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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 07 Octobre 2010
Le texte s'inscrit en droite ligne avec les propositions formulées dans le rapport "Guinchard" sur la répartition des contentieux, remis au Garde des Sceaux le 30 juin 2008, qui tendent à simplifier, spécialiser et rendre plus lisible notre organisation judiciaire.
Lisible, la démarche du Gouvernement aurait pu l'être beaucoup plus. Il a, en effet, choisi, dans le cadre de la réorganisation des contentieux, de morceler les textes, plutôt que d'adopter une loi unique.
A, ainsi, succédé à la loi du 12 mai 2009, le décret n° 2009-1693 du 29 décembre 2009, relatif à la répartition des compétences entre le tribunal de grande instance (TGI) et le tribunal d'instance (N° Lexbase : L1849IGL), et sont, notamment, en cours d'examen la proposition de loi "Béteille", relative à l'exécution des décisions de justice et aux conditions d'exercice de certaines professions réglementées (qui porte, notamment, sur la création de la procédure participative des négociations assistée par les avocats) (1) et le projet de loi portant réforme du crédit à la consommation (2). Eu égard aux controverses suscitées par la plupart des points des réformes en cours ou envisagées concernant la justice et ses professionnels, la démarche est, certainement, plus prudente.
Le dernier texte en date (celui qui fait l'objet de cette étude) a, essentiellement, pour objectif de :
- continuer l'effort de modernisation, en simplifiant l'organisation judiciaire en première instance -exit, pour ce faire, les juridictions de proximité - ;
- rééquilibrer la répartition des compétences entre le TGI et le tribunal d'instance ;
- rationaliser davantage le traitement des contentieux et spécialiser les juridictions dans les contentieux les plus complexes et techniques (obtentions végétales, départition prud'homale, etc.) ;
- rationaliser la procédure devant le juge aux affaires familiales (JAF) et développer les voies amiables des règlements des différends en matière d'autorité parentale -en privilégiant la voie de la médiation en matière familiale- ;
- et développer les procédures pénales simplifiées qui permettent un traitement accéléré des infractions, lorsque l'auteur reconnaît les faits.
Le projet de loi entend supprimer la juridiction de proximité instituée par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, d'orientation et de programmation pour la justice (N° Lexbase : L6903A4G).
Ce dispositif récent n'aura, finalement, pas été à la mesure des espérances placées en lui : l'extension progressive des compétences du juge de proximité (qui connaît, désormais, au civil des litiges dont le montant ne dépasse pas 4 000 euros au lieu de 1 500 euros précédemment, et, au pénal, des contraventions allant jusqu'à la quatrième classe) lui font connaître un contentieux de masse ; les tribunaux n'étant, quant à eux, pas moins engorgés.
Loin d'être efficace, le dispositif complexifierait même notre organisation judiciaire et atteindrait à sa lisibilité, "notamment lorsqu'en l'absence du juge de proximité, ses fonctions sont exercées par le juge d'instance", ainsi que le présageait le rapport parlementaire, relatif au projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice portant création de la juridiction de proximité.
Mais, "si la juridiction de proximité ne parait pas parfaitement adaptée à l'objectif qui lui avait été assigné, les juges de proximité ont su trouver une place légitime et singulière dans notre fonctionnement judiciaire ; c'est pourquoi, il semble indispensable de les maintenir, tout en les rattachant au [TGI]". Pourquoi se débarrasser de professionnels compétents et peu onéreux ?
Sur le plan fonctionnel, ce rattachement au TGI se traduira par la possibilité pour les juges de proximité, outre leur compétence maintenue en matière de contravention des quatre premières classes, de participer aux audiences collégiales civiles et pénales du TGI. Ils pourront, également, tant au TGI qu'au tribunal d'instance, statuer sur requête en injonction de payer (sauf sur opposition). Ils procèderont à des mesures d'instruction en matière civile (telles l'audition des parties à l'occasion de leur comparution personnelle et celle des témoins à l'occasion d'une enquête, etc.). Enfin, ils pourront être assesseurs en chambre civile, et continuer à être assesseurs au tribunal correctionnel. En revanche, et contrairement à ce que préconisait la commission "Guinchard", ils ne pourront pas vérifier et approuver les comptes de gestion soumis à l'occasion des mesures de protection juridique des mineurs.
La commission "Guinchard" préconise un allégement de la procédure de divorce par consentement mutuel (plutôt que sa déjudiciarisation, notamment, en instituant le divorce devant notaire) et l'encadrement de son coût par une régulation des honoraires.
En l'état actuel des textes, le divorce par consentement mutuel ne peut être prononcé qu'à l'issue d'une audience devant le JAF, les parties ayant l'obligation d'être présentes en personne. Le texte prévoit de dispenser les couples sans enfant mineur de comparaître personnellement et systématiquement devant ce juge, sauf demande du juge ou de l'un des époux.
