Réf. : CA Paris, 1ère ch., sect. H, 8 avril 2009, 3 arrêts, n° 2008/22218 (N° Lexbase : A1799EGQ), n° 2008/22085 (N° Lexbase : A1797EGN), et n° 2008/22106 (N° Lexbase : A1798EGP)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
le 07 Octobre 2010
I - La responsabilité du dépositaire principal
La responsabilité du dépositaire principal dépend d'une articulation juridique assez complexe, notamment quant à la propriété des fonds déposés, ce qui rend délicate l'appréciation des sommes qu'il doit au fonds en cas de défaillance du Prime Broker (A). L'AMF, dans un premier temps, puis, la cour d'appel de Paris, dans un second temps, se sont attachées, pour ce faire, à une analyse des textes de droit interne et des liens unissant le dépositaire au sous-dépositaire (B).
A - Une articulation juridique complexe
Le premier fonds commun de placement concerné par ce litige avait été constitué par la société Delta alternative management, société de gestion, qui l'avait confié à la société RBC Dexia, dépositaire, son agrément par l'AMF étant obtenu au titre d'OPCVM alternatif à règles d'investissement allégées à effet de levier (dit "ARIAL EL"). Il était, ainsi, réservé, à la souscription des seuls investisseurs qualifiés.
Le deuxième fonds, créé par la société Laffite capital management avait, également, comme dépositaire la société RBC Dexia et se trouvait pareillement soumis à la réglementation propre aux fonds "ARIAL EL".
Le troisième fonds, enfin, constitué par société Day Trade Investissement, le dépositaire en étant la Société Générale, était placé sous le même régime. Ces trois produits financiers faisaient, à cette occasion, l'objet d'un contrat de sous-dépositaire tripartite avec la société de droit anglais Lehman Brothers International Europe (LBIE), contrat auquel intervenaient tous les intéressés, sociétés de gestion, dépositaires principaux et Prime Broker.
La convention conclue entre le dépositaire et le Prime Broker était une convention dite "Tripartite sub-Custody Agreement" qui désignait la société LBIE en tant que sous-dépositaire des actifs des trois fonds. Parallèlement, les sociétés gestionnaires et le sous-dépositaire avaient conclu une convention internationale de Prime Brokerage (International Prime Brokerage Agreement), l'agrément des fonds n'étant obtensible, aux termes de l'instruction AMF du 25 janvier 2005 (instruction AMF n° 2005-01 N° Lexbase : L0871G8R), qu'à la condition de la production d'une lettre de conformité établie par le Prime Broker. Dans celle-ci, la Société LBIE, devait rappeler, sous la rubrique "principales dispositions légales et réglementaires", les termes de la convention qui figurent ci-après.
En vertu de celle-ci :
- Pour garantir les obligations de l'OPCVM envers le Prime Broker, l'OPCVM pouvait remettre en pleine propriété des instruments financiers, contrats, créances, droits ou sommes d'argent ou constituer des sûretés sur de tels biens ou droits au bénéfice du Prime Broker dans les conditions et les limites définies par l'article R. 214-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5119HCL).
- Les biens ou droits de l'OPCVM ayant fait l'objet d'une sûreté au bénéfice du Prime Broker pouvaient être utilisés ou aliénés par le Prime Broker, à charge pour lui de restituer à l'OPCVM des biens ou droits équivalents.
- La valeur de la créance du Prime Broker sur l'OPCVM, constituée par l'ensemble des obligations de l'OPCVM envers le Prime Broker résultant d'opérations sur des instruments financiers et de contrats donnant lieu à un règlement en espèces ou à une livraison, était déterminée et communiquée quotidiennement par le Prime Broker à la société de gestion suivant les modalités déterminées dans la convention.
- Conformément à l'accord exprès de la société de gestion, les actifs de l'OPCVM dont la tenue de compte-conservation était assurée par le Prime Broker pouvaient être utilisés par le ce dernier.
- Dans l'hypothèse de la survenance d'un cas d'insolvabilité du Prime Broker, l'OPCVM pouvait résilier la convention et les contrats qui lui étaient liés et compenser les dettes et les créances réciproques y afférentes (y compris celles relatives aux sûretés et garanties, ainsi qu'à l'utilisation ou l'aliénation des actifs, biens ou droits) en établissant un solde unique dû par une des parties, ce nonobstant l'ouverture de toute procédure collective, amiable ou judiciaire, fondée sur l'insolvabilité du Prime Broker.
