La lettre juridique n°357 du 2 juillet 2009 : Bancaire

[Jurisprudence] Point de départ du délai de prescription de l'action en nullité de la stipulation d'intérêt conventionnel contenue dans un contrat de prêt... octroyé à un consommateur ou à un non professionnel !

Réf. : Cass. civ. 1, 11 juin 2009, n° 08-11.755, Mme Annie Bègue, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0514EIU)

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[Jurisprudence] Point de départ du délai de prescription de l'action en nullité de la stipulation d'intérêt conventionnel contenue dans un contrat de prêt... octroyé à un consommateur ou à un non professionnel !. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211858-jurisprudencepointdedepartdudelaideprescriptiondelactionennullitedelastipulationdinte
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale

le 07 Octobre 2010

En cas d'octroi d'un crédit à un consommateur ou à un non professionnel, la prescription de l'action en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel, engagée par celui-ci en raison d'une erreur affectant le taux effectif global, court, de même que l'exception de nullité d'une telle stipulation contenue dans un acte de prêt ayant reçu un commencement d'exécution, à compter du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître cette erreur. Ainsi le point de départ de la prescription est la date de la convention lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'erreur, ou lorsque tel n'est pas le cas, la date de la révélation de celle-ci à l'emprunteur. Telle est la solution énoncée par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 11 juin 2009 soumis à une publication maximale (FS-P+B+R+I), rendu au visa des articles 1304 (N° Lexbase : L8527HWQ) et 1907 (N° Lexbase : L2132ABL) du Code civil, ensemble l'article L. 313-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L1518HI3).

En l'espèce, suivant deux actes sous seings privés des 25 mars 1996 et 2 décembre 1996, un établissement de crédit a consenti à deux époux deux prêts. Le mari, ayant ensuite été placé en redressement puis en liquidation judiciaires, la banque a assigné l'épouse, par acte du 16 juillet 2004, en remboursement de ces prêts. Pour faire droit à cette demande et rejeter l'exception de nullité du taux d'intérêt des prêts litigieux, soulevée par l'emprunteuse, la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion a retenu que la prescription était acquise, l'action en nullité n'ayant pas été intentée dans le délai de cinq ans à compter des actes et a considèré que l'épouse, qui a signé ceux-ci, ne pouvait arguer, sans du reste en établir la date exacte, avoir découvert tardivement les erreurs.

La Cour régulatrice censure la décision des juges du fond estimant que ceux-ci avaient violé les articles au visa duquel son arrêt est rendu.

Les articles 1907 du Code civil et L. 313-2 du Code de la consommation imposent que le taux conventionnel, pour le premier, le taux effectif global, pour le second, soient déterminés par écrit. Aucun texte ne consacre de façon générale la sanction du non-respect de cette obligation, seuls les articles L. 311-33 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6726ABQ), pour les prêts à la consommation, et L. 312-33 du même code (N° Lexbase : L6763AB4), pour les prêts immobiliers, prévoyant la déchéance du droit aux intérêts. La jurisprudence a, dès lors, comblé cette lacune en appliquant une solution claire dans ce domaine : que le taux conventionnel n'ait pas été mentionné par écrit ou qu'il soit simplement erroné, la sanction est la nullité de ce taux auquel est substitué le taux légal (cf., par exemple, Cass. com., 15 octobre 1996, n° 94-14.938, M. Moggia et autres N° Lexbase : A1422ABB ; pour une mention erronée, cf., not., Cass. com., 10 juin 2008, n° 06-19.452, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0335D9B). Le taux d'intérêt erroné sera, le plus souvent, la résultante de l'absence de prise en compte par le prêteur d'éléments jugés comme devant être intégrés dans le calcul du TEG. A titre d'exemple, la souscription de parts sociales auprès de l'organisme qui subventionne le contrat étant imposée comme condition d'octroi du prêt et les frais ainsi rendus obligatoires afférents à cette adhésion ayant un lien direct avec le prêt souscrit doivent être pris en compte pour la détermination du TEG, de même que les frais d'assurance-incendie, laquelle était, également, exigée par le prêteur (Cass. civ. 1, 23 novembre 2004, n° 02-13.206, F-P+B N° Lexbase : A0245DES). En revanche, les charges liées aux garanties dont le crédit est assorti ainsi que les honoraires d'officiers ministériels, qui ne sont pas déterminables à la date de l'acte de prêt, ne sont pas compris dans le taux effectif global (Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 05-19.853, F-P+B N° Lexbase : A9386DWK) et a contrario, si à la date de l'acte, les frais de notaire et d'inscription hypothécaire sont déterminables, ils entrent dans le calcul du TEG (Cass. civ. 1, 30 mars 2005, n° 02-11.171, FS-P+B N° Lexbase : A4441DHX). Dernièrement, le Cour de cassation a même jugé qu'il incombe à la banque, qui a subordonné l'octroi du crédit à la souscription d'une assurance, de s'informer auprès du souscripteur du coût de celle-ci, avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entrait impérativement (Cass. civ. 1, 13 novembre 2008, n° 07-17.737, F-P+B N° Lexbase : A2325EBQ).

