La lettre juridique n°359 du 16 juillet 2009 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Pour qu'il y ait des grands-parents, il faut des parents...

Réf. : Cass. civ. 1, 8 juillet 2009, n° 08-20.153, M. X, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7497EII)

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu le 8 juillet 2009 par la première chambre civile de la Cour de cassation apporte à une question particulièrement délicate une réponse sans doute humainement difficile à vivre pour les grands-parents mais qui n'en est pas moins juridiquement incontestable au moins en l'état du droit positif. Cette décision a, d'ailleurs, provoqué une déclaration de Madame Morano, ministre de la Famille, selon laquelle les dispositions relatives à l'accouchement sous X pourraient être assouplies. Elle propose, notamment, d'encadrer l'anonymat de la mère, en le limitant dans le temps, jusqu'à la majorité de l'enfant. En l'espèce, une femme, décédée par la suite, avait accouché sous X d'un enfant qui avait été remis au service de l'aide sociale à l'enfance en vue de son adoption. Après son immatriculation comme pupille de l'Etat et son placement en vue de son adoption, il a fait l'objet d'une procédure d'adoption plénière à laquelle les parents de sa mère biologique ont tenté de s'opposer, au moyen d'une intervention volontaire. La cour d'appel de Paris dans un arrêt du 10 avril 2008 (1) avait logiquement déclaré cette intervention irrecevable faute de qualité pour agir, dès lors que le lien de filiation unissant prétendument l'enfant à la femme accouchée n'était pas établi, de même par conséquent que le lien allégué entre l'enfant et les intervenants, et qu'il ne pouvait pas l'être puisque la femme avait souhaité que soit préservé le secret sur son identité en vertu de l'article 326 du Code civil (N° Lexbase : L8828G9T). Dans leur pourvoi, les grands-parents biologiques ont invoqué la suppression, par la loi du 16 janvier 2009 (loi n° 2009-61 N° Lexbase : L5763ICG), ratifiant l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, relative à la filiation (N° Lexbase : L8392G9P), de la fin de non-recevoir à l'action en recherche de maternité découlant de l'accouchement sous X. Cet argument n'a pas suffi à la Cour de cassation qui confirme la solution de la cour d'appel, sans doute parce qu'en réalité, c'est moins l'accouchement sous X de la mère (I), que l'absence même d'établissement de la filiation maternelle qui justifie la solution (II).

I - L'indifférence de la suppression de la fin de non recevoir tenant à l'accouchement sous X

L'impossibilité d'établir la filiation maternelle avant 2009. La cour d'appel de Paris avait fondé sa décision sur l'absence de lien de parenté entre les intervenants et l'enfant et sur l'impossibilité d'établir ce lien en raison de l'accouchement de la mère dans l'anonymat. Avant la loi du 16 janvier 2009 (2), en effet, l'accouchement sous X constituait une fin de non recevoir à l'établissement de la filiation maternelle dans les rares hypothèses dans lesquelles l'enfant parvenait à connaître l'identité de sa mère et ne bénéficiait pas d'une autre filiation, adoptive.

Possibilité d'établir la filiation maternelle après 2009. Il était assez logique que les demandeurs au pourvoi tente d'utiliser à leur profit la suppression -sans doute regrettable au demeurant- de cette fin de non-recevoir par le législateur à l'occasion de la ratification de l'ordonnance du 4 juillet 2005, portant réforme de la filiation. Ils affirmaient, non sans raison, que "le prononcé de l'adoption plénière faisant obstacle au droit [de l'enfant] de voir établir sa filiation maternelle, et, en conséquence, son lien de parenté avec ses grands-parents, est contraire à son intérêt, de sorte que la cour d'appel a violé l'article 353 du Code civil (N° Lexbase : L2869ABU)". Si l'argument ne manque pas de pertinence, il contient tout de même en germe le risque de bloquer des adoptions au motif que l'enfant pourrait se voir reconnu par sa mère. On sait, en effet, et la Cour européenne l'a elle-même affirmé dans l'arrêt "Kearns c/ France" (3), à propos de l'accouchement sous X, qu'il est de l'intérêt de l'enfant abandonné d'être intégré dans sa famille de substitution le plus tôt possible.

L'effacement de l'argument fondé sur l'accouchement sous X. La Cour de cassation approuve la décision de la cour d'appel tout en précisant que la modification, par la loi n° 2009-61 du 16 janvier 2009, de l'article 326 du Code civil n'est pas susceptible de modifier la situation qu'elle devait trancher. Elle affirme très nettement "qu'en l'absence de filiation établie entre leur fille et C., les époux X n'avaient pas qualité pour intervenir à l'instance en adoption". Comme Pierre Murat l'avait déjà constaté avec beaucoup de justesse dans son commentaire de l'arrêt de la cour d'appel de Paris, "l'argument essentiel avancé par la cour -à savoir l'accouchement anonyme- apparaît bien fragile ou à tout le moins secondaire" (4). La Cour de cassation détache la solution du contexte de l'accouchement sous X pour la fonder uniquement sur l'absence de filiation entre la mère et l'enfant qui en réalité, exclut tout lien entre l'enfant et ses grands-parents.

