Réf. : Décret n° 2008-1334 du 17 décembre 2008 (N° Lexbase : L2682ICC), décret n° 2008-1355 (N° Lexbase : L3155ICT) et n° 2008-1356 (N° Lexbase : L3156ICU) du 19 décembre 2008
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par Vincent Corneloup, Avocat associé, spécialiste en droit public, docteur en droit public, SCP Dufay-Suissa-Corneloup
le 23 Octobre 2014
Le décret n° 2008-1355 du 19 décembre 2008, de mise en oeuvre du plan de relance économique dans les marchés publics (N° Lexbase : L3155ICT), annonce clairement sa vocation, puisqu'il est relatif à "la mise en oeuvre du plan de relance économique dans les marchés publics". Ce décret constitue le coeur de la réforme. C'est lui qui permet de conclure des marchés publics de travaux après une procédure adaptée jusqu'à 5 150 000 euros HT, contre 206 000 euros HT auparavant. C'est, également, ce décret qui supprime la commission d'appel d'offres pour l'Etat, les établissements publics de santé, les établissements de santé et les établissements publics sociaux ou médico-sociaux. C'est encore lui qui prévoit qu'un avenant peut être conclu sans limitation de montant en cas de sujétions techniques imprévues ne résultant pas du fait des parties. C'est lui, enfin, qui supprime le système de la double enveloppe.
Le décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008, relatif au relèvement de certains seuils du Code des marchés publics (N° Lexbase : L3156ICU), procède au relèvement du seuil en deçà duquel il est possible de conclure un marché public sans publicité, ni mise en concurrence préalables. Il est, désormais, de 20 000 euros HT contre 4 000 euros HT auparavant. Le décret n° 2008-1550 du 31 décembre 2008 (N° Lexbase : L3836IC3), modifiant le décret n° 2002-232 du 21 février 2002 (N° Lexbase : L1381AXG), relatif à la mise en oeuvre du délai maximum de paiement dans les marchés publics, réduit, quant à lui, les délais de paiement. Enfin, la circulaire du 19 décembre 2008, relative au plan de relance de l'économie française - augmentation des avances sur les marchés publics de l'Etat en 2009 (N° Lexbase : L3150ICN), prévoit une augmentation des avances sur le paiement réalisé dans le cadre des marchés publics de l'Etat en 2009. Il convient d'indiquer que des textes d'application et, notamment, "un guide des bonnes pratiques" doivent encore voir le jour (6).
Cette réforme, réalisée de manière précipitée (I), pourrait avoir des conséquences regrettables (II).
I - Une réforme précipitée
Cette réforme répond à deux objectifs. D'une part, le pouvoir réglementaire a souhaité clarifier certains points de la règlementation des marchés publics qui, en pratique, posaient des difficultés. C'est essentiellement le décret du 17 décembre 2008 qui s'en charge et qui, pour cette raison, est sans doute le moins contestable. Par exemple, la précision, à l'article 45 du code (N° Lexbase : L2720ICQ), que des niveaux minimaux de capacités des candidats peuvent être exigés (même si ce n'est pas une obligation) est bien venue (7). D'autre part, le pouvoir réglementaire a voulu prendre un certain nombre de mesures afin de relancer l'économie dans le contexte de la crise actuelle. Il s'agit de la mise en pratique de la volonté du Président de la République qui avait annoncé cette réforme du droit des marchés publics le 4 décembre 2008, lors de son discours de Douai.
Sans même s'interroger, pour le moment, sur l'opportunité de la réforme, il faut bien constater que cette volonté de lutter contre la crise économique a conduit à une précipitation qui pourrait s'avérer préjudiciable. Ainsi, le système de la double enveloppe, jusque là obligatoire dans le cadre des appels d'offre ouvert, est supprimé. C'est donc, désormais, dans une seule et même enveloppe que la candidature et l'offre seront transmises. Malheureusement, dans sa précipitation, le pouvoir réglementaire a oublié de supprimer la seconde phrase de l'article 58 II () qui indique que "les enveloppes contenant les offres des candidats éliminés leur sont rendues sans avoir été ouvertes". Evidemment, cette exigence est aujourd'hui impossible à satisfaire puisqu'il n'y a plus qu'une seule enveloppe. La parution d'un décret rectificatif paraît s'imposer.
