Réf. : Décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, relatif à la procédure d'instruction des déclarations d'AT-MP (N° Lexbase : L5899IE9) ; circulaire DSS n° 2C/2009/267 du 21 août 2009, relative à la procédure d'instruction des déclarations d'AT-MP (N° Lexbase : L6732IE3)
Lecture: 11 min
N9352BLX
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Bretagne Occidentale (IODE UMR CNRS 6262 - Université de Rennes 1)
le 07 Octobre 2010
La complexité du mode de tarification des AT-MP n'est plus à souligner et il ne s'agira pas, ici, d'en détailler les "subtilités". Il importe, cependant, de mettre en évidence les enjeux financiers pour l'entreprise de la reconnaissance des AT-MP, enjeux qui expliquent assez largement le développement d'un contentieux quelque peu "biaisé", auquel les employeurs ont eu parfois recours ces dernières années.
Pour les entreprises d'au moins 200 salariés, le montant de la cotisation AT-MP est fonction de leur sinistralité passée calculée à partir de la somme des prestations versées aux salariés en réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles survenus dans l'établissement au cours des trois dernières années (tarification individuelle réelle (1)). Autrement dit, la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie présente un enjeu économique dont l'ampleur dépend à la fois du nombre des AT-MP et de leur gravité. En moyenne, la cotisation AT-MP s'élève à 2,28 % de la masse salariale (2). Mais ce chiffre cache de grands écarts. Qui plus est, la cotisation d'une entreprise peut significativement augmenter à la suite d'un accident particulièrement grave (lourdes séquelles emportant un taux élevé d'incapacité permanente, voire le décès du salarié).
Ce dispositif de tarification doit inciter les entreprises à entrer dans une logique d'optimisation du coût des AT-MP. Il a d'ailleurs été conçu afin de promouvoir des démarches de prévention. Pour autant, ce sont également des pratiques plus contestables qui sont mises en oeuvre par le recours à une optimisation que l'on pourrait qualifier de négative : réduire le montant de la cotisation AT-MP sans nécessairement chercher à prévenir les accidents et maladies. Ainsi, des employeurs peuvent faire pression sur leurs salariés afin qu'ils ne déclarent pas l'accident ou la maladie dont ils sont victimes au titre des risques professionnels. Dès lors, la prise en charge est le fait de l'assurance maladie et non plus de la branche AT-MP, avec deux conséquences : d'une part, une indemnisation moins importante pour le salarié et, d'autre part, l'absence de répercussion sur le montant de la cotisation AT-MP.
Au-delà de ce phénomène de sous-déclaration, les entreprises peuvent agir en contestant le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie. Mais certaines ont, également, cherché à annihiler les effets que la reconnaissance d'un accident du travail emporte sur le montant de leur cotisation et c'est ainsi que s'est développé le contentieux de l'inopposabilité. Sans que cela ait d'incidence sur l'indemnisation du salarié (3), il s'agit de rendre inopposable à l'employeur les dépenses afférentes à l'indemnisation de la victime, qui ne pourront être imputées sur le compte AT-MP de l'entreprise. En conséquence, le montant de sa cotisation ne sera pas affecté par l'existence de l'accident professionnel.
Le contentieux en inopposabilité repose sur une contestation portant sur la procédure d'instruction et de reconnaissance des AT-MP (et non sur la qualification elle-même). Et le moins que l'on puisse dire est qu'il s'agit là d'une voie qui a été très largement empruntée ces dernières années. Ainsi, le rapport "Fouquet" (4) estime que le coût annuel direct de ces procédures contentieuses initiées par plus de 4 000 entreprises s'élève à 200 millions d'euros en 2007 (5), ce qui représenterait une "facture" de 50 millions supplémentaires par rapport à 2005.
