La lettre juridique n°349 du 7 mai 2009 : Licenciement

[Jurisprudence] Périmètre de l'obligation de reclassement du salarié inapte et indemnité spéciale de licenciement

Réf. : Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-41.708, Société Ecofibre c/ M. Tewfik Chergui, F-P+B (N° Lexbase : A1977EEX)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Lorsqu'un salarié est déclaré inapte consécutivement à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, l'employeur ne saurait le licencier sans avoir, au préalable, respecté l'obligation de reclassement dont il est débiteur en vertu de la loi. Il est de jurisprudence constante que les possibilités de reclassement doivent être recherchées, non seulement dans l'entreprise où travaillait précédemment le salarié, mais aussi dans toutes les entreprises du groupe, dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. Pour être ainsi élargi au-delà de la seule entité employeur, le périmètre de reclassement ne se laisse pas facilement saisir, étant entendu que le groupe dont il est, ici, question ne saurait être ramené au groupe de sociétés tel qu'il est entendu pour l'application de diverses autres règles de droit du travail. L'arrêt rendu le 25 mars 2009 par la Cour de cassation présente l'intérêt majeur de permettre de mieux cerner ce "groupe de reclassement", tout en offrant à la Chambre sociale l'occasion de revenir sur le montant de l'indemnité de licenciement versée au salarié inapte qui n'a pu être reclassé.
Résumé

La cour d'appel, qui a constaté l'existence de sociétés ayant un papier à en-tête identique, les mêmes coordonnées et le même numéro de téléphone et leur siège social au même endroit et qui s'est également fondée sur les conditions d'une réunion ayant eu pour objet d'examiner les possibilités de reclassement du salarié au sein de plusieurs sociétés, a pu déduire de ses constations la possibilité de permutation du personnel au sein d'un groupe.

L'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L. 1226-14 du Code du travail (N° Lexbase : L1033H97) est, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, égale au double de l'indemnité légale prévue par l'article L. 1234-9 de ce code (N° Lexbase : L8135IAK). Par conséquent, viole l'article L. 1226-14 la cour d'appel qui retient que l'indemnité conventionnelle étant plus favorable que l'indemnité légale, cette indemnité conventionnelle doit s'appliquer et être doublée alors qu'il s'agit d'un licenciement pour inaptitude à la suite d'un accident du travail.

Commentaire

I - Le groupe comme périmètre de l'obligation de reclassement

  • Principe

Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités (C. trav., art. L. 1226-10 N° Lexbase : L1026H9U). En vertu de ce texte, l'employeur est donc débiteur d'une obligation de reclassement à l'égard du salarié inapte et il ne pourra le licencier que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un poste approprié aux aptitudes nouvelles du salarié, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé (C. trav., art. L. 1226-12 N° Lexbase : L1029H9Y) (1).

Si l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur ne saurait être qualifiée d'obligation de résultat, pas plus en vertu de la loi que de la jurisprudence, cette dernière apparaît pour le moins rigoureuse en la matière (2). Cette rigueur transparaît, notamment, des exigences posées par la Cour de cassation relativement au périmètre de l'obligation de reclassement. En effet, ainsi que le considère de longue date la Chambre sociale, les investigations que doit mener l'employeur au titre de son obligation ont lieu "à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel" (3).

Il résulte, à l'évidence, de cette solution que l'obligation de reclassement ne saurait être uniquement mise en oeuvre dans l'entité qui emploie le salarié. Il convient de dépasser ce cadre. Cela étant, la Cour de cassation n'est pas allée jusqu'à exiger que le périmètre de reclassement s'étende à l'ensemble du groupe auquel appartient l'entité en cause. Sont seules concernées les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent à l'employeur d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. Cela étant, il n'est guère facile de déterminer avec précision le périmètre de l'obligation de reclassement ainsi conçu. L'arrêt sous examen apporte, de ce point de vue, d'utiles enseignements.