II - L'exclusion des grands-parents par l'absence d'établissement de la filiation

Les grands-parents exclus de l'établissement de la filiation de l'enfant. Si la filiation inscrit l'enfant dans une parenté plus large que celle qui l'unit à ses parents, cette parenté est totalement subordonnée à l'établissement de la filiation d'origine. Les liens d'un enfant avec ses grands-parents ne sont qu'une conséquence de l'existence d'une filiation entre l'enfant et son père ou sa mère et n'ont pas d'existence propre. Les droits reconnus aux grands-parents ne bénéficient qu'à ceux qui jouissent de ce statut par l'établissement de la filiation de l'enfant. Ce sont donc des parents de l'enfant dont dépend l'existence juridique de liens entre ce dernier et les grands-parents. Si, comme en l'espèce, le parent refuse d'établir la filiation de l'enfant à son égard, les grands-parents n'en sont pas et ne disposent d'aucune action pour passer outre cette décision de leur propre enfant. En dehors d'une reconnaissance volontaire du parent, en effet, l'établissement de la filiation est réservé à l'enfant et les grands-parents n'ont pas qualité pour agir. La seule action qui leur est ouverte est l'action en constatation de la possession d'état de l'article 330 (N° Lexbase : L5801ICT) qui est exclue dans l'hypothèse d'un accouchement anonyme de la mère. L'argument avancé par les requérants, sans doute inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, selon lequel une possession d'état de "grands-parents" aurait pu exister si elle n'avait été rendue impossible par des circonstances exceptionnelles, était vain puisque seule une possession d'état de l'enfant à l'égard de sa mère aurait pu permettre l'établissement de la filiation.

Voie de recours. L'appel du jugement d'adoption étant réservé aux parties et aux personnes à qui la décision aura été notifiée, dont par hypothèse les grands-parents biologiques ne feront pas partie, il reste la voie de la tierce-opposition aux parents de la mère biologique, considérés comme tiers à la procédure. Toutefois, la voie est extrêmement étroite puisque le prononcé de l'adoption ne peut être contesté par le biais de la tierce-opposition que lorsque les adoptants se seraient rendus coupables d'une fraude ou d'un dol (5). Il a, ainsi, été jugé que le père biologique de l'enfant, dont la paternité n'est pas établie, qui n'est que tiers à la procédure doit se soumettre aux conditions de l'article 353-2 du Code civil (N° Lexbase : L2871ABX).

L'absence de lien juridique. La Cour de cassation considère que, privés par leur fille de la qualité de grands-parents, les demandeurs au pourvoi ne peuvent intervenir dans la procédure d'adoption de l'enfant. Ce n'est pas tant le lien suffisant entre l'intervention et les prétentions des parties exigé par l'article 325 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1992H4K) qui fait défaut, mais l'absence d'intérêt juridique des grands-parents pour agir dans le cadre de la filiation de l'enfant. La question de l'intervention d'un parent biologique pour empêcher l'adoption de son enfant fait cependant l'objet d'une analyse différente de la Convention européenne des droits de l'Homme. Celle-ci considère, en effet, que même en l'absence de lien juridique, la vie familiale qui existe ou qui aurait potentiellement pu exister entre le parent et son enfant, est atteinte de manière excessive lorsque le parent biologique ne peut intervenir dans la procédure d'adoption de son propre enfant (6). Même s'il n'est pas certain que la Cour de Strasbourg adopte la même solution pour les grands-parents, l'argument de l'absence de lien juridique avec l'enfant ne paraît pas totalement déterminant.

L'absence de droits des grands-parents sur la filiation de l'enfant. Moins que le défaut de lien de filiation entre l'enfant et sa mère, et donc l'absence de lien de parenté avec les parents de cette dernière, c'est l'absence de droits des grands-parents sur la filiation de l'enfant qui exclut leur intervention dans la procédure d'adoption. Le défaut de qualité pour agir avancé par la Cour de cassation est, en réalité, fondé sur le monopole des parents relatif à la décision de "donner" leur enfant en adoption sans que les grands-parents n'aient leur mot à dire. Même si la filiation avait été établie, le consentement de la mère à l'adoption de son enfant aurait été opposable aux grands-parents, comme l'est a fortiori l'abandon de l'enfant par sa mère dans le cadre de l'accouchement sous X. Le législateur a, cependant, introduit en 1996 (7) une exception à cette règle en interdisant l'adoption plénière de l'enfant du conjoint lorsque l'autre parent que le conjoint est décédé et qu'il laisse des ascendants au premier degré qui ne se sont manifestement pas désintéressés de l'enfant (8). Cette disposition permet justement d'éviter qu'un parent rompt les liens entre l'enfant et ses grands-parents ; elle est toutefois limitée à une hypothèse très particulière, dans laquelle le consentement à l'adoption n'est pas donné par le fils ou la fille des grands-parents mais par l'autre parent.

