Réf. : CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 29 septembre 2009, n° 08/11698 (N° Lexbase : A0547EM9)
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N4739BMH
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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 18 Février 2012
La collaboratrice qui a pris acte de la rupture du contrat de collaboration, ne démontre pas que l'associé ait fait preuve de manière constante et permanente d'un tempérament furieux ou violent rendant insupportable la poursuite du travail. Dans ces conditions, la rupture du contrat lui est imputable si bien qu'elle ne peut obtenir indemnisation de la rupture ni de l'inexécution du délai de prévenance.
Commentaire
I. La prise d'acte de la rupture, mode de résiliation du contrat de collaboration
L'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 dispose que la profession d'avocat peut être exercée soit "à titre individuel, [...] soit en qualité de salarié ou de collaborateur libéral d'un avocat, ou d'une association ou société d'avocats" (2). Cette dualité entre collaboration libérale et salariat est née d'une volonté de compromis lors de l'intégration des conseils juridiques dans la profession d'avocat. Si l'avocat salarié bénéficie d'un statut clairement déterminé par la soumission de sa relation au droit du travail, tel n'est pas le cas de l'avocat collaborateur.
En effet, malgré l'existence légale du statut de collaborateur libéral, le régime juridique du contrat de collaboration n'a été que très parcellairement encadré par les pouvoirs publics. Seuls les articles 129 à 135 d'un décret du 27 novembre 1991 imposent quelques règles relatives aux clauses obligatoires ou interdites dans les contrats de collaboration (3). L'article 129 du texte dispose surtout que "les conditions de la collaboration sont convenues par les parties dans le cadre qui est déterminé par le règlement intérieur du barreau en ce qui concerne notamment la durée de la collaboration, les périodes d'activité ou de congé, les modalités de la rétrocession d'honoraires et celles dans lesquelles l'avocat collaborateur peut satisfaire à sa clientèle personnelle ainsi que les modalités de la cessation de la collaboration".
Le Règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN) (N° Lexbase : L4063IP8), qui constitue le socle de la déontologie commune des avocats, est sensiblement plus loquace (4). En effet, le premier paragraphe de l'article 14-4 du Règlement est intégralement consacré au régime de la rupture du contrat de collaboration.
Ce texte prévoit, notamment, que chaque partie peut mettre fin au contrat de collaboration en avisant son cocontractant au moins trois mois à l'avance, délai porté à cinq mois au-delà de cinq années de collaboration. Ces délais n'ont, cependant, pas à être observés en cas de manquement grave flagrant aux règles professionnelles (5). Enfin, le texte prévoit des règles de protection de la collaboratrice enceinte ou qui vient d'accoucher et dont le contrat ne peut être rompu qu'en cas de manquement grave aux règles professionnelles non lié à l'état de grossesse (6).
Malgré tout, ce texte reste silencieux sur l'hypothèse qui faisait l'objet de l'espèce commentée, celle de la prise d'acte de la rupture du contrat de collaboration par l'une des parties.
En l'espèce, une avocate collaboratrice avait été engagée par contrat de collaboration à durée indéterminée. A la suite d'un comportement de l'associé qu'elle jugeait agressif et violent, la collaboratrice avait été placée en arrêt maladie, emportant à cette occasion l'ensemble des effets personnels qu'elle avait amenés au cabinet. Dans les semaines qui suivirent, l'associé lui adressa une lettre recommandée par laquelle il rompit le contrat de collaboration, avant de se rétracter quelques jours plus tard. Malgré cette rétractation, la collaboratrice ne reprit pas le travail à l'issue de son arrêt maladie et saisit le Bâtonnier afin que ce dernier arbitre le litige.
La sentence arbitrale jugea que la rupture était imputable à l'associé et que, faute de motifs suffisants de rupture, celui-ci devait indemniser la collaboratrice du fait de la rupture ainsi qu'en raison du non-respect du délai de prévenance prévu au contrat.
