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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 27 Mars 2014
Lexbase : La médiation souffre d'un manque de visibilité. Comment l'expliquez-vous ?
Sonia Cohen-Lang : La médiation est étrangère à notre culture. La France est un pays latin et les français sont connus pour avoir le "sang chaud". En cas de survenance d'un conflit, notre premier réflexe sera, le plus souvent, d'ordre procédurier. La médiation, qui consiste à rapprocher les parties en vue de trouver une solution extra-judiciaire au litige, est, en ce sens, contraire à notre approche.
La médiation, et avec elle, le médiateur, ont été introduits en France de façon désordonnée : le recours à la médiation est prévu dans nos textes de procédures civile (depuis le décret n° 96-652 du 22 juillet 1996, relatif à la conciliation et à la médiation judiciaires N° Lexbase : L0210IHA) et dans notre Code civil, notamment en matières familiales.
Mais, la formation du médiateur, outre en matière familiale, n'est pas encadrée par la loi. Jusqu'en 2000, aucune formation ni diplôme de médiateur n'existait, permettant à n'importe qui de s'attribuer cette qualité. Compte tenu des perspectives économiques offertes par ce marché émergent, nombreux sont ceux qui saisissent chaque jour cette opportunité. La médiation souffre de cet engouement. Il s'agit, en effet, d'un métier à part entière, qui requiert un profil précis, alliant, notamment, une connaissance juridique solide, une expertise, une technicité, une psychologie et une déontologie particulières. Une formation adéquate est indispensable, dans l'intérêt du justiciable. Or, beaucoup d'acteurs ne répondent pas à ces exigences et les conclusions d'accords inapplicables ou contraires à l'ordre public sont légion, favorisant une grande insécurité juridique. L'absence d'encadrement de la matière suscite, légitimement, une certaine méfiance de la part du public.
Récemment, le droit européen a posé que le médiateur doit être compétent et qualifié dans la matière dans laquelle il intervient. En France, depuis l'an 2000, la DRASS, délivre un diplôme d'Etat, qui sanctionne une formation d'environ 500 heures uniquement pour le diplôme de médiateur familial.
Les avocats ne s'intéressent que depuis peu à ce MARC. Certains considéraient que la négociation faisait partie intégrante de leur fonction (sur ce point ils n'avaient pas tort). Si les parties ne parvenaient pas à un accord dans le cadre de leur intervention classique, ils ne comprenaient pas l'utilité d'une autre formule de "négociation", projetant un nouvel échec des échanges.
C'était oublier que la médiation implique, également, une technicité à laquelle ils ne sont pas rompus. Au demeurant la grande qualité professionnelle de négociateur de ces avocats n'est nullement remise en cause. La médiation ne peut en aucun cas entraîner un appauvrissement de leurs activités de conseil.
D'autres opposants à la médiation craignaient que le médiateur ne soit "homme du procès".
Enfin, les magistrats ne peuvent accepter de laisser un tiers juger un litige à leur place, en dehors de tout encadrement judiciaire. Recourir à la médiation leur demande, en outre, dans un contexte d'engorgement des tribunaux, un suivi de l'affaire plus approfondi et plus long, que s'ils avaient à rendre un simple jugement.
Néanmoins, à travers le monde, la concertation apparaît de plus en plus comme la solution d'avenir et chacun de ces acteurs prend progressivement conscience du bienfait de ce MARC. Les avocats français, par exemple, ont compris que leur profil s'accordait bien aux exigences inhérentes à la profession de médiateur et ils souhaitent, depuis peu, investir ce nouveau champ d'activité.
Lexbase : Comment définir la médiation ? En quoi se distingue-t-elle des autres MARC ?
