Réf. : Cass. soc., 11 mai 2010, 2 arrêts, n° 08-45.307, M. André Vlimant c/ Société Brit air, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1608EXT) et n° 08-43.681, Mme Victoria Crosnier c/ Epic Opéra national de Paris, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1605EXQ)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumés Pourvoi n° 08-45.307 : une cour d'appel ne peut débouter un salarié de sa demande tendant à l'annulation de son licenciement et au paiement de dommages-intérêts pour discrimination en raison de l'âge, au motif qu'il n'est pas discutable que la limite d'âge a été retenue en raison de sujétions particulières du métier de pilote d'avion, au regard de la responsabilité assumée par un commandant de bord assurant le transport aérien de passagers ; que la règle est bien de portée nationale, rendant ainsi sans pertinence la comparaison avec les réglementations d'autres Etats ; qu'elle est générale pour tous les pilotes de transport aérien de personnes, sans qu'il y ait lieu de s'arrêter à la situation des pilotes d'autres catégories ou d'autres engins volants ; que la fixation d'une telle limite d'âge est donc légitime au sens de la Directive européenne en ce qu'elle répond à un objectif de bon fonctionnement de la navigation aérienne et de sécurité de ses utilisateurs comme de ceux qui y travaillent, de façon raisonnable et proportionnée au regard de la spécificité de l'activité et du métier de pilote, alors que, si ces objectifs étaient légitimes, il lui appartenait de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la cessation des fonctions de pilote à l'âge de 60 ans était nécessaire à leur réalisation. Pourvoi n° 08-43.681 : une cour d'appel ne peut débouter un salarié de sa demande d'annulation d'une mise à la retraite à l'âge de 60 ans, au motif que celle-ci était régie exclusivement par l'article 6 du décret du 5 avril 1968 et que l'intéressée remplissait les conditions d'âge et d'ancienneté requises, sans constater que, pour la catégorie d'emploi de cette salariée, la différence de traitement fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires, la Directive communautaire consacrant un principe général du droit de l'Union. |
I - Le cadre applicable aux différences de traitement fondées sur l'âge des salariés
Le droit communautaire s'efforce, depuis de nombreuses années, de promouvoir le principe d'égalité entre travailleurs en prohibant de nombreuses discriminations, notamment fondées sur l'âge.
Cette prohibition de principe n'est, bien entendu, pas absolue et, dans de nombreuses hypothèses, l'âge constitue un critère déterminant d'attribution de droit spécifiques ou de prohibitions particulières, car les salariés ne se trouvent pas dans une situation identique selon leur âge.
La Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (N° Lexbase : L3822AU4), a ainsi introduit l'âge comme critère de discrimination, tout en ménageant une série d'exceptions. Comme l'indique expressément, d'ailleurs, le considérant 25 de l'exposé des motifs de la Directive, "l'interdiction des discriminations liées à l'âge constitue un élément essentiel pour atteindre les objectifs établis par les lignes directrices sur l'emploi et encourager la diversité dans l'emploi. Néanmoins, des différences de traitement liées à l'âge peuvent être justifiées dans certaines circonstances et appellent donc des dispositions spécifiques qui peuvent varier selon la situation des Etats membres. Il est donc essentiel de distinguer entre les différences de traitement qui sont justifiées, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et les discriminations qui doivent être interdites".
Certaines dérogations sont donc admises soit de manière particulière et concernent les âges de la retraite ou l'emploi dans les forces armées (art. 3-4°), soit de manière générale et permettent de prendre en compte l'âge, dès lors que ce critère "constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée" (art. 4-1°).
L'article 6 de la Directive est consacré spécifiquement aux différences de traitement fondées sur l'âge, qui reprennent les règles générales, de manière particulière. Selon le 1° de ce texte, et pour s'en tenir exclusivement aux règles du droit du travail, "les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre : a) la mise en place de conditions spéciales d'accès à l'emploi et à la formation professionnelle, d'emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d'assurer leur protection ; b) la fixation de conditions minimales d'âge, d'expérience professionnelle ou d'ancienneté dans l'emploi, pour l'accès à l'emploi ou à certains avantages liés à l'emploi ; c) la fixation d'un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d'une période d'emploi raisonnable avant la retraite".
Ces dispositions ont été transposées en droit français par la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001, relative à la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L9122AUE), puis légèrement modifiées, pour n'évoquer que la question de l'âge, par la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations (N° Lexbase : L8986H39), qui a repris les dispositions de la Directive.
C'est l'article L. 1133-2 du Code du travail (N° Lexbase : L6055IAI) qui comporte les dispositions relatives aux différences licites fondées sur l'âge et qui reprend fidèlement le critère général des différences "objectivement et raisonnablement justifiées par un but légitime, notamment par le souci de préserver la santé ou la sécurité des travailleurs, de favoriser leur insertion professionnelle, d'assurer leur emploi, leur reclassement ou leur indemnisation en cas de perte d'emploi, et lorsque les moyens de réaliser ce but sont nécessaires et appropriés", et les exemples tirés de "l'interdiction de l'accès à l'emploi ou la mise en place de conditions de travail spéciales en vue d'assurer la protection des jeunes et des travailleurs âgés" et de "la fixation d'un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d'une période d'emploi raisonnable avant la retraite".
