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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
Or, l'objet essentiel de la réforme consiste à exclure systématiquement de l'assiette de l'imposition la valeur locative des équipements et des biens mobiliers. Dès lors, le régime dérogatoire susvisé, visant à équilibrer la situation des professionnels libéraux, perdrait sa justification. Pourtant, le PLF prévoit son maintien, au grand mécontentement des professionnels concernés, ainsi que nous l'expose Maître Jean-Yves Mercier, avocat associé de CMS Bureau Francis Lefebvre.
Lexbase : Quel est le régime de la taxe professionnelle ? Que modifie le PLF 2010 ?
Jean-Yves Mercier : La taxe professionnelle est un impôt local établi commune par commune, dû par toute personne physique ou morale française ou étrangère qui exerce en France à titre habituel une activité professionnelle non salariée et perçu par les collectivités territoriales (communes, départements, régions) et par les EPCI à fiscalité propre. Son assiette repose sur deux éléments : la valeur locative foncière et la valeur locative des équipements et des biens mobiliers.
Depuis quelques années, la règle est d'obliger l'entreprise à cotiser pour un montant au moins égal à 1,5 % de sa valeur ajoutée. Ainsi, lorsque l'imposition à percevoir est inférieure à ce pourcentage, l'entreprise est assujettie à ce montant minimal, via l'application d'un différentiel. Cette règle ne joue, toutefois, que pour les entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 7,6 millions d'euros. La loi institue, par ailleurs, un plafond fixé à 3,5 % de la valeur ajoutée. En cas de dépassement, l'Etat rembourse le différentiel.
Le Président de la République, estimant que l'imposition des équipements et des biens mobiliers freine considérablement l'investissement, a annoncé, début 2009, la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par une nouvelle taxe dont l'assiette se limiterait à la valeur locative foncière. L'article 2 du PLF 2010 va dans ce sens en instituant la CET. Celle-ci serait composée :
- d'une part, d'une cotisation locale d'activité (CLA) assise sur les bases foncières -lesquelles seraient minorées de 15 % pour les établissements industriels-, dont le produit irait aux communes et dont le taux serait fixé par elles ;
- et, d'autre part, d'une cotisation complémentaire (CC) assise sur la valeur ajoutée des entreprises réalisant un chiffre d'affaires d'au moins 500 000 euros ; cette dernière cotisation serait perçue selon un taux progressif allant de 0,5 % à 1,5 % et son produit serait réparti entre les départements et les régions.
C'est du moins ce qui résultait des prévisions initiales du projet gouvernemental. Mais, l'Assemblée nationale a, en première lecture, décidé d'affecter aux communes 20 % du produit de la cotisation complémentaire.
Lexbase : En quoi consiste le régime dérogatoire actuel applicable aux professionnels libéraux ayant opté pour le régime des BNC ? Pourquoi le maintenir dans le cadre de la CET ?
Jean-Yves Mercier : Le dispositif actuel de la taxe professionnelle prévoit un régime dérogatoire applicable aux professionnels libéraux soumis au régime d'imposition des bénéfices non commerciaux (BNC) et employant moins de cinq salariés (soit, plus de 70 % des avocats) (2) : ceux-ci ne sont imposés que sur la valeur locative foncière, mais pour compenser l'absence d'imposition des équipements mobiliers, ils sont taxés à hauteur de 6 % de leurs recettes. Ce dispositif entraîne déjà actuellement une imposition généralement plus forte que celle assignée à la généralité des assujettis.
Le PLF 2010 envisage de maintenir ce régime dérogatoire. Les professionnels libéraux répondant aux critères susvisés seraient, certes, dispensés de la CC, mais seraient redevables de la CLA sur une base incluant 6 % de leurs recettes. Un tel dispositif reviendrait à les imposer systématiquement plus lourdement que l'ensemble des autres assujettis. Ainsi, ceux dont les recettes n'excèdent pas 500 000 euros paieraient toujours en plus la CLA calculée sur 6 % de leurs recettes (leurs homologues du régime général étant affranchis de la cotisation complémentaire à ce niveau de chiffre d'affaires).
