Réf. : Cass. com., 13 avril 2010, n° 07-17.912, M. Jean-Marie Léger, FS-P+B (N° Lexbase : A0462EWZ)
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
le 07 Octobre 2010
I - Une lecture stricte des textes régissant la contribution aux dettes sociales
Le contexte entourant l'affaire commentée, marqué par l'extension d'une procédure collective de redressement, rendait la mise en oeuvre du principe de contribution aux dettes sociales par l'associé plus complexe que dans le cadre tracé par l'article 1857, alinéa 1er, du Code civil (A). La Chambre commerciale, cependant, en renvoyant expressément à la seule lettre de cet article (B), rejette les arguments de l'auteur du pourvoi à l'appui d'une lecture littérale de ces dispositions.
A - La procédure d'extension, cadre de la mise en oeuvre du principe la contribution aux dettes
Le 3 décembre 1988, une société civile immobilière (la SCI) est constituée entre M. X, président du conseil d'administration de la société anonyme Trognon (la SA), et MM. Y et Z, administrateurs de cette même société. Le 24 décembre suivant, la SCI contracte un emprunt auprès de la caisse régionale de crédit agricole du Loiret (la caisse), aux fins d'acquérir un immeuble devant être donné à bail à la SA. Par un jugement du 6 mars 1992, la SA est placée en redressement judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 1er mars 1991. C'est dans ce cadre que, le 17 juin 1992, M. L. acquiert la totalité des parts de la SCI.
Un jugement du 11 juin 1993, étend, au motif de la confusion des patrimoines, la procédure collective à la SCI, cette dernière continue de rembourser le prêt jusqu'au 24 février 2004, date à laquelle elle cesse les paiements. La caisse, après avoir déclaré sa créance au passif de la SCI, assigne ensuite M. L., sur le fondement de l'article 1857 du Code civil, en paiement du solde du prêt.
La cour d'appel de Paris (CA Paris, 15ème ch., sect. B, 24 mai 2007, n° 05/21218 N° Lexbase : A0773DXW), ayant, par un arrêt infirmatif, fait droit à la demande de la caisse, M. L. forme alors un pourvoi en cassation à l'appui d'un moyen divisé en quatre branches (les trois moyens initiaux ayant été réunis), les deux dernières n'étant pas examinées par le juge du droit -la troisième étant issue de motifs surabondants et la quatrième étant inopérante-. La troisième branche, toutefois, bien que surabondante va poser le problème de la mise en oeuvre de la contribution aux dettes sociales de l'associé d'une société ayant fait l'objet d'une mesure d'extension d'une procédure collective. Ouvrant ainsi la voie à une interprétation potentielle du mécanisme de contribution, elle sera l'objet de la seconde partie de cette étude.
Les deux premières branches faisaient état d'arguments liés, reposant toutes deux -pour l'essentiel- sur l'interprétation des dispositions de l'article 1857, alinéa 1er, du Code civil qui établissent qu'"à l'égard des tiers, les associés [d'une société civile] répondent indéfiniment des dettes sociales à proportion de leur part dans le capital social à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements". L'auteur du pourvoi invoquait, d'une part, que les dettes dont les associés d'une SCI ont à répondre en vertu des dispositions de l'article 1857 du Code civil sont des dettes sociales des seuls associés, "à la date de conclusion du contrat" soit, en l'espèce, à la date de la conclusion du contrat de prêt, c'est-à-dire le 24 décembre 1998. L'auteur du pourvoi, n'étant devenu l'associé unique de la société qu'à partir du 17 juin 1992, il ne pouvait, selon lui, être tenu au paiement du solde demandé par la caisse. Il prétendait, d'autre part, toujours en vertu du même article, "que l'associé qui quitte la société ne peut être déchargé de sa responsabilité à l'égard des tiers pour les dettes antérieures". En substance M. L. estimait qu'il ne pouvait, en toute hypothèse, être condamné à régler la totalité de la somme et que la cour d'appel aurait dû, au moins, l'exonérer du paiement de la part du solde du prêt correspondant à la période antérieure à la cession des parts sociales de la SCI.
S'agissant de ces deux points, la Cour de cassation va s'appuyer sur les dispositions de l'article 1857, alinéa 1er, du Code civil pour décider de rejeter le pourvoi, en dehors de toute considération quant à la mise en oeuvre du droit des procédures collectives.