  • Mise en oeuvre

Dès lors que l'on dépasse la seule entité économique autonome employant le salarié, le périmètre de l'obligation de reclassement paraît, au premier chef, dépendre de la faculté de permuter entre cette entité et d'autres tout ou partie du personnel. Une telle possibilité sera, à l'évidence, facile à démontrer lorsque de telles permutations seront intervenues par le passé. Mais, cela n'est nullement nécessaire et l'éventualité d'une telle permutation paraît suffire (4).

Pour confirmer la décision des juges d'appel, qui avaient considéré qu'existait une possibilité de permutation du personnel au sein d'un groupe, la Cour de cassation relève que ces derniers avaient constaté l'existence de sociétés ayant un papier à en-tête identique, les mêmes coordonnées et le même numéro de téléphone et leur siège social au même endroit et s'étaient également fondés sur les conditions d'une réunion ayant eu pour objet d'examiner les possibilités de reclassement du salarié au sein de plusieurs sociétés. Cette solution peut être diversement appréciée. Sans doute doit-elle être approuvée en ce qu'elle donne des garanties accrues au salarié quant à son maintien dans un emploi. Pour le reste, elle fait bien peu de cas de la notion de groupe et de l'autonomie juridique des entités que le composent. A dire vrai, on peut se demander s'il peut être encore question de groupe en la matière, alors même que la Cour de cassation s'y réfère de manière expresse (5).

On pouvait, en effet, penser, à la lecture des décisions antérieures de la Cour de cassation, qu'il convenait, dans un premier temps, de caractériser l'appartenance de la société employeur à un groupe pour, ensuite, déterminer si une permutation du personnel était possible entre tout ou partie des entités le composant. Or, à lire la décision rapportée, on a plutôt l'impression que c'est à la démarche inverse que procède la Cour de cassation : c'est parce que la permutation du personnel était envisageable entre diverses entités que ces dernières font partie d'un groupe. Si cette façon de procéder peut être critiquée, elle présente l'avantage d'écarter tout questionnement sur la détermination de la notion de groupe de sociétés en la matière. On admettra qu'il y a là une question délicate, dès lors que la notion de groupe de sociétés peut recevoir des acceptions différentes en droit des sociétés et en droit du travail et, au sein même de cette discipline, selon les règles à mettre en oeuvre. Mais cela signifie, par là même, qu'une société peut être comprise dans un "groupe" pour la mise en oeuvre de l'obligation de reclassement, pour cette seule raison qu'elle peut permuter tout ou partie de son personnel avec d'autres sociétés.

Il est vrai, qu'en l'espèce, la possibilité de permuter le personnel et, par voie de conséquence, l'existence d'un groupe, découlait de l'existence d'un papier à en-tête, de coordonnées et d'un numéro de téléphone identiques et du fait que le siège social de ces sociétés était au même endroit. En outre, les juges du fond s'étaient fondés sur les "conditions" d'une réunion ayant eu pour objet d'examiner les possibilités de reclassement du salarié au sein de plusieurs sociétés. On peut se demander si la solution aurait été identique en l'absence d'une telle réunion (6) ou, encore si, celle-ci ayant eu lieu, les autres éléments n'avaient pu être relevés. A notre sens, et à s'en tenir à cette dernière interrogation, le seul fait qu'une société examine avec d'autres, dans une démarche purement volontariste, les possibilités de reclassement d'un salarié inapte ou menacé d'un licenciement économique ne saurait caractériser la possibilité avérée d'une permutation du personnel au sens où l'entend la Cour de cassation, c'est-à-dire dans le cadre d'un "groupe". Par conséquent, et contrairement à ce que peut laisser à penser une lecture rapide de l'arrêt, il faut d'abord caractériser l'existence d'un "groupe" entre plusieurs entités, serait-il apprécié de manière très lâche, pour ensuite se demander si la permutation du personnel est possible entre les entités qui le compose.

