Réf. : Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-44.482, Mme Marie-Jeanne Tréboscen, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5748EIQ)
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par Sébastien Tournaux, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Si, par application de l'article L. 1152-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0730H9W), l'employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge d'ordonner la modification ou la rupture du contrat de travail du salarié auquel sont imputés de tels agissements, à la demande d'autres salariés, tiers à ce contrat. |
Commentaire
I - Précisions relatives aux sanctions du harcèlement moral
Si le concept de harcèlement moral n'a été que tardivement introduit dans notre droit du travail (2), le retard a été très rapidement rattrapé tant les plaideurs se sont très vite appropriés cet outil, donnant ainsi de multiples occasions aux juges du fond et à la Cour de cassation d'en modeler les contours.
L'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P) dispose qu'"aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel". Sous l'oeil désormais attentif de la Chambre sociale de la Cour de cassation (3), les juges du fond ont pour mission d'identifier si les situations qui leur sont soumises relèvent, ou non, du harcèlement. Lorsque les faits de harcèlement sont avérés, diverses conséquences directes ou indirectes peuvent intervenir.
S'agissant des conséquences directes, elles sont, pour l'essentiel, déterminées par le Code du travail lui-même. Ainsi, la combinaison des articles L. 1152-1 et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T) permet au juge d'annuler toute mesure, disposition ou acte intervenus à la suite d'un harcèlement moral. Le cas le plus fréquent est, bien entendu, celui de la nullité du licenciement prononcé dans le cadre d'un harcèlement moral (4) même si, en réalité, toute mesure semble pouvoir être annulée. Rappelons, enfin, que le harcèlement moral constitue un délit sanctionné par le Code pénal (5).
S'agissant des conséquences indirectes, la Cour de cassation a développé un panel de mesures qui peuvent également venir sanctionner un employeur auteur de harcèlement. La Cour accepte, bien entendu, que le salarié harcelé prenne acte de la rupture de son contrat de travail (6). A cela s'ajoute le fait que les juges du fond indemnisent toujours le préjudice moral subi par le salarié (7). Si la qualification d'accident du travail n'a jamais été retenue directement face à des faits de harcèlement moral, la Cour de cassation retient, en revanche, qu'une tentative de suicide dont la cause réside dans une situation de harcèlement peut être qualifiée d'accident du travail (8).
Même si la majorité des mesures prises touchent l'employeur, il n'est parfois pas le seul à être mis en cause dans le cas d'un harcèlement. Cela est notamment le cas lorsque les faits de harcèlement ne sont pas personnellement imputables à l'employeur mais à l'un de ses subordonnés. C'est ce que l'on dénomme généralement un harcèlement moral entre salariés.
Dans cette hypothèse, l'employeur demeure, bien entendu, responsable au titre des mesures qui viennent d'être énoncées (9). Mais le salarié coupable devra lui aussi subir les conséquences de ces actes via la mise en oeuvre du pouvoir disciplinaire de l'employeur, puisque l'article L. 1152-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0732H9Y) dispose que "tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire". Cette formule n'est pas impérative et l'employeur demeure seul à juger si ce salarié doit être sanctionné. C'est précisément cette limite qui ne convenait pas aux deux salariées harcelées dans l'affaire commentée.
Deux salariées d'une association subissaient des faits de harcèlement moral de la part de la directrice de leur établissement. Elles saisirent le conseil de prud'hommes, par la voie du référé au fond (10) de l'article L. 2313-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2550H9C), afin d'obtenir réparation du préjudice qu'elles avaient subi, mais, également, d'obtenir que la directrice soit "écartée de ses fonctions".
La cour d'appel les débouta sur cette dernière demande en arguant qu'en cas de harcèlement moral imputable à un salarié de l'entreprise, c'est à l'employeur et non au juge de prendre les mesures nécessaires pour prévenir ou faire cesser le harcèlement. Ce raisonnement est confirmé par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui juge que, "si, par application de l'article L. 1152-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0730H9W), l'employeur doit prendre toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge d'ordonner la modification ou la rupture du contrat de travail du salarié auquel sont imputés de tels agissements, à la demande d'autres salariés, tiers à ce contrat", ce qui manifestement aurait été le cas si les juges du fond avaient décidé d'écarter la directrice de ses fonctions.
