAP aux droits de laquelle se trouve AXA France vie, un premier contrat d'assurance en cas de décès/invalidité de son chef d'entreprise, au bénéfice donc des deux préteurs de deniers. Elle a également contracté une assurance complémentaire en cas de décès de ce même chef d'entreprise au profit de la seule association. Or, fin 1997, cette entreprise est placée en redressement judiciaire. Quelques semaines après, fin janvier 1998, le plan de cession de la société, qui avait été élaboré par l'administrateur judiciaire, est validé par le juge.
L'UAP, considérant être créancière de la prime d'assurance relative au premier contrat, due en tout début de l'année 1998 et qui n'avait pas été réglée, a informé tant l'entreprise que les bénéficiaires des contrats d'assurance vie de cette absence d'exécution de son obligation par la société sous administration judiciaire. Peu de temps après, coïncidence, le dirigeant de l'entreprise décède. La société AXA France vie règle le capital correspondant au contrat d'assurance vie complémentaire ; mais elle refuse de payer celui du premier contrat en prétendant qu'il avait été résilié en raison de l'absence de versement de la prime. Les aspects procéduraux sont à la fois classiques et un peu tortueux ; pour simplifier, exposons que l'association ASTP a assigné l'assureur, lequel a agi, à titre reconventionnel, en remboursement du capital déjà versé au titre de la garantie complémentaire.
Passons vite aussi sur la demande relative à l'article L. 113-6 du Code des assurances (N° Lexbase : L7572HB3), jugée inopérante par la Cour de cassation. N'insistons pas trop, non plus, sur le fait qu'en cas de nomination d'un administrateur judiciaire, même chargé de l'exécution du plan de cession, l'assureur n'est pas tenu de lui adresser la lettre de mise en demeure pour non paiement de la prime d'assurance. En revanche, un point doit être rappelé, à l'instar de ce que souligne la Cour de cassation elle-même : le principe en matière d'assurance vie est celui de l'absence de caractère obligatoire au paiement des primes. L'article L. 132-20 du Code des assurances (N° Lexbase : L0149AAR) précise bien, en effet, que l'assureur n'a pas d'action pour exiger le paiement des primes dans les assurances vie.
S'avère avant tout instructive la contradiction que la Cour de cassation apporte à l'argument développé par la cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 16 mars 2006, selon lequel le versement des capitaux d'assurance vie supposait le décès du dirigeant de la société (CA Paris, 15ème ch., sect. B, 16 mars 2006, n° 05/07700 N° Lexbase : A9008D3Z). Pour être plus explicite, précisons que cette dernière considérait que deux conditions devaient être réunies : le décès du dirigeant, personne physique, ainsi, en quelque sorte, que le maintien en fonctions de ce chef d'entreprise à la tête de l'entreprise. La Cour de cassation n'en demande pas autant et se contente d'une seule exigence, qui seule figure dans le contrat d'assurance : le décès de l'individu, assuré.
L'analyse de la décision de cette dernière appelle une approbation sans réserve car elle témoigne de l'absence de confusion entre deux types de contrats qu'il est, en effet, indispensable de distinguer : le contrat d'assurance décès et le contrat d'assurance dit "homme-clef". Que l'on ne se méprenne pas : il ne s'agit pas de prétendre que le premier s'applique aux seules personnes physiques, tandis que le second ne concernerait que les chefs d'entreprise ou dirigeants. Néanmoins, cette seconde hypothèse se rencontre davantage dans un cas que dans l'autre. Soyons plus circonspect encore. Dans les contrats d'assurance décès, seul l'individu, pris en tant que personne physique, est au coeur du contrat ; peu importe la fonction qu'il exerce, sa profession et, de manière plus générale encore, les raisons de la souscription du contrat d'assurance en cas de décès.
