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N4802BIP
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par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne - Aix Marseille 3
le 07 Octobre 2010
Cette affaire est en soi banale. Un artisan a réalisé en qualité de prestataire d'importants travaux de réaménagement, de gros entretien et de réfection sur les bâtiments de deux sociétés immobilières dont il est cogérant avec son épouse. En outre, il a fait des prestations sur un bien immobilier appartenant uniquement à son épouse. Les travaux ont été facturés avec un taux réduit de TVA, ce qui a été remis en cause par l'administration en raison, selon elle, du caractère non probant de la comptabilité.
L'application du taux réduit, visé par l'article 279-0 bis du CGI (N° Lexbase : L2533HN7), oblige à ce que le preneur, à la date du fait générateur de la taxe ou au plus tard celle de la facturation, délivre une attestation selon laquelle les travaux réalisés remplissent les conditions posées par cet article et que la personne qui réalise ces travaux, et qui établit la facture, conserve l'attestation dans sa comptabilité.
A compter du 15 septembre 1999 et jusqu'au 31 décembre 2010 (décision du Conseil de l'Union européenne n° 2006/774/CE 7 novembre 2006), cette disposition législative soumet au taux réduit de la TVA les travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien portant sur des locaux à usage d'habitation achevés depuis plus de deux ans à l'exception, notamment, de la part qui correspond à la fourniture d'équipements ménagers ou mobiliers et certains gros équipements. Ceci n'est ni applicable aux travaux qui concourent à la production ou à la livraison d'immeubles, ni à ceux qui aboutissent à une majoration de 10 % de la surface de plancher des locaux existants (instruction du 8 décembre 2006, BOI 3 C-7-06 N° Lexbase : X7759ADQ). Les calculs sont parfois fastidieux, mais le bilan d'ensemble du dispositif a été jugé satisfaisant (F. Magnin, La réduction du taux de TVA sur les travaux effectués dans les logements, Petites affiches, 2000, 36, pp 4 -5).
Parmi les travaux susceptibles de recevoir un taux réduit, citons les travaux d'amélioration telle la réalisation d'une isolation thermique ou acoustique d'un logement, les travaux de transformation visant, par exemple, à aménager un grenier en chambre d'enfant ou encore les travaux de petits entretiens comme le changement d'une moquette ou de papier peint. Les travaux portant sur les voies d'accès principales à la maison d'habitation principale bénéficient d'un taux réduit, contrairement à ceux portant sur les aménagements des allées de jardin.
Sont exclus du taux réduit les travaux de surévaluation d'un immeuble, ceux qui visent à rendre à l'état neuf un immeuble. A noter, par exemple, que les travaux d'isolation pour l'extérieur ne sont pas considérés comme affectant la consistance d'une façade si ces travaux n'incluent pas une dépose de cette dernière et sont dans ces conditions éligibles au taux réduit (QE n° 113211 de M. Favennec Yannick, réponse publiée au JOAN du 20 mars 2007, p. 2868 N° Lexbase : L7047ICY).
Le taux réduit s'applique quelle que soit la qualité du preneur des travaux qui peut être le propriétaire, l'occupant, le locataire ou encore un syndicat de copropriété. En conséquence, quand des particuliers se regroupent dans le cadre d'une association qui assure la maîtrise et le suivi des travaux, cette situation est sans incidence sur l'application du taux réduit car l'association agit en leur nom et pour leur compte (QE n° 74979 de M. Morange Pierre, réponse publiée au JOAN du 22 novembre 2005, p. 10816 N° Lexbase : L7050IC4).
La doctrine administrative précitée précise, par exemple, que les opérations sur les façades et les toitures notamment de "démoussage" qui ne visent pas seulement à assurer la propreté d'un toit ou d'une gouttière, mais à les maintenir en bon état, sont éligibles au taux réduit. A l'inverse les opérations de nettoyage de fin de chantier, permettant l'enlèvement de gravats, sont dans le champ d'application du taux normal. Mais, lorsque les frais de nettoyage s'insèrent dans une prestation globale de travaux éligible au taux réduit et qu'ils sont nécessités par cette prestation, alors le prestataire des travaux peut appliquer le taux réduit à l'ensemble de la prestation, même s'il choisit de facturer distinctement les travaux de nettoyage.
