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N2122BPB
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
Et, l'actualité juridique est, heureusement, pleine de ces "poils à gratter" que seul le Quai de l'Horloge est à même de souffler, qui font le sel du débat national et qui peuvent, éventuellement, permettre de repositionner le débat sur les enjeux fondamentaux d'une réforme des retraites et de leur financement. En fait, à y regarder de plus près, tout nous pousse à reconsidérer le dogme de l'âge légal de départ à la retraite à 60 ans, voire celui de tout âge légal de cessation d'activité.
D'abord, et avant de le déboulonner ou de clamer de son fauteuil outre-Atlantique présidentiel et présidentiable qu'il ne faut pas de dogme en la matière, rappelons que le dogme est l'affirmation considérée comme fondamentale, incontestable et intangible par une autorité politique, philosophique ou religieuse qui emploiera dans certains cas la force pour l'imposer.
On sait que la "retraite à 60 ans" fut le credo de l'un des précédents locataires élyséens adepte du recueillement, les lundi de Pentecôte, -à l'époque où il y en avait encore- aux abords de la roche de Solutré, mais l'on a jamais su, finalement, si, à l'heure du second choc pétrolier et du chômage inflationniste, il souhaitait encourager les "vieux" à attendre 60 ans pour partir à la retraite ou les exhorter à quitter le devant de la scène pour endiguer le chômage des jeunes -déjà là l'embryon d'un partage du travail, comme solution au chômage structurel-. Connaissant l'amour du vacancier de Latché pour les lettres latines et, particulièrement, pour Caton l'Ancien -"Il faut devenir vieux de bonne heure pour rester vieux longtemps"-, les panégyristes auront tôt fait de mettre cette "avancée" sociale sur le compte d'une "certaine" vision humaniste récompensant l'exploitation quarantenaire de l'Homme (et, récemment, à l'époque, de la Femme). Donc, si dogme il y a, ses fondements sont, en réalité, bien obscurs connaissant l'opacité d'âme de son théologien.
La "retraite à 60 ans" un dogme ? Oui, parce qu'il s'agit plus d'une foi, d'une croyance incontestable dans le fait que l'homme s'épanouit mieux nécessairement en dehors de son activité professionnelle ; oui, parce que l'on exhorte au flan gauche à la pression populaire pour empêcher tout atteinte à l'âge légal de la retraite ; oui, parce que certains promettent, déjà, un Concile en 2012 pour rétablir ce qui n'aurait jamais dû être remis en cause, même par l'Assemblée des représentants du Peuple souverain... Et, contrairement à l'axiome, vérité admise bien qu'elle ne soit pas rationnellement démontrable, le dogme est une vérité absolue s'imposant a priori, d'essence quasi-divine... et quand on sait le Haut sobriquet dont la presse affublait "Morlan", il y a un pas vers la mystique mitterrandienne que l'on ose, ici, aisément franchir.
Ensuite, il n'y a qu'à lire quelque étude d'Antoine d'Autume et Jean-Olivier Hairault, professeurs à l'Université Paris I sur l'employabilité des seniors pour crier, d'ores et déjà, à la mystification, au demeurant. Les deux auteurs rappellent que le taux d'employabilité des seniors en France (54 %) est six points en dessous de la moyenne des pays européens et 15 ou 20 points en dessous du score réalisé par les pays nordiques (Suède 78 %), les USA (68 %) ou la Grande-Bretagne (67 %). Puis, très subtilement, les deux universitaires décèlent trois facteurs ou causes efficientes : la permanence du syndrome des préretraites -un pacte implicite lie les partenaires sociaux, qui pensent avoir trouvé le moindre mal en réduisant le conflit sur l'emploi et en payent le prix en indemnisant les départs précoces- ; le rythme du progrès technique qui dévalorise l'expérience des plus âgés et leur impose des contraintes nouvelles -avec un écart entre la productivité des travailleurs et leur coût pour leur employeur- ; et la proximité de la retraite comme facteur essentiel conduisant à un moindre emploi -A quoi bon rechercher activement un emploi si sa durée prévisible est très courte ?-. Et, de conclure : la norme sociale de la retraite à 60 ans n'explique pas seulement le très faible emploi des 60-64 ans. Elle est l'une des causes du faible emploi des 55-59 ans.
Résumons nous : la retraite à 60 ans est un dogme, et non un axiome, ce qui dans une société rationnelle et démocratique pose nécessairement un problème de légitimité ; et, au surplus, elle est l'une des causes essentielles de la non-employabilité des seniors et ce faisant de la non-démonstration du dogme lui-même, puisque la moitié des actifs cessent de travailler bien avant l'âge de 60 ans -la retraite à 60 ans scie l'arbre sur laquelle elle est assise en quelque sorte-.
Enfin, si l'on ajoute la lecture de deux arrêts rendus le 11 mai dernier par la Cour de cassation rappelant que l'âge de la retraite à 60 ans peut constituer une discrimination en fonction de l'âge prohibée par le juge communautaire, on ne sait, dès lors, plus à quel Saint se vouer... Dans les deux affaires soumises à la Haute juridiction, les salariés avaient été mis à la retraite à 60 ans contrairement à leur volonté. Malheureusement, "il y a plus de vieux ivrognes que de vieux médecins", nous livre la sagesse populaire de Rabelais dans Gargantua.
En conséquence, que l'on soit un fervent partisan du recul de l'âge légal de départ à la retraite, alors que l'âge factuel est bien en-deçà et qu'il s'agit tout au plus d'un tour de passe-passe pour financer les retraites à travers les régimes d'indemnisation chômage ou préretraite cotisants, ou que l'on y soit farouchement opposé alors que la multiplication des accidents de la vie professionnelle et le nombre d'annuités croissant nécessaire à l'obtention d'une pension à taux plein oblige à un recul factuel de ce même âge, l'essentiel n'est pas là. La réforme des retraites, doit avant tout être une réforme de l'employabilité des jeunes arrivant tard et de manière précaire sur le marché du travail et de celle des seniors. Rompre avec la politique favorisant, dans les faits, le recul de l'entrée des jeunes et la sortie précipitée des vieux du marché du travail comme variable d'ajustement du chômage, voilà la véritable réforme intellectuelle et sociale du financement des retraites, afin que nous soyons un peu plus que 1,23 cotisant pour un retraité en 2050...
Dans son expression la plus populaire, adepte de la Révolution culturelle, le Grand Timonier ne disait-il pas : "la bouse de la vache est plus utile que les dogmes : on peut en faire de l'engrais"... Et, dire que certains voient rouge lorsque l'on agite le chiffon de la "retraite à 60 ans"...
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