La cour d'appel de Paris, par un arrêt du 29 septembre 2009, infirme la sentence arbitrale. Pour ce faire, les juges d'appel estiment que la collaboratrice n'avait nullement l'intention de reprendre le travail à l'issue du congé maladie, ce qui se déduisait du fait qu'elle ait repris tous ses effets et qu'elle n'ait pas répondu au courrier de l'associé rétractant sa rupture. Si la cour juge, donc, que la rupture avait été prononcée à l'initiative de la collaboratrice, elle estime également que la résiliation lui était imputable. En effet, les juges estiment que la preuve n'était pas rapportée d'un comportement rendant proprement insupportable la poursuite du travail avec l'associé, si bien que les demandes tenant à l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture et du non-respect du préavis étaient infondées.
En recherchant l'initiative et l'imputabilité de la rupture, la cour d'appel de Paris fait application, de manière à peine voilée, de règles que connaissent bien les spécialistes de droit du travail, celles de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail. Quelle appréciation porter sur ce raisonnement ?
II. L'influence du droit du travail sur la rupture du contrat de collaboration
Il convient de remarquer que ce n'est pas tout à fait la première fois qu'une juridiction judiciaire est saisie d'une prise d'acte de la rupture d'un contrat de collaboration. Pourtant, l'unique décision rendue jusqu'ici par la Cour de cassation à ce sujet n'apportait que de faibles enseignements (7). La décision de la cour d'appel de Paris est donc d'une importance remarquable en ce qu'elle constitue la première pierre de la construction d'une prise d'acte de la rupture du contrat de collaboration.
A l'analyse de l'arrêt de la cour d'appel de Paris, on est frappé par la réflexion et l'argumentation opérées sur des questions relatives à la distinction entre initiative et imputabilité de la rupture. En effet, le droit commun des contrats, auquel reste principalement soumis le contrat de collaboration, ignore totalement cette distinction. La rupture du contrat ne peut, sauf clause résolutoire, intervenir de manière unilatérale que par l'intervention du juge par application de l'article 1184 du Code civil (N° Lexbase : L1286ABA).
Si certains contrats très particuliers, tels que le contrat de mandat d'intérêt commun, permettent à une partie de rompre unilatéralement le contrat en cas de faute grave du cocontractant, ces situations n'impliquent jamais la recherche de l'imputabilité de la rupture (8). Dans tous les cas, la rupture reste imputable à celui qui prend l'initiative de rompre le contrat, la rupture pouvant ou non être justifiée en fonction de l'existence ou de l'absence de faute grave.
En réalité, la distinction entre initiative et imputabilité de la rupture est tout à fait spécifique au droit du travail. La distinction a été systématisée par la Chambre sociale de la Cour de cassation à travers la technique de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail. Depuis 2003, la Cour de cassation a arrêté le régime juridique d'une telle prise d'acte (9). Elle estime que, dans ce cas, "lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission".
C'est à peu de chose près à ce raisonnement qu'a procédé la cour d'appel dans l'espèce commentée. Après avoir démontré que la collaboratrice avait pris l'initiative de la rupture, elle a cherché à savoir si cette rupture était imputable à l'associé. A défaut d'une telle imputabilité, elle fait produire à la rupture les effets d'une rupture à l'initiative de la collaboratrice. La cour va, d'ailleurs, plus loin encore que la jurisprudence de la Chambre sociale en la matière, puisqu'elle déboute l'associé de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect du délai de prévenance. Or, on se souviendra qu'en cas de prise d'acte de la rupture injustifiée de son contrat de travail par le salarié, la Chambre sociale permet à l'employeur d'obtenir l'indemnisation pour l'inexécution du préavis (10).
Cette décision démontre, à nouveau, la proximité conceptuelle entre avocat salarié et avocat collaborateur (11). Après les retentissants arrêts ayant permis la requalification d'un contrat de collaboration en contrat de travail (12), c'est désormais l'application de règles tout à fait spécifiques au contrat de travail qui illustrent cette tendance.
