La lettre juridique n°345 du 9 avril 2009 : Arbitrage

[Questions à...] L'arbitrage international, un droit dynamique en quête d'identité - Questions à Emmanuel Gaillard, Professeur de droit à l'Université Paris XII et Avocat responsable du département d'arbitrage international du cabinet Shearman & Sterling

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[Questions à...] L'arbitrage international, un droit dynamique en quête d'identité - Questions à Emmanuel Gaillard, Professeur de droit à l'Université Paris XII et Avocat responsable du département d'arbitrage international du cabinet Shearman & Sterling. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211622-questionsalarbitrageinternationalundroitdynamiqueenquetedidentitequestionsabemmanuelga
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par Anne Lebescond - Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

Le premier trimestre 2009, avec pas moins de trois arrêts essentiels -dont deux publiés au Bulletin- de la Cour de cassation relatifs à l'arbitrage international, témoigne du dynamisme de la matière. Les deux premiers arrêts, rendus par la première chambre civile, le 11 février 2009 (Cass. civ. 1, 11 février 2009, deux arrêts, n° 06-18.746, FS-P+B+I N° Lexbase : A1187EDC et n° 08-10.341, F-D N° Lexbase : A1314EDZ), ont trait au régime du recours en annulation ou en nullité de la convention d'arbitrage ou de la clause compromissoire. Le troisième arrêt (Cass. civ. 1, 11 mars 2009, n° 08-12.149, F+P+B N° Lexbase : A7197EDW), outre la précision qu'il donne sur les attributions de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI) (purement organisationnelles et non juridictionnelles), traite du recours en annulation de la sentence.
Qu'il s'agisse du recours en annulation ou en nullité de la convention d'arbitrage ou de la sentence arbitrale, le contrôle exercé par les juges nationaux sur l'arbitrage est reporté à l'issue de la procédure arbitrale, en vertu, notamment du principe de "compétence-compétence", selon lequel l'arbitre doit, le premier, connaître des contestations concernant l'existence et la validité de la convention d'arbitrage ou, plus généralement, de toute question concernant sa propre compétence. La particularité de cette procédure de règlement privé des conflits, très répandue en matière de commerce international, faute de juridiction supranationale, ne se limite pas à cet aspect. L'arbitrage est, en effet, un droit "original" (qualifié d'hybride, en ce qu'il mêle la volonté des parties, quant à la désignation de l'arbitre et aux modalités de la procédure, à la force exécutoire que revêt la sentence), qui ne trouve son pareil dans aucune autre procédure française ou relevant d'un droit étranger. C'est également un droit en quête d'identité, en l'absence d'un régime juridique commun à tous les Etats, tant à la lumière des décisions juridictionnelles rendues, qu'à celle de la philosophie sous l'angle de laquelle il est appréhendé.

Pour faire un point sur cette actualité jurisprudentielle et, plus généralement, sur l'arbitrage international, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Emmanuel Gaillard, Professeur de droit à l'Université Paris XII et Avocat associé du cabinet Shearman & Sterling, reconnu comme l'un des plus grands spécialistes de cette discipline.

Lexbase : La confidentialité est l'une des motivations du recours par les parties à l'arbitrage. Alors qu'elle était considérée comme inhérente à celui-ci, certaines décisions ont rejeté son automaticité. Quelle est la place exacte faite à la confidentialité au sein de cette procédure ? Quelles sont les autres motivations du recours à ce type de règlement des conflits ?

Emmanuel Gaillard : La confidentialité n'est, effectivement, plus vue comme un élément consubstantiel à l'arbitrage (1), mais comme une caractéristique qui dépend essentiellement de la volonté des parties (2).

La question de la confidentialité est extrêmement délicate. La première interrogation qu'elle soulève est de savoir sur quoi elle porte. S'agit-il de la confidentialité de l'existence de la procédure, de la confidentialité des documents de la procédure ou de la confidentialité de la sentence ? La question se pose, également, en termes différents, selon qu'il existe ou non un accord des parties à ce sujet (3). Une question distincte, mais liée à la précédente, est celle de savoir si des tiers peuvent intervenir dans une procédure arbitrale pour y faire connaître leur point de vue. En application du règlement de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), pourtant fort peu explicite à ce sujet, certains tribunaux arbitraux admettent, aujourd'hui, que des ONG puissent déposer des observations dans la procédure en qualité d'amicus curiae.

