La lettre juridique n°349 du 7 mai 2009 : Consommation

[Jurisprudence] Prix du livre et appréciation des conditions de la loi "Lang" dans le cadre d'opération promotionnelle

Réf. : CA Paris, 14ème ch., sect. B, 6 mars 2009, n° 08/16503, SA Hachette Livre c/ SAS Gallimard Loisirs (N° Lexbase : A6128EEP)

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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier

le 07 Octobre 2010

Il est des secteurs particulièrement réglementés pour lesquels le jeu normal du marché est formellement exclu. Le prix du livre, notamment, n'est pas exclusivement fixé par la rencontre de l'offre et de la demande. En France, et depuis la loi "Lang" du 10 août 1981 (loi n° 81-766, relative au prix du livre N° Lexbase : L3886H3C), comme chacun sait, c'est l'éditeur qui fixe unilatéralement le prix du livre, sans possibilité, en principe, pour le distributeur de se soustraire à la volonté de l'éditeur (dans la limite de 5 % du prix fixé). Le contentieux portant sur l'application de la loi "Lang" se développe, néanmoins, sous la pression à la fois des grandes surfaces et des sites de vente en ligne. Les difficultés d'interprétation de cette loi vieille de près de 30 ans aujourd'hui auraient pu laisser, en effet, la possibilité pour les opérateurs de tenter de se ménager une plus grande liberté dans la fixation du prix du livre. En certaines hypothèses, c'est le distributeur qui propose des promotions sur le prix. Il ne peut évidemment revenir directement sur le prix de vente au consommateur fixé unilatéralement par l'éditeur. Certains ont, en revanche, voulu réduire le coût réel payé par le consommateur. Dans une première affaire, un distributeur, notamment, avait proposé des bons d'achat pour l'acquisition de livres scolaires sur des achats à venir. Une librairie concurrente et le syndicat de la librairie française l'avaient assigné pour avoir proposé à ses clients une prime illicite à la fois au titre de la loi "Lang" et de l'article L. 121-35 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6476ABH, vente avec prime) : la Cour de cassation (Cass. com., 20 novembre 2007, n° 06-13.797, FS-P+B N° Lexbase : A7094DZR, JCP éd. E, 2008, 1429, note D. Mainguy et St. Bénilsi) avait reconnu dans cette pratique un acte de concurrence déloyale.

Dans une deuxième affaire, un autre distributeur, spécialiste de la vente à distance grâce à un site Internet, proposait à ses clients une livraison gratuite pour toute commande de livres. La cour d'appel saisie du litige avait fait droit à l'action engagée une nouvelle fois par le syndicat de la librairie française, caractérisant une prime dans le fait d'offrir les frais de port. L'arrêt fut cassé sur ce point par la Chambre commerciale de la Cour de cassation au motif que "la prise en charge par le vendeur du coût afférent à l'exécution de son obligation de délivrance du produit vendu ne constitue pas une prime au sens des dispositions du Code de la consommation" (Cass. com., 6 mai 2008, n° 07-16.381, FS-P+B+I N° Lexbase : A4464D8T, Contrats conc. consom., août 2008, comm. n° 251, note G. Raymond).

Enfin, dans un autre arrêt de la Cour de cassation (Cass. com., 26 février 2008, n° 07-12.725, FP-P+B N° Lexbase : A1791D7H, Contrats conc. consom., 2008, comm. n° 193, obs. G. Raymond), qui aboutit à l'arrêt sur renvoi ici commenté, la Chambre commerciale avait cassé la décision de la cour d'appel de Paris en date du 24 janvier 2007 (CA Paris, 14ème ch., sect. A, 24 janvier 2007, n° 06/14660 N° Lexbase : A1409DUQ, rendu en matière de référé). Dans cette dernière affaire, c'est l'éditeur lui-même qui avait engagé une campagne de promotion par les prix sur ses guides de voyages. Il offrait aux lecteurs, pour une durée limitée, la possibilité d'obtenir un remboursement partiel (à hauteur de 4 euros) à la condition de l'achat simultané de deux guides touristiques. Des concurrents avaient engagé une action en concurrence déloyale pour faire cesser l'offre incriminée. Il s'agit là d'un nouvel exemple d'action devant le juge civil pour une pratique pourtant pénalement sanctionnée. Personne ne s'en étonnera néanmoins tant le droit pénal des affaires (et essentiellement le droit pénal de la consommation) se révèle souvent inefficace devant les juridictions répressives.

Les juges du fond premièrement saisis avaient ordonné sous astreinte la cessation de la campagne de promotion litigieuse ainsi que la diffusion de toute publicité y afférente. Deux questions de droit étaient, en l'espèce, soumises à la Cour de cassation. La première était celle de la qualification de l'offre promotionnelle : vente avec prime ou réduction de prix ? De cette qualification découlait une partie de la résolution du litige dans la mesure où la vente avec prime est formellement interdite par l'article L. 121-35 du Code de la consommation. La réduction de prix, en revanche, pour autant évidemment qu'elle soit décidée par l'éditeur, est a priori parfaitement licite. La Cour de cassation avait, en conséquence, refusé de voir dans cette pratique une vente avec prime, un remboursement ne pouvant être considéré comme "une prime consistant en produits, biens ou services" (C. consom., art. L. 121-35, v. J. Calais Auloy et Fr. Steinmetz, Droit de la consommation, 7ème éd., Dalloz, 2006, n° 156).

