La lettre juridique n°357 du 2 juillet 2009 : Sociétés

[Questions à...] Des avantages de l'assurance de la garantie de passif : questions à Raphaël Piotraut, Souscripteur, Département Fusions et Acquisitions - AIG Europe

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

"Il faut toujours prendre le maximum de risques, avec le maximum de précautions" (1).
S'il est simple de prendre des risques, les limiter est une autre affaire. Dans le cadre de l'acquisition ou de la cession d'une entreprise ou d'un groupe, la prise de risques est inhérente à l'opération et la garantie de passif, de nouveau "sous les feux de la rampe" compte tenu du contexte économique actuel, redevient incontournable. Pour autant, la solvabilité du cédant n'est pas évidente, d'autant qu'il s'écoule, souvent, un certain laps de temps entre la signature de la garantie et sa mise en jeu éventuelle. Le serpent est, ainsi, vite susceptible de se mordre la queue. Comment, alors, limiter au maximum les risques ? Sûrement, en contre-garantissant la garantie de passif. Divers moyens existent à cette fin, dont l'efficacité et les inconvénients varient. Les plus classiques consistent à séquestrer une partie du prix pendant toute la durée de la convention de garantie, à constituer une caution bancaire ou une garantie bancaire à première demande, ou bien, à compenser le montant des indemnisations sur le prix restant à verser, en cas d'échelonnement. Les parties peuvent, également, décider de recourir à l'assurance de la garantie de passif. Encore trop peu connu, ce mécanisme, assez récent, est un excellent compromis entre les intérêts en présence et permet de focaliser son attention sur le deal lui-même. Lexbase Hebdo - édition privée générale s'est entretenu, à ce sujet, avec Raphaël Piotraut, Souscripteur, Département Fusions et Acquisitions - AIG Europe sur le régime juridique de cette assurance et de ses nombreux avantages.

Lexbase : Quel est le mécanisme de l'assurance de la garantie de passif ? Que couvre une telle police ?

Raphaël Piotraut : L'assurance de la garantie de passif, contrat accessoire à la garantie, peut, aussi bien, être mise en place au profit du vendeur (police d'assurance vendeur), qu'au profit de l'acquéreur (police d'assurance acquéreur).

Le mécanisme repose sur le transfert de risques à l'assureur -l'aléa transféré étant constitué par le fait futur que l'une des déclarations et garanties faites par le vendeur dans la garantie s'avère fausse, inexacte, incomplète, etc., postérieurement à la réalisation de l'opération-, moyennant le paiement d'une prime d'assurance. Dans les deux cas (assurance vendeur ou assurance acheteur), la police joue en cas de non-respect, d'inexactitude ou d'omission de l'une des déclarations du cédant figurant dans la garantie de passif, constaté(e) postérieurement à la conclusion du deal, mais dont l'origine ("le fait générateur") serait antérieure.

Le contrat d'assurance couvrira, selon le cas :

- soit, la perte du vendeur, tenu, en cas de mise en jeu de la garantie, d'indemniser l'acquéreur et il s'agit, alors, d'une assurance de type responsabilité civile, portant sur l'indemnisation d'un tiers en cas de préjudice subi du fait du cédant ;

- soit, la perte du cessionnaire, tenu de décaisser un certain montant, préalablement à son indemnisation par le cédant. Il s'agit, ici, d'une assurance dommage, visant à couvrir le préjudice directement subi par la société cédée ou indirectement subi par l'acquéreur, en tant qu'actionnaire de la cible.

En principe, la police peut couvrir absolument toutes les déclarations formulées par le cédant dans la garantie de passif (qu'elles concernent les matières fiscales, sociales, environnementales, les litiges et les contrats en cours, etc.). Il n'existe, en effet, aucune exclusion de principe. Pour autant, il faudra que l'assureur ait eu toutes les informations utiles, notamment, celles figurant dans les rapports d'audit (si l'assuré est l'acquéreur).