Les travaux de traitement préventif et curatif des immeubles contre les insectes xylophages, bénéficient du taux réduit de TVA. Mais les opérations de diagnostic parasitaire constituent des prestations d'études auxquelles on applique un taux normal de TVA (QE n° 18220, réponse publiée au JOAN du 6 octobre 2003, p. 7658 N° Lexbase : L7048ICZ).
Il est fait application du taux réduit à l'ensemble des travaux portant sur les locaux dès lors que ceux-ci sont principalement affectés à un usage d'habitation, dans une proportion au moins égale à 50 % de la superficie totale, laquelle est appréciée indépendamment de la surface des dépendances éventuelles. Lorsque le local est destiné pour plus de 50 % à un usage autre que l'habitation, le taux réduit de TVA ne s'applique qu'aux travaux réalisés dans les pièces consacrées exclusivement à l'habitation (QE n° 58857, réponse publiée au JOAN du 26 avril 2005, p. 4280 N° Lexbase : L7049IC3).
L'attestation du client permettant l'application du taux réduit par le prestataire doit être délivrée, au plus tard, à la date de facturation mentionnant la taxe au taux réduit et non postérieurement à une vérification de comptabilité (CAA Nantes, 4ème ch., 14 novembre 2005, n° 04NT00944, M. Jean-Yves Pannier-Desrivières N° Lexbase : A8753DM7, RJF, 2007, 3, comm. 274). Cette solution est conforme à la lettre et à l'esprit de la loi.
En l'espèce, le Conseil d'Etat a jugé qu'une cour administrative d'appel n'a ni insuffisamment motivé son arrêt ni commis une erreur de droit en jugeant qu'en l'absence d'attestations établies par les preneurs au moment de l'achèvement des travaux, qui est le fait générateur de la taxe, le requérant ne pouvait se prévaloir d'attestations établies postérieurement à la vérification de comptabilité. Par ailleurs, aucune disposition ne permet au requérant de soutenir utilement que le fait que son épouse était propriétaire d'un immeuble le dispensait de produire des attestations établies à la date d'achèvement des travaux, ou au plus tard à celle de la facturation.
Par cet arrêt, la CJCE a été amenée à se prononcer, dans le cadre d'une demande de décision préjudicielle introduite par la Court of Session (Scotland) du Royaume-Uni, sur les règles applicables en matière d'arrondissement en cas de calcul d'un prorata de déduction. La question portait sur l'interprétation des articles 17, paragraphe 5, troisième alinéa et 19, paragraphe 1, second alinéa de la 6ème Directive - TVA (77/388 du Conseil du 17 mai 1977 N° Lexbase : L9279AU9).
Il était demandé à la Cour si, d'une part, les Etats membres étaient tenus d'appliquer la règle d'arrondissement prévue par les dispositions précitées lorsque le prorata du droit à déduction de la taxe en amont est calculé selon l'une des méthodes visées à l'article 17 de la Directive et, d'autre part, si l'article 19 de la même Directive autorise les Etats membres à exiger que le prorata déductible soit arrondi à un chiffre autre que l'unité supérieure lorsqu'il est déterminé conformément à l'article 17 susvisé. Pour sa part, le douzième considérant de la 6ème Directive précise que "le calcul du prorata de déduction doit s'effectuer de manière similaire dans tous les Etats membres".
L'article 17, paragraphe 5, de la 6ème Directive dispose : "en ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction [...] et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour une partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations". L'article ajoute que "les Etats membres peuvent [...] autoriser l'assujetti à déterminer un prorata pour chaque secteur de son activité, si des comptabilités distinctes sont tenues pour chacun de ses secteurs", et encore de "prévoir, lorsque la taxe sur la valeur ajoutée qui ne peut être déduite par l'assujetti est insignifiante, qu'il n'en sera pas tenu compte".
L'article 19 précité nous livre les modalités de calcul et précise : "le prorata est déterminé sur une base annuelle, fixée en pourcentage et arrondie à un chiffre qui ne dépasse pas l'unité supérieure".