Il restait, en second lieu, que le prix fixé par l'éditeur ne pouvait être, en vertu de l'article 1er de la loi du 10 août 1981 cette fois, qu'un prix unique. Aux termes de celui-ci, "toute personne physique ou morale qui édite ou importe des livres est tenue de fixer, pour les livres qu'elle édite ou importe un prix de vente au public. Ce prix est porté à la connaissance du public. [...] Les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 pour 100 et 100 pour 100 du prix fixé par l'éditeur". Or, précisément, les concurrents soutenaient que "la notion de prix unique s'applique tant au détaillant qu'à l'éditeur et qu'en accordant le remboursement de 4 euros sur la vente de deux de ses livres l'éditeur modifiait le prix fixé par lui-même, peu important que le détaillant ait perçu la totalité dudit prix".

La Cour de cassation cassa l'arrêt d'appel sur ce second point, considérant que "l'obligation qui pèse sur l'éditeur de fixer, pour les livres qu'il édite, un prix de vente au public à partir duquel les détaillants doivent pratiquer le prix effectif, ne fait pas obstacle à ce que cet éditeur consente un remboursement partiel à ceux qui achètent simultanément plusieurs livres qu'il édite, pourvu que ce remboursement s'applique à tous les acheteurs quel que soit le détaillant auprès duquel ils se sont fournis".

Saisie sur renvoi, mais autrement composée, la cour d'appel de Paris pourrait sembler résister par cet arrêt du 6 mars 2009 à la décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en confirmant l'interdiction de la promotion en cause. Elle le fait, néanmoins, sur un autre fondement.

Deux interprétations de la loi "Lang" s'affrontent ici, l'une accordant à l'éditeur toute liberté dans la fixation du prix, l'autre faisant du livre un bien culturel d'exception, excluant toute promotion par les prix ou la soumettant à des exigences formelles particulièrement rigoureuses pour protéger non seulement les éditeurs mais également les petits détaillants (que cette promotion soit ou non voulue par l'éditeur). En d'autres termes, un éditeur peut-il proposer à ses lecteurs, pour autant que tous les distributeurs perçoivent un prix de vente égal, des réductions en volume (en l'espèce, rembourser une partie du prix à celui qui achète simultanément deux livres) ?

La Cour de cassation répond par l'affirmative, la cour d'appel de Paris suit le même raisonnement mais y ajoute une autre condition de validité. En l'occurrence selon cette dernière, "l'opération promotionnelle litigieuse n'a pas été portée à la connaissance de tous les détaillants et [...] elle a été proposée sous conditions ; que dès lors, indépendamment du fait que certains détaillants, informés, aient fait le choix, pour des raisons commerciales, de ne pas relayer cette opération, le procédé par lequel l'offre de remboursement était mise en oeuvre ne pouvait pas atteindre tous les acheteurs [...] il s'ensuit que la société [...] ayant mené cette opération contraire aux dispositions de l'article 1er de la loi du 10 août 1981, a causé à ses concurrents un trouble manifestement illicite qu'il entre dans les pouvoirs du juge des référés de faire cesser [...]".

La compétence du juge des référés n'était pourtant pas évidente. Le trouble pouvait-il être considéré comme manifestement illicite à défaut de disposition légale en ce sens dans la loi "Lang" ? L'article 1er, en effet, impose un prix unique du livre, mais ce n'est que par une interprétation extensive que les juges de la cour d'appel de Paris comprennent ces dispositions comme imposant, également, une information effective et similaire de tous les détaillants distributeurs sur l'opération en cause.

La cour d'appel confirme bien la validité d'une opération promotionnelle fondée sur des offres de remboursement par l'éditeur, même si celle-ci n'est proposée qu'à partir de deux livres achetés simultanément. De sorte qu'en pratique, les consommateurs peuvent être amenés à payer un prix unitaire réel variable selon qu'ils achètent un ou plusieurs livres, simultanément ou non. L'arrêt de la cour d'appel conditionne, néanmoins, cette validité à un strict respect de l'information des détaillants. En l'espèce, si l'égalité entre clients est respectée par l'opération, le site internet notamment "n'est pas ouvert aux détaillants qui passent commande des ouvrages par un autre réseau". Il est, alors, surtout reproché à l'éditeur de ne pas avoir envoyé à l'ensemble des détaillants la lettre circulaire précisant les modalités de l'opération. C'est là un effet plus inattendu sans doute de l'interprétation rigoureuse de la loi "Lang" et de l'exigence d'un prix unique qui, au-delà des dispositions expresses des textes, permet d'imposer un principe d'égalité entre détaillants.

On en déduit volontiers, dans une perspective plus générale, que tant la loi "Lang" que la sanction des ventes avec primes relèvent tout aussi bien du champ du droit de la concurrence que de la protection de la production culturelle française.

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