B - L'article 1857, alinéa 1er, et la contribution aux dettes sociales
Le premier point, qui reposait sur l'affirmation que l'associé, cessionnaire de parts d'une société civile, n'est redevable des dettes sociales qu'en relation avec les contrats conclus postérieurement à la cession, repose, en effet, sur une interprétation audacieuse des dispositions de l'article 1857, qui, cependant, est parfois retenues mais uniquement pour des formes spécifiques de sociétés immobilières. S'agissant, en effet, de l'interprétation à donner aux dispositions qui imposent aux associés de répondre "à la date de l'exigibilité ou au jour de la cessation des paiements", la solution est constante, en général (cf. infra) depuis la réforme opérée par la loi du 4 janvier 1978 (loi n° 78-9, modifiant le titre IX du livre III du Code civil N° Lexbase : L1471AIC) : les termes de l'article 1857 doivent être entendus comme libérant le cédant de toute contribution aux dettes sociales qui n'étaient pas exigibles au moment de la cession. (2). Seuls les aménagements apportés conventionnellement au règlement d'un passif existant à cette date (3) ou la démonstration par les créanciers sociaux de l'existence d'une fraude de leurs droits peuvent, en principe, tempérer cette disposition. En l'espèce, ainsi, les cessionnaires ne pouvaient être considérés comme redevables des dettes sociales de la SCI à compter du 17 juin 1992.
Il existe, toutefois, une exception à ce principe, qui concerne les sociétés civiles de construction constituées en vue de l'attribution d'immeubles aux associés par fractions divises. L'article L. 212-8 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L7228ABC) établit, en effet, dans son second alinéa, que "le cédant n'est dégagé de ses obligations personnelles à l'égard de la société que dans la mesure où celle-ci y a expressément consenti" (le cessionnaire n'étant tenu, lui que dans la limite prévue dans l'acte de cession). Il s'ensuit, à l'appui de ces dispositions, que le juge du droit a pu décider que l'ancien associé était tenu aux dettes sociales, même si l'exigibilité de celles-ci était postérieure à la cession (4). L'auteur du pourvoi entendait, semble t-il, se prévaloir de cette règle exceptionnelle mais les faits de l'espèce conduisent à conclure à l'impossibilité de soutenir ces prétentions, le prêt ayant été consenti pour "l'acquisition" d'un immeuble et non pour sa construction.
Le second point examiné, qui figure dans la deuxième branche du moyen, concernait l'éventualité d'un partage ratione temporis entre cédants et cessionnaire, les cédants étant tenus -selon l'auteur du pourvoi- à une fraction du solde du prêt correspondant à la période durant laquelle ils étaient encore titulaires des parts sociales. Une fois encore, cependant, l'application des dispositions de l'article 1857 du Code civil devait faire obstacle à cette demande, la Cour de cassation répondant aux deux branches (examinées) du moyen en s'appuyant strictement sur la disposition précitée qui établit implicitement l'impossibilité d'un tel partage, n'évoquant que la seule solution suivante : "les associés répondent à l'égard des tiers des dettes sociales à la date de leur exigibilité ou à celle de la cessation des paiements".
II - Une contribution aux dettes sociales détachée de tout contexte d'extension
Cette réponse qui débouche sur le rejet du pourvoi, et même si la solution donnée par la Cour de cassation ne saurait qu'être vigoureusement approuvée, n'offre, cependant, qu'une issue abstraite à cette l'affaire. L'essentiel de l'argumentation de l'auteur du pourvoi, nettement perceptible lorsqu'on examine la structure des trois moyens produits, tendait à démontrer, en effet, que l'extension d'une procédure collective à la SCI était susceptible de modifier l'application des principes relatifs à la contribution aux dettes sociales (A). Si la réponse du juge du droit ne laisse aucun doute quant au rejet de l'application différenciée de l'article 1857 invoquée dans le moyen, elle n'en suscite pas moins des interrogations de fond quant aux difficultés susceptibles de naître dans le cadre d'une procédure d'extension (B).
A - L'éventualité d'une application assouplie de l'article 1857 face à certaines procédures d'extension
La réponse de la Cour de cassation, compte tenu de son laconisme, semble écarter toute possibilité d'interprétation, à l'inverse des thèses présentées par l'associé. Le renvoi à la lettre du texte écarte, en effet, la prise en considération des effets du jugement d'extension alors que la situation, telle qu'elle était présentée dans les moyens du pourvoi, conférait un éclairage particulier quant aux conséquences de l'application stricte de l'article 1857 du Code civil. Ce dernier, au demeurant, renvoie à une alternative qui n'appelle, a priori, aucune interprétation particulière. Il est possible de la résumer de la façon suivante : si le règlement des créanciers sociaux à la date d'exigibilité de la créance est de principe, il convient, simplement, d'y substituer la cessation des paiements dans l'hypothèse de l'ouverture d'une procédure collective. La logique de la disposition commande de retenir que, dans l'absolu, l'associé est tenu de toutes les dettes constituées avant la date de la cessation des paiements.
