La lettre juridique n°345 du 9 avril 2009 : Rémunération

[Jurisprudence] Reprise du paiement du salaire du salarié inapte : un mois, sinon rien !

Réf. : Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-44.748, M. Daniel Nerzic, F-P+B second moyen du pourvoi incident (N° Lexbase : A2017EEG)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


Le Code du travail laisse à l'employeur un mois pour reclasser un salarié inapte ou le licencier, à défaut de quoi il devra reprendre le paiement des salaires suspendu par l'arrêt maladie. Ce délai d'un mois ne saurait être prolongé sous prétexte que le médecin du travail a été saisi pour préciser la portée de son deuxième avis. C'est cette solution qui ressort d'un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation en date du 25 mars 2009 (II). L'arrêt rappelle, également, de manière incidente, que les partenaires sociaux ont la possibilité de stipuler expressément que le non-respect des dispositions relatives au pouvoir de licencier de l'employeur sera sanctionné par la nullité (II).
Résumé

Si les conventions et accords collectifs de travail peuvent limiter les possibilités de licenciement de l'employeur à des causes qu'ils déterminent, le licenciement prononcé pour un motif autre que ceux conventionnellement prévus n'est pas nul, mais seulement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en l'absence de dispositions conventionnelles prévoyant expressément la nullité dans une telle hypothèse.

Le délai d'un mois fixé par l'article L. 122-24-4 (N° Lexbase : L1401G9R), devenu L. 1226-4 (N° Lexbase : L1011H9C) du Code du travail, qui court à compter du second examen du médecin du travail, avant que l'employeur ne soit tenu de reprendre le paiement du salaire au salarié ni licencié, ni reclassé, ne peut être ni prorogé, ni suspendu, peu important que le médecin du travail soit conduit à préciser son avis après la seconde visite.

Commentaire

I - La stipulation conventionnelle d'une cause de nullité de licenciement

  • Le sort des dispositions conventionnelles relatives au licenciement

La jurisprudence admet que le licenciement prononcé en violation de dispositions conventionnelles est dépourvu de cause réelle et sérieuse (1). Le juge n'est, toutefois, tenu que des dispositions qui restreignent la liberté de licencier de l'employeur, et non par celles qui seraient moins favorables au salarié (2). Mais qu'en est-il lorsque la convention collective prévoit la nullité d'un licenciement ? C'est à cette question que vient indirectement répondre cet arrêt en date du 25 mars 2009.

  • L'affaire

Cette affaire mettait en cause l'application de la Convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs du 11 avril 1986 et, singulièrement, son article 17. Prétendant que ces dispositions excluaient le licenciement d'un agent pour cause d'inaptitude médicale, l'un d'entre eux avait tenté d'obtenir, en vain, l'annulation de son licenciement devant les juges du fond. Le pourvoi contre l'arrêt entrepris est rejeté, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant que, "si les conventions et accords collectifs de travail peuvent limiter les possibilités de licenciement de l'employeur à des causes qu'ils déterminent, le licenciement prononcé pour un motif autre que ceux conventionnellement prévus n'est pas nul, mais seulement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en l'absence de dispositions conventionnelles prévoyant expressément la nullité dans une telle hypothèse", avant de considérer que "la cour d'appel a exactement décidé que la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs avait envisagé que l'invalidité et l'inaptitude à la conduite puissent aboutir à la rupture du contrat de travail ; que le moyen n'est pas fondé".

  • L'intérêt de l'affirmation

A première vue, il ne pourrait s'agir, ici, que d'un simple problème d'interprétation d'une disposition conventionnelle et la lecture de l'article 17 en cause suffira pour se convaincre que les partenaires sociaux n'avaient pas souhaité écarté la possibilité de licencier un salarié pour inaptitude, mais seulement restreindre le pouvoir disciplinaire de l'employeur aux seuls cas de faute grave. A bien y regarder, la première partie de la justification ne semblait pas indispensable au rejet du pourvoi et présente donc un intérêt particulier, d'autant qu'elle reprend une formule qu'on n'avait pas trouvé sous la plume de la Haute juridiction depuis 1997 (3). Ainsi, une convention collective pourrait prévoir "expressément la nullité du licenciement" prononcé en violation des dispositions restreignant le pouvoir de licenciement de l'employeur. Et quand on sait que, depuis 2003, toute nullité du licenciement doit entraîner la réintégration du salarié (4), on comprend tout l'intérêt de ce rappel.

  • Une solution juridiquement exacte

La solution nous semble juridiquement exacte.

En premier lieu, elle est conforme au principe de faveur, qui permet aux partenaires sociaux d'adopter des dispositions plus favorables aux salariés que les lois et règlements (5). Dans la mesure où la loi ne prévoit que la faculté reconnue au juge de proposer à l'employeur la réintégration du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse (6), le fait de prévoir l'annulation du licenciement, dans des hypothèses précises ignorées par le législateur, est incontestablement plus favorable aux salariés.

