La lettre juridique n°362 du 10 septembre 2009 : Environnement

[Questions à...] Antenne relais et principe de précaution - Questions à Sébastien Palmier et Laurent Frölich, avocats, Cabinet Palmier & Associés

Réf. : TGI Créteil, 11 août 2009, n° 09/00658, Syndicat de copropriétaires Tour Antoine & Cléopatre c/ SA Orange France (N° Lexbase : A7629EKR)

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par Anne-Laure Blouet Patin, directrice de la rédaction

le 07 Octobre 2010

Alors que l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement (AFSSET) doit, d'ici à la fin septembre 2009, remettre son rapport sur la téléphonie mobile et, notamment, l'électro-sensibilité, rapport demandé par le Gouvernement à l'occasion de la table ronde "Radiofréquences, santé et environnement" du 23 mai 2009, le tribunal de grande instance de Créteil, statuant en référé, a, le 11 août dernier, interdit à l'opérateur Orange l'installation d'une antenne relais sur un toit d'immeuble à Paris. Si les décisions en matière d'antennes relais foisonnent ces dernier mois (1), cette ordonnance se différencie quelque peu des autres : d'abord, et pour la première fois, c'est la ville de Paris qui est concernée ; ensuite, à la différence des autres cas d'espèce, la demande ne concerne pas une école municipale, mais de simples particuliers ; enfin, et peut-être le plus important, c'est la première fois, également, que le principe de précaution est mentionné dans un jugement opposant des riverains d'antennes relais aux compagnies de téléphonie mobile. Pour faire le point sur ce jugement, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Maître Sébastien Palmier et Maître Laurent Frölich, avocats au sein du Cabinet Palmier & Associés, spécialistes en droit public, et avocats des demandeurs. Lexbase : Pourriez-vous nous faire part des griefs invoqués à l'encontre de l'opérateur de téléphonie mobile dans cette affaire ?

Sébastien Palmier et Laurent Frölich : C'est une affaire qui concerne des particuliers qui contestent l'installation, non encore effectuée, d'une antenne relais sur le toit de l'immeuble qui se trouve à côté du leur, antenne relais qui, si elle avait été érigée, se serait trouvée à 12,5 mètres de leur appartement.

Nous avons donc invoqué le risque pour la santé des requérants au regard du principe de précaution rappelé par l'article L. 110-1 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L2175ANU) (2) en demandant l'interdiction d'édifier cette antenne relais.

Lexbase : Quels sont les éléments novateurs qui ressortent de cette ordonnance ?

Sébastien Palmier et Laurent Frölich : D'abord, le tribunal considère que la société Orange a méconnu tout à la fois le devoir de prudence et le principe de précaution. En réalité, les juges ont constaté l'existence d'un risque, qui ressort de plusieurs études scientifiques, de répercussions des ondes sur l'état de santé des habitants de l'immeuble du fait du nombre de volts par mètre émis : ce risque pouvant se traduire selon les rapports des experts par des maux de tête, des difficultés de sommeil, des nausées voire des cancers.

Ainsi, le tribunal reconnaît l'existence d'un risque au regard du principe de précaution alors que les juridictions ont toujours des réticences à faire application de ce principe que beaucoup considèrent comme un grand principe un peu incantatoire mais que l'on peut difficilement appliquer dans la vie quotidienne. Et là le tribunal accepte d'en faire l'application.

Ensuite, le tribunal considère que le syndicat des copropriétaires a un intérêt à agir pour le compte de l'ensemble des habitants de l'immeuble. En effet, en application de l'article 14 de la loi du 10 juillet 1965 (loi n° 65-557, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, art. 14 N° Lexbase : L4807AHI), le syndicat de copropriétaires a pour objet la conservation de l'immeuble et l'administration des parties communes

Un autre élément innovant de cette ordonnance est que les rares jugements favorables obtenus jusqu'alors concernaient la nécessité d'assurer la protection de populations plus sensibles que d'autres aux ondes émises par les antennes relais, et notamment les enfants, ce qui était le cas dans le cadre de la décision prononcée par le TGI d'Angers du 5 mars 2009. En clair, l'interdiction d'installer une antenne relais était prononcée lorsqu'elle se trouvait à proximité d'une école ce qui n'est pas le cas ici, puisque les plaignants sont des adultes, de simples habitants d'un immeuble à côté duquel la société Orange souhaitait installer son antenne relais.

Il faut également savoir que les niveaux sur la limitation de l'exposition du public aux champs électriques, donc le nombre de volts par mètre en fonction de la fréquence des réseaux, sont plus stricts en Belgique et en Italie qu'en France.

De plus, le rapport du Directeur général de la santé de janvier 2001(3) préconisait la mise en place de périmètre d'exclusion de 100 mètres à l'intérieur desquels certains bâtiments sensibles comme les écoles, les crèches et les hôpitaux ne pouvaient pas être implantés, périmètre d'exclusion qui n'a jamais été intégré dans la réglementation française. Au final, avec cette décision, le juge judiciaire renforce la protection due aux riverains des antennes relais et qui n'a pas encore été accordée par les pouvoirs publics.