Dans cette affaire, cependant, l'application de cette règle semblait être rendue plus complexe en raison de l'extension pour confusion puisque, en l'espèce, la SCI n'était pas touchée par la procédure collective à l'époque où ses parts avaient été cédées, car ce n'est qu'après la cession que l'extension de ladite procédure avait été étendue. Il convient, ainsi, de souligner la spécificité du mécanisme d'extension en cas de confusion : construction, à l'origine jurisprudentielle, fondée sur l'interprétation des dispositions de l'ancien article L. 621-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L6857AIS) (5), le mécanisme figure, depuis l'édiction de la loi de sauvegarde des entreprises, en son article L. 621-2, alinéa 2. Elle répond à la situation dans laquelle les éléments d'actif et de passif de deux patrimoines distincts sont "mélangés de telle façon qu'on ne peut les distinguer", ou en cas de "flux financiers anormaux" (6). Cette situation emporte, alors, la possibilité d'étendre une procédure collective déjà ouverte contre un débiteur, à l'encontre d'une autre personne titulaire du patrimoine qui a fait l'objet du mélange ou des flux financiers anormaux. Il s'agit de lier les patrimoines (confusion n'est pas fusion) pour que ces derniers fassent l'objet d'une procédure unique, sans pour autant nier la personnalité juridique des débiteurs concernés et sans que la procédure ne rétroagisse à l'encontre du débiteur étendu.
C'est ce point particulier qui rendait l'application de l'article 1857 du Code civil fort singulière si l'on en croyait le moyen : en effet, traditionnellement, l'extension prenant appui sur la procédure initiale, c'est la date de la cessation des paiements de cette dernière qui est retenue pour l'ensemble de la procédure collective. Or, dans l'affaire considérée :
- cette cessation des paiements, initialement fixée au 1er mars 1991, était antérieure à la cession des titres de la SCI (consentie en juin 1992) ;
- le patrimoine de la SCI ne s'en trouvait pas affecté à l'époque de cette cession ;
- et ce n'est qu'après que le jugement emportant extension ait été prononcé, en juin 1993, que ladite société s'est trouvée placée dans le cadre de la procédure collective initiale, alors que l'associé avait changé.
C'est à la lumière de cette chronologie qu'il est possible d'analyser les arguments de l'auteur du pourvoi car, si ses prétentions ne pouvaient prospérer, au regard du texte de l'article 1857 du Code civil, l'effet du jugement déclarant l'extension de la procédure lui donnait, semble-t-il, la possibilité de souligner les conséquences paradoxales de ses dispositions.
B - Une application indifférenciée de l'article 1857, alinéa 1er, même dans le cadre de l'extension d'une procédure collective
Il faut entendre, en effet, à la lecture de l'article 1857 du Code civil que, lorsque la créance est exigible, l'associé est tenu aux dettes sociales, sauf, en cas de cessation des paiements, qui, en quelque sorte, rend l'associé immédiatement redevable. La mesure permet, ainsi, de conférer toute son efficacité aux procédures collectives, ces dernières l'emportant sur les dispositions du droit commun. Le terme "ou" dans la proposition doit, donc, être entendu comme permettant de constater que la dette sociale, bien que non encore exigible, sera tout de même redevable par l'associé et que ce dernier devra en répondre à compter de la cessation des paiements. La sujétion est d'évidence, car, dans le cadre de la déclaration de créance, la mesure du passif du débiteur impose que les créances échues et à échoir soient connues (même si leur montant n'est pas encore évaluable). Il s'ensuit qu'il convient de retenir la date de la cessation des paiements pour apprécier de la qualité d'associé au moment de la défaillance de la société.
L'auteur du pourvoi tentait, en l'espèce, de tirer toutes les conséquences favorables de cette interprétation restrictive de l'article 1857, comme si, de son point de vue, la cessation des paiements pouvait "purger" les associés ultérieurs de toute contribution aux dettes. Selon lui, le seul associé devant être tenu aux dettes sociales était, donc, celui qui avait cette qualité à la cessation de paiement. Il prétendait, de la sorte, que la cour d'appel avait violé l'article 1857 du Code civil puisqu'il ne pouvait répondre des dettes sociales à partir du moment où, au jour de la cessation des paiements, il n'avait pas la qualité d'associé. La cessation des paiements, en effet, avait été fixée au 1er mars 1991, alors qu'il n'avait acquis les parts de la SCI que le 17 juin 1992.
