Réf. : Cass. soc., 17 juin 2009, n° 07-44.570, Société Darty Ouest, FS-P+B (N° Lexbase : A2931EIE)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Une modification du contrat de travail, y compris à titre disciplinaire, ne peut être imposée au salarié. Aucun fait fautif ne peut donner lieu à double sanction. Dès lors, l'employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire en appliquant immédiatement la rétrogradation, de telle sorte qu'il ne pouvait prononcer ultérieurement un licenciement pour le même fait. |
Commentaire
I - L'obligation faite à l'employeur d'attendre la décision du salarié sur la sanction envisagée
La Cour de cassation a étendu, en 1998, sa jurisprudence "Raquin" (1) à l'hypothèse dans laquelle la modification du contrat de travail du salarié résulte d'une sanction disciplinaire infligée par l'employeur (2). Le salarié est donc en droit, ici comme ailleurs, de refuser la modification de son contrat de travail.
En cas de refus du salarié, l'employeur peut renoncer à son projet de sanction et lui en infliger une autre sans se heurter au principe non bis in idem, qui interdit de sanctionner deux fois une personne pour une même faute.
Depuis l'arrêt "Hôtel Le Berry", qui a fixé les grandes lignes de cette jurisprudence, la Cour de cassation a apporté deux séries de précisions.
La première concerne la procédure à respecter. L'employeur qui envisage une nouvelle sanction, en lieu et place de celle qui a été refusée par le salarié, doit le reconvoquer à un nouvel entretien individuel ; le délai d'un mois dans lequel l'employeur devra prononcer la sanction partira de ce nouvel entretien (3).
La seconde concerne l'étendue du pouvoir de sanction après le refus opposé par le salarié à la modification de son contrat de travail : il demeure entier et l'employeur peut prononcer alors un licenciement pour faute grave (4). On avait pu craindre que le choix, dans un premier temps, d'une sanction autre que le licenciement immédiat, n'empêche ultérieurement l'employeur de prononcer cette sanction, dans la mesure où il avait démontré, en refusant de licencier dans un premier temps, que le départ immédiat du salarié de l'entreprise ne s'imposait pas.
La Cour de cassation apporte, dans cet arrêt en date du 17 juin 2009, une nouvelle précision, qui montre aux employeurs qu'ils n'ont jamais intérêt à "passer en force" lorsque la jurisprudence leur impose de négocier.
Dans cette affaire, un salarié, qui avait la qualité de chef des ventes, avait fait l'objet, le 14 février 2006, d'une mesure de rétrogradation au poste de vendeur expert, applicable à réception de la notification de cette sanction. Il avait contesté cette mesure par lettre du 20 février 2006, avant de saisir, le 28 mars 2006, le conseil de prud'hommes pour en obtenir l'annulation. Par lettre du 11 avril 2006, il avait été licencié pour faute grave.
La cour d'appel de Bordeaux avait fait droit à l'ensemble de ses demandes et considéré ce licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans son pourvoi, l'employeur faisait valoir que le licenciement pour faute grave, prononcé le 11 avril 2006, se substituait à la rétrogradation refusée par le salarié le 20 février, et qu'il était inexact d'avoir considéré les faits comme prescrits, au moment de la nouvelle sanction, dans la mesure où ce délai avait été interrompu par la première sanction et que la nouvelle sanction avait été prononcée dans les deux mois suivant le refus opposé par le salarié à la première sanction.
Le pourvoi est rejeté et l'arrêt confirmé. Selon la Haute juridiction, en effet, "une modification du contrat de travail, y compris à titre disciplinaire, ne peut être imposée au salarié" ; or, la cour d'appel avait "constaté que la rétrogradation avait été mise en oeuvre sans l'accord du salarié". Ensuite, "aucun fait fautif ne peut donner lieu à double sanction" et l'employeur "avait épuisé son pouvoir disciplinaire en appliquant immédiatement la rétrogradation, ne pouvait prononcer ultérieurement un licenciement pour le même fait".
II - Une solution excessivement sévère
Cette décision est particulièrement intéressante, car elle sanctionne de manière astucieuse l'employeur qui n'avait pas tiré toutes les conséquences de la nécessité d'obtenir l'accord du salarié sur la modification de son contrat de travail induite par la première sanction envisagée. Dans cette affaire, en effet, l'employeur avait eu la malencontreuse idée de préciser, alors qu'il avait notifié sa rétrogradation disciplinaire au salarié, que cette sanction prenait effet immédiatement ; on imagine que, joignant le geste à l'écrit, il avait fait en sorte que le salarié quitte immédiatement ses anciennes fonctions de chef des ventes pour intégrer tout aussi immédiatement celles de vendeur expert.
