Réf. : Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-42.878, M. David Pascal Lazaro Guerreiro c/ Société Point P, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0951EM8)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
1° L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité et prendre en compte les recommandations du médecin du travail et, en cas de refus, faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite. Lorsque le salarié fait valoir que l'employeur n'a pas adapté son poste de travail conformément aux recommandations du médecin du travail, il appartient à l'employeur de justifier qu'il a procédé à une telle adaptation. 2° La prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur entraîne la rupture immédiate du contrat de travail et ne peut être rétractée. |
I - Obligation de sécurité de l'employeur et adaptation du poste de travail
C'est à partir de 2002 que la Cour de cassation a formalisé l'existence, à la charge de l'employeur, d'une obligation de sécurité de résultat, à l'occasion de la redéfinition de la faute inexcusable de l'employeur et dans le cadre de la législation professionnelle. Selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, l'employeur est débiteur, à l'égard de ses salariés, d'une "obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise" (1). Cette solution, initialement dégagée en présence de maladies professionnelles, fut étendue aux accidents du travail (2), puis reprise par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (3) et l'Assemblée plénière (4).
La Cour de cassation a, ensuite, rattaché à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur le respect de la loi "Evin", interdisant de fumer dans les entreprises, pour protéger les salariés du tabagisme passif (5), la législation relative au harcèlement moral (6), puis celle relative aux salariés inaptes, singulièrement l'obligation d'assurer aux salariés la visite médicale de reprise (7) et de tenir compte des préconisations du médecin du travail (8), pour indiquer à l'employeur qu'en cas de désaccord avec le médecin du travail il lui appartient de le ressaisir (9), à défaut de quoi tout licenciement ultérieur du salarié sera considéré comme étant injustifié (10). Cette tendance s'est confirmée pour justifier l'annulation du salarié qui a valablement exercé son droit de retrait (11) ou, encore; autoriser le juge des référés à suspendre une mesure de réorganisation faisant craindre pour la sécurité des salariés (12).
Dès lors que l'employeur ne respecte pas les préconisations du médecin du travail, il est, par ailleurs, tenu de s'en justifier, à défaut de quoi le licenciement du salarié qui pourrait intervenir sera privé de cause réelle et sérieuse (13).
Dans cette affaire, un salarié, victime d'un accident du travail, avait subi une première visite de reprise aux termes de laquelle le médecin du travail avait indiqué qu'"une inaptitude au poste est à prévoir", et qu'en attendant le salarié pouvait "être affecté à un poste excluant le port de charges supérieures à 10 kg. L'avis d'aptitude sera précisé à l'issue de la seconde visite". Considérant que l'employeur n'avait pas tenu compte de cette préconisation dans l'attente de la seconde visite, le salarié avait pris acte de la rupture du contrat de travail, avant de se rétracter quelques jours plus tard et d'être licencié pour faute grave.
Statuant dans le cadre du régime de la prise d'acte, la cour d'appel de Paris avait débouté le salarié de ses demandes et considéré qu'il n'était pas démontré que la société n'avait pas respecté les prescriptions temporaires du médecin du travail mentionnées dans la fiche d'aptitude.
Cet arrêt est cassé. Après avoir rappelé "que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l'effectivité ; qu'il doit prendre en compte les recommandations du médecin du travail et, en cas de refus, faire connaître les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite ; qu'il en résulte que, lorsque le salarié fait valoir que l'employeur n'a pas adapté son poste de travail conformément aux recommandations du médecin du travail, il appartient à l'employeur de justifier qu'il a procédé à une telle adaptation", la Haute juridiction indique que le salarié avait été déclaré partiellement inapte à son emploi à l'issue du premier examen médical de reprise par le médecin du travail et qu'il appartenait à l'employeur, qui avait réaffecté le salarié à son emploi habituel, de justifier de l'adaptation du poste de travail du salarié ou des raisons pour lesquelles une telle adaptation était impossible.
