La lettre juridique n°345 du 9 avril 2009 : Fonction publique

[Jurisprudence] L'obligation de donner un emploi à tout fonctionnaire en activité et ses conséquences indemnitaires

Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 4 mars 2009, n° 311122, M. Brunel (N° Lexbase : A5777EDC)

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 07 Octobre 2010

L'article 15 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 (N° Lexbase : L4748AQW) a posé un principe qui n'est pas contesté aujourd'hui, et qui se trouve en filigrane des problématiques de gestion de la fonction publique : "La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration". Il a, ainsi, été reproché à la gestion des ressources humaines dans la fonction publique certains défauts généraux. On évoque volontiers son caractère bureaucratique, son insuffisance d'anticipation, voire encore son égalitarisme acharné (1). Les ministères, les collectivités territoriales et les hôpitaux ont, ces dernières années, accompli des progrès manifestes dans la gestion de leurs agents. Cette gestion est, d'ailleurs, au coeur des projets engagés dans le cadre de la modernisation de la fonction publique (2). Cependant, ces progrès peuvent paraître, en certains cas, encore insuffisants au regard de la persistance de certaines pratiques ou moeurs administratives. Le contentieux relatif aux actions en responsabilité exercées par des fonctionnaires sans affectation pendant des années et qui se plaignent d'avoir vu leur carrière mise entre parenthèses connaît, en effet, un certain essor qui peut paraître, eu égard au constat précédemment dressé, pour le moins surprenant. Il ressort des faits de l'espèce de l'arrêt "Brunel" du 4 mars 2009, qu'à la date du 1er avril 2000, le requérant a été nommé dans le corps des administrateurs civils, corps interministériel qui représente la majorité des postes offerts à la sortie de l'ENA, et qui correspond, notamment, à la fonction de concevoir, mettre en oeuvre, et évaluer les politiques publiques dans les différents ministères et les établissements publics administratifs. Affecté au ministère de l'Emploi et de la Solidarité, le requérant a occupé les fonctions de secrétaire général adjoint à la Délégation interministérielle à la Ville, puis celles de chargé de mission à la Direction de l'administration générale, du personnel et du budget. Au titre de la mobilité statutaire, il a, par la suite, été affecté au ministère de la Défense pour une durée de deux ans en qualité de responsable du pôle commercial de l'établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense. Ayant été relevé de ses fonctions le 1er juillet 2002 et remis à la disposition de son administration d'origine, il est resté sans fonction pendant près de deux ans entre le 1er juillet 2002 et le 30 septembre 2004.

Estimant, alors, que l'administration aurait commis des fautes dans la gestion de sa carrière durant toute cette période, il demande réparation du préjudice matériel et moral ainsi causé par la diminution progressive de ses attributions et responsabilités au sein de la Délégation interministérielle à la ville, par la décharge de responsabilité de chef du pôle économique, et par son absence d'affectation pendant plus de deux ans. Le requérant est débouté quant aux deux premiers chefs de préjudice. La Haute juridiction administrative énonce que la diminution progressive de ces activités au ministère de l'Emploi est liée à sa manière de servir et n'est pas étrangère à l'intérêt du service, le requérant ayant bénéficié, en tout les cas, d'une nouvelle affectation dans un délai raisonnable. En outre, la décharge de responsabilité au ministère de la Défense est, selon les Sages du Palais Royal, elle aussi justifiée par l'intérêt du service en raison, notamment, des difficultés relationnelles rencontrées par le requérant dans l'exercice de ses fonctions. Les conséquences du retrait de responsabilité ont été, de surcroît, rapidement tirées par la mise à disposition de son administration d'origine, toujours dans un délai raisonnable.

En revanche, le troisième chef de préjudice lié à l'absence d'affectation est retenu par le Conseil d'Etat, dans la mesure où "tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade". Le fait d'avoir maintenu le requérant en activité avec traitement, mais sans affectation, méconnaît cette règle et constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Il appartenait, en effet, "au ministre compétent, soit de lui proposer une affectation, soit, s'il l'estimait inapte aux fonctions correspondant à son grade, d'engager une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle".

