Réf. : Cass. soc., 8 avril 2009, n° 08-41.046, M. Yves Gambier, FS-P+B (N° Lexbase : A5052EG9)
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par Sébastien Tournaux, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Le changement d'employeur qui constitue une novation du contrat de travail ne peut, sauf dispositions législatives contraires, résulter que d'une acceptation expresse du salarié. Par conséquent, la procédure de l'article L. 1222-6 du Code du travail (N° Lexbase : L0818H98) ne s'applique pas au cas de changement d'employeur résultant du transfert d'un service ou de sa gestion à un tiers. |
Commentaire
I - L'inapplication des règles relatives à la modification du contrat de travail au transfert volontaire d'entreprise
L'arrêt commenté était l'occasion pour la Cour de cassation de se prononcer sur l'articulation de deux règles considérées comme des exceptions en droit du travail.
La première de ces règles est celle qui concerne le transfert du contrat de travail d'un salarié en cas de perte de marché. La Cour de cassation juge, depuis longtemps déjà, que le transfert de plein droit du contrat de travail, par l'effet de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y), n'est pas applicable en cas de transfert volontaire (2) -accord entre le cédant et le cessionnaire de marché- ou en cas de transfert conventionnel (3) -convention ou accord collectif prévoyant le transfert des salariés en cas de perte de marché-.
S'agissant donc d'une procédure dérogatoire, la Cour de cassation juge classiquement que le salarié doit donner son accord exprès pour que son contrat soit transféré (4). Cette position s'explique, notamment, par l'effet du principe d'effet relatif des conventions à l'égard des tiers. En effet, celui-ci implique que soit refusé qu'un accord conclu entre deux prestataires à l'égard d'un marché ait des conséquences sur les contrats de travail, sauf à ce que la loi le prévoie, comme c'est le cas en cas de transfert d'une entité économique autonome.
La seconde de ces règles est celle qui concerne la modification du contrat de travail lorsque la proposition faite par l'employeur est justifiée par un des motifs économiques de l'article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7). En effet, alors que, depuis l'arrêt "Raquin" (5), le silence du salarié qui continue de travailler dans l'entreprise ne peut plus valoir acceptation de la modification proposée, l'article L. 1222-6 du Code du travail (N° Lexbase : L0818H98) a introduit une procédure dérogatoire lorsque la modification repose sur une cause économique.
Dans ce cas de figure, la proposition doit être faite par lettre recommandée avec accusé de réception. Le salarié dispose d'un véritable délai de réflexion d'un mois à compter de la réception de la lettre pour faire connaître son refus. A défaut de réponse dans ce délai, le salarié est réputé avoir accepté la modification.
La Cour de cassation devait donc se prononcer sur l'articulation entre ces deux règles.
Le salarié d'une entreprise de restauration collective voit son contrat de travail transféré à l'occasion de la perte du marché de l'entreprise, par l'effet du contrat conclu entre les deux prestataires. Même s'il conteste les conditions dans lesquelles celle-ci est intervenue, le salarié a donné son acceptation au transfert de son contrat de travail. Cependant, jugeant que la proposition de changement d'employeur lui avait été faite pour des raisons économiques, le salarié invoque l'application de l'article L. 1222-6 du Code du travail et de la procédure spécifique à la modification du contrat pour motif économique.
La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel qui avait débouté le salarié de ses demandes. Elle énonce, d'abord, que "le changement d'employeur qui constitue une novation du contrat de travail ne peut, sauf dispositions législatives contraires, résulter que d'une acceptation expresse du salarié". Elle en déduit que la procédure de l'article L. 1222-6 ne pouvait s'appliquer "au cas de changement d'employeur résultant du transfert d'un service ou de sa gestion à un tiers", quand bien même le transfert aurait été justifié par un motif économique. Dans ces conditions, le salarié devait simplement être informé des conditions du transfert et bénéficier d'un délai de réflexion suffisant pour faire son choix.
II - La procédure applicable au transfert volontaire du contrat de travail à la suite d'une perte de marché
Cet arrêt revêt une importance particulière puisqu'il fourmille de différentes indications de la Cour de cassation sur le transfert volontaire des contrats de travail.
La première indication réside évidemment dans le fait que la procédure de modification pour motif économique ne trouve pas à s'appliquer au transfert conventionnel. Ce refus d'application semble tenir à deux explications.
Elle découle, tout d'abord, de la qualification de novation du contrat. Même s'il a parfois été reproché à la Cour de cassation de confondre les notions de novation du contrat et de modification du contrat (6), la Chambre sociale démontre qu'elle y voit bien une véritable différence. En effet, le changement d'employeur constitue à ses yeux une novation, plus précisément une novation par changement de débiteur ou de créancier (7). Or, comme l'exige l'article 1273 du Code civil (N° Lexbase : L1383ABT), "la novation ne se présume point". En revanche, la modification du contrat de travail pour motif économique, visée par l'article L. 1222-6 du Code du travail, consiste pour l'essentiel dans la modification d'un élément de la rémunération, de la durée de travail, du secteur géographique de travail ou des fonctions du salarié. Le champ de cette règle ne s'étend donc pas jusqu'à la novation, ce qui explique qu'il ne puisse en être fait application au transfert volontaire du contrat de travail.
Elle découle, ensuite, des procédures particulières relatives à la novation et à la modification du contrat pour motif économique. En effet, comme le sous-entend la Chambre sociale, ces procédures sont tout à fait incompatibles.
D'un côté, la novation ne peut être présumée, si bien que l'acceptation de cette transformation du contrat ne peut être qu'expresse. D'un autre côté, la modification du contrat de travail pour motif économique, et c'est d'ailleurs bien là sa spécificité, peut être acceptée par le silence, puisque le défaut de refus du salarié dans un délai d'un mois vaut acceptation. "Sauf dispositions législatives contraires", comme le précise la Chambre sociale, il aurait donc été illogique de faire application des règles de la modification au transfert conventionnel.
