La lettre juridique n°357 du 2 juillet 2009 : Sécurité sociale

[Textes] Nouvelles règles relatives aux relations cotisant/Urssaf (loi de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures du 12 mai 2009)

Réf. : Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures (N° Lexbase : L1612IEG)

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[Textes] Nouvelles règles relatives aux relations cotisant/Urssaf (loi de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures du 12 mai 2009). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211846-textes-nouvelles-regles-relatives-aux-relations-cotisanturssaf-loi-de-simplification-et-de-clarifica
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par Marion Del Sol, Maître de conférences à l'Université de Rennes I et Directrice du Master 2 Droit du travail et de la protection sociale

le 07 Octobre 2010

A l'occasion de l'adoption de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 N° Lexbase : L2678IC8), plusieurs dispositions relatives à la sécurité juridique des relations entre les cotisants et les organismes de recouvrement avaient été regroupées dans l'article 21 du projet de loi. Cet article ayant été invalidé par le Conseil constitutionnel du fait de sa nature de cavalier social (1), le Gouvernement avait promis de recourir à un autre "vecteur juridique" (2) pour insérer ces dispositions dans notre droit positif. C'est désormais chose faite grâce à l'article 75 de la loi de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures du 12 mai 2009 (3). Ce texte -qui prend place dans le chapitre II de la loi consacré aux mesures de simplification en faveur des entreprises et des professionnels- étend la procédure d'arbitrage de l'Acoss (4) (I), aménage le dispositif de rescrit social (II), clarifie le cadre juridique de la procédure de répression des abus de droit (III) et renforce les effets à faire produire aux décisions des Urssaf (IV). On doit souligner que plusieurs de ces dispositions prennent en considération la réalité représentée par les groupes de sociétés (5), réalité que le droit du recouvrement avait tendance à ignorer jusqu'alors (6). I - Extension de la procédure d'arbitrage de l'Acoss

Depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2004 (loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 N° Lexbase : L9699DLS), l'Acoss est investie d'une mission d'harmonisation afin que les lois et règlements relatifs aux cotisations et contributions sociales donnent lieu à une application homogène par l'ensemble des Urssaf. A cet effet, l'article L. 243-6-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1828IEG) autorise tout cotisant à solliciter l'arbitrage de l'Acoss lorsqu'il est confronté à des interprétations contradictoires de la part de différentes Urssaf concernant certains de ses établissements placés pourtant dans la même situation.

L'article 75-I-2° de la loi du 12 mai 2009 étend le recours à cette procédure à un cotisant appartenant "à un ensemble de personnes entre lesquelles un lien de dépendance ou de contrôle existe", c'est-à-dire à un groupe au sens du Code de commerce. Une entreprise du groupe peut solliciter l'arbitrage de l'Acoss lorsqu'il apparaît des interprétations contradictoires -à situations identiques- concernant une autre entité appartenant à ce même ensemble. C'est alors la procédure décrite par le décret du 11 avril 2007 (7) (CSS, art. R. 243-43-1 N° Lexbase : L3366HZP) qui doit être mise en oeuvre (8). Elle permet d'aboutir à une position harmonisée. Mais on peut regretter que l'ajout fait à l'article L. 243-6-1 ne permette une harmonisation d'interprétation qu'entre deux entreprises du même groupe et non pour l'ensemble des entités placées dans la même situation. La limite s'explique par le fait que le dispositif d'arbitrage ne peut intervenir -contrairement à la procédure de rescrit (v. infra II)- qu'a posteriori, seulement lorsque les Urssaf ont déjà pris position sur la pratique en cause (par exemple, en matière de frais professionnels)... ce qui peut se faire à des moments très différents en fonction des activités de contrôle de chaque organisme de recouvrement, voire ne pas se faire pour certaines entreprises du groupe.

II - Aménagement du dispositif du rescrit social

Depuis le 1er octobre 2005, les employeurs peuvent solliciter une décision explicite des Urssaf sur leur droit à bénéficier de certains dispositifs d'allègement et d'exonération de cotisations sociales (9). Il s'agit ainsi de sécuriser les relations cotisants/Urssaf, puisque la réponse de l'organisme de recouvrement (décision explicite) (10) lui est opposable pour l'avenir tant que la situation de fait exposée dans la demande ou la législation au regard de laquelle la situation du demandeur a été appréciée n'ont pas été modifiées (CSS, art. L. 243-6-3 N° Lexbase : L1911IEI).