Le plus souvent, le contrat d'assurance "collera" véritablement aux termes de la convention de la garantie de passif. Les mêmes seuils et plafonds se retrouveront dans les deux contrats. De la même façon, l'assurance de la garantie de passif ne couvrira pas les exclusions de responsabilité expressément négociées entre les parties (il en va, ainsi, des faits portés à la connaissance du repreneur et figurant, par exemple, dans les annexes à la garantie).

Néanmoins, la police peut, plutôt que refléter les termes de la garantie de passif, venir en complément de celle-ci (cas du topping). Aux termes de la garantie de passif, le vendeur plafonne son exposition financière à un certain montant qui sert alors de franchise à l'assureur et ce dernier vient compléter ce montant par une limite d'assurance qui permet de répondre au mieux aux exigences de sécurité de l'acquéreur. De la même façon, dans le cas d'une police acquéreur, la durée de couverture peut excéder celle figurant dans la garantie de passif.

Lexbase : S'agit-il d'une relation tripartite ? Quels sont les rapports entre le cédant, le cessionnaire et l'assureur ?

Raphaël Piotraut : Qu'il s'agisse de la police d'assurance vendeur ou de la police d'assurance acheteur, il ne s'agit pas, à proprement parler, d'une relation tripartite, ceci, en vertu de l'effet relatif des contrats (C. civ., art. 1165 N° Lexbase : L1267ABK). Tout au plus, des échanges pourront avoir lieu entre le vendeur, l'acquéreur et l'assureur préalablement à la mise en place de la police d'assurance.

Il est vrai, toutefois, que, dans le cas de la police vendeur, le transfert de responsabilité ne sera pas parfait, puisque l'acquéreur, co-contractant du cédant, mais étranger au contrat d'assurance, notifiera à ce dernier toute mise en jeu de la garantie, en cas de survenance d'un "fait générateur". Le cédant restera, ainsi, l'interlocuteur unique du cessionnaire et ignorera même, parfois, dans le cas d'une police mise en place postérieurement à l'acquisition, l'existence du contrat d'assurance. Il existe, cependant, un cas où l'acquéreur aura son mot à dire : lorsque le cédant souhaitera remplacer un mécanisme de contre-garantie de la garantie de passif par la police d'assurance.

Dans le cas de la police d'assurance acquéreur, le transfert de responsabilité est quasi parfait : le cessionnaire peut agir directement contre l'assureur, qui l'indemnisera, sans possibilité de se retourner contre le vendeur, sauf en cas de dol ou de fraude, ce qui reste très marginal (C. civ., art. 1116 N° Lexbase : L1204AB9). Le cédant est, dans cette configuration, totalement exclu du mécanisme.

Enfin, certains tiers seront amenés à interagir avec l'assureur. Il en va, notamment, ainsi, quand ce dernier a connaissance d'informations confidentielles les concernant -ce qui est nécessairement le cas- (contenues dans les index de data room, les rapports d'audit). L'assureur s'engage, alors, à respecter la plus stricte confidentialité et peut aller jusqu'à renoncer à tout recours à l'encontre des conseils qui sont intervenus dans le deal. En outre, il arrive très souvent, dans le cadre de LBO (leverage buy out), que l'assureur s'engage à verser directement à la banque apporteuse du financement les indemnités d'assurance, via le mécanisme juridique de la stipulation pour autrui (C. civ., art. 1121 N° Lexbase : L1209ABE), s'il s'agit d'une assurance acquéreur, ou celui de la délégation imparfaite (C. civ., art. 1275 N° Lexbase : L1385ABW et 1276 N° Lexbase : L1386ABX), s'il s'agit d'une assurance vendeur. Dans ce type de montage, l'assurance peut, également permettre de sécuriser la dette senior, si le défaut de remboursement du banquier par le cessionnaire est dû en tout ou partie à la survenance d'un "fait générateur".

Lexbase : Quel est le prix d'une telle police ? Quelles sont les modalités de son versement ?

