Réf. : Cass. civ. 2, 10 septembre 2009, n° 08-15.510, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile de France, F-P+B (N° Lexbase : A8958EKY)
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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262 - Université de Rennes 1)
le 07 Octobre 2010
Résumé
Si, aux termes du troisième alinéa de l'article D. 242-6-13 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9192ADS), ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d'un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel, cette disposition, destinée à empêcher qu'aucune structure ne reprenne le risque, n'interdit pas au juge de la tarification, en présence d'une scission d'entreprise, de rechercher, par une appréciation souveraine des faits et des éléments de preuve, la société ou l'établissement issu de cette scission ayant repris le risque qui avait été aggravé par l'accident du travail ou la maladie professionnelle. |
I - Enjeux de la notion d'établissement nouveau
Les modalités permettant de déterminer le montant de la cotisation "Accidents du travail" sont complexes, une distinction devant, notamment, être opérée selon l'effectif de l'établissement ou de l'entreprise dont celui-ci relève. Ainsi, pour les entreprises soumises de par leur effectif au taux mixte et, a fortiori, au taux réel (2), la sinistralité passée est déterminante du montant de la cotisation, puisqu'il y a lieu de prendre en considération leurs résultats propres qui correspondent aux dépenses réglées aux salariés de l'établissement au titre des AT-MP au cours des trois dernières années (valeur du risque au sens de l'article D. 242-6-3 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L9180ADD).
Cependant, les établissements nouveaux se voient appliquer un mode de tarification particulier en matière de cotisations AT-MP. Quel que soit l'effectif employé, ils relèvent du taux collectif durant leur année de création et les deux années civiles suivantes (CSS, art. D. 242-6-13, al. 1er) ; ce n'est qu'au terme de cette période qu'il convient de les soumettre aux règles de tarification de droit commun (taux collectif, mixte ou réel en fonction de l'effectif) et, le cas échéant, de tenir compte de leur sinistralité passée.
Délimiter les contours de l'établissement nouveau au sens de cette réglementation AT-MP présente un intérêt financier à terme lorsque l'établissement n'est pas créé ex nihilo, mais résulte de restructurations. En effet, si l'on considère que l'établissement est nouveau au sens de l'article D. 242-6-13, troisième alinéa, les dépenses afférentes à des accidents antérieurs aux trois années d'application du taux collectif ne pourront pas être imputées à cet établissement. L'enjeu peut s'avérer important pour l'établissement concerné au plan financier, notamment si la structure dont est issue cet établissement avait enregistré précédemment de nombreux accidents du travail et/ou des accidents d'une gravité élevée générant des dépenses conséquentes d'indemnisation. Mais l'enjeu dépasse le seul cadre de l'établissement car les dépenses consécutives à certains sinistres peuvent alors être "en déshérence", c'est-à-dire ne faire l'objet d'aucune imputation à un compte employeur et donc, in fine, être supportées par l'ensemble des cotisants de la branche AT-MP.
II - Notion d'établissement nouveau en cas de restructuration
Le seul texte faisant référence aux hypothèses de restructurations est l'article D. 242-6-13 du Code de la Sécurité sociale, dont l'alinéa 3 dispose que "ne peut être considéré comme un établissement nouvellement créé celui issu d'un précédent établissement dans lequel a été exercée une activité similaire, avec les mêmes moyens de production et ayant repris au moins la moitié du personnel". Il vise notamment à éviter que, par le seul effet d'un nouveau découpage juridique, le risque antérieur créé par une structure n'ait pas de "repreneur" (3).
Sur le fondement de ce texte, la jurisprudence recourt à la notion de rupture de risque, le juge du fond (4) étant invité à vérifier si -consécutivement à la restructuration- existe un risque nouveau dans l'établissement en cause pouvant justifier l'application du taux collectif ; à défaut, les risques passés doivent être intégrés dans le compte de l'établissement concerné. Il a ainsi été jugé que, lorsque la reprise de sociétés n'emporte aucune rupture de risque, les cotisations dues par une société cessionnaire doivent être calculées en fonction des risques survenus aux salariés des sociétés cédées, même si ceux-ci n'ont pas été repris par le nouvel exploitant (5).