Sonia Cohen-Lang : La médiation a été instituée en France par la loi du 8 février 1995 (loi n° 95-125, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile N° Lexbase : L1139ATD, et introduite dans le Code de procédure civile (C. pr. civ., art. 131-1 N° Lexbase : L2190ADH) par le décret du 22 juillet 1996. Ces textes ne donnent pas de définition. Aux termes de l'article 131-1, "le juge saisi d'un litige peut, après avoir recueilli l'accord des parties, désigner une tierce personne afin d'entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose", étant précisé que "ce pouvoir appartient également au juge des référés, en cours d'instance".
Aux côtés de la médiation judiciaire, qui couvre l'ensemble des compétences du juge civil, il est souvent recouru à la médiation extra-judiciaire ou conventionnelle. Quelle que soit sa nature, la médiation se définit, en réalité, comme un processus dans lequel un tiers appelé le médiateur -impartial, indépendant, neutre, sans pouvoir décisionnel, avec la seule autorité que celle que lui reconnaissent les "médiés"-, favorise, par des entretiens confidentiels, un rapprochement pouvant aboutir à un accord.
La fonction première de la médiation est de restaurer le dialogue et de faciliter les prises de conscience, non de trancher ; en cela elle diffère des autres MARC. Elle tend à ce que chacun exprime ses besoins, pour s'apercevoir, souvent, qu'ils sont complémentaires, plutôt que contradictoires. J'aime reprendre l'exemple donné par le Bâtonnier Iweins, tant il est parlant. Deux personnes se disputent une orange. Le médiateur demande à chacune les raisons pour lesquelles elles ont besoin de ce fruit : l'une souhaite recueillir la pulpe à des fins médicinales, quand l'autre doit récupérer le zeste pour faire un gâteau. La solution sera, donc, le partage du zeste et de la pulpe et non l'attribution totale de l'orange à l'un ou l'autre. Il arrive aussi que les revendications des parties ne soient que le prétexte à un malaise sous-jacent. Des personnes récemment séparées s'opposeront, par exemple, sur la vente ou la conservation d'un appartement, parce qu'en réalité et sans qu'elles en aient conscience, l'une des deux n'accepte pas la séparation, et l'autre refuse d'en assumer la responsabilité exclusive. Une mère refusera au père de recevoir régulièrement ses enfants. Le dialogue instauré dans le cadre de la médiation lui fera comprendre qu'elle redoute d'être remplacée dans le coeur de ses enfants par la nouvelle compagne de son ex-conjoint. Un droit de visite exercé dans un lieu neutre mettra fin au litige.
Ces solutions médianes sont rarement rendues par des juges, car le cadre judiciaire exclut majoritairement la dimension psychologique d'un conflit. Outre une meilleure prise en compte des intérêts de chacun, la médiation aura pour avantage d'être moins onéreuse, d'atténuer l'aléa quant à l'issue du conflit et de garantir une stricte confidentialité (largement appréciée en matière commerciale). Néanmoins, elle n'est pas nécessairement opportune à chaque fois. Le rôle de l'avocat et du juge est d'apprécier cette opportunité et de guider les justiciables vers une procédure judiciaire ou amiable, au mieux de leurs intérêts.
Lexbase : Pensez-vous qu'il faille faire de la médiation une voie procédurale ? Quels moyens permettraient d'y parvenir ?
Sonia Cohen-Lang : L'idée de faire de la médiation une "voie procédurale" a été avancée dans le rapport Célérité et qualité de la justice - la médiation, une autre voie, remis à la Chancellerie en octobre 2008 par la commission (dont je suis membre), présidée par Jean-Claude Magendie, premier Président de la cour d'appel de Paris.
Pour y parvenir, nous préconisons, notamment :
- la création d'un magistrat référent en matière de médiation pour chaque matière ;
- le développement de la formation et de la sensibilisation des magistrats et avocats (modules de médiation comptabilisés en formation obligatoire) ;
- la création d'une commission de médiation formée d'avocats et de magistrats pour contrôler l'état d'avancement des dossiers envoyés en médiation ;
- et la modification de textes de lois (notamment, unification de certains texte en matière d'accord, TVA réduite à 5,5 % sur les honoraires, intervention sur magistrat au niveau des dépens ou de l'article 700 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6906H7W pour les personnes ayant eu préalablement recours à une médiation, etc.).
