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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 07 Octobre 2010
Maître Marsaudon : Aux termes de l'article 1er du CGI (N° Lexbase : L9234HZZ), dans sa rédaction applicable à l'espèce, issue de la codification de l'article 11-1 de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 (N° Lexbase : L2417HY8), "les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus. Les conditions d'application de ce droit sont définies à l'article 1649-0 A". La problématique de l'espèce relève du 2 de l'article 1649-0 A du CGI (N° Lexbase : L0945ICY) qui précise que "sous réserve qu'elles aient été payées en France et, [...], qu'elles aient été régulièrement déclarées, les impositions à prendre en compte pour la détermination du droit à restitution, sont : [...] b. L'impôt de solidarité sur la fortune établi au titre de l'année qui suit celle de la réalisation des revenus mentionnés au 4" (nous soulignons).
Si l'instruction du 26 août 2008 (BOI 13 A-1-08 N° Lexbase : X3967AEN) précise, dans son paragraphe 18, que les impôts ou compléments d'impôts payés à la suite "d'une relance ou d'une procédure de rectification engagée par l'administration ne peuvent être pris en compte pour la détermination du droit à restitution" (nous soulignons), elle renvoie "pour plus de précisions" au n° 34 de l'instruction du 15 décembre 2006 (BOI 13 A-1-06 N° Lexbase : X7799AD9). Or, ce paragraphe 34 précise l'interprétation que donne l'administration centrale de la notion d'impositions "régulièrement déclarées" au sens de l'article 1649-0 A. Il s'agit des impôts correspondant aux montants qui figurent sur une déclaration déposée avant l'engagement d'une procédure administrative contraignante au sens que l'instruction définit. L'examen des cas d'engagement d'une procédure contraignante qui y sont énoncés montre que la caractéristique d'une procédure contraignante est l'envoi par l'administration au contribuable d'un document coercitif exigeant une réponse de la part de ce dernier (mise en demeure de souscrire une déclaration, demande d'éclaircissement, procédure de rectification...). Le terme "relance" doit donc nécessairement s'analyser au regard du texte de cette doctrine (1).
Au cas particulier, le contribuable a souscrit une déclaration rectificative d'ISF alors qu'il ne se trouvait pas dans une des situations d'engagement à son encontre d'une procédure contraignante. En effet, et en l'espèce, la vérificatrice d'une direction spécialisée avait procédé, en premier lieu, à une rectification des revenus déclarés par le foyer fiscal au titre des années 2004 (rehaussement d'un résultat BIC) et 2005 (taxation d'une plus-value de cession de titres) par proposition de rectification n° 2120 du 21 juin 2007. En second lieu, à la suite de ce contrôle sur pièces de l'impôt sur le revenu des années 2004 et 2005, la même inspectrice s'est également penchée sur les déclarations d'ISF du foyer fiscal. Ainsi qu'elle l'écrivait le 23 janvier 2008 aux contribuables, elle se plaçait alors "dans le cadre du contrôle sur pièces de [leurs] déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune".
Dans ce cadre, une discussion s'est ouverte de façon informelle entre le service et les contribuables sur la qualification de biens professionnels, exonérés d'ISF en vertu des dispositions de l'article 885 N (N° Lexbase : L8819HL9) et suivants du CGI, que ces derniers avaient initialement donnée aux parts sociales d'une EURL possédées par l'un des époux. Après de nombreux échanges oraux et rendez-vous de travail, toujours dans un cadre informel amiable, les contribuables ont pris le parti de renoncer spontanément à cette qualification et de déposer des déclarations d'ISF rectificatives au titre des années 2005, 2006, 2007 et 2008 prenant en compte, dans l'actif taxable, la valeur des parts de l'EURL déterminée contradictoirement avec l'inspectrice. En contrepartie, le service renonçait à la prescription sexennale ainsi qu'à l'application de tout intérêt de retard.
Il faut saluer cette démarche hors normes du service qui a privilégié la discussion (sur près de 11 mois) pour aboutir à un accord des contribuables ayant donné lieu au dépôt, le 12 novembre 2008, desdites déclarations rectificatives accompagnées du règlement spontané des impositions complémentaires correspondantes. Ainsi, la déclaration rectificative relative à l'ISF 2007 a été souscrite sans mise en oeuvre d'une procédure contraignante telle que définie par la doctrine administrative citée supra.
Par ailleurs, il convient d'ajouter que l'engagement d'un contrôle sur pièces des déclarations d'ISF du foyer fiscal n'avait, en tout état de cause, aucune incidence sur le montant des impôts à prendre en compte pour la détermination du bouclier fiscal. En effet, les instructions du 15 décembre 2006 et du 28 août 2008 précitées admettent que les impôts à retenir sont ceux qui figurent sur une déclaration souscrite spontanément par un contribuable, c'est-à-dire déposée avant l'engagement d'une "procédure administrative contraignante" dont l'administration fournit une définition rappelée ci-dessus. Aucune référence n'est faite à l'engagement d'un contrôle sur pièces, étant rappelé que la doctrine administrative ne peut pas donner lieu à interprétation et doit être appliquée strictement. Dans ces conditions, il importe peu de relever qu'une déclaration a fait l'objet d'un contrôle si celui-ci n'a pas été suivi de la mise en oeuvre d'une procédure administrative contraignante.
Ainsi, s'agissant, en l'espèce, de la déclaration rectificative d'ISF 2007, il suffisait de constater qu'elle n'avait donné lieu à aucune procédure administrative contraignante pour conclure à la prise en compte de l'impôt en résultant dans le calcul du "bouclier fiscal". C'est ce qui a été fait par les contribuables et n'a pas été accepté par le service local.
