Réf. : Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-40.723, FP-P+B (N° Lexbase : A0925EM9)
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N1821BME
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"
le 21 Octobre 2014
Résumé
En application des articles 16 et 17 du Règlement communautaire n° 1346/2000 du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité, toute décision ouvrant une procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un Etat membre compétente en vertu de l'article 3 de ce Règlement est reconnue dans tous les autres Etats membres dès qu'elle produit ses effets dans l'état d'ouverture et produit, sans aucune autre formalité, dans tout autre Etat membre, les effets que lui attribue la loi de l'Etat d'ouverture. L'ouverture en Allemagne, en application du Règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000, d'une procédure collective à l'égard de l'employeur, le 7 avril 2003, soit avant les prises d'acte de la rupture (en mai 2003) était à l'origine du non-paiement des salaires depuis cette date. La carence de l'employeur dans le paiement des salaires ne pouvait être fautive qu'entre le 30 mars et de 7 avril 2003. Ce manquement ne suffit pas à justifier la décision des salariés de prendre acte de la rupture de leur contrat de travail dès lors qu'était mise en oeuvre la garantie des créances salariales liée à l'insolvabilité de l'employeur. |
I - Non-paiement des salaires par l'employeur et prise en charge des salariés au titre du Règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000
A- Application du Règlement n° 1346/2000
Le droit européen et communautaire comprend, en matière de protection des salariés contre l'insolvabilité, plusieurs références : la Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, relative à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (N° Lexbase : L9435AUY), modifiée par la Directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 (N° Lexbase : L9629A4E) et le Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité (2).
Ce Règlement établit un cadre commun pour les procédures d'insolvabilité au sein de l'Union européenne. Les dispositions harmonisées relatives aux procédures d'insolvabilité visent à éviter le déplacement des avoirs ou de procédures judiciaires d'un Etat membre à l'autre pour pouvoir bénéficier de la meilleure situation juridique au détriment des créanciers ("forum shopping"). Le Règlement s'applique aux procédures d'insolvabilité ouvertes après son entrée en vigueur le 31 mai 2002. Les annexes du Règlement énumèrent précisément les procédures d'insolvabilité visées dans les Etats membres (annexe A), les procédures de liquidation (annexe B) et les syndics (annexe C).
Pour assurer des procédures plus uniformes afin d'éviter que les parties ne soient incitées à déplacer des avoirs ou des procédures judiciaires d'un Etat à un autre en vue d'améliorer leur situation juridique ("forum shopping"), les solutions proposées par le Règlement n° 1346/2000 reposent sur le principe de l'universalité de la procédure, tout en conservant la possibilité d'ouvrir des procédures secondaires limitées au territoire de l'Etat membre concerné.
Le Règlement s'applique aux procédures collectives fondées sur l'insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur, ainsi que la désignation d'un syndic (article 1er). Les décisions prises par la juridiction responsable de la procédure principale sont immédiatement reconnues par tous les Etats membres, sans contrôle supplémentaire, sauf si cette reconnaissance a des effets contraires à son ordre public, dans le cas de décisions limitant le secret postal ou la liberté individuelle.
En l'espèce, en application des articles 16 et 17 du Règlement communautaire n° 1346/2000 du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité, toute décision ouvrant une procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un Etat membre compétente en vertu de l'article 3 de ce Règlement est reconnue dans tous les autres Etats membres dès qu'elle produit ses effets dans l'état d'ouverture et produit, sans aucune autre formalité, dans tout autre Etat membre, les effets que lui attribue la loi de l'Etat d'ouverture.
B - Reconnaissance de la procédure d'insolvabilité
Le droit communautaire donne une réponse simple et efficace à cette question, a priori très complexe, de reconnaissance de la procédure d'insolvabilité.
D'une part, le Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité (article 16), précise que toute décision ouvrant une procédure d'insolvabilité prise par une juridiction d'un Etat membre compétente (en vertu de l'article 3) est reconnue dans tous les autres Etats membres, dès qu'elle produit ses effets dans l'Etat d'ouverture. Cette règle s'applique également lorsque le débiteur, du fait de sa qualité, n'est pas susceptible de faire l'objet d'une procédure d'insolvabilité dans les autres Etats membres. La reconnaissance d'une procédure visée à l'article 3 § 1 ne fait pas obstacle à l'ouverture d'une procédure (visée à l'article 3 § 2) par une juridiction d'un autre Etat membre. Dans ce cas, cette dernière procédure est une procédure secondaire d'insolvabilité.
D'autre part, le Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 (article 17) règle les effets de la reconnaissance. La décision d'ouverture d'une procédure (visée à l'article 3 § 1) produit, sans aucune autre formalité, dans tout autre Etat membre, les effets que lui attribue la loi de l'Etat d'ouverture, sauf disposition contraire du Règlement n° 1346/2000 et aussi longtemps qu'aucune procédure (visée à l'article 3 § 2) n'est ouverte dans cet autre Etat membre. Les effets d'une procédure (visée à l'article 3 § 2) ne peuvent être contestés dans les autres Etats membres. Toute limitation des droits des créanciers, notamment un sursis des paiements ou une remise de dette résultant de cette procédure, ne peut être opposée, quant aux biens situés sur le territoire d'un autre Etat membre, qu'aux créanciers qui ont exprimé leur accord.