Au-delà, l'arrêt rapporté ne permet pas de régler la lancinante question que pose l'obligation d'assurer le reclassement d'un salarié dans une entité autonome qui n'est pas son employeur. Celle-ci étant tiers au contrat de travail, on ne voit pas comment il pourrait lui être juridiquement imposé de prendre à son service un salarié qu'elle ne connaît pas. Seule peut-être la théorie des "co-employeurs" le permettrait. A cet égard, il n'est pas exclu que, dans l'arrêt sous examen, la Cour de cassation ait, en réalité, caractérisé l'existence d'une pluralité d'employeur. Bien plus, n'y a-t-il pas quelques artifices à affirmer que des sociétés ayant le même papier à en-tête, les mêmes coordonnées, le même numéro de téléphone et leur siège social au même endroit constituent encore réellement des personnes juridiques distinctes ?

Au final, l'arrêt du 25 mars 2009 confirme que, s'agissant de l'appréciation du périmètre de reclassement, la Cour de cassation entend retenir une démarche souple et très pragmatique qui dénature la notion de groupe de sociétés ou, pour être moins sévère, lui confère une figure qui ne présente que peu de ressemblances avec le groupe de sociétés telle qu'on l'entend, notamment, pour la mise en place du comité de groupe ou l'organisation de la négociation collective.

II - Le montant de l'indemnité spéciale de licenciement

  • Les règles légales applicables

Ainsi qu'il a été vu précédemment, dès lors que l'employeur a respecté son obligation de reclassement et que, ce faisant, il justifie de son impossibilité de proposer au salarié un emploi adapté à ses capacités ou du refus par celui-ci du poste proposé, il est en droit de licencier le salarié (C. trav., art. L. 1226-12).

Dans cette hypothèse, la rupture du contrat de travail ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 du Code du travail (N° Lexbase : L1307H9B), ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9 du Code du travail (N° Lexbase : L8135IAK) (C. trav., art. L. 1226-14). Ces indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.

Ce dernier texte a pu susciter et continue visiblement de susciter, si l'on a égard à l'arrêt rapporté, des difficultés d'interprétation relativement au renvoi qui est fait aux "dispositions conventionnelles plus favorables". En l'espèce, les juges du fond avaient retenu que l'indemnité conventionnelle étant plus favorable que l'indemnité légale, cette indemnité conventionnelle doit s'appliquer et être doublée dès lors qu'il s'agit d'un licenciement pour inaptitude à la suite d'un accident du travail.

  • Les stipulations conventionnelles susceptibles de recevoir application

Visant l'article L. 1226-14 du Code du travail, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond sur ce point en considérant "qu'en statuant ainsi alors que l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L. 1226-14 du Code du travail est, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, égale au double de l'indemnité légale prévue par l'article L. 1234-9 de ce code, la cour d'appel, qui n'a pas relevé l'existence de telles dispositions conventionnelles, a violé le texte susvisé".

Cette solution ne constitue en aucune façon une nouveauté, la Cour de cassation l'ayant déjà énoncé par le passé (v., notamment, Cass. soc., 22 février 2000, n° 98-40.137, M. Noël Collignon c/ Société Compagnie générale de chauffe N° Lexbase : A5144CY8). Elle doit, en outre, recevoir approbation. Si, par application de l'article L. 1226-14 du Code du travail, une indemnité doit être doublée, il ressort clairement de ce texte qu'il s'agit de l'indemnité légale de licenciement visée par l'article L. 1234-9 et non de l'indemnité conventionnelle. Par suite, et contrairement à ce qu'avaient fait les juges du fond en l'espèce, le texte en cause n'implique pas de comparer indemnité conventionnelle et indemnité légale et, si la première est supérieure à la seconde, de la multiplier par deux, mais bien de comparer l'indemnité légale doublée et l'indemnité conventionnelle éventuellement prévue.