  • Portée du rescrit à l'intérieur d'un groupe de sociétés

L'article 75-I-3° modifie l'alinéa 9 de l'article L. 243-6-3 afin de tenir compte de la réalité des groupes d'entreprises. Ainsi, "si le demandeur appartient à un ensemble de personnes entre lesquelles un lien de dépendance ou de contrôle existe, au sens des articles L. 233-1 (N° Lexbase : L6304AIC) et L. 233-3 (N° Lexbase : L4050HBM) du Code de commerce, et que sa demande comporte expressément ces précisions, la décision s'applique à toute autre entreprise ou personne morale appartenant à ce même ensemble". Ainsi, une décision obtenue consécutivement à l'interrogation sollicitée par une entreprise du groupe peut produire des effets (opposabilité) dans les relations qu'entretiennent les autres entreprises avec l'organisme de recouvrement dont elles relèvent. Encore importe-t-il que la situation, objet du rescrit, soit caractérisée à l'identique, mais également que la demande initiale ait précisé l'appartenance à un ensemble de sociétés. Une société-mère dont les filiales ont des pratiques sociales alignées peut donc avoir intérêt à inciter une des entreprises à former un rescrit "groupe" afin que le traitement de ces pratiques par la branche recouvrement soit harmonisé, quelle que soit l'implantation géographique de chacune des structures concernées.

La loi du 12 mai 2009 complète le régime juridique du rescrit concernant les groupes en ajoutant une phrase à l'alinéa 10 de l'article L. 243-6-3. Dorénavant, si une entreprise cotisante appartenant à un groupe est affiliée auprès d'un nouvel organisme de recouvrement, elle peut se prévaloir d'une décision explicite prise par l'Urssaf dont elle relevait précédemment sous réserve que ladite décision explicite précise ces liens de dépendance ou de contrôle.

  • Publicité des décisions de rescrit

Parmi les préconisations faites par le rapport "Fouquet" (11), était citée la nécessité de parfaire les relations entre cotisants et organismes de recouvrement, notamment en créant une documentation administrative consolidée opposable qui serait consultable sur internet. Dans le même ordre d'idées, était également suggérée la publication des réponses aux rescrits quand leur anonymisation est possible. L'article 75-I-3° entrouvre la porte à cette démarche de publication qui ne deviendra réalité que lorsqu'un décret viendra -conformément au dernier alinéa de l'article L. 246-3 modifié- définir "les conditions dans lesquelles les décisions rendues par les organismes de recouvrement font l'objet d'une publicité". La lecture du texte laisse à penser que devra être organisée la publicité systématique et exhaustive des décisions de rescrit et non d'une simple sélection.

III - Clarification de la procédure de répression des abus de droit

La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008 (loi n° 2007-1786 du 19 décembre 2007 N° Lexbase : L5482H3G) avait institué une procédure de répression des abus de droit ouvrant la possibilité pour les Urssaf de rendre inopposables les actes "litigieux" à leur égard et de procéder à leur requalification en restituant son véritable caractère à l'opération litigieuse.

Cette procédure est inspirée très largement de celle applicable de longue date en matière fiscale (12). Cependant, les dispositions adoptées à l'époque étant lacunaires et imprécises (13), le rapport "Fouquet" avait préconisé de refondre cette procédure "afin de reprendre la notion de fraude à la loi consacrée par la jurisprudence communautaire et de l'harmoniser avec la sphère sociale".

  • Définition de l'abus de droit

La définition de l'abus de droit de l'article L. 243-7-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1943IEP) est enrichie par la loi du 12 mai 2009. Jusqu'à présent, l'alinéa 1er ne renvoyait qu'aux seuls actes ayant pour objet d'éviter le paiement de cotisations ou contributions sociales. Aujourd'hui, il précise que lesdits actes constitutifs d'un abus de droit peuvent présenter un caractère fictif ; ou bien ils correspondent, par la recherche "d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs" à des actes inspirés "par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les contributions et cotisations sociales d'origine légale ou conventionnelle auxquelles le cotisant est tenu au titre de la législation sociale ou que le cotisant, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles". L'abus de droit renvoie à des hypothèses de fraudes ou de manoeuvres en vue d'éluder ou de minimiser le paiement de charges sociales où il s'agira, le plus souvent, de masquer la situation réelle par un acte juridique apparemment régulier mais non sincère. La distinction avec une démarche d'optimisation sociale, qui consiste à choisir un cadre juridique plutôt qu'un autre, devra donc être faite ; ce ne sera, sans doute, pas chose aisée.

A noter que la procédure de répression de l'abus de droit ne peut être mise en oeuvre pour des actes pour lesquels le cotisant a recouru à l'arbitrage de l'Acoss (CSS, art. L. 243-6-1) ou a sollicité un rescrit dès lors qu'il n'a pas obtenu de réponse dans les délais impartis aux organismes sollicités pour se prononcer (14).

  • Procédure

Lorsque l'Urssaf a notifié des rectifications au cotisant sur le fondement de l'abus de droit, une contestation peut intervenir devant le comité des abus de droit (15). Le plus souvent, c'est le cotisant qui saisira ce comité ; la loi ouvre, toutefois, aux Urssaf le droit d'en faire autant sous réserve d'y être autorisée par l'Acoss (16). Cette précision a été apportée par la loi du 12 mai 2009.