En revanche, dans les contrats d'assurance "homme-clef " une place peut être faite à d'autres considérations. Il est ainsi possible de prévoir qu'outre le décès de l'assuré, celui-ci devra avoir tant d'années d'ancienneté dans l'entreprise, qu'il sera surtout tenu d'être -au moment de la survenance effective de l'événement envisagé au contrat : le décès-, toujours cet homme indispensable au bon fonctionnement de la société qu'il était au moment de la conclusion du contrat. Des exigences peuvent avoir été énoncées, lors de la formation du contrat d'assurance vie, pour que l'avantage prévu ne soit pas octroyé alors que les circonstances ont évolué ou que certains aspects essentiels ont disparu : présence encore effective de l'assuré dans l'entreprise au moment de la survenance du décès, ancienneté minimale de celui-ci ou encore maintien de cet "homme-clef" au poste de haute responsabilité qui était le sien. En outre, ces conditions d'octroi du capital ou de la rente -ou d'autres encore- peuvent être cumulées.
Or, tel n'était visiblement pas le cas en l'espèce. Les contrats souscrits l'avaient été en garantie de prêts effectués par le dirigeant d'une entreprise pour le bon fonctionnement de celle-ci et surtout le désintéressement de créanciers de cette entité. C'est en tant que représentant de la société que les contrats avaient été conclu, et non en considération de sa personne particulière. Par conséquent, même si le chef d'entreprise n'était plus dirigeant de celle-ci, cette dernière existait encore. La preuve en est qu'elle avait fait l'objet d'une cession ; elle n'avait pas disparu. Par ailleurs, c'est bien en ce sens que les créanciers avaient entendu obtenir des garanties d'assurance lorsqu'ils avaient accepté de prêter leurs deniers, non pas tant à son dirigeant du moment qu'au représentant, quel qu'il soit, de l'entité morale qui, elle, perdurait au-delà de sa personne.
Pour autant, il convient de reconnaître que la conception de la cour d'appel de Paris n'était pas dénuée de bon sens. Il n'est pas illogique d'exiger qu'une garantie soit versée à celui qui dispose encore du titre qui était le sien lors de la conclusion du contrat, en vertu d'une sorte de parallélisme des formes. Cela dit, encore convenait-il d'avoir élaboré un contrat d'assurance vie qui ait été tout à fait explicite et sans ambiguïté sur ce point ; tel n'était pas la présente situation. De surcroît, adopter l'analyse de la cour d'appel de Paris aurait été pernicieux. Outre qu'elle ne correspondait pas à la demande auprès de l'assureur, tant des préteurs que de la société, elle aurait créé un précédent jurisprudentiel fâcheux. Car, il est indubitable qu'elle aurait modifié, de manière profonde et grave, les nouvelles pratiques des créanciers qui, à défaut des sûretés anciennes ou traditionnelles ne leur donnant plus satisfaction, ont, depuis des années, trouvé dans le droit des assurances vie une telle sécurité transactionnelle. C'est une part énorme de la vie des affaires qui en aurait été bouleversée.
Un tel changement aurait encore porté atteinte à cette sécurité juridique qui est tant reprochée aux tribunaux qui, à l'inverse du législateur, ne statuent pas pour un futur, pouvant être reporté à une date ultérieure suffisamment lointaine pour permettre aux acteurs économiques de prendre leurs dispositions, de mettre en conformité leurs contrats et de s'adapter de façon relativement progressive. Bref, la solution est sage.
Il demeure que détecter la nature exacte du contrat d'assurance n'est pas toujours si aisé, surtout pour qui n'a pas une habitude régulière de cette diversité de contrats néanmoins fort ressemblants. L'habillage ne suffit pas toujours à faire le contrat d'assurance vie.
Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'Université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", vice-doyen, Membre de l'IRDP
L'article L. 322-2-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L6253DIG) consacre la règle de spécialité des sociétés d'assurance en énonçant que : "Les opérations autres que celles qui sont mentionnées aux articles L. 310-1 (N° Lexbase : L0312AAS) et L. 310-1-1 (N° Lexbase : L7028IAK) du présent code et à l'article L. 341-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L7395G9R) ne peuvent être effectuées par les entreprises mentionnées aux articles L. 310-1 et L. 310-1-1 du présent code que si elles demeurent d'importance limitée par rapport à l'ensemble des activités de l'entreprise. Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article".