Le principe de la responsabilité de l'administration étant établi, il convenait d'évaluer le préjudice subi par le fonctionnaire. Logiquement, l'intéressé ne pouvait prétendre, pendant la période au cours de laquelle il n'avait reçu aucune affectation, au bénéfice d'indemnités nécessairement liées à l'exercice effectif des fonctions. Mais bien que ce dernier n'ait pas fait acte de candidature au premier mouvement de mutation interne auquel il pouvait se présenter, il avait ensuite effectué plusieurs démarches dans le but de retrouver de nouvelles fonctions. Il n'y avait donc, dans le cas présent, pas lieu d'exonérer l'Etat, à ce titre, d'une partie de sa responsabilité. Enfin, le préjudice moral et l'atteinte à la réputation professionnelle subis par l'intéressé sont évalués à la somme globale de 10 000 euros, tous intérêts compris.

En faisant partiellement droit à la demande de l'intéressé, le Conseil d'Etat rappelle, une nouvelle fois, une des règles fondamentales du statut des fonctionnaires : le droit de tout fonctionnaire d'être affecté dans un emploi correspondant à son grade (I). L'inertie de l'administration à choisir entre l'affectation et le licenciement constitue une faute de nature à engager sa responsabilité et donne lieu à octroi de dommages et intérêts (II).

I - Le droit pour tout fonctionnaire de recevoir une affectation correspondant à son grade

Le Conseil d'Etat rappelle, en l'espèce, cette règle classique du droit de la fonction publique, mais aussi de gestion publique (A). Si son rappel peut paraître, en ce sens, surprenant dans l'optique de l'application depuis peu des principes nouveaux de modernisation de la gestion publique, il n'en reste pas moins qu'il existe certaines limites à l'application de cette règle (B).

A - Le rappel d'une règle fondamentale du droit de la fonction publique

La particularité de la fonction publique française est d'être organisée sur le système de la carrière. Initialement réservé à la fonction publique d'Etat, le système est désormais commun à toutes les branches de la fonction publique. Les agents administratifs sont, ainsi, recrutés à titre permanent et placés dans une situation statutaire qui leur permet de progresser dans la fonction publique et d'y demeurer, en principe, jusqu'à la fin de leur vie professionnelle. Cette carrière marque la différence à l'égard des agents non titulaires, qui n'ont pas droit à la carrière, et des agents de droit privé, salariés des entreprises, qui sont recrutés pour un emploi précis spécifié par leur contrat de travail.

Dans la logique ainsi décrite, les fonctionnaires d'Etat, des collectivités, ou des établissements hospitaliers sont recrutés dans des corps et des cadres d'emploi qui donnent à leur membre vocation à occuper plusieurs types d'emplois, c'est-à-dire de fonctions correspondant à leur grade. L'appartenance du fonctionnaire au corps dans la fonction publique d'Etat ou hospitalière, et au cadre d'emploi, lui confère donc la propriété d'un grade mais n'implique pas son affectation sur une fonction précise, ce qui permet, à la fois, de faciliter la mobilité des agents dans des fonctions correspondant à leur grade, l'adaptation permanente aux besoins du service, et la stabilité professionnelle par la continuité de la carrière.