Par l'inopposabilité, il s'agit donc de sanctionner les irrégularités commises par les CPAM dans la mise en oeuvre de la procédure de reconnaissance des AT-MP, notamment les manquements à leur obligation générale d'information, qui est la traduction du principe du contradictoire. Par exemple, il a pu être reproché à des CPAM de ne pas avoir informé l'employeur des éléments susceptibles de faire grief, de la possibilité de consulter le dossier ou, encore, de la date de fin de la procédure d'instruction et de la date prévisible de prise de décision. On le voit, ces démarches contentieuses ont trouvé un écho favorable devant les tribunaux, la Cour de cassation entendant faire respecter les droits fondamentaux des usagers face aux prérogatives de la Sécurité sociale, au premier rang desquels se trouve le principe de la contradiction (6). Il n'en fallait pas plus pour qu'une brèche s'ouvre, dont les effets sur l'équilibre financier de la branche AT-MP n'ont pas tardé à se manifester, rendant inévitable une réforme de la procédure d'instruction intervenue finalement en juillet 2009.
II - La nouvelle procédure d'instruction des déclarations d'accidents du travail et maladies professionnelles
D'emblée, la circulaire DSS du 21 août 2009 rappelle l'objectif affiché de la réforme : d'une part, "encadrer et sécuriser la procédure d'instruction des déclarations AT-MP" et, d'autre part, "définir les règles conduisant au respect du contradictoire". Pour y parvenir, le décret du 29 juillet 2009 modifie cinq articles du Code de la Sécurité sociale intéressant la procédure d'instruction proprement dite, mais également les phases amont et aval de celle-ci, modification dont on rappellera que l'entrée en vigueur interviendra au 1er janvier 2010.
- Etat du droit : depuis un décret du 27 avril 1999 (décret n° 99-323, relatif aux procédures de reconnaissance du caractère professionnel des AT-MP N° Lexbase : L5076BCY), la CPAM dispose d'un délai de trente jours pour statuer sur le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, l'article R. 441-10 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7288ADB), indiquant que le point de départ de ce délai est le jour où la CPAM a eu connaissance de la déclaration d'accident ou de maladie professionnelle. A noter que les délais sont identiques dans les hypothèses de nouvelle lésion ou de rechute. Le point de départ est le jour où il est fait état, pour la première fois, d'une lésion ou d'une maladie présentée comme se rattachant à un accident du travail ou maladie professionnelle.
- Ce qui change : dans sa rédaction actuelle, l'article R. 441-10 laisse planer des incertitudes sur la détermination du point de départ du délai d'instruction. La réforme tend donc à le préciser. Désormais, le point de départ du délai d'instruction de la caisse correspondra au jour où la CPAM "a reçu la déclaration d'accident [ou de maladie professionnelle] et le certificat médical initial" (CSS, art. R. 441-10, al. 1er).
La modification doit permettre de préserver les droits des victimes. En effet, il était assez fréquent qu'en l'absence de certificat médical -dont le contenu est essentiel sur le fond-, les caisses notifient une décision de refus afin d'éviter le jeu de la reconnaissance implicite de l'alinéa 3 de l'article R. 441-10 (l'absence de décision dans le délai d'instruction emportant reconnaissance du caractère professionnel). Cette pratique "défensive" n'a plus lieu d'être, car le délai d'instruction partira dorénavant du jour à compter duquel la CPAM sera en possession tant de la déclaration d'accident (ou de maladie), que du certificat médical initial. Si la réception du certificat médical tarde, la phase d'instruction ne peut juridiquement s'ouvrir, ni le délai d'instruction courir (7). Par conséquent, les décisions "préventives" de refus devraient disparaître à compter du 1er janvier 2010 (8).
Le décret de juillet 2009 modifie les articles R. 441-11 (N° Lexbase : L6173IED) et R. 441-14 (N° Lexbase : L6170IEA) du Code de la Sécurité sociale. Pour l'essentiel, il s'agit de tirer les enseignements du contentieux de l'inopposabilité et de donner une traduction réglementaire à certaines décisions jurisprudentielles relatives au respect du contradictoire lors de la phase d'instruction.
- Nouvelles précisions et exigences concernant l'émission de réserves : la possibilité, pour l'employeur, d'assortir la déclaration d'accident de réserves lui était déjà reconnue. Le décret de 2009 exige, désormais, qu'il s'agisse de réserves motivées (CSS, art. R. 441-11-I et II) (9). Ainsi, tendent à être dissuadées d'éventuelles manoeuvres dilatoires puisque les réserves emportent le recours à des mesures supplémentaires d'investigation allongeant le délai d'instruction et retardant la prise de décision (10).