La solution est parfaitement conforme aux règles qui gouvernent la preuve. L'article 1315, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1426ABG), dispose, en effet, très clairement, dans des dispositions applicables aux obligations en général, que "celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation". Or, tel est bien le cas de l'employeur débiteur d'une obligation de sécurité lui imposant de suivre les recommandations du médecin du travail. Il s'agit, d'ailleurs, bien ici d'une solution fondée sur l'application des règles qui gouvernent la preuve, car la Haute juridiction n'impose pas à l'employeur d'obligation de résultat quant au reclassement du salarié ; ce dernier peut, en effet, ne pas suivre les préconisations du médecin du travail, à condition, toutefois, de s'en justifier concrètement.
II - Prise d'acte et rétractation
Redéfinie à la fois dans ses modalités et ses effets en 2003 (14), la prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail a livré, en six ans, presque tous ses secrets. On sait, en effet, qu'il s'agit d'un mode de rupture du contrat de travail distinct de la démission et du licenciement, dans son expression, mais qui emprunte à l'un ou l'autre de ses régimes quant à ses effets, selon que les griefs formulés contre l'employeur sont ou non jugés suffisants pour justifier la décision.
Une fois formalisée, la prise rompt immédiatement le contrat de travail, sans qu'il soit question, ici, d'un quelconque préavis, et ce même si elle produit les effets d'une démission (15). L'employeur qui dispose d'un certain délai pour renoncer au bénéfice de la clause de non-concurrence devra donc se méfier car le délai de renonciation part de la réception de la lettre (16) et non du licenciement qu'il aurait pu prononcer par la suite et qui sera de toute façon nul et non avenu, puisque la rupture du contrat de travail aura déjà été consommée (17).
C'est ce caractère "immédiat" de la rupture qui se trouve ici confirmé (18), la Cour de cassation en tirant une conséquence inédite, puisque sa Chambre sociale en déduit qu'elle ne peut être "rétractée". Le caractère non-rétractable de la prise d'acte tranche ainsi nettement avec le régime de la démission qui peut valablement l'être, dès lors que le salarié, agissant sous le coup de la colère ou d'une violente émotion, se rétracte dans un temps voisin de la démission (19).
La formule lapidaire de la Haute juridiction, selon laquelle "la prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à son employeur entraîne la rupture immédiate du contrat de travail" et "qu'il s'ensuit qu'elle ne peut être rétractée", semble particulièrement sévère, car elle ne laisse au salarié aucun moyen de faire machine arrière, y compris dans l'hypothèse où il aurait agi sous le coup de la colère ou d'une violente émotion, hypothèses admises en matière de retrait de la démission.
Cette crainte doit, toutefois, être tempérée car, dans cette affaire, c'est l'employeur, et non le salarié, qui réclamait le bénéfice d'une prétendue rétractation de la prise d'acte, et pour échapper à la condamnation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse car les griefs formulés par le salarié étaient avérés et suffisamment graves pour justifier la rupture (le non suivi des préconisations du médecin du travail).
On peut alors raisonnablement espérer que dans d'autres circonstances où la prise d'acte serait susceptible de produire les effets d'une démission, en raison de son caractère injustifié, la Cour de cassation saurait admettre la rétractation de celle-ci s'il apparaissait, par exemple, que la volonté du salarié a pu être altérée par les circonstances, et dès lors que l'employeur n'aurait par ailleurs pas tiré toutes les conséquences de cette décision.
Décision
Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08 42.878, M. David Pascal Lazaro Guerreiro c/ Société Point P, FS P+B+R (N° Lexbase : A0951EM8) Cassation CA Paris, 22ème ch., sect. B, 27 février 2007, n° 05/07262, M. David Pascal Lazaro Guerreiro c/ SA Point P (N° Lexbase : A0919DYP) Texte visé : C. trav., art. L. 4624-1 (N° Lexbase : L1874H9B) Mots clefs : accident du travail ; inaptitude ; médecin du travail ; obligation de sécurité de résultat ; prise d'acte Lien base : |
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