Le fonctionnaire n'est pas recruté en vue d'occuper un emploi précis, c'est par l'effet de son intégration au sein d'un corps qu'il peut, compte tenu de l'évolution de sa carrière au sein de celui-ci, occuper tel emploi. On perçoit, ainsi, que la relation entre le grade et l'emploi procède de ce qu'il existe pour chaque corps des emplois qui lui correspondent, et que ceux-ci sont pourvus en considération du grade du fonctionnaire. Le statut général précise que "le grade est le titre qui confère à son titulaire vocation à occuper des emplois qui lui correspondent" (3). Dès lors, le Conseil d'Etat n'a pas hésité à hisser au rang des règles fondamentales du statut des fonctionnaires la règle selon laquelle "tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade" (4). Le juge vérifie si l'emploi d'affectation correspond au grade détenu par le fonctionnaire. Il a, ainsi, pu juger à propos d'un sous directeur d'administration centrale, "qu'il ressort des pièces du dossier qu'après affectation dans cet emploi, [l'intéressé] ne s'est vu confier qu'une mission temporaire sans réelle portée, a été progressivement privé de toutes attributions et de tous moyens, et finalement prié de demeurer chez lui" (5). Un fonctionnaire a droit à une affectation, et n'a pas ce caractère la décision de maintenir onze ans un agent sans affectation avec traitement (6), ni la mission de proposition et de réflexion confié à un directeur des hospices civils de Lyon après qu'il ait été procédé à la fin de ses fonctions, aucun travail effectif ne lui ayant été confié (7).

B - Un rappel des limites de l'application de la règle

Si le fonctionnaire a le droit d'être affecté dans un emploi correspondant à son grade, cela ne signifie pas que le fonctionnaire ne peut recevoir qu'une affectation correspondant à celui-ci. A titre exceptionnel, et dans l'intérêt du service, il est possible de conférer aux titulaires d'un grade déterminé des fonctions normalement remplies par des agents d'un grade supérieur (8) ou par des agents d'un grade inférieur. Aucune disposition ni aucun principe général applicable aux fonctionnaires civils n'interdit, ainsi, à l'administration de prévoir qu'un fonctionnaire puisse être placé sous les ordres d'un agent de grade inférieur au sien (9). Le directeur départemental des affaires sanitaires et sociales du Val-d'Oise a donc légalement pu prévoir que les psychologues de l'aide sociale à l'enfance, agents de catégorie A, seraient placés sous l'autorité hiérarchique directe des responsables de circonscriptions, agents de catégorie B, auxquels il appartiendrait de viser leurs demandes de congés, de formation et de remboursement de frais de déplacement (10). En outre, il est admis que, sous réserve de détournement de pouvoirs, l'autorité administrative a toujours la possibilité de procéder à la modification d'un statut d'emploi afin de permettre la nomination d'un agent public qui ne satisfait pas aux conditions de nomination exigées par ce statut (11). Dans l'arrêt d'espèce, la décharge de responsabilité découlait, notamment, des difficultés relationnelles rencontrées dans l'exercice de ses fonctions et était donc justifiée par l'intérêt du service. La diminution progressive des activités au ministère de l'Emploi étant, également, liée à la manière de servir, elle n'était pas non plus étrangère à l'intérêt du service. Ceci n'est, en revanche, pas le cas de l'absence d'affectation pendant plus de deux ans.

Il faut rappeler, à cet égard, que le fonctionnaire est seul titulaire de son grade puisque la conséquence de la titularisation des fonctionnaires est de prononcer leur intégration définitive dans un grade. L'autorité administrative, quant à elle, conserve la libre disposition de l'emploi. Le fonctionnaire n'a donc aucun droit à conserver son emploi ni à en changer, car les affectations n'ont aucune incidence sur sa situation statutaire telle que déterminée par le grade. Cela permet à l'administration de pourvoir aux affectations des fonctionnaires en tenant compte de leur grade, de leur aptitude, ainsi que de leur capacité et, ceci, dans l'intérêt du service. A l'inverse, l'idée qui prévaut est qu'un fonctionnaire qui ne reçoit pas d'affectation est celui qui ne donne pas satisfaction et qui ne répond pas aux exigences du service. L'autorité administrative doit alors avoir le courage d'aller jusqu'au bout de son raisonnement, et entamer une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle à l'encontre de son agent. Dès lors qu'elle ne considère pas que le cas de l'intéressé relève de cette procédure extrême, il lui appartient de procéder à une affectation dans un emploi de son grade.

Si elle ne le fait pas, son inertie à choisir entre l'affectation et le licenciement constitue une faute de nature à engager sa responsabilité, et doit donner lieu à l'octroi de dommages et intérêts au requérant (II).