Lexbase : En quoi l'ordonnance rendue par le juge des référés vous semble-t-elle critiquable ?
Maître Marsaudon : Par l'ordonnance du 19 juin 2009, le juge des référés a rejeté la requête au motif que "l'obligation de restitution dont se prévalent les requérants n'apparaît pas comme non sérieusement contestable". Le juge semble avoir tiré cette appréciation du fait que la déclaration rectificative avait eu lieu dans le cadre d'un contrôle sur pièces de l'ISF en cause, s'appropriant ainsi l'unique argument de défense de l'administration.
Cette ordonnance apparaît critiquable en ce qui concerne l'application erronée des textes dont elle procède.
En effet, s'agissant des impositions à prendre en considération pour le calcul du "bouclier fiscal", la loi (CGI, art. 1649-0 A) pose pour seule condition "qu'elles aient été régulièrement déclarées" (nous soulignons), sans autre précision. Pour l'application de cette condition un peu vague, l'administration centrale a assimilé la notion de déclaration régulière à celle de déclaration souscrite spontanément pour -ensuite- définir celle-ci comme "toute déclaration déposée avant l'engagement d'une procédure administrative contraignante" (nous soulignons) (instruction du 15 décembre 2006, BOI 13 A-1-06, n° 34) (2). C'est dans cette articulation spécifique que se situe l'apport essentiel de la doctrine administrative, opposable au service sur le fondement de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L4634ICM), quant à la portée à donner à la notion d'impositions "régulièrement déclarées".
Ainsi, est régulière la déclaration spontanée, alors qu'est spontanée la déclaration qui n'est pas contrainte par une procédure spécifique. Or, dans l'ordonnance critiquée, si le juge s'est appuyé sur la doctrine administrative précitée, il ne l'a fait que partiellement en s'en tenant au seul premier volet de l'articulation, i.e. à la notion de déclaration "souscrite spontanément", tout en lui donnant un sens beaucoup plus large puisque, selon lui, l'intervention d'un contrôle sur pièces ferait échec à cette spontanéité.
Mais, dès lors qu'il s'appuyait sur la doctrine administrative le juge se devait de l'appliquer complètement, en recherchant si le dossier avait donné lieu à une procédure contraignante, d'où, à notre sens, le mal-fondé de l'ordonnance critiquée.
Lexbase : Qu'en est-il de la motivation de l'ordonnance rendue par le juge des référés ?
Maître Marsaudon : Il est constant que le juge des référés doit suffisamment motiver son ordonnance en indiquant les faits qui fondent sa décision. Si l'ordonnance du 19 juin 2009 semble respecter ce principe en apparence, tel n'est en fait pas le cas.
En effet, la circonstance qu'un contrôle sur pièces du dossier ISF des contribuables soit intervenu au cas particulier ne suffisait pas en elle-même à justifier le caractère contestable de l'obligation à remboursement. Ainsi qu'on le sait, chaque année, l'administration procède a des dizaines de milliers de contrôles sur pièces de dossiers de contribuables depuis ses bureaux et, seule, une fraction minoritaire desdits contrôles donne ensuite lieu à une procédure administrative contraignante. Il n'existe, en conséquence, aucun lien mécanique ni automatique entre contrôle sur pièces et procédure contraignante.
Dès lors, l'intervention en l'espèce d'un tel contrôle ne pouvait aucunement constituer en elle-même un élément de fait de nature à fonder le rejet de la demande des contribuables. Le juge aurait dû vérifier in concreto si les requérants étaient ou non dépourvus de toute chance d'obtenir le remboursement demandé, i.e. vérifier si les conditions posées par la doctrine administrative dont ils se prévalaient expressément étaient effectivement remplies.
Il est constant que le juge ne l'a pas fait et que, pour ce seul motif, l'ordonnance devrait encourir, également, la censure pour insuffisance de motivation.
Lexbase : Quelle est la suite à donner à cette affaire ?
Maître Marsaudon : Par construction, le référé provision est une procédure utilisée à l'encontre d'une administration qui, pour une raison ou une autre, tarde à remplir l'obligation dont elle est débitrice à l'égard du requérant. Il n'est donc pas surprenant qu'en défense cette administration tente de contester l'obligation dont le justiciable demande au juge des référés d'ordonner l'exécution rapide.
Mais, ce dernier se doit d'éviter de confondre obligation contestée et obligation contestable. Seule, une étude approfondie des conditions de droit de l'affaire ainsi qu'une vérification concrète des faits lui permet d'éviter cet écueil. Tel n'ayant pas été le cas en l'espèce, il faut espérer que le juge d'appel sera plus vigilant. Une instance au fond a également été introduite devant le tribunal administratif de Paris.
(1) Sachant que, ainsi que l'avait rappelé Jérôme Turot dans une chronique remarquée, l'on doit s'attacher à la lettre de la doctrine administrative et non à son esprit (qu'elle ne peut revendiquer) (J. Turot, La vraie nature de la garantie contre les changements de doctrine, RJF, 5/92, pp. 371 et s., cf. en particulier son "II - La doctrine n'a aucun esprit", pp. 375 et 376).
(2) La même définition apparaît constante puisqu'elle est donnée par la doctrine administrative pour écarter les déclarations tardives spontanées du champ de la majoration de 10 % prévue au nouvel article 1758 A-II du CGI en matière d'impôt sur le revenu (instruction du 14 février 2008, BOI 13 N-1-08 N° Lexbase : X0440AEZ).
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