La distinction principale qui doit être opérée en la matière est celle de l'arbitrage commercial de droit commun et de l'arbitrage qui oppose investisseurs et Etats en matière d'investissements. Alors que, dans le premier cas, la confidentialité de l'arbitrage reste importante aux yeux des parties, dans le second, le souci de transparence et d'information du public sur des procédures concernant les deniers publics est dominant et a entraîné un renversement du principe. En l'absence d'engagement exprès en sens contraire, le principe est, en matière d'investissements, celui de la liberté des parties de s'exprimer sur la procédure arbitrale (4). Le règlement du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), par exemple, n'impose d'obligation de confidentialité qu'aux arbitres et au CIRDI, les parties restant libres de communiquer sur la procédure qui les oppose. Ce n'est que si le tribunal y voyait une source inopportune d'aggravation du différend qu'il pourrait inviter les parties à se réfréner, ce qu'il fait rarement.

Il faut, enfin, garder à l'esprit que la sanction du non-respect de la confidentialité n'est pas évidente. La Cour suprême de Suède, dans sa décision du 27 octobre 2000 (5), a opté pour une réparation financière du préjudice, écartant l'annulation de la sentence. Pour autant, il est très difficile de prouver un tel préjudice, et encore plus de l'apprécier. En définitive, pour le praticien qui demeure attaché à la confidentialité de l'arbitrage, le plus sûr est de faire figurer expressément le principe dans la convention d'arbitrage. A défaut, il n'existe aucune garantie que la confidentialité sera reconnue par les arbitres, et, moins encore qu'elle sera sanctionnée efficacement.

Dans l'ensemble des motivations du recours à l'arbitrage, la confidentialité ne vient pas en bonne position. Les parties recourent à l'arbitrage, car il s'agit, en matière internationale, d'un mode de règlement des différends neutre par rapport aux parties, parce qu'il permet la participation des parties à l'élaboration de la procédure et en raison des facilités d'exécution de la sentence résultant, notamment, de la Convention de New York du 10 juin 1958, pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères (N° Lexbase : L6808BHM). La confidentialité n'est qu'une motivation très secondaire.

Lexbase : En vue d'assurer la confidentialité de l'arbitrage, il est, donc, recommandé de la prévoir expressément. Existe-t-il d'autres réflexes essentiels que le rédacteur de la convention se doit d'adopter, pour renforcer l'efficacité de l'accord et, par là, la protection de la volonté des parties ?

Emmanuel Gaillard : La convention d'arbitrage doit, à mon sens, prévoir le siège de l'arbitrage car d'importantes conséquences juridiques en découlent, comme le recours en annulation contre la sentence à intervenir. D'autres éléments ont une importance pratique. C'est le cas, par exemple, de la langue dans laquelle l'arbitrage sera conduit. Lorsque plusieurs langues sont choisies, ce qui est possible, il faut avoir à l'esprit le coût susceptible de résulter des traductions. Une formule indiquant que chaque partie peut, à son choix, s'exprimer dans une langue ou dans une autre sans traduction est préférable, mais n'est pas toujours possible.

En revanche, il n'est pas nécessaire de choisir une procédure d'arbitrage, les arbitres étant à même de régler les questions procédurales qui se posent à eux, en choisissant ou non une loi de procédure déterminée.

Lexbase : Quels sont les principes propres au droit de l'arbitrage permettant d'assurer son efficacité ?

Emmanuel Gaillard : L'efficacité de l'arbitrage repose essentiellement sur la combinaison de deux principes, le principe d'autonomie de la convention d'arbitrage par rapport au contrat sur lequel il porte (dit "contrat de fond" ou "contrat principal") et le principe de "compétence-compétence". Sans eux, il serait très aisé pour une partie d'alléguer l'incompétence du tribunal arbitral pour faire "dérailler" la procédure arbitrale ou la retarder considérablement.

En vertu du principe d'autonomie de la convention d'arbitrage, l'éventuelle annulation de la convention principale n'atteint pas la validité de la convention d'arbitrage, que celle-ci soit insérée dans le contrat en cause (clause compromissoire) ou convenue dans un acte séparé (compromis d'arbitrage). La solution est excellente puisque, si tel n'était pas le cas, il suffirait de contester la validité de la convention de fond pour faire arrêter l'arbitrage, au motif que, si le contrat est nul, la clause compromissoire l'est aussi et que, par voie de conséquence, l'arbitre est incompétent.

