La lettre juridique n°396 du 27 mai 2010 : Responsabilité

[Jurisprudence] La portée du devoir de conseil du rédacteur d'actes

Réf. : Cass. civ. 1, 25 mars 2010, n° 09-12.294, F-P+B+I (N° Lexbase : A1345EUD)

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

le 07 Octobre 2010

L'occasion a, déjà, été donnée, ici même, d'insister sur l'importance du devoir d'information et de conseil qui pèse sur les professionnels du droit, relevant, d'ailleurs, que, en réalité, le conseil est avant tout l'instrument permettant d'atteindre l'exigence d'efficacité inhérente à leurs obligations, comme l'exprime l'arrêt "Boiteux" de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 avril 1981, suivant lequel le devoir de conseil du notaire est destiné à assurer la validité et l'efficacité des actes (1). Ainsi les notaires doivent-ils, avant de dresser les actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité de ces actes (2), en même temps qu'ils doivent éclairer les parties et attirer leur attention sur les conséquences et les risques des actes qu'ils authentifient (3). Par où l'on voit bien que leur obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels ils prêtent leur concours implique l'obligation d'informer les parties des avantages, des conditions et des risques encourus, afin d'éclairer leur consentement. Des observations du même ordre peuvent être faites à propos de l'avocat : tenu, en tant que rédacteur d'acte, de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité de l'acte (4), il lui incombe d'apporter la diligence à se renseigner sur les éléments de droit et de fait qui commandent les actes qu'il prépare ou les avis qu'il doit fournir, et d'informer ses clients sur la portée de l'acte et sur la conduite à tenir (5). Sous cet aspect, il n'est pas douteux que le devoir d'information et de conseil du rédacteur d'actes implique qu'il ait pris en considération les mobiles des parties, fussent-ils extérieurs à l'acte, au moins lorsqu'il en a eu connaissance (6). La jurisprudence est, en ce sens, parfaitement acquise. Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 17 décembre 1991, affirmait-elle que "le notaire doit, en sa qualité de rédacteur d'acte, éclairer les parties sur sa portée et ses conséquences et prendre toutes les dispositions utiles pour en assurer l'efficacité, eu égard au but poursuivi par les parties" (7), avant de juger, dans un arrêt du 12 décembre 1995, que "le notaire a le devoir d'éclairer les parties sur leurs droits et obligations et rechercher si les conditions requises pour l'efficacité de l'acte qu'il dresse sont réunies eu égard au but poursuivi par les parties" (8). Encore convient-il tout de même de relever que le devoir de conseil du rédacteur d'actes n'est pas sans limites. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 25 mars 2010, à paraître au Bulletin, en constitue, d'ailleurs, un exemple.

En l'espèce, par acte établi par un huissier de justice, les propriétaires d'un local commercial ont consenti un bail commercial pour l'exploitation d'une teinturerie à des époux, assistés au cours des négociations par un professionnel du secteur d'activité concerné. Trois ans plus tard, l'EURL fondée par les exploitants ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, l'huissier de justice, invité par le liquidateur à déclarer la créance de loyers de ses mandants, a cherché à en obtenir le recouvrement auprès des époux, lesquels ont alors engagé une action pour obtenir l'annulation du bail en l'absence de mention précisant qu'ils agissaient pour le compte de leur société en formation, le remboursement des loyers dont ils s'étaient acquittés personnellement et la condamnation de l'huissier de justice à leur payer des dommages et intérêts. Déboutés de leur demande indemnitaire par la cour d'appel de Douai, ils se sont pourvus en cassation, reprochant aux magistrats douaisiens de ne pas avoir tiré toutes les conséquences de ce que l'huissier rédacteur d'acte est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, ainsi que sur les risques de leurs engagements. Or, selon le pourvoi, il incombait au rédacteur d'un bail commercial d'attirer l'attention de la partie, créant une nouvelle activité, sur le mode d'exercice envisagée, individuel ou sous forme sociale, et, dans ce dernier cas, sur les conditions légales d'une reprise du bail souscrit pour le compte d'une société en formation, étant entendu qu'il n'est pas dispensé de son devoir de conseil par la présence d'un conseiller personnel au côté du client. Cette argumentation n'a, cependant, pas convaincu la Cour de cassation qui, pour rejeter le pourvoi, énonce "que le devoir de conseil auquel est tenu le rédacteur d'actes s'apprécie au regard du but poursuivi par les parties et de leurs exigences particulières lorsque, dans ce dernier cas, le praticien du droit en a été informé ; que si le professionnel doit veiller, dans ses activités de conseil et de rédaction d'actes, à réunir les justificatifs nécessaires à son intervention, il n'est, en revanche, pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties en l'absence d'éléments de nature à éveiller ses soupçons quant à la véracité des renseignements donnés". Or, au cas d'espèce, "ayant souverainement relevé que ni les époux B..., ni leur mandataire n'avaient appelé l'attention du rédacteur de l'acte litigieux sur le fait que les signataires du bail avaient entendu agir, non en leur nom personnel, mais pour le compte d'une société en formation destinée à reprendre leurs engagements, la cour d'appel a pu en déduire que l'huissier instrumentaire n'avait commis aucune faute".