La Cour de justice de l'Union européenne a été conduite à plusieurs reprises à préciser le sens de ces dérogations licites et a précisé qu'"il incombe à la juridiction nationale d'assurer le plein effet du principe général de non-discrimination en fonction de l'âge en laissant inappliquée toute disposition contraire de la loi nationale, et ce alors même que le délai de transposition de ladite directive n'est pas encore expiré" (2). Les Etats ne peuvent donc se réfugier derrière les délais de transposition de la Directive de 2000 dans la mesure où le principe de non-discrimination préexiste à celle-ci en tant que principe général du droit communautaire (3), ni sur le fait qu'une question préjudicielle a été posée (4).
Elle a également jugé que "l'article 6, paragraphe 1, de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale [...] qui autorise, sans restrictions, à moins qu'il n'existe un lien étroit avec un contrat de travail antérieur à durée indéterminée conclu avec le même employeur, la conclusion de contrats de travail à durée déterminée lorsque le travailleur a atteint l'âge de 52 ans" (5), que ces mêmes textes "s'opposent à une réglementation nationale qui, aux fins de ne pas défavoriser l'enseignement général par rapport à l'enseignement professionnel et de promouvoir l'insertion des jeunes apprentis sur le marché de l'emploi, exclut la prise en compte des périodes d'emploi accomplies avant l'âge de 18 ans aux fins de la détermination de l'échelon auquel sont placés les agents contractuels de la fonction publique d'un Etat membre" (6). Est également illicite la législation nationale "qui prévoit que les périodes de travail accomplies par le salarié avant qu'il ait atteint l'âge de 25 ans ne sont pas prises en compte pour le calcul du délai de préavis de licenciement" (7).
En revanche, "une réglementation nationale [peut fixer] à 30 ans l'âge maximal pour le recrutement dans le cadre d'emploi du service technique intermédiaire des pompiers" (8).
Pour certaines professions, les limites d'âge dépendent des objectifs poursuivis et de la portée de la législation nationale. Il a ainsi été jugé qu'était illicite "une mesure nationale [...] fixant une limite d'âge maximale pour l'exercice de la profession de dentiste conventionné, en l'occurrence 68 ans, lorsque cette mesure a pour seul objectif de protéger la santé des patients contre la baisse de performance de ces dentistes au-delà de cet âge, dès lors que cette même limite d'âge n'est pas applicable aux dentistes non conventionnés" ; en revanche, pareille limite d'âge est licite lorsque cette mesure "a pour objectif de répartir les possibilités d'emploi entre les générations au sein de la profession de dentiste conventionné, si, compte tenu de la situation du marché de l'emploi concerné, cette mesure est appropriée et nécessaire pour atteindre cet objectif" (9).
La Cour de cassation a également eu à se prononcer sur la licéité de la rupture du contrat de travail de salariés en considération de leur âge. Dans une affaire intéressant la mise à la retraite d'un danseur des Folies-Bergères par application d'un accord collectif ayant fixé une limite d'âge, la Haute juridiction avait considéré celle-ci comme injustifiée dans la mesure où l'accord était nul et la rupture dès lors uniquement fondée sur l'âge de l'intéressé (10). Par la suite, la même juridiction avait considérée comme discriminatoire la mise à la retraite d'un salarié ne remplissant les conditions exigées par les textes pour partir à la retraite à taux plein (11).
C'est dans ce contexte qu'interviennent ces deux arrêts en date du 11 mai 2010.
II - La Cour de cassation gardienne du cadre méthodologique communautaire
La première affaire (pourvoi n° 08-45.307) concernait le licenciement d'un pilote-instructeur qui avait atteint l'âge de 60 ans et qui demandait l'annulation de ce licenciement qu'il considérait comme constitutif d'une discrimination en raison de son âge.
La cour d'appel de Paris l'avait débouté après avoir relevé "qu'il n'est pas discutable que la limite d'âge a été retenue en raison de sujétions particulières du métier de pilote d'avion, au regard de la responsabilité assumée par un commandant de bord assurant le transport aérien de passagers" et "que la fixation d'une telle limite d'âge est donc légitime au sens de la Directive européenne en ce qu'elle répond à un objectif de bon fonctionnement de la navigation aérienne et de sécurité de ses utilisateurs comme de ceux qui y travaillent, de façon raisonnable et proportionnée au regard de la spécificité de l'activité et du métier de pilote".
L'arrêt est cassé pour manque de base légale, la Cour de cassation reprochant à la juridiction parisienne de ne pas avoir recherché, ainsi qu'elle y était invitée par le demandeur, "si ces objectifs étaient légitimes, il lui appartenait de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la cessation des fonctions de pilote à l'âge de 60 ans était nécessaire à leur réalisation, la cour d'appel a privé sa décision".
