La lettre juridique n°336 du 5 février 2009 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Les joueurs de l'Equipe de France ne sont pas subordonnés à la Fédération française de football

Réf. : Cass. civ. 2, 22 janvier 2009, n° 07-19.039, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) de Paris et de la région parisienne, FS-P+B (N° Lexbase : A6384ECG)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010



Lié à son club par un contrat de travail, le joueur de football professionnel peut être appelé, si ses performances l'y autorisent, à participer aux matchs de l'Equipe de France. Dans cette hypothèse, peut-on considérer que le joueur se trouve, alors, subordonné à la Fédération française de football (FFF) ? Dans l'affaire ayant donné lieu à un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 janvier 2009, les juges du fond avaient conclu à l'existence d'un tel lien de subordination. La Cour de cassation a, cependant, refusé de se rallier à cette position, considérant que la cour d'appel avait statué par des motifs impropres à caractériser un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction de la FFF à l'égard des joueurs mis à sa disposition par les clubs dont ils sont salariés. Cette même décision donne, en outre, l'occasion, à la Cour de cassation, d'affirmer l'indépendance des arbitres à l'égard de la FFF.

Résumé

Pour valider le redressement correspondant à la réintégration, dans l'assiette des cotisations, des sommes versées par la FFF aux joueurs membres de l'Equipe de France, les juges d'appel avaient relevé que, dirigeant et contrôlant l'activité des joueurs pendant le temps de leur mise à disposition, la FFF exerce sur eux un pouvoir disciplinaire. En statuant par de tels motifs, impropres à caractériser un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction de la FFF à l'égard des joueurs mis à sa disposition par les clubs dont ils sont salariés, la cour d'appel a violé les articles L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2700ICY) et L. 1221-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0767H9B).

Après avoir observé que le contrôle incombant aux arbitres au cours des matchs de football impliquait une totale indépendance dans l'exercice de leur mission et relevé, par motifs propres et adoptés, que le pouvoir disciplinaire que la FFF exerce à l'égard des arbitres, au même titre qu'à l'égard de tous ses licenciés, dans le cadre des prérogatives de puissance publique qui lui sont déléguées, n'était pas assimilable à celui dont dispose un employeur sur son personnel, la cour d'appel en a exactement déduit qu'ils n'étaient pas liés à la FFF par un lien de subordination, au sens de l'article L. 1221-1 du Code du travail.

Commentaire

I - L'indépendance des joueurs de l'Equipe de France

  • L'affaire

L'affaire ayant donné lieu à la décision rapportée avait débuté par un contrôle de l'Urssaf de Paris, effectué courant 1996 et 1997, et portant sur la période du 1er décembre 1994 au 31 décembre 1996 (1). Consécutivement à ce contrôle, l'Urssaf avait notifié à la FFF un redressement résultant de la réintégration, dans l'assiette des cotisations sociales, d'une part, de sommes versées aux membres de l'Equipe de France de football en rétribution d'activités qualifiées d'actions commerciales et de sponsoring, et, d'autre part, de primes de match versées aux arbitres. Deux mises en demeure lui ayant été adressées les 30 juin 1997 et 9 janvier 1998 en vue d'obtenir paiement des cotisations correspondantes, la FFF avait saisi la juridiction de Sécurité sociale d'un recours.

Pour valider le redressement correspondant à la réintégration dans l'assiette des cotisations des sommes versées par la FFF aux joueurs membres de l'Equipe de France, l'arrêt attaqué, après avoir énoncé que l'examen des conditions dans lesquelles les joueurs participaient aux matchs de l'équipe de France démontrait que la FFF organisait unilatéralement le service au sein duquel ils évoluaient, relève que, dirigeant et contrôlant l'activité des joueurs pendant le temps de leur mise à disposition, la FFF exerce sur eux un pouvoir disciplinaire, tout manquement à leurs obligations exposant ces joueurs à des sanctions pouvant, notamment, les conduire à se voir écartés d'une prochaine sélection ou relégués à un poste de remplaçant.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation au visa des articles L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale et L. 1221-1 du Code du travail. Selon la deuxième chambre civile, "en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction de la FFF à l'égard des joueurs mis à sa disposition par les clubs dont ils sont salariés, la cour d'appel a violé les textes susvisés".