Sans doute le devoir d'information et de conseil du débiteur subsiste-t-il lorsque le créancier se fait assister par une personne compétente : ainsi a-t-il été jugé que la présence d'un avoué dans la procédure d'appel ne dispense pas l'avocat de son devoir de conseil (9), ou encore que la présence d'un conseiller personnel aux côtés d'un client ne saurait dispenser le notaire de son devoir de conseil (10). Et, l'on n'ignore pas non plus, suivant la même logique, que la compétence personnelle du client ne supprime pas dans son principe le devoir d'information et de conseil du professionnel : la jurisprudence décide, en effet, que les compétences professionnelles d'un client ne peuvent, à elles seules, dispenser l'avocat choisi par celui-ci de toute obligation de conseil (11), mais aussi que le notaire n'est pas déchargé par les compétences personnelles de son client (12), y compris, d'ailleurs, lorsque le client est lui-même notaire (13), et, enfin, plus généralement, que les compétences personnelles du client ne dispensent pas le rédacteur d'actes de son devoir de conseil (14). Ces solutions sont parfaitement connues.

Mais, cela ne saurait pour autant signifier que le devoir de conseil du professionnel est absolu. Il est, en effet, des circonstances qui libèrent le débiteur. Ainsi, en dehors même du fait que le devoir de conseil ne s'applique pas aux faits qui sont de la connaissance de tous (15) ou, inversement, qui sont ignorés de tous, rendant du même coup l'erreur invincible (16), on considère que le professionnel n'est pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties, du moins dans les hypothèses dans lesquelles aucun élément ne permettait de douter de leur exactitude. Aussi bien, décide-t-on que lorsqu'une partie déclare n'avoir jamais fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, le notaire n'a pas à vérifier cette déclaration, sauf à ce qu'existent des raisons objectives de mettre en doute sa véracité (17). Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation a, encore, très nettement posé en principe que "l'avocat ne saurait être tenu, dans le cadre de son obligation de conseil, de vérifier les informations fournies par son client s'il n'est pas établi qu'il disposait d'informations de nature à les mettre en doute ni d'attirer son attention sur les conséquences d'une fausse déclaration" (18). C'est de cette logique que relève l'arrêt du 25 mars dernier.

On relèvera, en outre, que ces solutions valent également, non pas seulement lorsqu'il est question d'apprécier l'exécution par le professionnel de son devoir d'information et de conseil, mais aussi, plus généralement, lorsqu'il s'agit de vérifier qu'il a correctement exécuté son obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels il prête son concours, dont on a déjà dit qu'elle constituait en quelque sorte le socle sur lequel se greffait le devoir d'information et de conseil. Sous cet aspect, on admet que, si l'obligation d'efficacité impose, certes, au notaire de requérir un état hypothécaire et un certificat d'urbanisme avant chaque vente en la forme authentique, y compris lorsqu'il en est dispensé par les parties (19), il n'engage, cependant, pas sa responsabilité si ces documents sont erronés, sauf à ce qu'il dispose d'éléments "susceptibles de l'amener à suspecter l'exactitude des renseignements d'urbanisme fournis" (20). De même, n'engage pas sa responsabilité le notaire ayant établi l'acte de vente d'un immeuble sur la base de documents attestant de la répartition des parts sociales de la société civile immobilière détenant l'immeuble, dont aucun indice ne permettait de soupçonner la fausseté, le notaire, chargé de donner forme authentique à la vente de l'immeuble et non à la cession des parts sociales, étant ainsi fondé à ne pas consulter le registre des nantissements (21). Par où l'on voit bien, en définitive, que la portée du devoir de conseil est fonction de la mission du professionnel telle qu'elle aura été déterminée par le but poursuivi par les parties.