Cette volonté de mettre en oeuvre la sanction de manière immédiate, sans laisser au salarié un délai raisonnable pour l'accepter, ou la rejeter, a donc incité les juges à considérer qu'il ne s'agissait pas d'une simple proposition de modification du contrat pour motif disciplinaire, mais bien d'une modification unilatérale. C'est la première étape du raisonnement.
Dans un second temps, la Cour tire les conséquences de cette analyse.
La première tient à l'application de la règle non bis in idem. Dans la mesure où la sanction de rétrogradation a déjà été prononcée, l'employeur a perdu le droit de sanctionner le salarié une seconde fois. Dès lors, le licenciement pour faute grave prononcé par l'employeur après que le salarié eut refusé la rétrogradation, ne peut sanctionner les faits pour lesquels le salarié avait été rétrogradé ; la faute grave tombant, le licenciement apparaît, dès lors, dépourvu de cause réelle et sérieuse : CQFD !
Techniquement, la solution semble indiscutable. En imposant la rétrogradation sans attendre la décision du salarié, l'employeur prononce bien une sanction disciplinaire, même illicite. S'il décide par la suite de licencier le salarié, il sanctionne deux fois les mêmes faits et prive sa décision de cause réelle et sérieuse.
La solution retenue semble bien sévère pour l'employeur.
Juridiquement, tout d'abord, on aurait tout aussi bien pu sauver le licenciement en considérant que la rétrogradation avait été infligée sous la condition que le salarié ne s'y oppose pas ; le salarié s'y opposant, on aurait pu, alors, considérer la sanction comme caduque, ce qui aurait validé, par voie de conséquence, le licenciement.
Il semblait, également, possible de s'inspirer du régime du retrait des actes administratif, en permettant à l'employeur de retirer la première sanction, en raison du refus opposé par le salarié rendant celle-ci illicite, et d'y substituer une sanction licite.
L'employeur se voit alors infliger une double peine qui peut sembler bien sévère : la rétrogradation va être annulée, puisqu'elle a été infligée au salarié sans son accord et le licenciement pour faute grave, que l'employeur pensait pouvoir valablement substituer à la rétrogradation refusée, est privé de cause réelle et sérieuse.
Répétons-le, nous persistons à contester la solution adoptée depuis l'arrêt "Hôtel le Berry", car nous considérons que, lorsque l'employeur prononce contre le salarié une sanction disciplinaire, donner le droit au salarié de la refuser, sous prétexte que celle-ci se traduirait par une modification de son contrat de travail, dénature l'essence même du pouvoir disciplinaire de l'employeur et conduit celui-ci à raisonner de manière stratégique. Puisqu'il ne craint pas d'être privé du pouvoir d'infliger au salarié un licenciement pour faute grave, que le salarié ne pourra pas refuser, l'employeur pourra être tenté de proposer au salarié, dans un premier temps, une sanction moins importante, emportant généralement la modification de ses fonctions et de sa rémunération, tout en sachant que le salarié ne l'acceptera pas. L'employeur passera alors pour magnanime en cas de procès prud'homal et le salarié comme un ingrat et un imprudent qui n'aura pas su saisir la chance qui s'offrait à lui ; devant le juge prud'homal, cette distribution des rôles profitera alors très certainement à l'employeur, là où la règle devait favoriser le salarié.
Il nous semble que la solution qui prévalait avant 1999 était préférable et que le contrôle de proportionnalité exercé par le juge sur la sanction disciplinaire infligée au salarié suffisait à garantir ce dernier contre le risque d'arbitraire. Redisons-le, l'employeur qui rétrograde le salarié à titre disciplinaire ne modifie pas le contrat de travail, il inflige une sanction disciplinaire, car c'est bien la faute commise par le salarié et la sanction qui lui sont infligées, qui sont bien la cause de la modification du contrat, et non la volonté de l'employeur de le modifier. C'est tout ce qui fait la différence entre les deux hypothèses.
Décision
Cass. soc., 17 juin 2009, n° 07-44.570, Société Darty Ouest, FS-P+B (N° Lexbase : A2931EIE) Rejet CA Bordeaux, ch. soc., sect. A, 4 septembre 2007, n° 06/05477, SNC Darty Ouest c/ M. Nicolas Laréquie (N° Lexbase : A3522D7L) Textes concernés : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots clef : sanction disciplinaire ; modification du contrat de travail ; accord du salarié ; mise en oeuvre immédiate ; application de la règle non bis in idem Lien base : |
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