En l'espèce, la société Isotech avait fait l'objet d'un premier jugement du tribunal d'instance de Karlsruhe le 7 avril 2003, ouvrant la procédure collective de la société et désignant Me B. en qualité d'administrateur provisoire. Ce jugement, qui constituait la société Isotech en état de cessation des paiements, puisqu'il lui interdisait d'effectuer tout acte de disposition, de recevoir tout paiement et suspendait toute mesure d'exécution forcée, avait nécessairement effet à l'égard de tous et, notamment, des salariés, même s'ils n'étaient pas parties à la procédure. La société Isotech avait fait l'objet d'un second jugement le 1er juin 2003, ouvrant la procédure d'insolvabilité, jugement ayant fait l'objet des publications légales et ayant effet à l'égard de tous.
II - Caractère non fautif de la carence de l'employeur pour non paiement des salaires
A - Prise d'acte et qualification de faute du comportement de l'employeur
Un salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur (3). En fonction du caractère fautif, ou non, de ces faits, découle un régime spécifique à la rupture : effets du licenciement si les faits sont bien fautifs, effets de la démission dans le cas contraire.
Sont considérés comme fautifs le refus de faire convoquer le salarié par la médecine du travail (4) ; le retard répété dans le paiement des salaires, sans raison valable (5) ; le refus de verser au salarié des primes qui lui sont normalement dues (6) ; le non-respect par l'employeur de la législation anti-tabac (7) ; la modification unilatérale du contrat de travail, le salarié ayant été affecté fréquemment sur des chantiers autres que ceux prévus par le contrat de travail (8) ; le non-paiement intégral des salaires (9) ; la réduction du salaire fixe et le règlement partiel des commissions (10) ; ou, encore, l'absence de versement des salaires conventionnellement garantis au salarié pendant son arrêt pour maladie (11).
En l'espèce, certains salariés ont fait grief à l'employeur de ne pas avoir payé le salaire du mois d'avril 2003, qui était échu le 1er mai 2003. Les juges du fond avaient rappelé le principe fondamental selon lequel le paiement des salaires à bonne date constitue l'obligation essentielle à la charge de l'employeur : de simples difficultés économiques ne sauraient autoriser l'employeur à s'affranchir de cette obligation.
Mais la gravité de ce manquement doit être appréciée au regard de la connaissance que pouvait avoir ces salariés, à la date du 31 mai 2003, de la situation économique de l'entreprise allemande et de l'imminence du dépôt de bilan, qui devait permettre le règlement rapide des salaires par l'organisme de garantie. Ces salariés avaient connaissance de la situation économique de la société Isotech qui avait fait l'objet d'un premier jugement du tribunal d'instance de Karlsruhe le 7 avril 2003, ouvrant la procédure collective de la société. Dans ce contexte, la prise d'acte de la rupture ne permet pas d'en imputer les effets à l'employeur, alors que les salariés savaient manifestement qu'une procédure collective était, d'ores et déjà, ouverte en Allemagne et qu'une issue rapide allait intervenir dans le cadre des dispositions collectives. Le retard du paiement du salaire depuis 12 jours dans un contexte de difficultés économiques connu des salariés ne peut constituer un manquement suffisamment grave justifiant la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur.
Les salariés, déboutés par la cour d'appel, invoquaient, devant la Cour de cassation, deux arguments : le retard dans le paiement du salaire caractérise à lui seul un manquement de l'employeur à une obligation essentielle du contrat de travail justifiant la prise d'acte de la rupture par le salarié aux torts exclusifs de l'employeur ; et l'ouverture d'une procédure collective ne dispense pas l'employeur du paiement des salaires.
Ces arguments avaient du poids, en ce sens qu'ils faisaient écho à la jurisprudence de la Cour de cassation sur le caractère fautif du non-paiement par l'employeur des salaires, rendant justifié la prise d'acte de rupture du contrat de travail par un salarié (12).
Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation, avec une certaine sagesse, écarte ces moyens invoqués par les salariés. La carence de l'employeur dans le paiement des salaires ne pouvait être fautive qu'entre le 30 mars et de 7 avril 2003. Ce manquement ne suffit pas à justifier la décision des salariés de prendre acte de la rupture de leur contrat de travail, dès lors qu'était mise en oeuvre la garantie des créances salariales liées à l'insolvabilité de l'employeur.
B - Prise d'acte : effets juridique de l'absence de qualification de fait fautif
En l'absence de faits suffisamment graves pour justifier la rupture aux torts de l'employeur, la prise d'acte du salarié a les effets d'une démission (13).
(1) Sur la prise d'acte produisant les effets d'une démission, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" .