Ces hypothèses de défaillance se réalisent à l'automne 2008, lorsque, le 15 septembre, Lehman Brothers ayant été mise en faillite, sa filiale LBIE est placée sous administration judiciaire. Les gestionnaires tentant, soit d'établir l'état des pertes, soit d'obtenir directement le remboursement par le dépositaire principal, informent l'AMF de la situation respective de leurs fonds gérés.
L'Autorité, au vu des pièces fournies par les protagonistes des trois affaires, estimera que la position retenue par les dépositaires ne lui paraissait pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires applicables aux dépositaires. Ainsi, adressera-t-elle à ces deux intermédiaires une lettre, le 20 novembre 2008, demandant à RBC Dexia de rembourser aux fonds les sommes de 13 et 18 millions d'euros et, s'agissant de la Société Générale, la somme de 3 millions sous peine d'astreinte.
B - La situation du dépositaire face au contrat de sous-dépôt
Les sociétés dépositaires, RBC Dexia et la Société Générale, forment alors un recours, la première, le 28 novembre 2008, la seconde, le 1er décembre 2008, demandant à la cour d'annuler et, subsidiairement, pour la Société Générale, de réformer l'injonction de l'AMF.
Dans les trois arrêts, les sociétés dépositaires principales soulevaient différents griefs contre l'Autorité des marchés financiers et contestaient, au surplus, la compétence de la cour. Le juge, à propos de cette exception procédurale, soulignera simplement, dans ses motifs, que la décision de l'AMF qui lui était déférée n'étant ni relative à un agrément, ni à une sanction frappant les sociétés, mais consistant simplement en une injonction de se conformer aux obligations légales et réglementaires, le juge judiciaire était compétent, à travers l'attribution textuelle du litige à la cour d'appel de Paris.
Semblablement, les sociétés de gestion qui souhaitaient participer à l'instance se sont vu déboutées par le juge, aux motifs que les dispositions de l'article 330 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1925H43), qui permettent l'intervention d'un tiers, n'étaient pas invocables en l'espèce, ledit texte n'étant pas applicable à la procédure suivie devant l'AMF et, de surcroît, incompatible avec la nature du contentieux en cause. Les conditions de la mise en oeuvre de l'article 330 du code précité, n'étant au surplus pas réunies, l'AMF, n'étant pas une partie au sens de ce texte, l'intervention des sociétés de gestion sera déclarée irrecevable.
Le fond du débat portait, cependant, sur la mise en oeuvre des conventions de sous-dépositaire, car les dépositaires principaux invoquaient les stipulations de la convention passée avec la LBIE pour contester les modalités de la restitution retenues par l'AMF.
Sur ce point, d'ailleurs, l'argumentation des deux dépositaires différait dans son fondement. La Société Générale, d'abord, soutenait que l'AMF lui imposait une restitution immédiate de fonds détenus par le sous-dépositaire en vertu de la convention conclue avec la LBIE, alors qu'aucun texte ne l'aurait contraint à une telle restitution, seul le sous-dépositaire en étant tenu. La Société Générale invoquait, également, le transfert de responsabilité du dépositaire au sous dépositaire en application, selon elle, du règlement général de l'AMF, qui aurait prévu une obligation de restitution à l'encontre du seul conservateur des actifs du fonds. Quand bien même, ajoutait la Société Générale, le dépositaire principal aurait dû restituer les fonds, encore aurait-il fallu, les actifs en cause étant grevés d'une sûreté, que cette restitution soit précédée de l'apurement des dettes du fonds à l'égard du Prime Broker, puis de la mainlevée de la sûreté.
La cour d'appel de Paris, pour répondre à ces griefs, s'appuiera, d'abord, sur les termes de l'article L. 214-26 du Code monétaire et financier qui dispose que les actifs "sont conservés par un dépositaire unique distinct de la société de gestion du fonds et qui s'assure de la régularité des décisions de cette société [...]. Sa responsabilité [du dépositaire] n'est pas affectée par le fait qu'il confie à un tiers tout ou partie des actifs dont il a la garde [...]".
Le juge invoquera, également, l'article 233-14 du RG de l'AMF qui reprend cette même disposition quant à la responsabilité du dépositaire. Il rappellera, enfin, qu'en vertu des termes de l'article 322-4 du RG, le teneur de compte conservateur "a l'obligation de restituer les instruments financiers inscrits en compte dans ses livres [...]" et, qu'en l'espèce, le dépositaire exerce cette fonction de tenue de compte conservation des instruments financiers, ainsi qu'en dispose l'article 323-2 du RG de l'AMF.