En tout état de cause il est apparu impératif de réserver une plus grande place à l'avocat médiateur et d'insister sur les compétences de ce professionnel.
Aujourd'hui, le recours à la médiation judiciaire dépend de l'approche du juge vis-à-vis de ce MARC. Jean-Claude Magendie et le Président actuel du TGI de Paris, Jacques Degrandi, ont toujours été favorables à la pratique de la médiation.
Actuellement, une procédure de convocation préalable est mise en place et, sous le Bâtonnât de Christian Charrière-Bournazel, l'Ordre des avocats et le tribunal de grande instance de Paris ont signé, le 14 décembre 2009, un protocole relatif à la médiation civile. L'objectif est clairement affiché, il s'agit "de parvenir à une implantation durable du recours à la médiation civile dans la juridiction".
Lors de la Présidence de Béatrice Brenneur (2) à la cour d'Appel de Grenoble, plus de 30 % des affaires allaient en médiation préalable. Ce chiffre témoigne du succès de ce MARC.
Mais à son départ de cette chambre, les chiffres sont retombés
En Ile-de-France, un système est mis en place, à titre d'essai, permettant un renvoi des affaires en médiation, sans aucune perte de temps. La médiation débute, en effet, lors de la mise en l'état de l'affaire, étape qui peut durer de quelques mois à plusieurs années.
Lexbase : Vous êtes d'avis que les avocats ont intérêt à investir ce champs d'activité.
Sonia Cohen-Lang : Je pense, en effet, que l'avocat a le profil adéquat pour exercer les fonctions de médiateur. Il est, néanmoins, indispensable que ce professionnel suive une formation spécifique, car les professions d'avocat et de médiateur sont bien distinctes. Mais, on ne peut nier que ces métiers présentent un certain nombre de dénominateurs communs, constituant des garanties solides pour le justiciable. L'avocat et le médiateur se doivent tous deux d'être impartiaux, autonomes, compétents, diligents, soumis à des règles déontologiques et assurés.
Une médiation sans avocat est, par conséquent, inconcevable. Le rôle de ce professionnel doit s'envisager sous deux angles : en tant que conseil de son client et en tant que médiateur.
Il faut, cependant, prendre grand soin à ce que ces deux fonctions ne se confondent pas dans une même affaire, sous peine de porter atteinte au principe d'indépendance et de favoriser la survenance de conflits d'intérêts.
Lexbase : Michèle Alliot-Marie a présenté le 3 mars 2010 le projet de loi de répartition des contentieux et d'allègement des procédures. Ce texte prévoit un recours obligatoire à la médiation en amont de certaines procédures contentieuses en matière familiale. Quel est votre avis sur cette proposition ?
Sonia Cohen-Lang : Le projet de loi de répartition des contentieux et allègement des procédures introduit la médiation obligatoire et préalable à la médiation familiale avant toute saisine du juge tendant à faire modifier les modalités de l'exercice de l'autorité parentale ou la contribution à l'entretien ou à l'éducation de l'enfant fixées antérieurement par une décision de justice.
Dans une motion adoptée par l'assemblée générale du 9 avril 2010, le CNB a dit considérer que la médiation obligatoire est contraire au principe de libre accès au juge.
Je pense que seule l'information à la médiation doit être ou peut être obligatoire. La médiation, pour réussir, doit procéder d'une volonté des parties. A défaut, elle est vouée à l'échec.
(1) Lire Médiation judiciaire : état des lieux et prospectives, Lexbase Hebdo n° 15 du 21 janvier 2010 - édition professions (N° Lexbase : N9690BMT).
(2) Présidente française du GEMME - Groupement européen des magistrats pour la médiation.
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