Cet arrêt permet, également, de mettre en exergue la nécessité de l'élaboration d'un statut de l'avocat collaborateur réclamée ici ou là (13). Le compromis de 1990 maintenant la dualité de statut semble se fissurer de toutes parts, si bien qu'un choix tranché se révèle de plus en plus indispensable.
Faut-il choisir un salariat généralisé des collaborateurs, comme cela existe en Espagne ? Faut-il, au contraire, faire disparaître la catégorie d'avocats salariés et construire un véritable statut de l'avocat collaborateur ? C'est sur les réponses à ces questions que les têtes pensantes des barreaux de France devraient au plus vite se pencher. Car s'ils ne le font pas, c'est le juge judiciaire qui choisira la voie qui lui paraîtra la plus praticable. Et, le chemin qui semble avoir été emprunté depuis quelques mois est bien celui du modèle salarial.
(1) Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9766EGS) et les obs. de G. Auzero, Requalification d'un contrat de collaboration libérale en contrat de travail : l'importance de la clientèle personnelle, Lexbase Hebdo n° 353 du 4 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6304BKP) ; JCP éd. G, 2009, n° 25, 6, note C. Puigelier.
(2) Loi n° 71-1130, du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ). Cette loi a été modifiée, d'abord, par la loi n° 90-1258, du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales (N° Lexbase : L3046AIN) et, ensuite, par la loi n° 2005-882, du 2 août 2005, en faveur des petites et moyennes entreprises (N° Lexbase : L7582HEK).
(3) Décret n° 91-1197, du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID).
(4) La dernière version du RIN a été adoptée le 16 mai 2009. Ses dispositions sont reprises à l'identique par le règlement intérieur du barreau de Paris.
(5) La charge de la preuve du manquement grave repose sur les épaules de la partie qui s'en prévaut. V. Cass. civ. 1, 21 février 1995, n° 93-10.190, inédit au bulletin, rejet (N° Lexbase : A9829CXC).
(6) Pour une application de cette règle, v. Cass. soc., 20 juin 2007, n° 05-44.077, F-D (N° Lexbase : A8689DWQ).
(7) Cass. soc., 11 décembre 2002, n° 00-13.045, F-ND (N° Lexbase : A3952A47). Si cette affaire concernait bien une prise d'acte de la rupture du contrat de collaboration, elle n'apportait que de faibles enseignements puisque la Cour de cassation avait écarté le moyen pour des raisons procédurales.
(8) Sur cette question, v. J. Ghestin, Le mandat d'intérêt commun, in Les activités et les biens de l'entreprise. Mélanges offerts à J. Derrupé, Litec, 1991, pp. 105 et s..
(9) Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.679, FP+P+B+R+I (N° Lexbase : A8977C8Y), Bull. civ. V, n° 209, p. 213 et les obs. de Ch. Radé, "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 101 du 1er janvier 2004 - édition sociale ([LXB=N9951AA]) ; Dr. soc., 2003, p. 814, avis. P. Lyon-Caen et p. 817, chron. G. Couturier et J.-E. Ray ; Dr. soc., 2004, p. 90, chron. J. Mouly ; JCP éd. G, 2003, II, 10138, note E. Mazuyer ; RJS, 2003, p. 647, chron. J.-Y. Frouin.
(10) Cass. soc., 4 février 2009, n° 07-44.142, F-D (N° Lexbase : A9589EC7).
(11) V. R. Martin, Avocats. Modes d'exercice de la profession, J.-Cl. Civ. Annexes, Fasc. 25, 2006, spéc. § 6.
(12) Cass. mixte, 12 février 1999, n° 96-17.468, (N° Lexbase : A4601AY3) ; Dr. soc., 1999, p. 404, obs. Ch. Radé. V., surtout, Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-12.966, préc.
(13) J. Barthélémy, C. Idrac, J.-L. Magnier, V. Vieille, Réflexions et propositions à propos d'un statut de l'avocat collaborateur, JCP éd. G, 2008, 182.
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