Certains, à qui la sanction de la nullité de la stipulation d'intérêt peut apparaître relativement sévère, notamment lorsque l'irrégularité affectant le TEG est minime, lui préfèreraient la mise en jeu de la responsabilité civile du banquier qui permettrait de "combiner sanction du manquement et réparation du préjudice" (cf., sur ce point, A. Gourio et N. Aynès, JCP éd. E, 2008, n° 2221, note sous Cass. com., deux arrêts, 10 juin 2008, n° 06-19.905, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0336D9C et n° 06-19.452, préc.,). Soit, mais la Cour de cassation n'entend pas cette critique et s'en tient à sa jurisprudence traditionnelle, en témoigne d'ailleurs l'arrêt commenté. Elle considère que la mention écrite du taux d'intérêt légal est une règle de formalisme ayant pour objet de protéger l'emprunteur. Il s'agit, dès lors, d'une nullité relative qui se prescrit par cinq ans en application de l'article 1304 du Code civil. On rappellera, à ce niveau, que depuis la loi du 17 juin 2008 de réforme de la prescription civile (loi n° 2008-561, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I, et les obs. d'E. Vergès, Le temps de l'action en justice : présentation de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N6679BGH), la nature de la nullité ne joue plus sur le délai de prescription puisque relative ou absolue, elles se prescrivent toutes par cinq ans.

Cette prescription court, selon l'arrêt rapporté, du moment où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître cette erreur, c'est-à-dire la date de la convention lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'erreur, ou lorsque tel n'est pas le cas, la date de la révélation de celle-ci à l'emprunteur. En d'autres termes, la première chambre civile opère une distinction selon que, d'une part, la convention de prêt ne mentionne aucun taux d'intérêt ou que l'erreur peut être décelée à la seule lecture de ladite convention, auxquels cas la nullité court à compter de l'acte, ou que, d'autre part, les éléments contenus dans le contrat de prêt ne permettent pas à l'emprunteur d'avoir conscience de l'erreur que contient le TEG, et dans ce cas le délai de prescription quinquennale court du jour de la révélation de l'erreur. Il ne s'agit pas d'une solution inédite ; loin s'en faut, puisque la première chambre civile de la Cour de cassation avait déjà eu l'occasion d'opérer cette distinction et de considérer, notamment, que le point de départ du délai de prescription ne courrait pas nécessairement à compter du jour de la convention mais pouvait être retardé au jour où l'emprunteur a eu connaissance du caractère erroné du TEG (Cass. civ. 1, 7 mars 2006, n° 04-10.876, Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (CEPME) c/ Société civile immobilière (SCI) La Garbine, FS-P sur le premier moyen N° Lexbase : A4961DN3), solution qu'elle a récemment réaffirmée dans un arrêt qui n'a été soumis à aucune publicité (Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 07-12.292, F-D N° Lexbase : A5848EAT).

Alors, pourquoi, la première chambre civile rédige-t-elle la solution énoncée dans son arrêt du 11 juin 2009 à la manière d'un attendu de principe et le soumet-elle à une publication maximale ?

Sans doute entend-elle confirmer avec force sa jurisprudence face à la position en partie différente adoptée sur ce point par la Chambre commerciale, qui ne s'était pas encore prononcée sur le sujet, dans deux arrêts du 10 juin 2008 (Cass. com., 10 juin 2008, deux arrêts, n° 06-19.905, préc. n° 06-19.452, préc.). En effet, selon elle, et à cet égard à l'instar de la première chambre civile, l'action en nullité de la stipulation de l'intérêt conventionnel engagée par un emprunteur qui a obtenu un concours financier pour les besoins de son activité professionnelle court à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître le vice affectant le taux effectif global (TEG). Toutefois, et là se situe la différence, le point de départ de cette prescription est, s'agissant d'un prêt, la date de la convention et, dans les autres cas, la réception de chacun des écrits indiquant ou devant indiquer le TEG appliqué. Il n'y a donc pas lieu, selon la Chambre commerciale, de distinguer selon le vice affectant le taux effectif global : qu'il ait été omis ou qu'il soit erroné, dans tous les cas, le délai court à compter de la réception de l'écrit sur lequel figure ou aurait dû figurer le taux effectif global. En pratique, s'agissant d'un prêt, la date à retenir est donc toujours celle du contrat.