La CJCE rappelle le dispositif national visé par l'article 101 du Règlement relatif à la taxe sur la valeur ajoutée (Value Added Tax Regulations 1995). "Les opérations imposables sont soumises à la taxe en amont sur les biens et services utilisés ou à utiliser par l'assujetti pour les opérations à la fois imposables et exonérées dans la même proportion par rapport au total de la taxe en amont que celle existant entre la valeur des opérations imposables réalisées par l'assujetti et la valeur de l'ensemble des opérations réalisées par ce dernier au cours de la période". Puis d'ajouter que le "ratio calculé [...] est exprimé en pourcentage et, si ce pourcentage n'est pas un nombre entier, il est arrondi à l'unité supérieure".
En l'espèce, les parties ont convenu, le 31 mai 2002, un accord relatif à l'approbation des méthodes spéciales d'exonération partielle concernant la taxe en amont résiduelle du groupe TVA de Royal Bank of Scotland. Cet accord prévoit que, lorsque la méthode applicable à un secteur, ou à une partie du secteur, relevant des activités commerciales de Royal Bank of Scotland exige une récupération de la taxe en amont soit fondée sur un pourcentage, celui-ci doit être arrondi à la deuxième décimale supérieure et que l'article 101 du Règlement relatif à la taxe sur la valeur ajoutée ne doit pas s'appliquer.
L'accord n'est ni conforme aux textes communautaires, ni au droit interne du Royaume-Uni visé par le Règlement relatif aux taxes sur la valeur ajoutée.
Royal Bank of Scotland a fini par considérer que cet accord, finalement, était contraire aux articles 17 et 19 de la 6ème Directive et qu'il était par conséquent sans effet. Elle a considéré que cette Directive imposait un arrondissement à l'unité supérieure et a sollicité l'accord des Commissioners pour pratiquer un arrondissement à l'unité supérieure. Ces derniers ont refusé de faire droit à cette demande.
La décision a été contestée devant le VAT and Duties tribunal qui, dans une décision du 20 janvier 2006, a jugé que l'arrondissement à la deuxième décimale supérieure était compatible tant avec la législation du Royaume-Uni qu'avec la 6ème Directive. Il ne restait plus à Royal Bank of Scotland de faire appel de cette décision devant le Court of Session (Scotland). Cette dernière a saisi la CJCE de nombreuses questions préjudicielles parmi lesquelles : "l'article 19 paragraphe 1, second alinéa (de la sixième directive) autorise-t-il les Etats membres à exiger que le prorata déductible par l'assujetti conformément à l'article 17, paragraphe 5 soit arrondi à un chiffre autre que l'unité supérieure ?".
La Cour, dans sa décision du 18 décembre 2008, a fait savoir que les Etats membres ne sont pas tenus d'appliquer la règle d'arrondissement prévue à l'article 19 de la 6ème Directive lorsque le prorata du droit à déduction de la taxe en amont est calculé selon l'une des méthodes spéciales visées par l'article 17 précité.
Cette position est conforme à la jurisprudence de la Cour. En effet, elle a jugé qu'en l'absence d'une réglementation communautaire spécifique, il appartient aux Etats membres de déterminer les règles et méthodes d'arrondissement des montants de la TVA, les Etats étant tenus lors de cette détermination de respecter les principes sur lesquels repose le système commun de cette taxe, notamment ceux de la neutralité fiscale et de la proportionnalité (CJCE, 10 juillet 2008, aff. C-484/06, Fiscale eenheid Koninklijke Ahold NV c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A5469D9G, RJF, 2008, 11, comm. 1277). Le droit communautaire, aujourd'hui, ne comporte aucune obligation spécifique selon laquelle les Etats membres sont tenus d'autoriser les assujettis à arrondir, par article, vers le bas le montant de la TVA.
Les faits relatifs à cette affaire sont, en apparence, relativement simples. Une société, propriétaire d'un fonds de commerce de bijouterie, a fait l'objet de deux contrôles douaniers qui ont permis de constater que la dirigeante avait vendu sous couvert de détaxe, entre mai 2000 et juin 2004, quarante cinq montres de marque pour une valeur totale de 167 172 euros. Les acheteurs étaient des personnes résidant en France et, pour certaines, établies sous de fausses identités. En outre, des cachets de douanes allemands avaient été contrefaits.