  • L'exigence d'un lien de subordination

Ainsi que le rappelle la Cour de cassation dans son chapeau, il résulte de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale que, pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunérations toutes sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion d'un travail effectué dans un lien de subordination. Ce lien est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; l'insertion du travail dans un service organisé ne constituant qu'un indice d'un tel lien.

Il apparaît très clairement, à la lecture de ce motif de principe, que, pour la Cour de cassation, tout dépendait, en l'espèce, de la caractérisation d'un lien de subordination entre les joueurs de l'Equipe de France et la FFF. A supposer celui-ci caractérisé, il aurait, alors, convenu d'en déduire que les deux parties étaient liées par un contrat de travail et que les rémunérations versées à cette occasion étaient soumises à cotisations sociales.

On peut, pourtant, ne pas être totalement convaincu par ce postulat de départ. En effet, en se focalisant sur le seul lien de subordination, ainsi que l'y invitait, il est vrai, la décision des juges du fond et le pourvoi, la Cour de cassation passe sous silence une question fondamentale. Ainsi que le souligne cette dernière, le lien de subordination découle de l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur (2). En d'autres termes, avant même de s'interroger sur l'existence d'un lien de subordination, il convient de démontrer qu'est exécuté un "travail". Or, peut-on véritablement considérer qu'un joueur de football qui participe à un match de l'Equipe de France exécute un "travail" ?

Cette question n'est pas sans rappeler celle qui agite, en ce moment, une partie de la doctrine, relativement aux décisions des juges du fond qui ont conclu à l'existence d'un contrat de travail entre les participants à d'affligeantes émissions de téléréalité et les chaînes de télévisions qui les diffusent (3). Ainsi que l'ont démontré certains auteurs, ces arrêts se focalisent sur la caractérisation d'un lien de subordination, alors qu'il conviendrait, dans un tout premier temps, de démontrer que les personnes en cause exercent bien une activité professionnelle (4).

Semblable raisonnement pourrait être appliqué aux joueurs de l'Equipe de France de football. Exercent-ils, à proprement parler, une activité professionnelle lors de leur sélection ? Dès lors que ces derniers reçoivent, à ce titre, des sommes d'argent, on est tenté de répondre par l'affirmative (5). Il n'en demeure pas moins que l'on peut être dubitatif relativement à la qualification de "travail" pour ce type de prestations, dont on ne saurait dire qu'elles sont subies par les joueurs. Toujours est-il que la Cour de cassation laisse de côté une telle interrogation, pour considérer que les joueurs de l'équipe de France exercent bien une activité professionnelle. Cela étant admis, reste, alors, à s'interroger sur l'existence, ou non, d'un lien de subordination, afin de déterminer si cette activité est salariée.

  • L'absence de lien de subordination

Partant de la définition classique du lien de subordination adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans le fameux arrêt "Société Générale" (Cass. soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187, Société générale c/ Urssaf de la Haute-Garonne N° Lexbase : A9731ABZ, Grands arrêts du Droit du travail, n° 2) et rappelée par la deuxième chambre civile dans l'arrêt rapporté, les juges d'appel s'étaient efforcés de caractériser l'existence de ce lien en l'espèce.

Ils avaient, pour ce faire, relevé qu'il est établi et non contesté par la FFF "qu'elle définit seule les critères de désignation des joueurs auxquels elle fait appel, ces derniers, obligatoirement libérés par leur club, étant tenus de se mettre à la disposition de l'Equipe de France, pour les stages de préparation et les rencontres sportives qu'elle fournit à l'Equipe de France, les moyens nécessaires à la réalisation de ces prestations, prenant en charge l'équipement, les frais d'hébergement, de nourriture et de déplacement, les joueurs pouvant être astreints à suivre une certaine discipline tant sur le plan sportif que personnel (hygiène de vie...), qu'elle fixe les lieux et heures des matchs, ceux des séances d'entraînement, des repas, des soins, des réunions techniques et des points de presse auxquels ces joueurs doivent obligatoirement participer, ceux-ci ne pouvant s'exprimer dans un média sans son accord ; qu'elle impose son accord préalable à toute participation du joueur sélectionné à une autre manifestation initiée par son club d'origine ; que dirigeant et contrôlant l'activité des joueurs pendant le temps de leur mise à disposition, la FFF exerce sur eux un pouvoir disciplinaire, tout manquement à leurs obligations exposant ces joueurs à des sanctions pouvant, notamment, les conduire à se voir écartés d'une prochaine sélection ou relégués dans un poste de remplaçant".