De même, le nouveau seuil de 20 000 euros HT en dessous duquel les marchés peuvent être conclus sans publicité ni mise en concurrence a été fixé par le décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008, qui est un décret simple et non un décret en Conseil d'Etat. Pourtant, c'est le décret-loi du 13 novembre 1938 qui fonde encore la compétence du pouvoir réglementaire pour régir les marchés des collectivités locales (8). Or, ce décret-loi exige que cet encadrement prenne la forme de règlements d'administration publique, c'est-à-dire maintenant de décrets en Conseil d'Etat (9). La légalité du décret n° 2008-1356 qui vise, évidemment, les marchés des collectivités locales est donc pour le moins incertaine (10).
II - Une réforme aux conséquences regrettables ?
La volonté de relancer l'économie par la commande publique est louable. Il est, toutefois, possible de se demander si la réforme étudiée est susceptible d'être un outil efficace pour ce faire. En effet, si le relèvement des seuils et, tout particulièrement, la possibilité de conclure des marchés sans publicité ni en mise en concurrence préalables en dessous de 20 000 euros HT introduit une certaine souplesse, il paraît, toutefois, naïf de penser que les pouvoirs adjudicateurs concluront plus de marchés publics pour cette seule raison. Un marché est conclu lorsqu'un besoin existe et lorsqu'un budget est disponible. Pour augmenter le nombre de marchés conclus, il faut donc créer des besoins et/ou des budgets. Toute autre solution n'en est pas véritablement une.
De même, la suppression de la double enveloppe, qui paraît avoir été justifiée par la jurisprudence du Conseil d'Etat refusant de sanctionner l'erreur d'un candidat ayant inclus, dans la seconde enveloppe contenant l'offre, une information exigée dans la première enveloppe relative à la candidature (11), est une simplification qui peut s'avérer néfaste. En effet, la commission d'appel d'offres pour les collectivités territoriales ou, directement le pouvoir adjudicateur pour l'Etat, risquent de se focaliser sur le prix proposé sans s'attarder sur les capacités des opérateurs économiques, comme la Fédération française du bâtiment le redoute (12).
Quant à la possibilité de conclure des marchés publics de travaux après la mise en oeuvre d'une simple procédure adaptée jusqu'à 5 150 000 euros HT au lieu de 206 000 euros, elle ne conduira, sans doute pas, à la simplification voulue au sens où les collectivités territoriales, notamment, ne devraient pas aisément prendre le risque de ne pas suivre une procédure formalisée (et donc sécurisée) lorsque des montants importants sont en jeu. Et si elles le font, le risque contentieux sera proportionnel au montant concerné : si un pouvoir adjudicateur s'écarte, par exemple, des règles de l'appel d'offre en adaptant la procédure à ses besoins, les candidats évincés auront d'autant plus le réflexe de saisir le juge que le chiffre d'affaires escompté est élevé.
Enfin, augmenter jusqu'à 20 000 euros le seuil en deçà duquel les marchés publics peuvent être conclus sans publicité ni mise en concurrence risque de conduire les pouvoirs adjudicateurs à favoriser les achats locaux ou auprès des opérateurs économiques déjà introduits auprès d'eux. La qualité de l'achat et son coût peuvent s'en ressentir. Pour s'en tenir au coût, c'est en favorisant la concurrence qu'il est possible de le faire baisser, et non pas en la restreignant. Or, si l'achat public est rendu plus onéreux par la réforme, n'est-ce pas autant de deniers publics qui ne seront pas consacrés à la relance de l'économie ? Certes, le seuil de 20 000 euros peut paraître encore relativement bas mais, en ce qui concerne de très nombreuses collectivités territoriales, tout particulièrement dans le cas des marchés de fourniture et surtout de service, c'est la majeure partie de leurs marchés publics qui est concernée.