La solution de la Chambre commerciale devait être saluée et approuvée puisqu'elle mettait fin à l'incertitude inhérente à la solution retenue par la première chambre civile qui portait, en effet, en germe une sorte d'imprescriptibilité : tant que l'emprunteur n'a pas connaissance de l'erreur contenue dans le TEG, pour quelques circonstances que ce soit, il conservera la possibilité d'agir en nullité de la stipulation. D'ailleurs, certains avaient même souhaité, à la lecture des décisions de la Chambre commerciale que "cette solution d'équilibre, conciliant les impératifs de la sécurité juridique et la légitimité de la protection des emprunteurs qui disposent d'une délai de cinq ans pour vérifier ou faire vérifier le TEG mentionnait devrait constituer dans le futur la jurisprudence unifiée de la Cour de cassation" (A. Gourio et N. Aynès, préc.). L'arrêt du 11 juin 2009, du moins pour l'instant, anéantit les espoirs ainsi formulés que seule une formation plus solennelle de notre Haute juridiction pourrait rassurer tant l'on doute que l'instauration d'un délai butoir de prescription de vingt ans instauré par la loi du 17 juin 2008 (C. civ., art. 2232, al. 1er N° Lexbase : L7217IAK : "le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit") y parvienne.

Alors, quel constat tiré de cette opposition de chambres ? D'abord que l'une (la Chambre commerciale) comme l'autre (la première chambre civile) entendent rester dans leur "périmètre d'attribution", puisque les arrêts du 10 juin 2008 comme celui du 11 juin 2009 précisent que les principes dégagés ne s'appliquent qu'à la catégorie de prêts qu'elles ont à connaître. En effet, les arrêts de la Chambre commerciale énoncent formellement que le point de départ de la prescription de l'action en nullité de la stipulation d'intérêt, engagée par un emprunteur qui a obtenu un concours financier pour les besoins de son activité professionnelle est la date de la convention. De même, l'arrêt de la première chambre civile du 11 juin 2009, prend-il le soin de préciser que la solution est dégagée en cas d'octroi d'un crédit à un consommateur ou à un non professionnel.

Aussi, on peut dire que la jurisprudence de la Cour de cassation nous invite à opérer une nouvelle distinction :

- soit l'emprunteur n'est pas un professionnel, auquel cas le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité de la stipulation d'intérêt conventionnel d'un prêt d'argent court à compter de la date de la convention lorsque l'examen de sa teneur permet de constater l'erreur, ou lorsque tel n'est pas le cas, la date de la révélation de celle-ci à l'emprunteur (position de la première chambre civile dans l'arrêt du 11 juin 2009) ;

- soit l'emprunteur est un professionnel, et dans ce cas le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité de la stipulation d'intérêt conventionnel d'un prêt d'argent court, nécessairement, à compter de la date de la convention.

Cette distinction ne nous semble pas très heureuse, dans la mesure où si, dans certaines circonstances, l'existence d'une prescription abrégée peut être une bonne chose, notamment dans un contexte d'affaires qui suppose sécurité et rapidité, le fait que le point de départ d'un même délai de prescription puisse différer en fonction de la qualité de la personne qui agit nous apparaît plutôt source d'insécurité et d'inégalité infondées.

Les deux positions se rapprochent, toutefois, sur un point important : première chambre civile et Chambre commerciale s'accordent pour appliquer leurs solution à l'exception de nullité de la stipulation, ajoute, néanmoins, l'arrêt du 11 juin 2009 "dans un acte de prêt ayant reçu un commencement d'exécution", solution au demeurant fort classique.

Pour finir sur une note plus positive, on remarquera, enfin, que la solution consacrée par la première chambre civile de la Cour de cassation, comme celle d'ailleurs qu'avait énoncée un an auparavant la Chambre commerciale, sont en parfaite harmonie avec le nouvel article 2224 du Code civil (N° Lexbase : L7184IAC), issu de la loi du 17 juillet 2008, qui dispose que "les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer". Voilà confimé ce que nous affirmions plus avant : ceux qui pensaient que la nouvelle loi pouvaient mettre les deux chambres de la Cour de cassation à l'unisson devront donc se résigner à attendre une solution rendue en formation plus solennelle.

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