La seconde affaire (pourvoi n° 08-43.681) concernait la mise à la retraite à l'âge de 60 ans d'un salarié qui occupait les fonctions de chef du service patrimoine de l'Opéra national de Paris, en application des dispositions de l'article 6 du décret n° 68-382 du 5 avril 1968, modifié le 16 octobre 1980, portant statut de la caisse de retraites des personnels de l'Opéra national de Paris. Le salarié avait demandé l'annulation de celle-ci en raison de la contrariété existant entre les termes de ce décret et les dispositions de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM) restreignant les possibilités de mise à la retraite avant l'âge de 65 ans à la seule existence d'un accord collectif. Il avait été débouté de ses demandes par la cour d'appel de Paris pour qui sa mise à la retraite était régie exclusivement par l'article 6 du décret du 5 avril 1968.
L'arrêt est également cassé, pour violation de la loi, la Haute juridiction reprochant à la juridiction parisienne d'avoir statué "sans constater que, pour la catégorie d'emploi de cette salariée, la différence de traitement fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires", "la Directive communautaire consacrant un principe général du droit de l'Union".
Ces deux cassations présentent un très net caractère méthodologique, la Haute juridiction veillant à ce que les critères autorisant les employeurs à tenir compte, dans leurs décisions, de l'âge des salariés, soient scrupuleusement vérifiés et appliqués de manière stricte, pour ne pas dire restrictive, ce qui est logique compte tenu de l'atteinte réalisée au principe de non-discrimination en raison de l'âge.
Dans la deuxième affaire (pourvoi n° 08-43.681), la méconnaissance des contraintes issues de la Directive, dont le juge doit faire application en ce qu'elle met en oeuvre un principe inscrit dans le droit communautaire depuis les origines, était totale puisque les juges s'étaient purement et simplement réfugié derrière le texte réglementaire (un décret datant de 1968) pour valider la mise à la retraite. Confirmant en cela les termes d'une précédente décision rendue en matière de non-discrimination entre les femmes et les hommes (12), la Cour de cassation affirme, cette fois-ci à propos d'une affaire de discrimination fondée sur l'âge, que le principe général de droit communautaire impose de mettre de côté tout texte national contraire, qu'il soit législatif ou réglementaire, sans que le juge judiciaire ne puisse être taxé de procéder, sans renvoi préjudiciel au juge administratif, à un examen de la légalité de ce règlement.
Dans la première affaire (pourvoi n° 08-45.307), la même cour d'appel de Paris était bien entrée dans une logique de justification de la limite d'âge et considéré celle-ci comme justifiée (existence de "sujétions particulières du métier de pilote d'avion", "bon fonctionnement de la navigation aérienne", "sécurité des passagers et du personnel") et proportionnée "au regard de la spécificité de l'activité et du métier de pilote".
La cassation intervient, toutefois, car la cour d'appel n'avait pas recherché précisément en quoi l'instauration d'une limite d'âge de 60 ans pour un pilote-instructeur "était nécessaire" à la réalisation des objectifs poursuivis, c'est-à-dire, plus prosaïquement, en quoi un pilote âgé de plus de 60 ans exposerait, en raison d'une baisse supposée de ses capacités physiques et/ou intellectuelles, les personnes et les biens à des risques particuliers. Ce n'était donc pas les motivations de l'employeur qui étaient ici en cause (comment contester qu'il cherche à s'assurer de la sécurité des personnes transportées ?), mais uniquement la preuve que les salariés âgés de plus de 60 ans étaient moins aptes à piloter des avions. On notera d'ailleurs ici que l'arrêt est cassé non pour violation de la loi, comme le second, mais pour manque de base légale, c'est-à-dire en raison d'une motivation insuffisante.
Il appartiendra donc à la juridiction de renvoi (la cour d'appel de Paris, autrement composée), de déterminer concrètement en quoi les pilotes âgés seraient moins "surs" que les plus jeunes...
Décisions 1° Cass. soc., 11 mai 2010, n° 08-45.307, M. André Vlimant c/ Société Brit air, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1608EXT) Cassation partielle CA Paris, 18ème ch., sect. A, 7 octobre 2008, n° 05/09146, M. André Vlimant (N° Lexbase : A7743EAZ) Textes visés : Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, art. 6, § 1 (N° Lexbase : L3822AU4) Mots clef : principe de non-discrimination ; âge ; exceptions ; conditions Lien base : (N° Lexbase : E2589ET3) 2° Cass. soc., 11 mai 2010, n° 08-43.681, Mme Victoria Crosnier c/ Epic Opéra national de Paris, FP-P+B+R (N° Lexbase : A1605EXQ) Cassation CA Paris, 22ème ch., sect. A, 28 mai 2008, n° 06/11905, Mme Victoria Crosnier ([lXB=A9191D8W]) Textes visés : Directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, art. 6, § 1 (N° Lexbase : L3822AU4) Mots clef : principe de non-discrimination ; âge ; exceptions ; conditions Lien base : (N° Lexbase : E2589ET3) |
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