Le principe de "compétence-compétence", quant à lui, permet aux arbitres de connaître des contestations relatives à la validité de la convention d'arbitrage ou au champ de leur compétence. Ainsi que l'a encore rappelé récemment la première chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 11 février 2009 (6), "il appartient à l'arbitre de statuer en priorité sur sa propre compétence". Cela ne signifie pas qu'il n'existe aucun contrôle des juridictions à ce sujet, mais simplement que ce contrôle est exercé par le juge en charge d'examiner la validité de la sentence arbitrale, une fois celle-ci rendue par les arbitres.

Lexbase : Ces principes sont-ils unanimement reconnus par les Etats ? Existe-t-il une harmonisation internationale de la matière ?

Emmanuel Gaillard : Le principe d'autonomie de la convention d'arbitrage et celui de "compétence-compétence" sont très largement reconnus en droit comparé.

Le principe d'autonomie de la convention d'arbitrage assure une étanchéité entre la convention de fond et la convention d'arbitrage et évite que des vices affectant la convention principale puissent infecter la convention d'arbitrage. Ce principe est très généralement admis. Il est reconnu par tous les règlements d'arbitrage modernes (règlements de la CCI, de la Cour Internationale d'Arbitrage à Londres (LCIA), de la Procédure de Résolution des Différends Internationaux (ICDR)...) et par la loi-type de la CNUDCI sur l'arbitrage. C'est, aujourd'hui, l'un des principes le plus communément admis en matière d'arbitrage. Le droit français a joué un rôle pionnier en la matière, puisqu'il a été l'un des premiers à poser le principe, avec l'arrêt "Gosset" du 7 mai 1963 (7).

La jurisprudence française est constante en ce sens. Récemment encore, il a été jugé que "la clause d'arbitrage international s'impose à toutes parties venant aux droits de l'un des cocontractants" (8), en cas de cession du contrat principal, sauf à démontrer le caractère intuitu personae de la convention d'arbitrage (9) ou "l'ignorance raisonnable de l'existence de cette clause" (10). La Cour de cassation a poussé le raisonnement plus loin encore, puisqu'elle admet la transmission de la clause compromissoire, alors même que le contrat initial n'a pas été valablement transmis (11).

L'acceptation du principe de "compétence-compétence" en droit comparé appelle quelques nuances. L'effet positif du principe selon lequel les arbitres peuvent continuer à exercer leur mission lorsque leur compétence est contestée et peuvent se prononcer eux-mêmes sur leur compétence sans que l'on puisse les accuser d'illogisme est très généralement admis. Là encore, le principe est reconnu par la loi-type de la CNUDCI et par la plupart des droits modernes de l'arbitrage.

La nuance concerne l'effet négatif de la "compétence-compétence". Il s'agit de la règle, pleinement reconnue en droit français, selon laquelle lorsqu'une partie saisit une juridiction étatique en dépit de l'existence d'une convention d'arbitrage, le juge saisi doit renvoyer les parties à l'arbitrage, dès lors qu'un examen prima facie lui permet de constater l'existence d'une convention d'arbitrage. C'est devant les arbitres que les parties doivent s'expliquer d'abord de manière complète sur l'éventuelle nullité de la convention d'arbitrage ou sur le fait qu'elle ne couvre pas la matière litigieuse. Cette priorité donnée aux arbitres permet de respecter, en pratique, l'effet positif du principe de "compétence-compétence". Si cette règle n'existait pas, il suffirait, en effet, de saisir la juridiction qui aurait été compétente en l'absence de convention d'arbitrage pour doubler les arbitres et rendre sans grand effet pratique l'autorisation qui leur est donnée de poursuivre leur travail, lorsque leur compétence est contestée.

Le droit français et, pour l'essentiel, le droit suisse reconnaissent pleinement cette règle. D'autres juridictions, comme celles des Etats-Unis d'Amérique, sont plus réticentes. C'est, en réalité, aujourd'hui, un indicateur essentiel de la faveur que les droits accordent à l'arbitrage.

Lexbase : Dans votre ouvrage Aspects philosophiques du droit de l'arbitrage international (12), vous expliquez ces divergences par la pluralité des conceptions philosophiques de l'arbitrage international adoptées par les Etats. Ce débat n'est-il pas très théorique ?