Rappelant que l'accès au juge est un droit fondamental au sens de la CESDH, le CNB a, dans une motion adoptée par son assemblée générale du 9 avril 2010, réaffirmé son attachement à l'intervention du juge en cette matière, seul garant des droits et libertés fondamentaux du citoyen. Dans cette optique, il considère que la dispense de comparution des parties devant le JAF doit demeurer exceptionnelle et ne peut procéder que de leur demande conjointe.
Pour améliorer la lisibilité et, par là, l'accès au juge, la commission "Guinchard" a recommandé que la convention d'honoraires de l'avocat soit rendue obligatoire, de même que l'affichage des honoraires. Elle a, également, envisagé la fixation d'un tarif maximum en matière de divorce par consentement mutuel.
Le projet de loi "s'inspire de ces propositions, en prévoyant un barème indicatif, dont le dépassement resterait possible, à la condition que l'avocat ait conclu une convention d'honoraires avec son client, étant précisé que ce barème pourrait être arrêté par le Garde des Sceaux, après avis du CNB".
Celui-ci a cru bon de rappeler le caractère subsidiaire d'un tarif, en l'absence d'une telle convention, dans les termes de sa délibération adoptée lors de son assemblée générale des 13 et 14 juin 2008. Il réitère, donc, que le tarif envisagé ne pourra s'appliquer qu'aux divorces sans enfant sans patrimoine et sans disparité susceptible d'ouvrir droit à prestation compensatoire. Enfin, il demande à être associé à la rédaction du décret d'application de la loi et exige que le tarif envisagé ne puisse être arrêté qu'après son avis conforme et qu'il soit révisé annuellement.
La médiation, notamment, dans le cadre des conflits familiaux, doit, selon la commission "Guinchard", être développée (sur ce point, lire La médiation, "troisième voie procédurale" en France ? - Questions à Sonia Cohen-Lang, médiatrice et avocate, Lexbase Hebdo n° 29 du 6 mai 2010 - éditions professions N° Lexbase : N0597BPS).
Aux termes du projet de loi, en cas de modification des mesures relatives aux enfants dans le cadre du divorce ou d'une séparation, une tentative de médiation serait préalablement imposée aux parties, sous peine d'irrecevabilité de la saisine du JAF, sauf motif légitime ou accord des parents sur les modifications envisagées.
Ce dispositif serait expérimenté jusqu'en 2012 au sein de cinq tribunaux de grande instance de tailles différentes (Paris, Bordeaux, Arras, Niort, et Saint-Denis-de-la-Réunion), avant d'être éventuellement généralisé.
Le CNB considère, de son côté, que la médiation obligatoire est contraire au principe du libre accès au juge et propose d'y substituer l'obligation pour les parties de justifier, au terme de l'acte introductif d'instance, les diligences effectuées aux fins de parvenir à un accord préalablement à la saisine du juge.
Le projet de loi envisage d'étendre les procédures pénales simplifiées que sont l'amende forfaitaire, l'ordonnance pénale et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, en ce qu'elles permettent de traiter efficacement des contentieux importants.
Il est, ainsi, proposé d'étendre la procédure de l'ordonnance pénale à certains délits, comme le vol (aucun délit d'atteinte aux personnes ne serait, en revanche, inclus). Le champ de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité serait, également, étendu à l'ensemble des délits, quelle que soit la peine encourue, en maintenant, cependant, les exceptions actuellement prévues.
Le Gouvernement profite de l'occasion pour préciser les conditions du recours à ces procédures : "la procédure simplifiée de l'ordonnance pénale a vocation à ne s'appliquer qu'à des affaires ne justifiant pas la tenue d'un débat contradictoire public, en raison de leur simplicité et de leur faible gravité. Elle est, également, réservée aux procédures dans lesquelles les faits sont établis et des renseignements sur la personnalité du prévenu disponibles. Enfin, il ne sera pas recouru à cette procédure, si celle-ci est de nature à porter atteinte aux droits de la victime".
Le CNB constate, pour sa part, que le dispositif "s'inscrit dans la logique d'accroissement des pouvoirs du Parquet au détriment du débat contradictoire, particulièrement s'agissant des ordonnances pénales" et dit "refuser que la volonté de privilégier les procédures rapides se fasse au détriment des droits de la défense". En conséquence, il exige d'être associé à toute discussion portant sur les droits fondamentaux, notamment les dispositions portant atteinte aux libertés.
Sur ce point, l'on retiendra principalement, du projet de loi :
- une spécialisation renforcée des juges ayant à connaître de la départition prud'homale ;
- la mise en place d'un Pôle judiciaire spécialisé à Paris compétent pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre ;
- et la création des juridictions spécialisée pour les grandes catastrophes en matière de transport ou liées à un risque technologique ; ces juridictions pourront être saisies sur décision du Procureur général près la cour d'appel, en cas d'homicide ou de blessures involontaires, lorsque l'affaire comportera une pluralité de victimes et apparaîtra d'une grande complexité.
(1) Adoptée en par le Sénat le 11 février 2009.
(2) Adopté par le Sénat le 17 juin 2009.
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