A défaut de précision réglementaire, la Direction de la Sécurité sociale considère qu'il revient aux caisses le soin d'apprécier le caractère motivé des réserves... ce qui ne relève pas de l'évidence. La circulaire d'août leur recommande, pour ce faire, de prendre appui sur la notion jurisprudentielle de "réserves motivées" qui renvoie à des réserves centrées sur la contestation du caractère professionnel de l'accident et qui ne peuvent donc porter que sur les circonstances de temps et de lieu de celui-ci ou sur l'existence d'une cause totalement étrangère au travail (11).
- Obligation d'information de l'employeur : la réécriture de l'article R. 441-10 fait la part belle aux garanties de contradictoire. Elle reformule l'obligation pour la caisse d'adresser à l'employeur le double de la déclaration de maladie professionnelle réalisée par la victime ou de la demande de reconnaissance de la rechute, car il s'agit là d'une décision susceptible de lui faire grief. A la caisse de se ménager la preuve de la date de réception par l'employeur du document. Pour des raisons de sécurité juridique, les CPAM seront enclines à recourir à une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, même si l'envoi peut se faire par tout moyen.
L'obligation d'information à la charge de la CPAM est renforcée par l'article R. 441-14, qui fait de la procédure d'instruction stricto sensu une phase nécessairement contradictoire (12). "La caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception, l'information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier".
Au plan procédural, la circulaire précise que les jours francs se définissent comme étant des jours entiers décomptés de 0 h à 24 h, le jour de la notification ne comptant pas et le point de départ du délai se situant au lendemain de la notification. Lorsque le délai expire un dimanche ou un jour férié, il est reporté de 24 h. L'apport principal du décret réside dans la fixation d'un délai précis qui mettra un terme à certains contentieux fondés sur la brièveté du temps accordé par les caisses aux employeurs pour prendre connaissance des éléments du dossier.
Sur le fond, ces nouvelles dispositions ne surprennent pas, car elles trouvent leur origine dans le contentieux de l'inopposabilité. Elles ne résolvent pas pour autant toutes les difficultés. Au plan juridique, elles ne permettent pas de mieux cerner les contours des éléments susceptibles de faire grief, ce qui ne devrait pas tarir tout le contentieux sur cette question ; au plan pratique, elles imposent toujours aux employeurs de se déplacer pour consulter le dossier d'instruction alors que l'envoi d'une copie pourrait peut-être désamorcer d'éventuels litiges.
- Etat du droit : jusqu'à présent, seul le salarié (ou ses ayants droit) se voyait notifier la décision de la caisse. Tout au plus, en cas de refus de prise en charge, était-il prévu que le double de cette décision devait être envoyé pour information à l'employeur, ainsi qu'au médecin traitant.
- Ce qui change : à compter du 1er janvier 2010, les décisions de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, de la maladie ou de la rechute devront être notifiées par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception à l'employeur au service duquel se trouvait la victime au moment de l'accident. Il s'agit, en effet, là d'une décision lui faisant grief car emportant des effets sur la cotisation AT-MP, ce qui justifie également que la notification précise les voies et délais de recours (CSS, art. R. 441-14). La même obligation s'impose pour les décisions relatives à l'incapacité permanente (CSS, art. R. 434-32, al. 3). En revanche, lorsque la décision ne fait pas grief à l'employeur (refus de prise en charge au titre de la branche AT-MP), les CPAM peuvent recourir à une notification "allégée", la circulaire évoquant le possible recours à une lettre simple (13).
Au-delà du décret, la circulaire rappelle opportunément les conséquences de ces nouvelles règles de notification sur les actions contentieuses. A compter de la date de notification de la décision lui faisant grief, l'employeur dispose d'un délai de deux mois pour la contester sous peine de forclusion. Une fois ce délai expiré, la décision de reconnaissance est définitive à son égard ; autrement dit, lui sont alors fermées certaines actions en contestation de son taux de cotisation AT-MP... spécialement celles en inopposabilité dont la mise en oeuvre intervenait souvent des années après la décision de reconnaissance de la CPAM (mais une décision dont l'employeur n'était pas à l'époque destinataire). Par le simple effet de ces règles rénovées de notification, c'est tout un pan du contentieux de l'inopposabilité qui devrait s'effondrer.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:369352