En second lieu, la solution est conforme au principe "pas de nullité sans texte", principe consacré par le Conseil constitutionnel (7) et dont la Cour de cassation fait une application presque littérale (8).

II - Le caractère préfix du délai d'un mois laissé à l'employeur pour reprendre le paiement du salaire après l'avis du médecin du travail

  • Etat du droit applicable

L'article L. 1226-4, alinéa 1er, du Code du travail (N° Lexbase : L1011H9C), dispose que, "lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail". Ce texte laisse donc à l'employeur peu de temps pour examiner les possibilités de reclassement du salarié, sur la base de l'avis du médecin du travail, avant d'être contraint de reprendre le paiement du salaire et ce, même si le salarié n'ayant pas été reclassé, il ne pourra lui fournir aucune prestation de travail.

La question de la nature de ce délai a été posée et, notamment, de son caractère ou non préfix.

Dans une précédente décision en date du 4 mai 1999, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait eu l'occasion d'affirmer que "l'obligation pour l'employeur de reprendre le paiement du salaire à compter du délai d'un mois suivant le second examen du médecin du travail, n'était pas sérieusement contestable, ce délai n'étant pas suspendu par le recours exercé devant l'inspecteur du travail" (9).

C'est ce caractère préfix qui se trouve, ici, confirmé, dans un cas de figure inédit.

  • La confirmation du caractère préfix du délai d'un mois

Cette fois-ci, l'employeur avait demandé au médecin du travail de préciser le sens de son second avis, qui disposait que le salarié était "inapte à la reprise de son poste. Peut occuper tout poste à temps partiel ne nécessitant pas un contact avec le public de façon permanente". A la suite de cet avis, l'employeur avait proposé au salarié un poste à temps partiel d'agent d'entretien polyvalent. Celui-ci avait alors saisi le médecin du travail qui avait précisé qu'il "n'était apte qu'à un poste sans aucune conduite y compris d'un véhicule léger".

La cour d'appel avait fait partir le délai d'un mois du second avis, alors que l'employeur prétendait qu'il fallait le faire partir du troisième, à tout le moins considérer le délai d'un mois comme suspendu dans l'attente de l'avis interprétatif du médecin du travail explicitant les termes de son deuxième avis. Telle n'avait pas été l'interprétation retenue par la cour d'appel, et tel n'est pas non plus l'avis de la Haute juridiction qui affirme, pour motiver le rejet du pourvoi, que "le délai d'un mois fixé par l'article L. 122-24-4, devenu L. 1226-4 du Code du travail, qui court à compter du second examen du médecin du travail, avant que l'employeur ne soit tenu de reprendre le paiement du salaire au salarié ni licencié ni reclassé ne peut être ni prorogé ni suspendu peu important que le médecin du travail soit conduit à préciser son avis après la seconde visite".

  • Une solution sévère pour l'employeur

La solution peut sembler sévère, surtout si on l'ajoute à une précédente qui avait fait obligation à l'employeur, en cas de désaccord avec le salarié sur la compatibilité de l'emploi proposé avec l'avis du médecin du travail, de saisir le médecin du travail pour recueillir son opinion (10). Cette saisine, qui est donc obligatoire si l'employeur ne veut pas être condamné pour violation de son obligation de reclassement, ne le dispense donc pas de la reprise du paiement des salaires si le délai d'un mois a expiré.

  • Une sévérité justifiée par la finalité de la règle imposant la reprise rapide du paiement du salaire

Cette sévérité est justifiée du point de vue du salarié et de la finalité de la règle introduite dans le Code du travail en 1992 et visant à accélérer le traitement de l'inaptitude. Le salarié inapte a, en effet, tout intérêt à ce que sa situation soit rapidement éclaircie dans l'entreprise, ne serait-ce que pour pouvoir, si son employeur ne peut plus lui fournir d'emploi compte tenu de son aptitude actuelle, se mettre à la recherche d'un autre emploi tout en percevant les indemnités versées par l'assurance-chômage. Par ailleurs, il convient de rappeler que, tant que le salarié n'a pas effectivement repris le travail, il ne perçoit aucune rémunération ; tout au plus l'employeur peut-il être contraint de lui verser des indemnités maladies qui viendront en complément des indemnités versées par la Sécurité sociale. La reprise du paiement des salaires peut donc s'avérer salutaire, pour le salarié, et vise à contraindre l'employeur à ne pas gagner la montre pour inciter le salarié à prendre l'initiative de la rupture du contrat et perdre, ainsi, ses droits.