L'arrêt du 10 septembre 2009 concerne une hypothèse de fusion-scission à l'issue de laquelle se posait la question de l'imputation des conséquences d'un accident du travail mortel survenu à un salarié de la société faisant l'objet de la scission. Les actifs, la production et une majorité des personnels de la société scindée avaient été repris à sa charge par une société A, alors que l'activité à l'origine de l'accident était, quant à elle, reprise par une société B. La caisse régionale d'assurance maladie (Cram) avait imputé au compte de la société A le risque antérieur, mais avait vu sa décision invalidée par la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification des accidents du travail (CNITAAT) au motif qu'il n'y avait pas continuité du risque puisque l'activité avait été reprise par la société B.
Devant la Cour de cassation, était en jeu l'interprétation des termes de l'alinéa 3 de l'article D. 242-6-13, qui précise sur quels critères un établissement issu d'une précédente entité ne peut être considéré comme nouvellement créé : une activité similaire -les mêmes moyens de production- la reprise d'au moins la moitié du personnel. Selon le pourvoi développé par la Cram, il s'agit là de critères cumulatifs pouvant être vérifiés au sein de la société A, mais partiellement absents au sein de la société B (notamment l'élément tenant à la reprise d'une majorité de salariés de la société scindée) ; c'est donc dans le cadre de la société A que le risque professionnel se serait poursuivi légitimant ainsi l'imputation à celle-ci des conséquences de l'accident survenu antérieurement dans la société scindée.
La deuxième chambre civile rejette le pourvoi, refusant de considérer que les éléments de l'alinéa 3 de l'article D. 242-6-13 constituent des critères stricto sensu, qui lieraient le juge dans son appréciation. L'attendu principal est, de ce point de vue, exempt de toute ambiguïté. Il y est affirmé que l'alinéa 3 "n'interdit pas au juge de la tarification, en présence d'une scission d'entreprise, de rechercher par une appréciation souveraine des faits et des éléments de preuve, la société ou l'établissement issus de cette scission ayant repris le risque qui avait été aggravé par l'accident du travail ou la maladie professionnelle". L'énumération de l'article D. 242-6-13 n'est qu'indicative, les éléments cités devant dès lors être considérés comme de simples indices même si, dans la plupart des cas, il s'agira certainement d'indices déterminants. Ce faisant, la Cour de cassation entend s'attacher principalement à la finalité de la disposition en cause, qui est "d'empêcher qu'aucune structure ne reprenne le risque" et donne une portée relative au texte réglementaire. En l'espèce, c'était à la charge de la société B qu'il convenait de mettre l'aggravation du risque car c'est elle qui l'avait repris (6).
Confrontées à des opérations de scission emportant scission de l'activité, les Cram semblent donc invitées à rechercher quelle entité a repris l'activité génératrice du risque, car c'est à celle-ci qu'il conviendra d'imputer les conséquences de l'accident antérieur quand bien même l'entité en cause ne cumulerait pas tous les "critères" posés à l'article D. 242-6-13.
La solution est logique car c'est la reprise effective du risque qui importe davantage que la notion d'établissement nouveau (ou non), dont les éléments d'appréciation de l'article D. 242-6-13 peuvent parfois, comme en l'espèce, masquer la réalité du risque professionnel. Mais, au regard de la complexité de certaines opérations de scission, la mise en oeuvre par les Cram pourrait s'avérer délicate ; il n'est pas certain que les organismes de tarification disposent de toutes les informations nécessaires pour identifier l'entité repreneuse du risque et ce, quand bien même l'article L. 242-5 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7980G7P) met à la charge de l'employeur l'obligation de déclarer "toute circonstance de nature à aggraver les risques".
Décision
Cass. civ. 2, 10 septembre 2009, n° 08-15.510, Caisse régionale d'assurance maladie d'Ile de France, F-P+B (N° Lexbase : A8958EKY) Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, sect. tarification, 6 mars 2008 Texte visé : CSS, art. D. 242-6-13 (N° Lexbase : L9192ADS) Lien base : (N° Lexbase : E1603AE4) |
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