Cela étant admis, il convient de s'interroger, par ailleurs, sur ce qu'il convient d'entendre par "indemnité conventionnelle", étant entendu que l'on peut en avoir une conception plus ou moins stricte. En effet, on peut considérer qu'est uniquement visée l'indemnité dont la convention collective prévoit qu'elle est versée à un salarié licencié consécutivement à son inaptitude ou, plus largement, l'indemnité conventionnelle versée en cas de licenciement, sans plus de précisions. Retenir la première solution reviendrait à considérer qu'à défaut de stipulations conventionnelles expresses, relatives à l'indemnisation du salarié licencié des suites de son inaptitude, seule doit lui être versée l'indemnité spéciale de licenciement visée par l'article L. 1226-14, alors même que l'indemnité conventionnelle de licenciement peut être d'un montant supérieur. A notre sens, cette solution doit être exclue. Dans la mesure où il s'agit d'indemniser le salarié en raison de la perte de son emploi, il doit être tenu compte du montant de l'indemnité conventionnelle prévue en cas de licenciement. Indemnité à laquelle le salarié pourra prétendre, dès lors qu'elle est supérieure à l'indemnité légale doublée.

Il en ira différemment si la convention collective soumet le bénéfice de cette indemnité conventionnelle à des conditions restrictives, par exemple, en prévoyant son versement uniquement en cas de licenciement pour motif économique. Reste une dernière interrogation lorsque la convention collective prévoit à la fois le versement d'une indemnité en cas de licenciement et en cas de licenciement consécutif à une inaptitude et que ces indemnités étant toutes deux supérieures à l'indemnité légale doublée, la première est plus avantageuse que la seconde. Dans ce cas, qui confine convenons-en à l'hypothèse d'école, le juge ne peut qu'octroyer la seconde indemnité, sauf à méconnaître la volonté claire et précise des parties signataires de l'acte juridique en cause.


(1) Une même obligation de reclassement pèse sur l'employeur lorsque le salarié est victime d'une inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel (C. trav., art. L. 1226-2 N° Lexbase : L1006H97) et lorsqu'il est menacé d'un licenciement pour motif économique (C. trav., art. L. 1233-4 N° Lexbase : L1105H9S).
(2) Sur les exigences prétoriennes en la matière, v. F. Héas, Le droit au reclassement du salarié, en cas de restructuration de l'entreprise ou d'altération de sa santé, Dr. ouvrier, 2007, p. 452.
(3) Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et a. (N° Lexbase : A4018AA3), Bull. civ. V, n° 123 (licenciement pour motif économique) ; Cass. soc., 24 octobre 1995, n° 94-40.188, Société Décolletage plastique c/ M. Jadault (N° Lexbase : A1451ABD), Bull. civ. V, n° 283 (inaptitude d'origine professionnelle) ; Cass. soc., 16 juin 1998, n° 96-41.877, Société Paragerm c/ M. Castanet (N° Lexbase : A5624ACB), Bull. civ. V, n° 322 (inaptitude d'origine non professionnelle).
(4) V., en ce sens, F. Héas, art. préc., p. 457.
(5) Rappelons que la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir déduit de leurs constatations "la possibilité de permutation du personnel au sein d'un groupe".
(6) Remarquons que, pour la Cour de cassation, c'est moins la réunion en cause qui paraît importante que les "conditions" de celle-ci, sans que l'on en connaisse la nature.

Décision

Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-41.708, Société Ecofibre c/ M. Tewfik Chergui, F-P+B (N° Lexbase : A1977EEX)

Cassation partielle de CA Lyon, ch. soc., 7 février 2007

Texte visé : C. trav., art. L. 1226-14 (N° Lexbase : L1033H97)

Mots-clefs : inaptitude d'origine professionnelle ; obligation de reclassement ; périmètre ; groupe de sociétés ; permutation du personnel (notion) ; licenciement ; indemnité spéciale de licenciement ; dispositions conventionnelles plus favorables

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