Enfin, l'on peut relever, dans cette décision, la sévérité de la condamnation prononcée par le juge des référés puisque la société Orange se voit interdire la construction de l'antenne sous astreinte de 5 000 euros par jour et par infraction constatée.

Pour aller plus loin  : comme nous l'avons évoqué dans nos propos introductifs, la question des antennes relais est l'une des questions récurrentes de ces derniers mois en matière environnementale. Et tout le débat réside dans la question de l'existence d'un risque pour la santé ou non. Alors qu'une étude conduite par l'Afsset en 2005 sur demande du Gouvernement avait conclu à l'absence de risque pour la santé des riverains, le rapport bioinitiative, validé par le Parlement européen en septembre 2008, sur lequel s'appuient de nombreuses associations, montre des conséquences importantes sur la santé des riverains. Celle-ci est toutefois décriée par l'Académie de médecine qui énonce que "d'une part les antennes de téléphonie mobile émettent exclusivement en haute fréquence ; d'autre part, le risque d'exposition aux champs d'extrêmement basses fréquences n'est pas considéré par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) comme démontré". Enfin, bien que très attendue, l'étude internationale baptisée Interphone (4) est toujours en cours de réalisation. Toutes ces données seront prises en compte pour une nouvelle étude qui sera rendue publique par l'Afsset d'ici à la fin du mois de septembre 2009. Ce travail a été commandité en août 2007 par les ministères en charge de l'Ecologie et de la Santé qui souhaitaient mettre à jour un avis de 2005 de l'Afsset sur la téléphonie mobile (5). Pour cette nouvelle expertise, l'Afsset élargit son travail à toutes les applications radiofréquences, comme la radio et la télévision, la téléphonie mobile, ou les nouvelles technologies comme le Wi-Fi, WiMAX et la télévision mobile personnelle. Et, en fin d'année 2009, l'agence complétera le travail sur les champs électromagnétiques en rendant une autre expertise sur les basses fréquences.

Du côté des perspectives législatives et règlementaires, le Parlement européen a adopté, le 2 avril 2009, une résolution sur les préoccupations quant aux effets pour la santé des champs électromagnétiques. La controverse au sein de la communauté scientifique relative aux possibles risques sanitaires dus aux champs électromagnétiques s'est amplifiée depuis le 12 juillet 1999 et la fixation de limites d'exposition du public aux champs électromagnétiques (0 Hz à 300 GHz) par la recommandation 1999/519/CE (transposée en droit national par l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000, relative à la partie législative du Code de l'environnement). La Commission européenne est donc invitée à procéder à la révision de la base scientifique et du bien-fondé des limites fixées pour les champs électromagnétiques dans la recommandation 1999/519/CE et à en faire rapport au Parlement. Parallèlement ou alternativement à cette modification des normes européennes pour les champs électromagnétiques, la Commission devrait élaborer, en coordination avec les experts des Etats membres et les secteurs industriels concernés, un guide des options technologiques disponibles et efficaces dans la réduction de l'exposition aux champs électromagnétiques. Concernant les antennes relais, les députés encouragent les administrations chargées de délivrer les autorisations d'installation des antennes de téléphonie mobile à passer des accords, en coopération avec les opérateurs du secteur, pour le partage des infrastructures, afin d'en réduire le nombre. Les Etats membres et les autorités locales et régionales sont invitées à se doter d'un régime unique pour les autorisations relatives à l'installation d'antennes relais, ainsi qu'à inclure dans leurs plans d'urbanisation un plan régional de répartition des antennes. Enfin, les députés estiment qu'il est dans l'intérêt général de favoriser des solutions reposant sur le dialogue entre acteurs industriels, pouvoirs publics, autorités militaires et associations de riverains quant aux critères d'installation de nouvelles antennes GSM ou de lignes à haute tension. Dans ce contexte, il convient de veiller, au moins, à ce que les écoles, les crèches, les maisons de repos et les établissements de santé soient tenus à une distance donnée de ce type d'équipements, déterminée sur la base de critères scientifiques.