II - Le caractère fautif de l'inertie de l'administration à choisir entre l'affectation et le licenciement

L'administration ne peut pas se fonder sur un comportement fautif de l'agent ou sur une insuffisance professionnelle pour prendre une demi-mesure consistant à ne pas engager de procédure de licenciement, tout en refusant à l'intéressé les fonctions correspondant à son grade. La jurisprudence tient, néanmoins, compte de l'existence d'un délai raisonnable dans l'établissement de la nouvelle affectation, même si ce délai doit s'entendre dans les limites de la règle du service fait (A). Elle tient, également, compte de l'éventuelle passivité de l'agent pour réduire ou supprimer l'obligation indemnitaire à la charge de l'administration (B).

A - L'illégalité liée à la non-affectation et l'application d'un délai raisonnable

L'illégalité qui résulte, pour l'Etat, de ne pas avoir prononcé l'affectation de son agent est constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité, mais uniquement lorsque l'affectation n'a pas eu lieu dans un délai raisonnable. En l'espèce, le requérant n'a pas eu d'affectation pendant plus de deux ans. Que faut-il entendre par "délai raisonnable" ? La notion doit être entendue en dehors de toute référence à la Convention européenne des droits de l'Homme et doit procéder, en réalité, de chaque cas d'espèce. Puisqu'il s'agit des propres agents de l'Etat et de pourvoir aux emplois dont il a la seule maîtrise de la gestion, le délai raisonnable, en la matière, est forcément très court, de l'ordre de quelques mois. Une telle approche est d'autant plus justifiée que l'absence d'affectation peut constituer une sanction déguisée, et l'arrêt rapporté en offre une belle illustration. Il peut arriver que, voulant sanctionner un fonctionnaire, l'Etat employeur ne lui assure aucune affectation tout en lui servant un traitement. En pareille occurrence, le défaut d'affectation permet à l'Etat de contourner les garanties statutaires offertes aux fonctionnaires en cas de sanction. En témoigne le rappel et le contrôle, en l'espèce, par la Haute cour, des garanties traditionnellement requises en matière de droits de la défense (motivation de la décision, communication préalable du dossier). La notion de délai raisonnable, assure, ainsi l'agent contre toute tentative déguisée de sanction.

Il faut aussi rappeler que normalement, pendant la période de non-affectation, l'agent ne perçoit pas son traitement en l'absence de service fait. Peu importe les raisons qui justifient cette absence d'affectation ou de service fait, et peu importe qu'elle soit le fait de l'administration elle-même ou consécutive à la force majeure (12). Applicable à toutes les dépenses des collectivités publiques, la règle du service fait subordonne le paiement des dépenses publiques à la condition, pour le bénéficiaire, d'avoir un droit acquis à ce paiement et d'avoir réalisé le service (13). S'agissant des agents de l'Etat, le Conseil d'Etat a eu l'occasion de rappeler que "les fonctionnaires n'ont, sauf dispositions législatives expresses, droit à leur traitement que pour les périodes pendant lesquelles ils ont effectivement accompli leur service" (14). Il en résulte que, même en présence d'une décision illégale, le fonctionnaire est tenu de rejoindre le lieu de son affectation et d'y accomplir son service. Autrement, toute suspension de traitement serait justifiée car il n'existe aucune relation de causalité entre l'illégalité de la décision d'affectation et le refus d'assurer le service. Par exemple, il a été jugé qu'un professeur d'université n'ayant pas rejoint le poste auquel il était affecté, sa rémunération devait être suspendue en l'absence de service fait. En effet, cette suspension était entièrement imputable à son propre comportement, dès lors que la décision d'affectation n'ayant pas le caractère d'une décision manifestement illégale et de nature à compromettre gravement un intérêt public, il était tenu de rejoindre son nouveau poste, alors même qu'il contestait cette affectation devant le juge de l'excès de pouvoir (15). En ne procédant pas à l'affectation du fonctionnaire ainsi que l'impose le statut de celui-ci, l'Etat expose donc l'agent qui continue à percevoir son traitement à la règle du service fait. Or, en l'absence de service fait, le fonctionnaire n'a aucun droit acquis à son traitement.