Raphaël Piotraut : Le prix de la police d'assurance, qui consiste en un pourcentage du montant du plafond garanti par la police d'assurance, sera négocié dans le cadre de chaque dossier. Si, toutefois, une moyenne devait être faite, elle se situerait actuellement entre 2 à 3,5 % de ce montant.

Le paiement de la prime d'assurance constitue une condition de l'entrée en vigueur de la police. Celui-ci intervient en une seule fois, le jour du signing ou du closing, selon ce qui aura été négocié entre les parties.

Lexbase : Quels sont les avantages de la mise en place d'une assurance de la garantie de passif ? En quoi la police serait-elle plus avantageuse que les autres mécanismes juridiques permettant de sécuriser la convention de garantie de passif ?

Raphaël Piotraut : Les avantages de la mise en place d'une police d'assurance de la garantie de passif sont importants et nombreux, tant pour le vendeur, que pour l'acquéreur.

Lorsque l'on sait qu'une garantie de passif peut représenter de 10 à 30 % (voir 50 % dans le contexte économique actuel) de la valorisation de la cible, le recours à ce mécanisme par le vendeur, dont le patrimoine, à défaut, doit être suffisamment large pour couvrir toute mise en jeu de la garantie et qui se doit de figer ses actifs dans cette éventualité, prend, alors, tout son sens.

La mise sous séquestre, quant à elle, implique qu'une partie du prix d'acquisition de la cible soit indisponible pendant toute la durée de la garantie. La caution bancaire et la garantie bancaire à première demande sous-tendent, de leur côté, la fourniture par le cédant, d'un certain nombre de garanties à la banque et donc, de la même façon, le plus souvent, une indisponibilité d'une partie du prix de cession. Enfin, la mise en place d'une sûreté personnelle supposera une hypothèque ou un nantissement venant grever les biens personnels du vendeur, ce à quoi il consentira difficilement. La procédure sera, en outre, difficile à mettre en oeuvre pour l'acquéreur.

D'une part, l'assurance de la garantie de passif ne présente aucun de ces inconvénients et l'avantage d'être moins onéreuse que ce type de mécanismes. Le vendeur appréciera, également, d'être indemnisé par l'assureur concomitamment à son décaissement au profit de l'acquéreur.

D'autre part, l'assurance permettra, également, de régler certains conflits d'intérêts, notamment, dans le cadre de MBO (management buy out), où le manager en place peut se trouver à devoir actionner la garantie contre lui-même, ou dans le cadre d'un spin off, avec maintien d'une relation commerciale ou industrielle avec l'ancienne maison mère.

Côté acquéreur, la police lui conférera un avantage décisif par rapport aux autres personnes éventuellement intéressées par le deal, dont les contre-garanties consisteront en une mise sous séquestre ou une caution. La mise en place de l'assurance permettra, en outre, au cessionnaire de contourner les difficultés d'un éventuel refus de solidarité, au titre de la garantie de passif, de la part des cédants. La couverture de l'assurance est, par ailleurs, renforcée, puisque le dol du vendeur sera, ici, couvert par la police. De façon plus générale, celle-ci concourra à améliorer les relations entre le vendeur et l'acquéreur, notamment par le jeu de l'action directe de ce dernier à l'encontre de l'assureur, évoquée précédemment. La police pouvant être élaborée sur mesure, les garanties accordées peuvent, comme nous l'avons vu, être plus importantes que celles consenties par le cédant. Enfin, un traitement fiscal avantageux peut être mis en place : la prime d'assurance, en tant que frais d'acquisition, est, en effet, déductible immédiatement.

Certains avantages bénéficient, enfin au vendeur comme à l'acquéreur. Notamment, la police d'assurance sera, toujours, le cas échéant, interprétée en faveur de l'assuré. Vient, ainsi, se superposer à un rapport juridique égalitaire (celui relatif à la garantie de passif), un rapport contractuel plus protecteur pour le "consommateur" d'assurance.


(1) Rudyard Kipling.

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