II - Limitation du pouvoir de sanction du juge... et de la portée de la procédure de référé au fond
Cette solution pose une limite aux pouvoirs du juge en matière de sanction du harcèlement moral et s'inscrit donc dans le mouvement entamé il y a quelques mois par la Cour de cassation d'encadrement des pouvoirs des juges du fond en matière de harcèlement moral. Pour poser cette limite, la Cour de cassation semble opérer une conciliation entre différentes logiques.
Il y a d'abord les règles relatives au harcèlement moral aux termes desquelles c'est à l'employeur et à lui seul de prendre "toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral" (11). Il serait certes possible de gloser sur le sens du verbe "prévenir", qui relève bien plus du prophylactique que du curatif. Pour autant, la demande des salariées visant à écarter la directrice de ses fonctions n'était-elle pas destinée à prévenir tout renouvellement d'un quelconque harcèlement ? Dans ces conditions, la mutation ou l'évincement de la directrice peut encore être considérée comme une mesure préventive et, ainsi, relever du pouvoir de l'employeur.
A ce raisonnement s'ajoute celui insidieusement instillé par la Chambre sociale lorsqu'elle rappelle que les salariées harcelées sont tierces au contrat de travail de la directrice. Même si le principe de l'effet relatif des conventions est loin d'être un principe absolu, même si le droit du travail est un domaine de prédilection de recul de ce principe (12), il n'en demeure pas moins qu'il paraît tout à fait logique qu'un tiers ne puisse obtenir la modification ou la résiliation d'un contrat.
Ces deux arguments sont, aux yeux de la Cour de cassation, suffisamment convaincants pour écarter les effets d'un autre texte qui avait été mis en jeu par les salariées harcelées, celui de l'article L. 2313-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2550H9C). Rappelons que ce texte, qui fonde la procédure de référé au fond en vue de protéger la santé ou les libertés d'un salarié, permet au juge prud'homal, en cas de carence de l'employeur, d'"ordonner toutes mesures propres à faire cesser" l'atteinte aux droits des personnes, à la santé des salariés, à ses libertés individuelles dans l'entreprise. La formule pouvait paraître suffisamment vaste pour autoriser le juge à modifier ou résilier le contrat de travail d'un salarié qui, par son attitude, porte atteinte aux droits et libertés protégés.
Si le rôle de l'employeur imposé par le Code du travail en matière de harcèlement et, surtout, le principe de l'effet relatif des conventions sont bien des arguments de poids, on peut tout de même regretter qu'il ne soit pas donné plus de portée à ce formidable outil que constitue le référé au fond et les pouvoirs du bureau de jugement qui en découlent. La Cour refuse ainsi, comme elle l'a toujours fait, de s'immiscer directement dans la gestion de l'entreprise. Mais, ce faisant, elle laisse planer le risque que des situations de harcèlement ne soient jamais remis en cause.
En effet, sur le plan de l'opportunité, cette solution se place sous le signe de l'optimisme : le refus de permettre au juge d'imposer une modification ou une rupture du contrat de travail du salarié auteur de harcèlement postule que l'employeur a les moyens de ménager la chèvre et le chou, c'est-à-dire de conserver une directrice d'association s'il le juge utile tout en s'assurant que les faits de harcèlement ne se reproduisent plus.
Mais cet optimisme est-il suffisamment raisonné ? On peut, en effet, se demander ce qu'il adviendra si la directrice ne cesse pas de harceler le personnel de l'association. Certes, l'employeur pourra toujours être sanctionné par les différentes mesures déjà présentées. Mais dans les faits, le harcèlement n'aura pas cessé et pourra, potentiellement, ne jamais s'arrêter puisque le juge n'aura jamais le pouvoir de forcer la main de l'employeur.
Décision
Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-44.482, Mme Marie-Jeanne Tréboscen, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5748EIQ) Rejet, CA Orléans, ch. soc., 10 juillet 2007 Textes cités : C. trav., art. L. 1152-4 (N° Lexbase : L0730H9W) Lien base : |
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