(1) Cass. civ. 1, 22 avril 1981, n° 80-11.398 (N° Lexbase : A4212EXB), Bull. civ. I, n° 126.
(2) Cass. civ. 1, 4 janvier 1966, n° 62-12.459 (N° Lexbase : A9526DUD), Bull. civ. I, n° 7 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 1998, n° 96-14.385 (N° Lexbase : A2257ACL), Bull. civ. I, n° 22.
(3) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 96-21.732 (N° Lexbase : A7765AH3), Bull. civ. I, n° 282.
(4) Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(5) Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142, F-P+B sur la première branche (N° Lexbase : A4608EBB), Bull. civ. I, n° 267, jugeant que l'avocat, unique rédacteur d'un acte sous seing privé, est tenu de veiller à assurer l'équilibre de l'ensemble des intérêts en présence et de prendre l'initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d'autre, peu important le fait que l'acte a été signé en son absence après avoir été établi à la demande d'un seul des contractants.
(6) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-11.443, FS-P+B (N° Lexbase : A0335DMD), Bull. civ. I, n° 496.
(7) Cass. civ. 1, 17 décembre 1991, n° 90-15.968 (N° Lexbase : A7994AHK).
(8) Cass. civ. 1, 12 décembre 1995, n° 93-21.076 (N° Lexbase : A2785CSX).
(9) Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217 (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ. I, n° 132.
(10) Cass. civ. 1, 10 juillet 1995, n° 93-16894 (N° Lexbase : A9438CGN), Bull. civ. I, n° 312 ; Cass. civ. 3, 28 novembre 2007, n° 06-17.758 (N° Lexbase : A9422DZY), Bull. civ. III, n° 213 (présence d'un autre notaire aux côtés d'une des parties à l'acte).
(11) Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n° 96-18.775 (N° Lexbase : A2743ATR), Bull. civ. I, n° 15.
(12) Cass. civ. 1, 28 novembre 1995, n° 93-15.659 (N° Lexbase : A8057C48), Rép. Defrénois 1996, p. 361, obs. J.-L. Aubert.
(13) Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.831 (N° Lexbase : A9109DUW), Bull. civ. I, n° 142.
(14) Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 96-14.192 (N° Lexbase : A4535AG3), Bull. civ. I, n° 238.
(15) Cass. civ. 3, 20 novembre 1991, n° 90-10.286 (N° Lexbase : A2944ABN), Bull. civ. III, n° 284. Comp. Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 97-18.737 (N° Lexbase : A3478AUD), Bull. civ. I, n° 101, jugeant que nul ne peut voir sa responsabilité engagée pour ne pas avoir rappelé à une autre partie des obligations relevant de l'obligation de bonne foi qui s'impose en matière contractuelle, ou les conséquences de leur transgression.
(16) Cass. civ. 1, 21 novembre 2000, n° 98-13.860 (N° Lexbase : A9344AHK), Bull. civ. I, n° 300 (usucapion ignoré de tous et ultérieurement constaté dans une décision judiciaire).
(17) Cass. civ. 1, 28 septembre 2004, n° 01-01.081 (N° Lexbase : A4564DDE).
(18) Cass. civ. 1, 30 octobre 2007, n° 05-16.789 (N° Lexbase : A2275DZB).
(19) Cass. civ 1, 15 juin 2004, n° 01-02.621 (N° Lexbase : A7299DCC).
(20) Cass. com., 12 octobre 2004, n° 00-13.348 (N° Lexbase : A5938DDB).
(21) Cass. civ. 1, 5 mars 2009, n° 07-20.848, F-P+B ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 2775584, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. civ. 1, 05-03-2009, n\u00b0 07-20.848, F-P+B, Rejet", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A6306EDW"}}), D., 2009, AJ., p. 871.

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