Il convient de préciser qu'aucun décret n'est paru pour fixer ces "modalités" et qu'aucun texte ne définit cette notion "d'importance limitée".
L'article R. 322-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L7784IBW) précise, de son côté, que "les entreprises soumises au contrôle de l'Etat par l'article L. 310-1 ne peuvent avoir d'autre objet que celui de pratiquer les opérations mentionnées à l'article R. 321-1 (N° Lexbase : L7836IBT), ainsi que celles qui en découlent directement, à l'exclusion de toute autre activité commerciale. Elles peuvent faire souscrire des contrats d'assurance pour le compte d'autres entreprises agréées avec lesquelles elles ont conclu un accord à cet effet".
Notre droit des assurances est ainsi articulé autour d'un principe de spécialité de l'objet social des sociétés d'assurance et d'une exception, sous forme de tolérance d'activités accessoires.
Derrière l'énoncé de la règle, se profile une réelle difficulté, liée à la délimitation des frontières de l'activité d'une société d'assurances.
La règle de spécialité se comprend aisément, car permettre à une société d'assurances d'exercer des activités commerciales d'une autre nature pourrait compromettre sa solvabilité, donc l'intérêt de ses assurés. L'interdiction de principe souffre quelques exceptions, malaisées à cerner dans la mesure où il faut définir et délimiter le concept d'activité "connexe", "annexe", "accessoire" ou "afférente à" l'activité d'assurance, concept flou par nature.
Parmi ces activités, il convient de s'interroger sur la possibilité pour un assureur d'exercer une activité de gestion immobilière.
Sans doute faut-il ici distinguer selon que l'assureur gère son parc immobilier d'une façon raisonnable ou se livre à de multiples opérations spéculatives, de nature à tomber sous le coup de la sanction se livrer à une véritable activité commerciale dans une importance qui excède la limite tolérée par l'article L. 332-2-2 du Code des assurances.
Nous avions signalé un arrêt (Cass. civ. 3, 25 avril 2007, n° 06-13.290, publié N° Lexbase : A0318DWP, AJDI, 01/2008, p. 27, cf. nos obs.) ayant eu à connaître d'une espèce où une société d'assurances ayant vendu plusieurs appartements fut assignée sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le débat portait sur l'éventualité de reconnaître la qualité de vendeur professionnel de l'assureur cédant des éléments composant son parc immobilier, qualité qui, chacun le sait, invalide la clause exonératoire de garantie en réputant de façon irréfragable le vendeur de mauvaise foi.
L'arrêt soulevait donc la question de savoir si l'assureur peut exercer, à titre d'activité professionnelle connexe, une activité de vente de (ses) immeubles. D'emblée, le simple énoncé de la question laisse deviner le sens de la réponse. Céder ses immeubles est assurément tout différent de se livrer à une activité d'intermédiation pour des biens d'autrui !
L'arrêt n'a pas abordé le problème sous cet angle, et, demeurant sur le droit de la vente, a dénié à l'assureur agissant dans un tel contexte la qualité de vendeur professionnel, aux motifs que "si une société d'assurance, tenue de constituer une réserve pour garantir ses engagements était amenée à effectuer des opérations sur le marché de l'immobilier et si [l'assureur] disposait d'un patrimoine immobilier justifiant l'existence d'un service immobilier, ces éléments ne suffisaient pas à lui donner la qualité de professionnel de la vente immobilière".
Le rejet de cette qualité de vendeur professionnel de l'assureur l'a été au prix d'une analyse in concreto donnant à penser, si l'on s'autorise une lecture a contrario (ce qui est toujours périlleux !), que d'autres éléments plus probants permettraient d'établir cette qualité...
L'arrêt rendu par la troisième chambre civile le 4 novembre 2009 vient apporter une contribution, à nouveau indirecte, à cette problématique.