B - L'évaluation du préjudice subi et l'éventuelle passivité de l'agent

Il n'est pas facile d'évaluer, dans un tel cas, le préjudice soumis à réparation puisque c'est celui réellement subi par le fonctionnaire, à savoir la perte de ressources liées à la mauvaise gestion de sa carrière et à l'absence d'emploi pendant la période de non-affectation. En l'espèce, les prétentions du requérant se chiffraient à la somme de 184 300 euros, augmentée des intérêts au taux légal et des intérêts capitalisés, en réparation du préjudice matériel et moral subi du fait des décisions prises par l'administration dans la gestion de sa carrière administrative. Le juge n'a pas suivi les conclusions de l'agent concernant l'ensemble de la gestion proprement dite de sa carrière, mais a retenu le grief formulé au titre de la non-affectation pendant plus de deux ans. Il ne retient pas non plus le préjudice matériel mais seulement le préjudice moral, ainsi que celui lié à l'atteinte à la réputation professionnelle, pour l'évaluer à la somme globale de 10 000 euros.

De manière générale, la jurisprudence tient compte de l'éventuelle passivité de l'agent pour supprimer, ou réduire, l'obligation indemnitaire à la charge de l'administration. On aurait pu songer à écarter par principe, en cette matière, toute forme d'atténuation de responsabilité liée à la situation du fonctionnaire dépourvu d'affectation, en considérant que c'est à l'administration qu'il appartient, d'office, et dans les meilleurs délais possibles, de prendre les décisions adéquates, sans qu'elle ait besoin d'être spécialement incitée par les démarches de l'agent. Toutefois, une telle approche n'a pas été retenue par la jurisprudence.

Ainsi, dans la décision "Guisset", le Conseil d'Etat, s'il fait droit à la demande d'annulation de la décision refusant d'attribuer des fonctions à l'intéressé, tient compte, en revanche, pour réduire des deux tiers l'indemnité à la charge de la personne publique, du comportement du requérant, à qui "il incombait également, compte tenu, tant de son niveau dans la hiérarchie administrative, que de la durée de la période pendant laquelle il a bénéficié d'un traitement sans exercer aucune fonction, d'entreprendre des démarches auprès de son administration" (16).

De la même façon, dans la décision "Laville Saint-Martin", le Conseil d'Etat, pour réduire là encore d'un tiers l'obligation indemnitaire de l'université, retient que, "si le requérant était en droit de se voir attribuer un service pour chacune des années universitaires concernées, il lui appartenait, également, compte tenu, tant de son niveau dans les cadres de l'université, que de la durée de la période pendant laquelle il a bénéficié d'un traitement sans accomplir de service, d'entreprendre des démarches en vue d'obtenir un poste administratif, de réaliser un programme de recherche, ou d'obtenir un service d'enseignement auprès des instances de l'université" (17).

Il y a donc un point d'équilibre, concernant les fonctionnaires de haut niveau, entre une obligation pour l'administration d'attribution d'une affectation dans un délai raisonnable, et le fait pour les intéressés de ne pas se résigner à rester sans affectation avant d'entreprendre une action contentieuse, notamment indemnitaire, contre leur administration. Le Conseil d'Etat se livre, ainsi, à une appréciation poussée du comportement du requérant et sanctionne toute passivité de ce dernier. Tel n'est pas le cas en l'espèce, le juge n'exonérant pas l'Etat d'une partie de sa responsabilité, dans la mesure où le requérant n'est pas resté passif face à l'inertie de l'administration, celui-ci ayant, même s'il n'a pas fait acte de candidature au premier mouvement de mutation interne, effectué plusieurs démarches dans le but de retrouver de nouvelles fonctions. Cette solution est logique sur le fond car il n'y a pas, dans l'absolu, d'obligation pour le fonctionnaire de solliciter une affectation, obligation qui viendrait, en quelque sorte, justifier l'oubli dans lequel son administration le tiendrait. Il appartient, en effet, à l'administration d'affecter d'office ses agents dans l'intérêt du service et au nom d'une bonne gestion des deniers publics, sans que les agents n'aient à rappeler à leur administration ses obligations.