Pour être fournie l'argumentation n'aura, cependant, pas convaincu la Cour de cassation qui se borne à affirmer que de tels motifs étaient impropres à caractériser un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction de la FFF à l'égard des joueurs mis à sa disposition par les clubs dont ils sont salariés. Cette solution sera, à n'en point douter, diversement appréciée. Ceux qui l'approuveront pourront avancer que les juges d'appel avaient, au mieux, démontré que les joueurs de l'Equipe de France de football sont intégrés dans un service organisé. On sait, toutefois, qu'il n'y a là qu'un indice de la subordination. Celui-ci aurait donc pu être corroboré par d'autres éléments qui faisaient, ici, défaut. Mais, à rebours, certains pourront être tentés de critiquer la même solution en arguant que les sujétions imposées aux joueurs de l'Equipe de France traduisent l'exercice d'un véritable pouvoir de direction et que le fait d'écarter un joueur d'une sélection ou de le reléguer à un poste de remplaçant lorsqu'il n'a pas respecté les obligations à lui imposées par la FFF constitue une sanction disciplinaire à part entière (6).

Pour notre part, nous considérons que le rejet de tout lien de subordination entre les joueurs de l'Equipe de France de football et la FFF n'a rien de choquant. Les quelques règles qui leur sont imposées, inhérentes à tout mode de vie collectif, serait-il ponctuel et lié à la pratique d'une activité sportive, n'a guère à voir avec les obligations qui s'imposent à un salarié. Par ailleurs, on peine à voir, dans la mise à l'écart de la sélection ou de l'équipe, une véritable sanction disciplinaire.

Cela étant, dès lors que l'on admet que les joueurs de l'Equipe de France ont bien une activité professionnelle lors de leur sélection, il ressort de l'arrêt commenté que celle-ci n'est pas salariée. Faut-il en déduire qu'ils l'exercent à titre de travailleurs indépendants ? La même décision laisse entendre que tel n'est pas le cas. En effet, et ainsi que l'indique la Cour de cassation, durant leur sélection en Equipe de France, les joueurs sont "mis à disposition par les clubs dont ils sont salariés". En d'autres termes, les joueurs restent salariés durant leur sélection et ne se muent pas en travailleurs indépendants. Quant à leur employeur, il ne change pas : il s'agit toujours du club dans lequel ils officient habituellement (7).

II - L'indépendance des arbitres

  • Une solution justifiée

En l'espèce, après avoir observé que le contrôle incombant aux arbitres au cours des matchs de football impliquait une totale indépendance dans l'exercice de leur mission et relevé que le pouvoir disciplinaire que la FFF exerce, à l'égard des arbitres, au même titre qu'à l'égard de tous ses licenciés, dans le cadre des prérogatives de puissance publique qui lui sont déléguées, n'était pas assimilable à celui dont dispose un employeur sur son personnel, les juges d'appel en avaient déduit qu'ils n'étaient pas liés à la FFF par un lien de subordination.

Saisie de la question à la suite d'un pourvoi de l'Urssaf, la Cour de cassation a approuvé la décision des juges du fond.

  • Une solution consacrée par la loi

Si la solution retenue par la Cour de cassation nous paraît devoir être pleinement approuvée au regard de la caractérisation d'un lien de subordination, elle apparaît quelque peu anachronique. En effet, la loi n° 2006-1294 du 23 octobre 2006, portant diverses dispositions relatives aux arbitres (N° Lexbase : L9079HS3), est venue lever définitivement toute ambiguïté concernant le caractère subordonné ou indépendant de la pratique arbitrale en excluant explicitement tout lien de subordination caractéristique du contrat de travail entre l'arbitre et sa fédération de rattachement. Désormais, en effet, l'article L. 223-3 du Code du sport (N° Lexbase : L0564HWS) dispose que "les arbitres et juges ne peuvent être regardés, dans l'accomplissement de leur mission, comme liés à la fédération par un lien de subordination" (v., sur cette loi, nos obs., L'ébauche d'un statut juridique de l'arbitre sportif, Lexbase Hebdo n° 235 du 9 novembre 2006 - édition sociale N° Lexbase : N4850AL9).