Intervention dans le processus antérieur d'adoption. A toutes fins utiles, la Cour de cassation précise qu'il s'agissait en l'espèce, ni d'une contestation de l'immatriculation de l'enfant comme pupille de l'Etat, ni d'une contestation de son placement en vue de l'adoption. Cette dernière décision n'aurait de toute façon pas pu être contestée par les grands-parents biologiques puisqu'un recours contre une telle décision est réservé au tuteur, subrogé tuteur et membre du conseil de famille dont les grands-parents biologiques ne faisaient, par hypothèse, pas partie (9). Le recours contre la décision d'immatriculation de l'enfant comme pupille de l'Etat est, en revanche, plus largement ouvert par l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5365DKW) à "toute personne justifiant d'un lien avec [l'enfant], notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait, et qui demandent à en assumer la charge" (10). La jurisprudence semble, cependant, faire une interprétation restrictive de cette exigence considérant, dans une hypothèse où cette admission est contestée par les grands-parents, que les juges du fond apprécient souverainement l'intérêt de l'enfant d'être admis ou non en qualité de pupille de l'Etat ou que la mère et la soeur du concubin de la mère -la mère et son concubin étant décédés- n'étaient pas titulaires du recours contre l'arrêté d'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'Etat, dès lors qu'il n'existait pas de possession d'état de l'enfant à l'égard de leur fils et frère (11).

Volonté de la mère. Si l'accouchement sous X n'est pas, en soi, un obstacle dirimant à l'intervention des grands parents dans la procédure d'adoption, il contribue, de fait, à rendre celle-ci très difficile. Il va, tout d'abord, faire perdre aux grands-parents un temps précieux, compte tenu des délais de recours, pour s'opposer au processus d'adoption. L'absence de lien juridique entre l'enfant et la famille de sa mère va ensuite aboutir à l'exclusion des grands-parents du processus d'adoption dont ils ne seront même pas informés et n'auront pas à l'être. Ils ne seront, par hypothèse, pas en mesure de participer à la prise en charge de l'enfant ni en droit ni en fait et par conséquent n'auront pas de titre pour demander qu'il leur soit confié. Même si cette solution paraît sévère pour des grands-parents, en particulier lorsque leur fille est décédée, elle correspond à la volonté de cette dernière qui n'aurait sans doute pas accouché dans l'anonymat et abandonné son enfant si elle avait voulu que celui-ci soit confié à ses parents...


(1) CA Paris, 1ère ch., sect. C, 10 avril 2008, n° 07/11288 (N° Lexbase : A1216D8K), Dr. fam., 2008, comm. n° 102, obs. P. Murat.
(2) Nos obs., La ratification de l'ordonnance relative à la filiation : une réforme de la réforme..., Lexbase Hebdo n° 334 du 22 janvier 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N3634BIG).
(3) CEDH, 10 janvier 2008, Req. 35991/04, Kearns c/ France (N° Lexbase : A2492D3P), et nos obs., Le consentement de la femme qui accouche sous X doit être libre et éclairé, Lexbase Hebdo n° 297 du 20 mars 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4397BEL), Dr. fam. 2008, Etude n°14, nos obs..
(4) Comm. préc..
(5) C. civ., art. 353-2 (N° Lexbase : L2871ABX).
(6) CEDH, 26 mai 1994, Req. 16/1993/411/490, Keegan c/ Irlande (N° Lexbase : A6623AW9), E. Sudre (dir.), Les grands arrêts de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF, 5ème éd., p. 526.
(7) Loi n° 96-604 du 5 juillet 1996, relative à l'adoption (N° Lexbase : L1121G8Z).
(8) C. civ., art. 345-1 (N° Lexbase : L2854ABC).
(9) C. pr. civ., art. 1222 (N° Lexbase : L4093ICL) applicable en vertu de l'article L. 224-3 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5358DKN) au Conseil de famille des pupilles de l'Etat.
(10) Dans le délai de trente jours suivant la date de l'arrêté du président du conseil général devant le tribunal de grande instance.
(11) Cass. civ. 1, 25 juin 2002, n° 00-21.712, Mme Marie-Cécile Pujo, épouse Roche c/ M. Guy Duluc, F-D (N° Lexbase : A0102AZS).

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