(2) Le Règlement (CE) n° 603/2005 du Conseil du 12 avril 2005 a modifié les listes des procédures d'insolvabilité, des procédures de liquidation et des syndics figurant aux annexes A, B et C du Règlement (CE) n° 1346/2000, pour tenir compte des modifications des législations de certains Etats membres (à savoir la Belgique, l'Espagne, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Hongrie, l'Autriche, la Pologne, le Portugal et le Royaume-Uni). Le Règlement (CE) n° 694/2006 (N° Lexbase : L4912HIR) modifie les annexes A (procédures d'insolvabilité visées par l'article 2 du Règlement (CE) n° 1346/2000) et C (les syndics visés par ce même article) concernant la France.
(3) Cass. soc., 25 juin 2003, 3 arrêts, n° 01-42.335, M. Patrice Célestin c/ EURL Perl Apprets, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8976C8X), n° 01-42.679, Société Technoram c/ M. Thierry Levaudel, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8977C8Y) et n° 01-43.578, Mme Nicole Chiche c/ Société Ecoles de danse Gérard Louas, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A8978C8Z) ; lire les obs. de Ch. Radé, Autolicenciement : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8027AAK).
(4) Cass. soc., 15 octobre 2003, n° 01-43.571, Société Aux produits du Nyonsais c/ M. Jacky Richard, inédit (N° Lexbase : A8327C9B) ; lire les obs. de Ch. Radé, Inaptitude médicale et autolicenciement : un employeur averti en vaut deux !, Lexbase Hebdo n° 91 du 23 octobre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9165AAP).
(5) Cass. soc., 24 avril 2003, n° 00-45.404, Mme Pascale Coniglio, F-D (N° Lexbase : A4999BM4).
(6) Cass. soc., 21 janvier 2003, n° 00-44.502, Société Sogeposte, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7345A4S) ; lire les obs. de G. Auzero, Autolicenciement d'un salarié protégé : réflexions autour de la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, Lexbase Hebdo n° 57 du 6 février 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N5763AAP).
(7) Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-44.412, Société Acme Protection c/ Mme Francine Lefebvre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8545DIC) ; lire les obs. de N. Mingant, La prise d'acte de la rupture pour non-respect par l'employeur de la législation anti-tabac, Lexbase Hebdo n° 176 du 14 juillet 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N6574AIC).
(8) Cass. soc., 30 juin 2009, n° 08-41.935, Société Nett service 59, anciennement dénommée Nett service Hainaut Cambresis, F-D (N° Lexbase : A5946EI3).
(9) Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 05-40.466, Société Oddo sécurities Europe, anciennement dénommée CLSE France Groupe Oddo, F-D (N° Lexbase : A3443DSC) ; v., aussi, Cass. soc., 25 avril 2007, n° 05-44.903, Société JS Concept, F-D (N° Lexbase : A0239DWR) ; CA Rennes, 8ème ch., sect. C, 10 avril 2008, n° 07/02997, Madame Claude Fouchier c/ Madame Ségolène Royal (N° Lexbase : A9064D7T) ; CA Rennes, 8ème ch., sect. C, 10 avril 2008, n° 07/03024, Madame Evelyne Pathouot c/ Madame Ségolène Royal (N° Lexbase : A9065D7U).
(10) Cass. soc., 7 avril 2009, n° 07-42.190, M. Pierre Chiche, F-D (N° Lexbase : A1024EGZ).
(11) Cass. soc., 6 juillet 2004, n° 02-42.642, Société Aspirotechnique c/ M. Jean Rémy Rio, F-D (N° Lexbase : A0393DDW).
(12) Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 05-40.466, préc. ; Cass. soc., 24 avril 2003, n° 00-45.404, préc..
(13) Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 03-45.018, M. Philippe Cot c/ Société Climb, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0940DGW) et les obs. de Ch. Radé, Nouvelles précisions concernant la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat, Lexbase Hebdo n° 153 du 2 février 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N4456ABN) ; Cass. soc., 22 octobre 1997, n° 95-43.364, Mme Nicole Lisabois c/ Assédic de l'Eure-et-Loir, service AGS et autres (N° Lexbase : A2902AGL) ; Cass. soc., 17 février 2004, n° 01-42.427, M. André Caroff c/ Société Cloître Imprimeurs, F-D (N° Lexbase : A3153DBE) ; Cass. soc., 20 janvier 2004, n° 01-41.598, M. Jean-Yves Dubreuil c/ Société Meridien France, F-D (N° Lexbase : A8708DAR).
Décision
Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 08-40.723, M. Goumane, FP-P+B (N° Lexbase : A0925EM9) Rejet CA Colmar, 6 décembre 2007 et 29 avril 2008 Textes visés : C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B), L. 1231-1, L. 1232-1 (N° Lexbase : L8654IAR) et L. 1235-3 (N° Lexbase : L1342H9L) ; Règlement communautaire n° 1346/2000 du 29 mai 2000, relatif aux procédures d'insolvabilité (N° Lexbase : L6914AUM) Mots-clefs : prise d'acte de la rupture du contrat de travail ; indemnisation ; paiement des salaires ; carence de l'employeur ; faute (non) ; insolvabilité ; Règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000 application (oui) |
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