L'enquête des douanes a permis d'établir que 26 904 euros de TVA avaient été éludés. Pour l'administration des douanes, la fraude devait être considérée comme d'autant plus importante qu'elle a prospéré sur l'ensemble du territoire national.
Les juges d'appel ont déclaré la dirigeante de cette société coupable d'avoir participé, comme intéressée à la fraude, au délit d'exportation sans déclaration de marchandises prohibées. Elle fut condamnée, ainsi que la société solidairement responsable, à payer une amende douanière correspondant à l'ensemble des marchandises considérées comme frauduleuses.
La cour d'appel, après avoir observé que la prévenue n'avait pris aucune précaution pour éviter les fraudes, notamment en s'assurant de l'identité et de la nationalité des acheteurs, énonce que cette dernière a remboursé, en connaissance de cause, la TVA à des personnes qui n'étaient pas acheteurs à titre individuel. De plus, l'intéressée a persisté dans ce système et ce malgré une mise en garde de l'administration lors d'un contrôle dès 2003.
Dans un premier moyen de cassation, la dirigeante et la société faisaient valoir que l'ordonnance rendue par le premier président de la cour d'appel de Pau ne comportait pas l'année et le contenu. La Cour de cassation ne fait pas droit à ce moyen car les mentions de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel était régulièrement composée.
Dans un second moyen de cassation, une des questions était de savoir si l'intéressée avait ou non "participé" à la fraude, au sens de l'article 399 du Code des douanes (N° Lexbase : L1006ANL). La Cour de cassation fait observer que la société a bénéficié de l'opération car cela lui a permis de vendre des montres en nombre avec un rabais significatif pour les acheteurs. Mais l'intérêt direct à la fraude n'est pas établi au profit de l'intéressée. La Cour souligne que l'on ne peut pas à la fois reconnaître que l'acheteur final avait bénéficié de rabais et qu'il s'était vu rembourser la TVA, "la contradiction de motifs équivaut à une absence de motifs". Toutefois, elle n'exclut pas l'hypothèse que la dirigeante ait eu conscience de participer à une fraude organisée de grande importance.
Il n'est pas sans intérêt d'observer, comme le fait la Cour de cassation, que le procès-verbal de l'administration des douanes, établi lors d'un précédent contrôle le 20 mai 2003, ne fait pas état d'une quelconque mise en garde.
Concernant l'utilisation de faux cachets douaniers reprochée à l'intéressée, la Cour de cassation considère que la cour d'appel n'était pas éclairée sur cette question car, postérieurement à sa décision, une expertise spécifique et technique avait permis d'établir leur absence d'authenticité. Ils étaient faux mais la cour d'appel ne pouvait pas le savoir avec certitude faute d'avoir fait diligenter une expertise.
Dans un troisième moyen, les requérants entendent faire examiner la solidarité, entre la dirigeante et la société, pour le paiement de l'amende douanière qui est de 164 172 euros. Celle-ci résulte des dispositions de l'article 414 du Code des douanes (N° Lexbase : L1021AN7) qui punit d'une amende comprise entre une fois et deux fois la valeur de l'objet exporté sans déclaration lorsque ces infractions se rapportent à des marchandises de la catégorie de celles qui sont prohibées ou fortement taxées. En l'espèce, la somme réclamée par l'administration des douanes correspond à l'ensemble des ventes, objet du litige, avec une TVA induite de 26 904 euros.
A suivre la Cour de cassation, l'intéressée est coupable d'avoir vendu quarante cinq montres dans des conditions frauduleuses et notamment vingt-huit d'entre elles avec un cachet douanier dépourvu d'authenticité.
Finalement, dans son arrêt du 19 novembre 2008, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a retenu qu'elle avait eu conscience de participer et de coopérer à une opération irrégulière pouvant aboutir à une fraude, dans ces conditions, il importe peu que cette dernière ait retiré un profit personnel de l'opération.
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