Ces arguments, ajoutés au fait que, comme le rappelle le juge, aucune possibilité de dérogation contractuelle n'était prévue à l'obligation de restitution, à l'époque de la constitution du fonds, les conventions conclues entre la Société Générale et la LBIE ne permettaient pas à la première de s'exonérer de la responsabilité établie par les textes. Ces arguments lui permettront de conclure que le collège compétent de l'autorité des marchés financiers avait pu, à juste titre, enjoindre à la Société Générale de restituer au fonds une somme équivalente aux actifs détenus par la société LBIE.
La société RBC Dexia, elle, soutenait une thèse plus contractualiste. Elle prétendait, en effet, avoir été expressément déchargée de son obligation de restitution par la convention conclue avec le LBIE, soulignant que la convention avait un caractère tripartite qui avait permis d'établir une relation directe entre le gestionnaire du fonds et le Prime Broker. RBC Dexia soutenait, par ailleurs, que contrairement à l'intitulé de la convention, la LBIE n'était pas un dépositaire mais un délégataire parfait, accepté par le fonds, ce qui exonérait le dépositaire principal de son obligation de restitution.
Cet argument, tiré de la liaison directe entre le fonds et le Prime Broker, lui permettait, au surplus, de soutenir que la responsabilité encourue et l'obligation de restitution devraient être dissociés, dès lors que les fonds avaient été remis au sous-dépositaire à l'initiative de la société de gestion et avec son accord.
La cour d'appel de Paris reprenant, face à la société RBC Dexia, les mêmes arguments que ceux qu'elle avait utilisés face à la Société Générale, ajoutera simplement, en réponse à l'argumentation de l'appelante, que "l'obligation de restitution résultait de dispositions d'ordre public destinées à assurer la protection de l'épargne investie dans les produits financiers et tous autres placements donnant lieu à appel public à l'épargne". Elle écartera, enfin, toute possibilité d'exonération fondée sur l'argument tiré de la force majeure, la convention de Prime Brokerage évoquant expressément l'hypothèse du placement de la LBIE sous procédure collective, ce qui supposait, donc, sa prévisibilité.
II - L'ordre public face à l'aménagement contractuel
L'interprétation de ces trois décisions laisse transparaître, au-delà de la rigueur -s'agissant de la responsabilité financière- dont ont fait successivement preuve l'AMF et la cour d'appel, un certain nombre d'interrogations quant à la portée de la notion d'ordre public (A) invoquée. Il apparaît, en effet, que si cette dernière pouvait être utilisée, c'était essentiellement à raison du contexte particulier (B) auquel étaient confrontés les protagonistes de l'affaire.
A - Les ambiguïtés quant à l'intensité de l'ordre public invoqué par la cour d'appel
La solution retenue établit, ainsi, que les textes imposent une obligation de restitution immédiate reposant sur des dispositions d'ordre public destinées à "assurer, la protection de l'épargne investie dans les produits financiers [...] et le bon fonctionnement des marchés d'instruments financiers". Sur ce dernier point, la précision donnée par la cour d'appel quant au fonctionnement des marchés ne paraît pas inutile : en effet, les OPCVM en question constituaient des produits financiers particuliers, réservés à un public d'investisseurs avisés qui ne méritaient sans doute pas une protection aussi intense que celle qui est dédiée aux petits épargnants. La protection du marché, en revanche, ne pouvait être garantie que par l'impossibilité d'écarter la réglementation par des conventions particulières.
Il demeure que ce principe, relatif à l'existence d'un ordre public justifié par la défense de l'épargne et des marchés étant posé, la cour d'appel semble en limiter certains de ses effets à l'occasion de l'examen du "périmètre et la valeur des actifs restituables" par RBC Dexia et la Société Générale.