En l'espèce, un assureur a vendu divers locaux dont 4 637 m² garantis à usage de bureaux ; à la revente de l'immeuble, l'acquéreur constatera un défaut de contenance en 1998 et assigne l'assureur-vendeur, afin d'obtenir réparation du préjudice résultant de l'inexactitude des mentions portées à l'acte de vente, l'administration ayant indiqué que la superficie pour laquelle la redevance pour création de locaux à usage de bureaux avait été originellement acquittée n'était que de 3 086,52 m², ce qui conduit à un "déficit de commercialité" de 1 551 m².
La Cour de cassation approuve la condamnation de l'assureur à garantir son acquéreur de la diminution de valeur vénale des locaux en raison du "défaut de commercialité".
De son côté, l'assureur a appelé en garantie l'agent immobilier et le notaire ayant instrumenté, leur reprochant un défaut de mise en garde et un manquement à l'obligation de conseil.
C'est ici que l'arrêt prend un tour intéressant.
En effet, nul n'a besoin qu'on lui rappelle le développement des obligations de mise en garde et de conseil (cf., en dernier lieu, D. Bakouche, L'obligation du notaire d'informer les parties et d'assurer l'utilité et efficacité des actes auxquels il prête à son concours, Lexbase Hebdo n° 9 du 26 novembre 2009 - édition professions N° Lexbase : N4671BMX, commentaire de Cass. civ. 3, 23 septembre 2009, n° 07-20.965, FS-P+B N° Lexbase : A3375ELL ; et CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 15 septembre 2009, n° 08/05245 N° Lexbase : A3863ELN ; adde Cass. com., 17 novembre 2009, n° 08-70.197, FS-P+B N° Lexbase : A1713EP7), pour les banquiers, assureurs, notaires, avocats, agents immobiliers...
Et chacun sait que la qualité de cocontractant averti ou non averti s'est imposée en tant que critère.
L'assureur avait ici cherché à tirer parti de ce courant jurisprudentiel sévère à l'égard des débiteurs de ce type d'obligation.
La Cour de cassation rejette son moyen, au motif que l'agent immobilier et le notaire "n'étaient pas investis d'une mission spécifique de recherche de la superficie des locaux à usage de bureaux", de sorte que la cour d'appel "a pu, par ces seuls motifs, en déduire que la responsabilité des notaires et de l'agent immobilier n'était pas engagée".
On a vu décision plus sévère. La décision est motivée par l'objet de la mission du notaire certificateur, qui considère qu'il n'a pas à vérifier les déclarations faites par l'assureur vendeur.
En cela, cet arrêt rejoint un précédent (Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06-11.076, FS-P+B N° Lexbase : A9418DWQ), ayant jugé que "la cour d'appel a pu en déduire que, sans manquer à son devoir de conseil, [le notaire] n'avait pas à se substituer aux banques dans la recherche de solvabilité des acquéreurs et des risques de ces opérations spéculatives".
Aussi, bien que cet arrêt du 4 novembre 2009 ne l'énonce pas expressément, il nous semble conduire, implicitement, à considérer l'assureur comme un vendeur averti.
Dans ce contexte, conjugué à l'arrêt précité du 25 avril 2007, la décision rapportée autorise cette formule : si l'assureur n'est peut-être pas un "vendeur professionnel", il semble bien être un vendeur averti... de la sévérité de la jurisprudence à son égard et de la nécessité, pour lui, de bien stipuler, lorsqu'il recourt à tout professionnel du droit !
Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit, Membre de l'Institut de Recherche en Droit privé (IRDP)
(1) V. Nicolas, Les caractéristiques essentielles d'un contrat d'assurance vie, à propos de Cass. civ. 2, 22 octobre 2009, n° 08-20.801, Société Axa france vie N° Lexbase : A2727EMX, in Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - Novembre 2009, Lexbase Hebdo n° 370 du 5 novembre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N3554BML).
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