Toujours à propos de ce seuil de 20 000 euros, il faut rappeler que le Code des marchés publics entré en vigueur le 1er septembre 2006 reposait sur un certain nombre de principes, patiemment élaborés par le ministère de l'Economie (13), au nombre desquels figurait la volonté de promouvoir l'accès des PME à la commande publique. Mais ce sont, évidemment, celles-ci, principales intéressées par l'ouverture à la concurrence des marchés aux montants relativement faibles, qui risquent d'être lésées par la soustraction de tous les marchés d'un montant inférieur à 20 000 euros à l'obligation de publication et de mise en concurrence. La réforme du Code des marchés publics remet, ainsi, partiellement en cause un principe par ailleurs toujours d'actualité (14) dudit code. Tout cela est-il bien sérieux ?
(1) CE, Ass., 16 juillet 2007, n° 291545, Société Tropic Travaux Signalisation (N° Lexbase : A4715DXW) : "Indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires".
(2) CE, Sect., 3 octobre 2008, n° 305420, Syndicat mixte intercommunal de réalisation et de gestion (N° Lexbase : A5971EAE) : une procédure de passation ne doit être annulée par le juge du référé précontractuel que si l'irrégularité invoquée a lésé ou risque de léser le requérant. Le référé précontractuel change ainsi de nature, passant d'un recours de nature objective à un recours de nature subjective.
(3) Ces CCAG sont en préparation depuis de longs mois mais devraient voir le jour avant la fin du premier semestre 2009, selon le ministère de l'Economie.
(4) Directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007, modifiant les Directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics (N° Lexbase : L7337H37).
(5) Le projet de loi pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés (APCIPP), actuellement en discussion devant le Parlement prévoit d'habiliter le Gouvernement à adopter la partie législative d'un Code de la commande publique dans un délai de 18 mois à compter de sa publication.
(6) Mais les décrets sont déjà applicables : celui du 17 décembre depuis le 19 décembre, ceux du 19 décembre depuis le 21 décembre, et celui du 31 décembre depuis le 2 janvier 2009 (sauf pour son article 3 concernant les marchés passés par une collectivité territoriale ou un établissement public local autre que ceux ayant un caractère de santé, qui prévoit son propre calendrier).
(7) Le doute était, en effet, permis jusqu'à ce que le Conseil d'Etat juge qu'il n'y avait pas obligation de fixer des niveaux minimaux de capacité : CE, 8 août 2008, n° 307143, Région de Bourgogne (N° Lexbase : A0741EAP).
(8) CE, 29 avril 1981, n° 12851, Ordre des architectes (N° Lexbase : A3921AKG), Recueil, p. 197 ; CE, 5 mars 2003, n° 238039, Ordre des avocats à la cour d'appel de Paris (N° Lexbase : A3482A74), Recueil, p. 90.
(9) Cf. la loi n° 80-5145 du 7 juillet 1980 (N° Lexbase : L7042ICS), portant suppression du renvoi aux règlements d'administration publique.
(10) Sur cette question, cf., notamment, Encyclopédie Dalloz Collectivités locales, Cahiers d'actualité 2009-1, p. 4.
(11) CE 2° et 7° s-s-r., n° 292570, 7 novembre 2008, Société Hexagone 2000 (N° Lexbase : A1734EBT).
(12) Le Moniteur Expert, dépêche du 9 janvier 2009.
(13) L'élaboration de ce Code a pris plus d'un an, des consultations publiques ayant même été organisées. Ce qui contraste avec la précipitation à l'origine de la réforme étudiée.
(14) Cf., par exemple, l'obligation d'allotissement (C. marchés publ., art. 10 N° Lexbase : L2670HPL).
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