A propos de l'affaire "Société Générale", sur la question de savoir quels étaient les actifs réalisables, le juge d'appel répond, en effet, que "ni le fonds, ni le dépositaire, n'ont contesté que la détermination du périmètre des actifs restituable devait s'opérer en se référant à la convention de Prime Brokerage". Aux termes d'un raisonnement à l'occasion duquel le juge fait essentiellement référence à l'injonction de l'AMF, la cour rappelle, ainsi, que l'Autorité s'était appuyée sur la convention précitée pour opérer une distinction entre : les actifs qui demeuraient toujours la propriété de l'OPCVM (les actifs en conservation) et ceux qui avaient été transformés en droit de créance, c'est-à-dire ceux qui entraient "dans le champ de la compensation". Le collège de l'AMF estimera, en conséquence, que les actifs restituables étaient les instruments financiers dont la conservation était, au 12 septembre 2008, confiés à la LBIE au titre de la convention de sous conservation. En revanche, n'étaient pas restituables les actifs ayant fait l'objet d'une appropriation par LBIE, conformément au contrat de Prime Brokerage, et qui correspondaient à la dette du fonds vis-à-vis du sous-dépositaire.
Par comparaison, les deux affaires dans lesquelles RBC Dexia était dépositaire étaient plus complexes : d'abord, parce que, dans l'arrêt visant le fonds LRA (affaire n° 2008/22106), l'OPCVM n'avait pas de dettes vis-à-vis du sous-dépositaire, le collège de l'AMF ayant pu relever que, s'agissant des créances compensables, la dette globale du fonds envers la LBIE étant inférieure à celle de la LBIE. Ainsi, c'est une créance qui, après compensation, faisait ressortir un solde positif au bénéfice du dépositaire et non une dette à déduire du périmètre des actifs restituables.
Ensuite, dans l'arrêt visant le fonds Delta (affaire n° 2008/22085) le collège de l'AMF avait relevé, au contraire, que le LBIE avait utilisé abusivement des actifs, contrairement aux accords contractuels passés avec le dépositaire. Considérant que cette appropriation constituait une atteinte aux droits de propriété du fonds, l'AMF avait décidé que les actifs détournés, restant la propriété du fonds, n'étaient pas déductibles de la restitution due par le dépositaire principal. La cour d'appel, suivant le raisonnement de l'Autorité, adoptera, donc, le même calcul que celui que l'AMF avait réalisé quant au montant des sommes restituables, et rejettera la demande de réduction de RBC Dexia.
B - Des solutions pragmatiques
Les solutions ainsi dégagées reposent, cependant, sur des aspects paradoxaux. D'une part, la responsabilité du dépositaire n'est fondée que sur le caractère d'ordre public de la réglementation, cette dernière excluant la prise en compte des conventions passées avec le sous-dépositaire. D'autre part, le juge, en contrepoint, fait jouer les termes de la convention afin de déterminer, au regard des stipulations qu'elle contient, quels sont les actifs qui sont demeurés la propriété du fonds et quels sont ceux qui, ayant servi à rémunérer le sous-dépositaire, sont devenus des créances compensables et, partant, exclues du "périmètre" de la restitution.
Autrement dit, le caractère d'ordre public permet de poser le principe de la restitution, mais le contrat reprend ses droits pour en déterminer le quantum. Le procédé peut, ainsi, sembler périlleux : comment déterminer ce qui doit être écarté dans les clauses et ce qui doit être retenu ? L'ordre public qui, en théorie, interdit tout aménagement par contrat des dispositions législatives ou réglementaires ne peut, à l'évidence, être appliqué en amont, pour décider de l'indemnisation, et... rejeté en aval, afin de calculer le montant dont le dépositaire principal est redevable.
Voilà pour la théorie. En pratique, on ne saurait, cependant, qu'approuver les solutions adoptées par l'AMF et par le juge. En premier lieu parce que, en imposant le principe de l'indemnisation au dépositaire principal, les deux entités ne font que mettre en oeuvre la volonté du législateur, en faisant jouer les mécanismes de sécurité institutionnelle qui caractérisent en France, la protection de la gestion collective. On comprendrait mal, en effet, que la conclusion de contrats internationaux par les dépositaires puisse constituer un procédé d'affaiblissement de la protection que la place de Paris offre aux investisseurs. En second lieu, la solution se justifie parce que, même au prix des contradictions que nous venons de relever, la prise en compte des stipulations d'un contrat relevant de l'ordre juridique international constitue la marque d'une certaine forme de sécurité pour les intermédiaires et les opérateurs financiers dans le cadre de marchés définitivement internationalisés. Le juge nous offre ainsi, une fois encore, une décision mesurée dans une affaire où, entre les enjeux liés à la protection de l'investisseur et ceux qui visent à garantir la sécurité des affaires, la solution à trouver passait par une voie particulièrement étroite, seule susceptible de ménager l'ensemble des intérêts en cause.
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