Le dispositif dérogatoire serait donc, maintenu, alors, pourtant, que ses justifications disparaîtraient : aujourd'hui, la taxation sur les recettes équilibre l'imposition à laquelle les autres entreprises sont soumises sur la valeur de leurs équipements mobiliers, imposition à laquelle elles vont désormais échapper par la vertu de la réforme
La seule justification au maintien du dispositif serait, dès lors, d'ordre budgétaire : suivant les indications données au cours des débats parlementaires, l'assujettissement au droit commun des professions libérales soumises au régime des BNC ferait perdre à l'Etat environ 900 millions d'euros. Pour fixer les idées, ce chiffre correspond à un niveau individuel moyen de recettes s'établissant à 55 000 euros si le nombre de contribuables concernés est de l'ordre du million. Il n'en demeure pas moins qu'en l'absence d'autres justifications, le maintien du régime dérogatoire créerait une rupture d'égalité devant l'impôt.
Les professionnels libéraux concernés sont, en outre, très préoccupés par le fait que l'effort complémentaire qui leur serait demandé par rapport à la charge des autres assujettis évoluerait au gré des décisions prises par les communes sur les taux d'imposition, alors que les assujettis à la cotisation complémentaire seront protégés par un système qui leur assure une imposition à un taux uniforme, fixé au niveau national.
Lexbase : Quelles ont été les réactions du CNB ? Quelles sont les voies de recours envisageables ?
Jean-Yves Mercier : Naturellement, le CNB s'est ému, dès l'annonce par Christine Lagarde, du maintien de ce régime dérogatoire. Le Conseil a constitué un groupe de travail ad hoc qui collabore avec l'UNAPL (Union nationale des professions libérales) et l'ANAAFA (Association nationale d'assistance administrative et fiscale des avocats). Il a obtenu que soit déposé devant la Commission des finances de l'Assemblée nationale, par Arlette Grosskost, député du Haut-Rhin, un amendement visant à supprimer ce régime. Charles de Courson (député Nouveau Centre) a, également, déposé un amendement en ce sens, à la demande de l'UNAPL. Ceux-ci n'ont, cependant, pas été retenus lors de la séance de l'Assemblée du 20 octobre dernier. La suggestion d'abaisser la taxation à 4 %, au lieu de 6 % des recettes, n'a, elle non plus, guère connu de succès.
Si le texte du PLF 2010 venait à être adopté tel quel, en dépit de ses fortes contrariétés par rapport aux exigences constitutionnelles, je ne suis malheureusement pas certain que soixante députés ou sénateurs s'accorderaient sur une saisine du Conseil constitutionnel touchant ce point précis. Nos députés et sénateurs sont aussi des maires... Le dispositif ne pourrait, alors, être contesté devant le Conseil, que dans le cadre de la question préjudicielle de constitutionnalité instaurée par l'article 29 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République (N° Lexbase : L7298IAK). Un autre angle de contestation pourrait consister à se plaindre devant les tribunaux administratifs d'une atteinte aux biens sanctionnable sur le fondement de la discrimination, par l'invocation des articles 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4747AQT) et de l'article 1er de son protocole additionnel n° 1 (N° Lexbase : L1625AZ9).
En tout état de cause, si le régime dérogatoire demeure dans le nouveau dispositif, les professionnels libéraux seront incités, plus que jamais, à créer des structures d'exercice assujetties à l'impôt sur les sociétés. Les sociétés relevant de cet impôt relèvent, en effet, du régime de droit commun et elles présentent bien d'autres avantages que celui d'éviter la surtaxation dont nous parlons.
(1) "La taxe professionnelle se caractérise par son impact néfaste sur l'investissement. La taxation des équipements et biens mobiliers, en renchérissant le coût des facteurs de production, contribue à l'insuffisance des investissements productifs, alors même que ceux-ci ont un impact déterminant sur la croissance et l'emploi à moyen terme. Elle pénalise tout particulièrement les secteurs intensifs en investissements, qui sont souvent parmi les plus exposés à la concurrence internationale et sont déjà soumis par ailleurs à des prélèvements élevés au regard de la moyenne européenne. La taxe professionnelle, qui n'a pas d'équivalent à l'étranger, constitue ainsi un handicap pour les entreprises implantées en France", Anne-Lise Lonné, PLF 2010 : une "réforme en profondeur de la structure de notre fiscalité", Lexbase Hebdo n° 366 du 7 octobre 2009 - édition fiscale général (N° Lexbase : N0753BMT).
(2) Dans le cas d'une pluralité de professionnels libéraux associés, le nombre de cinq salariés se détermine par associé.
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