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N0008BLU
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Par un arrêt rendu 25 juin 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation concluait en ces termes : "les juges du fond ne peuvent exiger une preuve scientifique certaine de l'imputabilité d'une affectation à un produit de santé quand le rôle causal peut résulter de simples présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes". Autrement dit, les juges du fond ne peuvent pas se contenter de considérations dogmatiques pour rejeter les prétentions du demandeur et doivent, au contraire, déterminer si un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes existe et permettrait d'établir l'imputabilité du dommage au produit injecté, ainsi que la défectuosité intrinsèque de celui-ci.
Et, pour la première fois, s'agissant de l'imputabilité de la sclérose en plaque à la vaccination anti-hépatite B, la même formation concluait, le 9 juillet 2009, dans un arrêt sur lequel revient, cette semaine, Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de notre encyclopédie de Droit médical, que, "si les études scientifiques versées aux débats [...] n'ont pas permis de mettre en évidence une augmentation statistiquement significative du risque relatif de sclérose en plaque ou de démyélinisation après vaccination contre l'hépatite B, elles n'excluent pas, pour autant, un lien possible entre cette vaccination et la survenance d'une démyélinisation de type sclérose en plaque ; [...] ayant, ensuite, relevé que les premières manifestations de la sclérose en plaque avaient eu lieu moins de deux mois après la dernière injection du produit ; que ni Mme X ni aucun membre de sa famille n'avaient souffert d'antécédents neurologiques, et que dès lors aucune autre cause ne pouvait expliquer cette maladie, dont le lien avec la vaccination relevait de l'évidence selon le médecin traitant de Mme X, la cour d'appel, qui a souverainement estimé que ces faits constituaient des présomptions graves, précises et concordantes, a pu en déduire un lien causal entre la vaccination de Mme X, et le préjudice subi par elle". Ce faisant, la Haute juridiction prenait, ainsi, l'exact contre-pied d'un arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 19 juin 2009.
Ainsi, par ces deux arrêts fruits de la réflexion des juges de cassation, est consacrée la médecine empirique et, plus particulièrement, la logique inductive, face à la science déductive aristotélicienne. CQFD !
Tout d'abord, à proprement parler, il n'existe pas de "sciences exactes", à l'exception des mathématiques pures et de la physique théorique. Thom et Vuillemin démontreront, ainsi, que l'on ne peut pas vérifier la vérité absolue d'un modèle scientifique ; cette vérité dépendant du fait que l'on trouve, ou non, a posteriori, un résultat incompatible avec le modèle proposé. Autrement dit, pour probable que soit un modèle, on ne pourra jamais être certain qu'il soit effectivement et absolument le bon. Et, les juges de la cassation de rappeler qu'il est chimérique d'exiger une preuve scientifique certaine de l'imputabilité d'une affectation à un produit de santé !
Ensuite, si l'empirisme fait de l'expérience sensible l'origine de toute connaissance, c'est à sa branche inductive que les juges suprêmes font appel afin de déterminer la réalité d'une défectuosité d'un produit de santé. Suivant les traces d'Hume et de Mill, la Cour de cassation accepte la généralisation vers une loi naturelle, à partir des données particulières de l'expérience, faisant de la probabilité le facteur clé du lien de causalité en la matière. Or, en matière juridique, la probabilité relève de présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir l'existence même de ce lien.
Enfin, enfonçant le clou, les juges de la Cour de cassation rejettent le principe déductif d'Aristote, en écartant, clairement, l'argument d'autorité scientifique selon lequel, aucune étude fondée sur l'habitude, c'est-à-dire la répétition de l'expérience, ne permettant d'établir, ou simplement, de dégager un lien de causalité universel, le vaccin en cause ne peut être considéré comme défectueux. Il ne suffit pas de partir d'une hypothèse théorique vérifiée par une expérience (l'absence de pathologie liée à l'inoculation du vaccin), pour en déduire une loi universelle, et plus singulièrement, en l'espèce, l'absence d'un lien de causalité universel.
"Nous estimons posséder la science d'une chose d'une manière absolue, quand nous croyons que nous connaissons la cause par laquelle la chose est, que nous savons que cette cause est celle de la chose, et qu'en outre il n'est pas possible que la chose soit autre qu'elle n'est" écrivait Aristote. Or, pour les juges suprêmes, cette assertion ne permet pas d'écarter tout lien de causalité. Un malade peut partir de l'expérience selon laquelle, peu de temps après l'inoculation du vaccin la pathologie est apparue, d'une part, et selon laquelle il n'y aurait aucune raison autre que la défectuosité du vaccin, d'autre part, pour démontrer la probabilité d'un lien de causalité entre la pathologie et l'inoculation du vaccin. En effet, c'est de la probabilité/présomption que naît le principe scientifique et non l'inverse. A lire Bacon, c'est l'expérience qui enrichit le savoir et non l'inverse ; si bien que le principe d'incertitude scientifique ne peut pas, non plus, exclure d'office la réalité scientifique issue de l'expérience et, plus particulièrement, celles présagées par des présomptions graves, précises et concordantes.
Toute la question est, donc, de déterminer si le lien de causalité repose sur l'habitude du phénomène, en dehors de toute loi universelle et nécessaire. L'associationnisme, cher à Hume, faisant le reste... Il est bien évident que, n'en déplaise à Bernard et à Popper, il est hors de question de dégager, en matière de pathologie médicale, des hypothèses qu'il conviendrait de vérifier.
Ainsi, par cette décision du 9 juillet 2009, les magistrats acceptent, enfin, que la logique inductive supplante l'état des connaissances de la science, à l'image de la théorie de la gravitation universelle de Newton, fruit de l'empirisme, toujours utilisée dans les cas les plus communs, alors que l'on sait, depuis Einstein et la théorie de la relativité, qu'elle n'est pas absolue, c'est-à-dire qu'elle n'est pas certaine en toutes circonstances.
Mais, gardons nous de présenter les magistrats comme des adeptes du scepticisme terreau de l'empirisme médical. Dans la construction de la jurisprudence française, le raisonnement expérimental s'allie parfaitement avec le rationnel des principes généraux. L'un se nourrit de l'autre et réciproquement. Et, chacun sait que "l'état des connaissances médicales" demeure, pour une large partie, la clé de voûte de la responsabilité médicale. Où l'autorité des Anciens n'est pas totalement écartée de la réflexion judiciaire...
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