(1) Cf. Rapport du Conseil d'Etat, Perspectives pour la fonction publique, Etudes et documents du Conseil d'Etat, n° 54, La documentation française, 2003.
(2) Cf. Brochure diffusée par la Direction générale de l'administration et de la Fonction publique, LOLF et GRH : les nouvelles règles de gestion des ressources humaines dans la fonction publique, La Documentation française, 2006.
(3) Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, article 12, alinéa 2 (N° Lexbase : L5205AHA), JO, 14 juillet 1983, p. 2174.
(4) CE Contentieux, 11 juillet 1975, n° 95293, Ministre de l'Education nationale c/ Dame Saïd (N° Lexbase : A8075B79), Rec. CE, p. 424, concl. Denoix de Saint Marc.
(5) CE, 16 mai 2003, n° 242010, Frehel (N° Lexbase : A1657B9A).
(6) CE, Sect., 6 novembre 2002, n° 227147, Guisset (N° Lexbase : A7481A3H), AJDA, 2002, p. 1434, chron. F. Donnat et D. Casas, JCP éd. A, 2002, n° 1257, note D. Jean-Pierre, RFDA, 2003, p. 984, concl. J.-H. Stahl ; dans le même sens, à propos d'un haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur : CE, 23 avril 2003, n° 215356, Rieutord (N° Lexbase : A7752C8M), JCP éd. A, 2003, n° 1657, obs. A. Taillefait ; à propos d'un professeur d'université : CE, 23 juillet 2003, n° 241816, Laville Saint-Martin (N° Lexbase : A2501C9I), JCP éd. A, 2003, n° 1892, note D. Jean-Pierre.
(7) CE, 9 avril 1999, n° 155304, Rochaix (N° Lexbase : A4412AXP), Rec. CE, Mentionné aux Tables, p. 864.
(8) CE, 10 janvier 1958, Portes, Rec. CE, p. 928.
(9) CE, 24 novembre 1971, n° 80354, Département de la Savoie c/ Dlle Guillaume (N° Lexbase : A6862B8N), Rec. CE, p. 716.
(10) CE, 11 décembre 1996, n° 152106, Département du Val-d'Oise c/ Mme Lacombe (N° Lexbase : A2221APX), Rec. CE, p. 482.
(11) CE, 13 novembre 2002, n° 239064, Mme Distel et autres (N° Lexbase : A0766A47), DA, 2003, n° 16.
(12) CE, 22 avril 1921, Association générale des percepteurs de France, Rec. CE, p. 406 ; CE, 7 juin 1961, Algérie c/ Oudia Hocine, Rec. CE, p. 1075.
(13) L'article 33, alinéa 2, du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962, portant règlement général de la comptabilité publique (N° Lexbase : L5348AG8), précise, à cet égard, que "sous réserve des exceptions prévues par les lois ou règlements, les paiements ne peuvent intervenir avant, soit l'échéance de la dette, soit l'exécution du service, soit la décision individuelle d'attribution de subventions ou d'allocations", JO, 30 décembre 1962, p. 12828.
(14) CE, sect., 20 juin 1952, Bastide, Rec. CE, p. 327.
(15) CE 4° et 6° s-s-r., 10 avril 2002, n° 226720, M. Noble (N° Lexbase : A5747AYI), Cahiers de la fonction publique, 2002, n° 215, p. 41.
(16) CE, 6 novembre 2001, n° 227147, Guisset, précité.
(17) CE, 23 juilllet 2003, n° 214816, M. Laville Saint-Martin, précité.

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