En ce qui concerne la phase postérieure à l'avis du comité, on savait déjà que, si les organismes de recouvrement ne se conforment pas à cet avis, il leur appartient d'apporter la preuve du bien-fondé de la rectification appliquée au cotisant. La loi du 12 mai 2009 ajoute qu'en cas d'avis du comité favorable aux Urssaf, "la charge de la preuve devant le juge revient au cotisant".

  • Pénalité

La loi du 12 mai 2009 est, également, l'occasion pour le législateur de préciser le montant de la pénalité qui sera appliqué en cas d'abus de droit. Elle correspond à 20 % des cotisations et contributions dues.

IV - Portée renforcée des décisions prises par les Urssaf

La sécurité juridique des relations cotisant/Urssaf peut être affectée par l'indépendance juridique des organismes de recouvrement les uns par rapport aux autres. En effet, il a été jugé que les Urssaf constituant autant de personnes morales distinctes, la décision prise par l'une n'engage pas, en principe, les autres (17). Le nouvel alinéa 9 de l'article L. 243-6-3 apporte un premier tempérament à cette autonomie en matière de rescrit social à l'intérieur des groupes de sociétés (voir II). L'article L. 243-6-4 (N° Lexbase : L1907IED) en apporte un second d'application plus générale : "dans le cas d'un changement d'organisme de recouvrement lié à un changement d'implantation géographique de l'entreprise ou de l'un de ses établissements, ou à la demande de l'organisme de recouvrement, un cotisant peut se prévaloir, auprès du nouvel organisme, des décisions explicites rendues par le précédent organisme dont il relevait, dès lors qu'il établit que sa situation de fait ou de droit est identique à celle prise en compte par le précédent organisme". Par conséquent, en cas de changement d'Urssaf, le cotisant peut opposer à son nouvel "interlocuteur social" les décisions explicites rendues à son égard par l'ancien (à situation inchangée) ; ici, peu importe l'origine de la décision explicite qui peut faire suite à une procédure de rescrit ou être consécutive à une opération de contrôle.


(1) Cons. const., décision n° 2008-571 DC du 11 décembre 2008, Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 (N° Lexbase : A6887EBP).
(2) Communiqué commun des ministres du Budget, de la Santé et du Travail du 11 décembre 2008.
(3) Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures (N° Lexbase : L1612IEG).
(4) Agence centrale des organismes de Sécurité Sociale.
(5) La notion de groupe est celle retenue par le Code du commerce aux articles L. 233-1 et L. 233-3.
(6) On doit également citer une disposition concernant le régime des sanctions au titre du travail dissimulé (art. 75-I-6°). Est institué dans le Code de la Sécurité sociale un nouvel article L. 243-7-3 (N° Lexbase : L1879IEC) qui instaure une solidarité financière entre l'employeur ayant commis une infraction de travail dissimulé et la société-mère ou holding du groupe auquel il appartient. La société-mère (ou holding) est, en effet, désormais tenue subsidiairement et solidairement au paiement des contributions et cotisations sociales, ainsi que des majorations et pénalités dues.
(7) Décret n° 2007-546 du 11 avril 2007, relatif aux droits des cotisants (N° Lexbase : L9947HUX).
(8) Voir nos obs., Les dispositions du décret du 11 avril 2007 non relatives au contrôle Urssaf stricto sensu, Les Cahiers de Droit de l'entreprise n° 2/2008, mars-avril, n° 14, pp. 36-42.
(9) Ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005, relative à la garantie des droits des cotisants dans leurs relations avec les organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales (N° Lexbase : L8435G8W), suivie du décret d'application n° 2005-1264 du 7 octobre 2005, relatif au rescrit social et modifiant le Code de la Sécurité sociale et le Code rural (N° Lexbase : L6352HCA) et d'un arrêté du 19 décembre 2005 (N° Lexbase : L6311HEH).
(10) Consécutive à la procédure précisée à l'article R. 243-43-2 du Code de la Sécurité sociale.
(11) Rapport d'Olivier Fouquet sur la sécurité juridique en matière de cotisations et contributions sociales, juillet 2008.
(12) LPF, art. 64.
(13) Voir nos obs., M. Del Sol, La lutte contre la fraude en matière sociale dans la LFSS pour 2008, JCP éd. S, 2008, 1057.
(14) Sous réserve, bien évidemment, que le cotisant ait fourni tous les éléments utiles pour apprécier la portée véritable des actes concernés.
(15) Dont la composition, l'organisation et le fonctionnement seront précisés par voie réglementaire. Dans l'attente de ce décret d'application, la procédure de répression des abus de droit ne peut toujours pas être mise en oeuvre.
(16) Précision apportée par la loi du 12 mai 2009.
(17) Cass. soc., 29 juin 1995, n° 93-11.506, Société Sacer c/ Urssaf du Nord-Finistère (N° Lexbase : A1108ABN), JCP éd. E, 1995, pan. 22509, note F. Taquet ; D., 1996, somm. 44, obs. X. Prétot.

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