Emmanuel Gaillard : Ce débat pourrait, de prime abord, paraître très théorique. Il révèle, en réalité, des enjeux pratiques considérables. Des solutions très divergentes à des questions pratiques majeures dépendront, en effet, du parti philosophique, de la conception de l'arbitrage retenue par les arbitres. L'ouvrage s'attache à montrer ces enjeux et à les rattacher aux différentes visions de l'arbitrage international qui existent dans le monde. Il existe trois grandes conceptions de l'arbitrage.

La première réduit l'arbitrage international à une composante de l'ordre juridique interne du siège de l'arbitrage. L'arbitre est, ici, assimilé à une juridiction appartenant à un seul ordre juridique, celui de l'Etat du siège de l'arbitrage, conçu comme un for. Adopter une telle conception revient à considérer que l'arbitre siégeant en Angleterre, par exemple, ne se comporte pas différemment d'un juge anglais. Ainsi, dans cette hypothèse, si une décision juridictionnelle de l'Etat du siège annule la convention d'arbitrage ou la sentence, celles-ci ne peuvent être reconnues nulle part ailleurs.

La deuxième conception tend à considérer que la "juridicité" de l'arbitrage puise, en réalité, sa source non seulement dans l'ordre juridique de l'Etat du siège, mais également, dans tous les ordres juridiques dans lesquels la sentence est susceptible d'être exécutée ou qui sont prêts à reconnaître son efficacité. Dans ce cas, tous les droits concernés de près ou de loin par l'arbitrage ont une égale légitimité à se prononcer sur le sort de la sentence. Cette conception permet la reconnaissance par un Etat d'une sentence annulée au siège de l'arbitrage. Elle invite chaque Etat à raisonner sur la convention d'arbitrage ou sur la sentence arbitrale, indépendamment de toute décision étatique susceptible d'intervenir à leur sujet dans un autre Etat.

Enfin, la troisième conception envisage l'arbitrage international comme un ordre juridique autonome, l'arbitre devenant, en réalité, une "juridiction internationale". Cette conception donne à l'arbitre une pleine autonomie à l'égard des ordres juridiques étatiques pris isolément. C'est, en réalité, la convergence des droits en ce sens qui donne à la convention d'arbitrage, puis à la sentence, leur "juridicité". D'importantes conséquences juridiques en découlent, comme la possibilité pour les arbitres d'appliquer des règles transnationales ou de faire prévaloir les conceptions d'un ordre public réellement international sur les particularismes locaux.


(1) V. en sens contraire, English Court of Appeal, 1990, March 15, Dolling Baker c/ Merret et English Court of Appeal, Civil Division, 1997, December, 19, Ali Shipping Corporation v. Shipyard Trogir.
(2) Cf. Cour suprême de Suède, 27 octobre 2000, affaire "Bubank". Les juges ont refusé, dans cette affaire, de consacrer un principe général de confidentialité de l'arbitrage, en l'absence d'accord des parties en ce sens.
(3) T. com. Paris, ord. 22 février 1999, Publicis c/ True North.
(4) V., not., Supreme Court of British Columbia, 2001, February, 16, dans laquelle une ONG a été autorisée à filmer les débats et à les diffuser en intégralité sur internet.
(5) Cour suprême de Suède, 27 octobre 2000, affaire "Bubank", préc..
(6) Cass. civ. 1, 11 février 2009, n° 08-10.341, Société Laviosa Chimica Mineraria, F-D, préc..
(7) Cass. civ. 1, 7 mai 1963, JCP, 1963, II, 13405.
(8) Cass. civ. 1, 8 février 2000, n° 95-14.330, Société Taurus Films et autres c/ Société Films du Jeudi (N° Lexbase : A0032AUQ).
(9) Cass. civ. 1, 28 mai 2002, n° 00-12.144, Société Burkinabe des ciments et matériaux (CIMAT) c/ Société des ciments d'Abidjan (SCA), FS-P (N° Lexbase : A7985AYE).
(10) Cass. civ. 1, 6 février 2001, n° 98-20776, Peavey Company c/ Organisme général pour les fourrages et autres, publié au bulletin (N° Lexbase : A2882CGT).
(11) Cass. civ. 1, 28 mai 2002, n° 00-12.144, Société Burkinabe des ciments et matériaux (CIMAT) c/ Société des ciments d'Abidjan (SCA), FS-P, préc..
(12) E. Gaillard, Aspects philosophiques du droit de l'arbitrage international, éd. Les livres de poche de l'Académie de droit international de La Haye, juillet 2008.

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