(1) La date des faits de l'espèce présente une certaine importance dans la mesure où une loi du 15 décembre 2004 (loi n° 2004-1366, portant diverses dispositions relatives au sport professionnel N° Lexbase : L4814GUT) est venue écarter la qualification de salaires aux sommes allouées à un sportif au titre de la commercialisation de l'image collective de son équipe (v., sur la question, J. Barthélémy, Image de l'équipe et rémunération des sportifs, Dr. Soc., 2007, p. 88).
(2) Nous soulignons.
(3) CA Paris, 18ème ch., sect. D, 12 février 2008, 3 arrêts, SA société Glem, n° 07/02721 (N° Lexbase : A0261D7S), n° 07/02722 (N° Lexbase : A0260D7R) et n° 07/02723 (N° Lexbase : A0250D7E). Voir les obs. De S. Tournaux, Les candidats salariés de "l'Ile de la tentation", Lexbase Hebdo n° 296 du 12 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3805BEN) et Questions à Maître Jérémie Assous : quand la télé-réalité devient fiction... elle doit être soumise au Code du travail, Lexbase Hebdo n° 334 du 21 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N3536BIS).
(4) V., en ce sens, les pertinentes études de J. Barthélémy, Qualification de l'activité du participant à une émission de téléralité, SSL, n° 1382, p. 8 et de P.-Y. Verkindt, Prendre le travail (et le contrat de travail) au sérieux, JCP éd. S, 2009, act. 41.
(5) Ainsi que le laissent apparaître les moyens annexés à l'arrêt, les juges du fond avaient relevé que "les joueurs de l'Equipe de France perçoivent de la FFF, soit directement, soit indirectement par l'entremise des clubs employeurs qui en font l'avance, des primes de match soumises à cotisations sociales, que la FFF reconnaissant, en conséquence, à ces sommes spécifiques la qualification de salaires versés en contrepartie ou à l'occasion du travail ; la discussion ne porte, dès lors, que sur le lien qui unit les joueurs à la FFF lorsque celle-ci leur distribue des sommes provenant de recettes publicitaires versées par les sponsors, lors des matchs de l'Equipe de France". A la lecture de cette argumentation, on peut considérer que les juges du fond ont démontré l'existence d'une activité professionnelle. Elle peut, néanmoins, être critiquée en ce qu'elle laisse à penser que la relation de travail salariée pourrait être partielle.
(6) La caractérisation du pouvoir de contrôle de la FFF pose plus de difficultés. A priori, en effet, c'est l'entraîneur de l'Equipe de France et non l'institution qui est juge de la qualité de la prestation des joueurs, c'est-à-dire de l'exécution de leur "travail".
(7) On pourrait, par ailleurs, se demander si les joueurs sont dans un lien de subordination à l'égard de leurs clubs. Cela n'a rien d'évident, de même que n'a rien d'évidente la licéité des contrats à durée déterminée d'usage concluent avec ces mêmes joueurs (v., sur la question, J. Barthélémy, Le contrat du sportif, JCP éd. S, 2008, 1430).

Décision

Cass. civ. 2, 22 janvier 2009, n° 07-19.039, Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) de Paris et de la région parisienne, FS-P+B (N° Lexbase : A6384ECG)

Cassation partielle de CA Paris, 18ème ch., sect. B, 5 juillet 2007, n° 04/43853, Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Paris et de la région parisienne (Urssaf 75) c/ Fédération française de football (N° Lexbase : A4710DY4)

Textes visés : CSS, art. L. 242-1 (N° Lexbase : L2700ICY) ; C. trav., art. L. 1221-1 (N° Lexbase : L0767H9B)

Mots-clefs : sportifs professionnels ; joueurs de l'Equipe de France ; lien de subordination ; service organisé ; mise à disposition ; arbitres.

Lien base :

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