Au niveau national, le projet de loi portant engagement national pour l'environnement, dit "Grenelle II", sur lequel le Parlement devrait se pencher dans les mois à venir, comporte un article relatif aux ondes électromagnétiques. Son article 72 vise à renforcer l'encadrement réglementaire existant, accroître l'information du public et développer la recherche sur les ondes électromagnétiques pour prévenir l'exposition des populations aux ondes électromagnétiques. L'article L. 32-1, II du Code des postes et communications électroniques (N° Lexbase : L2801IBD), qui permet au ministre chargé des Communications électroniques et à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) de prendre des mesures de régulation du secteur des communications électroniques et leur demande, dans le cadre de leurs attributions, de veiller au respect de certains intérêts visant, notamment, au maintien et au développement du service public des communications électroniques ainsi qu'à la protection du consommateur, serait complété afin qu'ils puissent, conjointement avec les ministres chargés de la Santé et de l'Ecologie, veiller, également, à un niveau élevé de protection de l'environnement et de la santé de la population et que cet objectif soit systématiquement pris en compte dans leur mission. De son côté, l'article L. 34-9-1 du Code des postes et des communications électroniques (N° Lexbase : L3811HHM) impose le respect de valeurs limites de champs électromagnétiques émis par les équipements utilisés dans les réseaux de communications électroniques ou par certaines installations lorsque le public y est exposé. Le respect de ces valeurs peut être vérifié sur place par des organismes répondant aux exigences de qualité fixées par décret. Le projet de loi propose de rendre systématique la transmission des résultats de ces mesures à l'Agence nationale des fréquences (ANFr) par ces organismes, afin que celle-ci puisse disposer d'un état des lieux de l'état des champs de radiofréquence le plus complet possible et le rendre public sur le site internet cartoradio.fr.

Au final, force est de constater que le juge judiciaire brave les rapports scientifiques, voire parlementaires (6) dans un objectif de protection de la population. Et la situation s'avère paradoxale : d'un côté l'Etat impose aux opérateurs d'installer des antennes, dans le cadre de leurs obligations légales de couverture du territoire et de qualité de service ; de l'autre, le juge ordonne le démontage des antennes conformes à la réglementation ou annule les décisions d'autorisation de construction.

D'autres affaires du même ordre sont pendantes devant les juridictions qui devraient faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre.


(1) CA Versailles, 14ème ch., 4 février 2009, n° 08/08775, SA Bouygues Télécom c/ Epoux Lagouge époux Gravier, époux Laharotte (N° Lexbase : A9361ECP) ; TGI Carpentras, 16 février 2009, n° RG 08/00707, Monsieur Gilbert Boutin, Madame Huguette Boutin c/ Société SFR Cegetel (N° Lexbase : A6793EDX) ; TGI Angers, 5 mars 2009, n° RG 08/00765, Madame Madeleine Girardeau épouse Cassegrain et autres c/ SA Orange France, SAS Spis Ouest Centre (N° Lexbase : A0737EEZ). Pour aller plus loin, lire également, Réseaux de téléphonie mobile et préservation de la santé, à l'orée des lois "Grenelle 1 et 2" - Questions à Marie-Laetitia de La Ville-Baugé, collaboratrice au sein du cabinet Baker & McKenzie, Lexbase Hebdo n° 105 du 2 avril 2009 - édition publique (N° Lexbase : N9952BIG).
(2) Le principe de précaution a été codifié en droit français par l'ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000, relative à la partie législative du Code de l'environnement (N° Lexbase : L8585AIS).
(3) Les Téléphones mobiles, leurs stations de base et la santé : état des connaissances et des recommandations, Denis Zmirou, Janvier 2001, La Documentation française.
(4) L'étude épidémiologique internationale "Interphone" vise à déterminer si l'utilisation de téléphones mobiles accroît le risque de cancer et si les champs électromagnétiques de radiofréquences émis par les téléphones mobiles sont cancérogènes. Elle est coordonnée par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) et a été initiée en 1999. Cette étude rassemble une série d'études cas-témoins réalisées avec un protocole central commun par 13 pays : Allemagne, Australie, Canada, Danemark, Finlande, France, Israël, Japon, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni et Suède. La publication des résultats est réalisée par chaque pays au fur et à mesure de la finalisation des études. Les résultats partiels actuellement disponibles, analysés par le CIRC, ne permettent pas encore de conclure sur le lien entre l'utilisation du téléphone mobile et le risque de cancer, notamment en raison de la difficulté de l'analyse de certains biais. Il est nécessaire de disposer de la consolidation de l'ensemble de ces études et d'atteindre une puissance statistique suffisante pour apporter une analyse objective des résultats. La publication des conclusions globales de cette étude est attendue courant 2009.
(5) Rapport Afsset, 2005.
(6) Le rapport remis le 9 juillet 2009 par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire souligne le fait que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles, le 4 février 2009, condamnant un opérateur à démonter une antenne relais, est en contradiction avec la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE 7 s-s., 22 août 2002, n° 245622, SFR N° Lexbase : A3013AZM). L'opérateur concerné s'est, d'ailleurs, pourvu en cassation. Et, les rapporteurs de souligner, à la lecture des avis des pouvoirs publics et des autorités sanitaires internationales et nationales, que la décision divergente de la cour d'appel de Versailles peut paraître surprenante. A cet égard, ils rappellent la conclusion de la Table ronde gouvernementale "Radiofréquences, santé, environnement", du 25 mai 2009 : "l'expertise internationale est à ce jour convergente sur la question des antennes et conclut, qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques, et compte tenu des faibles niveaux d'exposition autour de ces installations [...], l'hypothèse d'un risque pour la santé des populations vivant à proximité des antennes relais de téléphonie mobile ne peut être retenue".

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