Il peut, enfin, être ajouté que ce refus d'articulation du transfert volontaire et de la procédure de modification du contrat pour motif économique s'inscrit dans une logique d'interprétation très restrictive de cette procédure particulière. Ainsi, on se souviendra que la Cour de cassation refuse également d'appliquer la procédure de modification lorsque la modification, reposant pourtant sur un motif économique, intervient dans le cadre de l'obligation à la charge de l'employeur de reclasser le salarié dont le licenciement est envisagé (8).
Une deuxième indication est fournie par la Cour de cassation s'agissant de la procédure à respecter en cas de transfert conventionnel d'entreprise.
En effet, en constatant que le salarié avait été "informé des modalités de l'opération qui relevait d'une application volontaire [...] et bénéficié d'un délai de réflexion suffisant pour faire son choix", la Cour apporte deux précisions d'importance.
Tout d'abord, le salarié doit être informé de l'opération de transfert volontaire de son contrat de travail, ce qui paraît tout à fait logique afin qu'il soit en mesure d'accepter ou de refuser le transfert. La Cour s'était jusqu'alors limitée à imposer que la procédure conventionnelle soit respectée quand le transfert résultait de l'application d'une convention collective (9).
Reste à savoir comment la Cour entend s'assurer que le salarié a bien été informé. Comme toujours, nous ne saurions que trop recommander de notifier cette information par écrit. Quant à la sanction du défaut d'information, il est possible de raisonner par analogie avec l'information conventionnelle et d'estimer que le défaut d'information permet de caractériser l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement subséquent (10).
Ensuite, la Cour de cassation précise que le salarié, en cas de proposition de transfert de son contrat de travail lors d'une perte de marché, doit bénéficier d'un délai de réflexion suffisant afin d'effectuer son choix. S'il est difficile de juger ce que la Cour de cassation considèrera comme un délai suffisant, ce délai devrait être inférieur à un mois (11), à défaut de quoi la procédure de l'article L. 1222-6 aurait été respectée et le salarié n'aurait pas invoqué ce texte en l'espèce.
Une troisième et dernière question peut être posée à l'analyse de cette décision. Le refus par le salarié du transfert volontaire de son contrat de travail peut-il constituer une cause de licenciement pour motif économique ? En effet, si le transfert volontaire constitue une novation et non une modification du contrat de travail, il n'entre alors pas dans la catégorie prévue par l'article L. 1233-3 visant la "modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail".
Le licenciement pour motif économique demeure néanmoins envisageable, mais à condition de ne pas reposer sur le refus du salarié de son transfert. Il est, en effet, possible que la perte de marché implique pour l'employeur l'obligation de supprimer des emplois dans l'entreprise. A condition d'être causé par la suppression d'emploi et non par le refus par le salarié de son transfert, le licenciement économique pourra éventuellement être justifié.
(1) L. Gaudin, La novation en droit du travail, une notion en quête d'utilité, RDT, 2008, p. 162.
(2) Cass. soc., 2 avril 1998, n° 96-40.383, Société Lafitte c/ Mme Maryse Lesbarrères (N° Lexbase : A6934AHB).
(3) Cass. soc., 7 novembre 1989, n° 86-43.524, Mme Esnaud et autres c/ Caisse autonome nationale de la Sécurité sociale dans les Mines et autre (N° Lexbase : A5251CGL), Bull. civ. V, 1989, n° 644 ; Cass. soc., 12 décembre 2001, n° 99-45.921, M. Gilles Pellegrini, F-D (N° Lexbase : A6583AX4), RJS, 4/2002, n° 398.
(4) Pour un tour d'horizon très critique de la question, lire P. Morvan, Application conventionnelle de l'article L. 122-12 et accord du salarié : plaidoyer pour un revirement, JCP éd. S, 2006, p. 1964.
(5) Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, M. Raquin et autre c/ Société anonyme Jacques Marchand (N° Lexbase : A1981ABY), Dr. soc., 1988, p. 140, note J. Savatier ; D., 1988, p. 58, note Y. Saint-Jours.
(6) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 9ème éd., 2005, p. 1346.
(7) Par opposition à la novation par changement d'objet ou de cause de l'obligation.
(8) Cass. soc., 17 mai 2006, n° 04-43.551, M. Bernard Bazin, F-D (N° Lexbase : A4566DPS) et les obs. de Ch. Radé, Le reclassement n'est pas une modification du contrat de travail comme les autres, Lexbase Hebdo n° 217 du 31 mai 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N8975AKM).
(9) Cass. soc., 11 mars, n° 01-40.863, Société Sécuritas France c/ M. Eugène Cazette, publié (N° Lexbase : A3882A7W) et les obs. de S. Koleck-Desautel, La Cour de cassation précise les conséquences du non-respect d'une procédure conventionnelle d'information préalable au transfert en cas de perte de marché, Lexbase Hebdo n° 64 du 26 mars 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6571AAM).
(10) Ibid..
(11) En l'espèce, les moyens annexés à l'arrêt nous apprennent que le salarié a été informé le 6 février de la perte de marché et qu'il a accepté le transfert le 2 mars suivant.
Décision
Cass. soc., 8 avril 2009, n° 08-41.046, M. Yves Gambier, FS-P+B (N° Lexbase : A5052EG9) Rejet, CA Chambéry, ch. soc., 6 février 2007 Textes cités : C. trav., art. L. 1222-6 (N° Lexbase : L0818H98) et L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y) Mots-clés : transfert volontaire du contrat de travail ; novation ; procédure ; modification pour motif économique (non) Lien base : |
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