Si le juge du droit a pu écarter cette branche du moyen, y voyant des motifs surabondants, la question, au moins, mérite d'être approfondie. En effet, l'arrêt de la Cour de cassation, pourrait être analysé -soulignant cependant que ce serait là une interprétation par trop extensive- comme admettant que l'associé puisse être alternativement débiteur au jour de la cessation de paiement ou à l'exigibilité de la dette, sans qu'il y ait lieu de distinguer une quelconque chronologie de ces situations. Une telle lecture de l'arrêt entraînerait, toutefois, sur un terrain glissant au regard du droit des procédures collectives. Elle supposerait que le créancier admis mais n'ayant pu être désintéressé puisse, sa dette étant devenue exigible ultérieurement, intenter une nouvelle action contre l'associé en titre de la société ayant fait l'objet du jugement d'extension. La situation contredirait, de la sorte, l'esprit même du mécanisme de l'article L. 621-2, alinéa 2, puisque, précisément, le principe d'unicité de la procédure d'extension impose un traitement commun du patrimoine des deux entités, au sein d'une même procédure.
A l'évidence ce n'est donc pas cette voie qu'a suivie le juge du droit qui, en dépit du laconisme de sa formulation, ne se refuse pas à répondre à l'interprétation mais l'écarte au regard des faits, le caractère surabondant du moyen étant patent dans cette espèce. En effet, ainsi qu'en attestent les termes même de l'arrêt, l'organisme prêteur n'avait pas été confronté à une défaillance de la SCI, puisque les paiements avaient continué pendant plus de dix ans après le jugement d'extension, avant que, le 24 février 2004, ces derniers ne cessent. Comme le rapporte l'arrêt, ce n'est "qu'après avoir déclaré sa créance au passif de la SCI, [que] la caisse a assigné M. [L.] ". Implicitement, ainsi, la surabondance du motif s'explique par le fait que le rattachement de l'affaire à une procédure collective antérieure ne constituait qu'un artifice de raisonnement de l'auteur du pourvoi, la défaillance de la SCI n'étant qu'une conséquence indirecte, juridiquement s'entend, de celle de la SA.
Au-delà de la casuistique développée par l'auteur du pourvoi, la solution n'est pas neutre au regard des conséquences pratiques que peut avoir une procédure d'extension lorsque l'exploitation de sociétés commerciales et de sociétés civiles immobilière est très étroitement articulée. Terre d'élection des procédure d'extension pour confusion des patrimoines, le sort de ces deux types de sociétés est fort souvent lié, notamment en raison des tentations que ces formes de montage sont susceptibles d'inspirer à des dirigeants, lorsqu'il devient urgent de protéger le patrimoine d'une de leurs sociétés, aussi bien que leurs intérêts propres. L'espèce commentée est, ainsi, significative des périls encourus par le cessionnaire des parts d'une société immobilière lorsque le locataire des locaux de ladite société est intimement partie liée avec elle. L'article 1857 du Code civil, au demeurant, trouve là une application qui du point de vue de l'associé en titre, pourrait paraître inique, mais qui, en toute hypothèse, est indissociable de l'esprit du texte, dont l'essence est de permettre la protection des créanciers sociaux.
(1) Sur cet arrêt, cf. également les obs. d'E. Le Corre-Broly in Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Mai 2010, Lexbase Hebdo n° 395 du 20 mai 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N1927BP3).
(2) Cass. civ. 1, 26 novembre 1991, n° 88-20.094, M. Savart c/ M. Bianchini et autres (N° Lexbase : A4401ACY).
(3) Cass. civ. 1., 11 mars 1975, n° 73-14806, Loireau c/ Electricité et Gaz de France, Consorts Dameron, publié (N° Lexbase : A0165CHL).
(4) Cass. civ. 3, 14 novembre 1991, n° 89-15.507, Union de crédit pour le bâtiment (UCB) c/ Consorts Gagliano (N° Lexbase : A2683ABY), RTDCiv., 1992, 583, obs. P.-Y. Gautier.
(5) J.-M. Deleneuville, Critères de la confusion des patrimoines entre sociétés commerciales et personnes physiques ou le fabuleux destin de l'article L. 621-5 -aujourd'hui C. com., art. L. 621-2- du Code de commerce (N° Lexbase : L3474ICN)-, Rev. Proc. Coll., 2002, p. 157.
(6) D. Tricot, La confusion des patrimoines et les procédures collectives, in Rapport de la Cour de cassation 1998, p. 165.
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