(1) Cass. soc., 3 février 1993, n° 91-42.409, Société Lyonnaise des Eaux c/ M. Cottin (N° Lexbase : A3826AAX), Bull. civ. V, n° 33, JCP éd. G, 1994, II, 22254, note F. Duquesne ; Cass. soc., 24 octobre 1995, n° 93-45.926, Caisse d'épargne du Mont-Blanc c/ Mme Lefèvre (N° Lexbase : A1349ABL), Bull. civ. V, n° 282 ; Cass. soc., 25 octobre 2005, n° 02-45.158, M. Michel Coudert, FS-P+B (N° Lexbase : A1451DLC), Dr. soc., 2006, p. 110, obs. J. Savatier.
(2) Cass. soc., 6 mai 1998, n° 96-40.951, Société Guépard c/ Mme Van Sorge (N° Lexbase : A2879ACM), Bull. civ. V, n° 229. Dans le même sens, Cass. soc., 13 octobre 2004, n° 02-45.285, Société de secours minière de l'Aveyron et du Tarn c/ M. Pascal Soudan, FS-P+B (N° Lexbase : A6097DD8), Bull. civ. V, n° 256 et les obs. de G. Auzero, Inopposabilité au juge des clauses conventionnelles déterminant une cause de licenciement, Lexbase Hebdo n° 140 du 27 octobre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3253AB4).
(3) Cass. soc., 14 octobre 1997, n° 97-40.033, M. Jeanjean c/ Association familiale de gestion du lycée Anne-de-Bretagne et autre (N° Lexbase : A2315ACQ), Bull. civ. V, n° 310 : "mais attendu que la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que si les conventions et accords collectifs de travail peuvent limiter les possibilités de licenciement de l'employeur à des causes qu'ils déterminent, le licenciement prononcé pour un motif autre que ceux conventionnellement prévus n'est pas nul, mais, seulement, dépourvu de cause réelle et sérieuse en l'absence de disposition conventionnelle prévoyant expressément la nullité du licenciement dans une telle hypothèse ; qu'ayant constaté qu'une telle disposition n'existait pas dans la convention collective du travail du personnel enseignant laïc, la cour d'appel, qui en a exactement déduit que la réintégration ne pouvait être ordonnée par le juge, a pu décider qu'il n'existait pas de trouble manifestement illicite ; que le moyen n'est pas fondé".
(4) Cass. soc., 30 avril 2003, n° 00-44.811, Mme Gabrielle Velmon c/ Association Groupe Promotrans, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A7501BSM) et les obs. de S. Koleck-Desautel, La Cour de cassation consacre le droit à réintégration de la femme enceinte illégalement licenciée, Lexbase Hebdo n° 71 du 14 mai 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N7288AA8) ; Dr. soc., 2003, p. 831, chron. B. Gauriau.
(5) C. trav., art. L. 2251-1 (N° Lexbase : L2406H9Y).
(6) C. trav., art. L. 1235-3 (N° Lexbase : L1342H9L).
(7) Cons. const., décision n° 2001-455 du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale (N° Lexbase : A7588AXC), § 12.
(8) En matière de licenciement, la Haute juridiction admet, également, l'annulation du licenciement en cas de violation d'une liberté fondamentale, ainsi que lorsque la loi suggère par une formule autre que le licenciement serait nul (à propos de la nullité du licenciement du salarié qui exerce valablement son droit de retrait, Cass. soc., 28 janvier 2009, n° 07-44.556, FS-P+B (N° Lexbase : A7036ECL) et nos obs., Nullité du licenciement et exercice du droit de retrait : le revirement qu'on attendait, Lexbase Hebdo n° 337 du 12 février 2009 - édition sociale ([LXB=N4913B]).
(9) Cass. soc., 4 mai 1999, n° 98-40.959, M. Carmouse c/ M. Alguacil (N° Lexbase : A4808AG8), Dr. soc., 1999, p. 743, obs. Ch. Radé. Solution confirmée par Cass. soc., 28 janvier 2004, n° 01-46.913, M. Antonio De Sousa Pires c/ Société Signaux Girod, F-P (N° Lexbase : A0430DBK), Bull. civ. V, n° 3 ; Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 03-47.395, Etablissements P. Claux et fils et compagnie c/ M. Daniel Soulet, FS-P+B (N° Lexbase : A5535DLL) ; Cass. soc., 22 mars 2006, n° 04-46.025, M. Jean-Michel Napierala c/ Société CIS Amrein, F-D (N° Lexbase : A8037DNY) ; Cass. soc., 9 avril 2008, n° 07-41.141, M. François Ranson, F-P+B (N° Lexbase : A9773D74) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Recours contre l'avis d'aptitude : obligation de reprendre le versement de salaires, Lexbase Hebdo n° 303 du 8 mai 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N8862BEX).
(10) Cass. soc., 6 févr. 2008, n° 06-44.413, M. Alaoua Bounouar, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7266D4U) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Avis du médecin du travail et reclassement : question de compatibilité, Lexbase Hebdo n° 293 du 20 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N1937BEH).

Décision

Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-44.748, M. Daniel Nerzic, F-P+B second moyen du pourvoi incident (N° Lexbase : A2017EEG)

Cassation partielle, CA Grenoble, ch. soc., 10 septembre 2007

Texte visé : C. trav., art. L. 411-11 (N° Lexbase : L6313ACS, art. L. 2132-3, recod. N° Lexbase : L2122H9H)

Mots clef : inaptitude ; régime conventionnel ; avis d'inaptitude ; délai d'un mois pour reclasser ou licenciement ; caractère préfix

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